Houshang HASSAN-YARI
Professeur et directeur du Département de science politique et d’économique du Collège militaire royal du Canada.
Trimestre 2010
De tous les candidats aux élections présidentielles des États-Unis en 2008, seul Barack Obama proposait un regard neMet différent sur la politique étrangère de son pays. Le point central, et contentieux, de sa proposition résidait dans la reconnaissance de la nécessité d’être modeste et pragmatique dans son approche internationale. Il offrait à rencontrer, sans préjudice et conditions, le dirigeant des pays que le président sortant, George W. Bush, avait qualifiés de « voyous ». L’aspect le plus controversé et contesté de cette proposition par les autres aspirants à la Maison-Blanche était une rencontre inconditionnelle des dirigeants iranien et nord-coréen.
La politique innovatrice, ou tout au moins différente, proposée par le sénateur Obama émanait d’une personnalité qui représentait un cas presque exceptionnel parmi les seize candidats démocrates et républicains. La politique reflétait l’image de l’homme même. Le plus jeune candidat avec seulement deux ans d’expérience de service sénatorial à Washington, il était, en 2008, l’unique sénateur noir dont le père était noir kenyan et la mère blanche américaine, portant le nom le plus bizarre de tous les candidats. Son deuxième prénom, Hussein, d’origine arabe, faisait de lui le seul candidat présidentiel avec une vague connexion arabe ou moyen-orientale, bien que son père soit en fait du Kenya[1]. Selon la loi, comme la mère de Barack, Ann Dunham Stanley, était américaine, son fils le serait également. Les rumeurs sur l’origine étrangère du candidat Obama et sa naissance à l’extérieur du territoire américain, le disqualifiant, ont obligé sa campagne électorale à reproduire son acte de naissance : Barack Hussein Obama. II est né à Hawaï d’A.D. Stanley et Barack Hussein Obama du Kenya[2].
Comme ces rumeurs n’ont pas empêché Obama d’être élu président, d’autres cacophonies ont continué depuis son assermentation. Les récalcitrants reprochaient deux choses à Obama. D’abord, sa religion. Selon les différents sondages d’opinion, entre un cinquième et près d’un tiers des Américains croient que Barack Obama est un musulman et que les musulmans devraient être interdits de se présenter à la présidence ou de siéger à la Cour suprême des États-Unis[3]. La « campagne de désinformation » a laissé des traces. Le nombre de personnes qui maintenant identifient correctement Obama en tant que chrétien a chuté à 34 %, en baisse de près de la moitié par rapport au moment où il a pris ses fonctions présidentielles[4].
Obama est aussi dénoncé comme un « socialiste ». Les conservateurs américains sont furieux de ce qu’ils nomment le socialisme et le radicalisme de Barack Obama. L’ancien président de la Chambre des représentants, Newt Gingrich, a intitulé son nouveau livre Sauver l’Amérique : Comment arrêter la machine socialiste laïque dObama. Le président est accusé de vouloir établir une limite à la somme d’argent que les magnats de Wall Street peuvent gagner, de transformer les États-Unis en une dictature de prolétariat, d’étatiser l’économie et de tuer les vieillards pour réduire le coût des programmes sanitaires et sociaux. Les conservateurs dénoncent les plans de sauvetage des secteurs bancaire, d’automobile et d’assurance[5] du président Obama, oubliant d’abord la source et les causes de la crise économique qui a nécessité l’intervention de l’État, et, surtout, les mesures tardivement adoptées par le président conservateur George W. Bush en vue de sauver l’économie avant qu’il ne cède la Maison-Blanche à son locataire suivant.
C’est dans ce contexte de mépris et méfiance qu’Obama cherche à faire une intervention positive au Moyen-Orient après les décennies d’actions arbitraires des administrations américaines dans certains dossiers et d’inertie dans d’autres. Le conflit israélo-arabe, les rapports entre les États-Unis et les pays musulmans, la guerre en Irak, l’impasse nucléaire en Iran, le terrorisme et la situation au Yémen font partie d’une panoplie de problèmes qui préoccupent grandement Obama. Depuis sa campagne électorale il a promis des changements.
Le présent texte ne s’attarde que sur deux des nombreux défis que l’administration Obama est appelée à relever : le conflit israélo-arabe et la question iranienne.
Le conflit israélo-arabe
« Obama arrive au pouvoir après les deux présidents les plus pro-israéliens des soixante dernières années, Bill Clinton et George W. Bush. L’approche d’Obama met Israël d’abord, les Arabes loin au deuxième rang, tandis que les Palestiniens obtiennent le mélange habituel de mentions honorable et passable. Cela pourrait bénéficier aux fortunes électorales d’Obama, mais ne fera pas avancer la paix israélo-palestinien[6]. » Ces lignes ont été écrites en juillet 2008, quelques mois avant les élections qui ont porté au pouvoir un idéal de changement. Bien que personne n’attende une rupture avec Israël ou dans la politique pro-israélienne des États-Unis, l’espoir était quand même suscité dans l’avènement d’une politique plus équilibrée qui serve d’abord l’intérêt national américain, ensuite les préoccupations de sécurité d’Israël et, finalement, la réalisation des revendications légitimes de la nation palestinienne pour réaliser leur État, selon les normes internationales.
Le contentieux le plus difficile au Moyen-Orient reste le conflit israélo-arabe, qui se réduit de plus en plus à sa dimension israélo-palestinienne. Pendant sa campagne électorale et en référence à la situation au Moyen-Orient, Obama avait mentionné : « Personne ne souffre plus que le peuple palestinien », sans oublier pour autant d’ajouter que dans le passé les Israéliens et les Palestiniens avaient souffert en raison de l’absence d’un accord de paix. Les propos d’Obama sur la souffrance palestinienne ont révolté certains Juifs américains. Selon le New York Times[7], pour le rabbin Steven Silver de Californie, l’attribution de la première place aux Palestiniens dans la matrice de souffrance est odieuse et malheureuse. L’affirmation du camp d’Obama de la centralité de la sécurité d’Israël dans la politique américaine au Moyen-Orient n’a pas apaisé les groupes de pression pro-israéliens aux États-Unis qui pensent que beaucoup d’Américains trouvent offensant le commentaire d’Obama.
Cette réaction très négative contraste avec la réception enthousiaste qu’Hillary Clinton, une autre candidate démocrate, a reçue lorsqu’elle a pris la parole à une conférence de l’American Israel Public Affairs Committee – Comité américain pour les affaires publiques d’Israël (AIPAC)[8], le principal lobby d’Israël aux États-Unis. Afin de capitaliser sur sa position de favorite pour récolter les votes des communautés juives et se démarquer de son rival, Clinton s’est concentrée sur Israël et sa sécurité, soulignant que toutes les options étaient sur la table pour une éventuelle confrontation avec l’Iran sur la question de son programme nucléaire, jugé menace existentielle pour Israël. En revanche, alors qu’Obama a carrément confirmé : « Je suis pro-israélien », il a également parlé ostensiblement des Palestiniens. Vers la fin de son discours, après avoir loué Israël, il a dit : «Nous sommes tous engagés dans [l’idée de] deux États vivant côte à côte en paix. » Et dès qu’il y aurait des partenaires palestiniens qui renonceraient à la violence, les négociations de paix avec Israël devraient se dérouler, a-t-il ajouté. Il a uniquement blâmé le Hamas pour le blocage du processus de paix. Malgré tout, ses remarques ont été timidement reçues.
Selon le compte rendu du New York Times, les contrastes ont été criants dans l’accueil réservé aux deux candidats. Il y avait de la musique israélienne, une pancarte avec le nom de Clinton en hébreu, des banderoles de campagne, des ballons et une vidéo la montrant au travail. En revanche, les aides d’Obama préparaient encore une petite plate-forme pour leur candidat à la dernière minute, avec un minimum de décoration électorale dans la salle. Les assistants d’Obama avaient indiqué que la rencontre serait une réunion informelle. À la fin, Obama a attiré près de 1 000 personnes, beaucoup moins que Clinton. Il est nécessaire de rappeler que Clinton n’a pas toujours été si populaire avec l’électorat juif américain ou le gouvernement d’Israël. Comme première dame américaine, Hillary Clinton a été l’un des premiers défenseurs d’un État palestinien. Elle s’est prononcée sur cette question, le 7 mai 1998, lors d’une visité dans les Territoires palestiniens. Elle a été obligée de revenir sur ses positions quand l’opinion d’une partie de l’électorat new-yorkais s’est retournée contre elle au cours d’une campagne pour le Sénat. À partir de là, Clinton était devenue un partisan inlassable d’Israël[9]. La transformation a été rapide et sans retour.
Obama a aussi eu un parcours similaire. Si, pour les organisations sionistes et pro-israéliennes, le transfert de Bret Stephens, ancien rédacteur du journal Jerusalem Post, au poste de rédacteur en chef du Wall Street Journal}0 est dans l’ordre des choses et tout à fait normal, le président Obama a dû cesser son amitié avec Rashid Khalidi, un Américain d’origine palestinienne. Ce dernier est accusé d’être « extrêmement anti-israélien, ou même carrément antisémite » et Barack Obama est accusé d’avoir tissé avec lui des alliances anti-israéliennes[10].
La campagne anti-Obama des organisations pro-israéliennes rejoignait celle du rival républicain pour l’élection présidentielle. Selon Stephen Zunes[11], la campagne orchestrée par John McCain, Sarah Palin et leurs partisans a atteint un niveau encore plus bas vers la fin d’octobre 2008 avec leurs attaques contre le candidat démocrate Barack Obama, pour ses liens anciens avec l’universitaire palestinien américain Rashid Khalidi. Ce n’est qu’une partie d’une série de tactiques désespérées de la part des républicains pour faire paraître Obama, résolument pro-Israël, comme un anti-Israël. La campagne était conçue pour limiter politiquement les options de ce dernier pour aborder les questions urgentes de la paix israélo-palestinienne lors de sa présidence, maintenant qu’il était impossible de le rattraper et de nuire à ses chances aux élections. En d’autres termes, c’était une attaque préventive pour dissuader Obama, muni d’un mandat clair de gouverner, de forcer les parties en conflit à s’engager à fond dans les négociations de paix. Dans ce contexte de chasse aux sorcières, Khalidi allait devenir la chair à canon pour faire freiner la diplomatie américaine au Moyen-Orient, à la lumière du plan qu’Obama candidat avait présenté au cours de sa campagne électorale. Certains spécialistes américains des questions du Moyen-Orient ont tenté de rétablir les faits. Pour Stephen Zunes, Obama et Khalidi et leurs épouses avaient effectivement un rapport social quand ils enseignaient à l’université de Chicago, et leurs enfants fréquentaient la même école. Il est ironique que Khalidi – diplômé de Yale et Oxford d’origine américaine, et ancien président de la Middle East Studies Association – soit devenu le point focal de ces attaques. En effet, l’orientation politique de cet académique de renommée internationale a été mal présentée pour des raisons politiques et idéologiques. Khalidi a été qualifié de « terroriste », « extrémiste » et « néonazi » par McCain, Palin et les organisations pro-israéliennes. Zunes confirme que, contrairement aux attaques politiques contre Obama, ce dernier, comme George W. Bush, soutenait solidement les politiques israéliennes et était prêt à faire confiance aux think tanks de droite idéologisés plutôt qu’aux groupes de droits humains réputés[12].
Enfin, l’engagement d’Obama du côté d’Israël d’abord est infaillible. Durant la campagne électorale, il n’a pas cessé de répéter : «Notre point de départ doit toujours être un engagement clair et fort pour la sécurité d’Israël, notre allié le plus puissant dans la région et la seule démocratie établie », bien qu’il n’ait pas divulgué s’il avait effectivement un vrai plan de paix pour résoudre le conflit israélo-palesti-nien[13]. Le discours d’Obama en 2007 a amené Shmuel Rosner, correspondant de Ha’aretz à Washington, à tirer la conclusion suivante : « Obama sonnait aussi fort que Clinton, aussi favorable que Bush, aussi amical que Giuliani[14]. Au moins rhé-toriquement, Obama a réussi tout examen que n’importe qui aurait voulu lui faire passer. Donc, il est pro-israélien. Point[15]. »
Avant sa transformation en trio Clinton-Bush-Giuliani, comme l’a indiqué Shmuel Rosner, Obama donnait un point de vue relativement équilibré sur le conflit israélo-palestinien en s’alignant sur les positions adoptées par le camp de la paix israélien et ses soutiens américains. Par exemple, lors de sa campagne infructueuse pour le Congrès en 2000, Obama a critiqué l’administration Clinton pour son soutien inconditionnel à l’occupation et d’autres politiques israéliennes, et a appelé à une approche modérée face au conflit israélo-palestinien. Il a évoqué le cycle de la violence entre Israéliens et Palestiniens, contrairement à la plupart des démocrates qui utilisaient la formule de la violence palestinienne et de la riposte israélienne. Obama a également fait des déclarations de soutien à un accord de paix le long des lignes de l’initiative de Genève et aux efforts similaires des modérés israéliens et palestiniens[16].
L’initiative, ou l’accord, de Genève, est un accord-cadre destiné à résoudre le conflit israélo-palestinien sur une base permanente. Il est une synthèse de l’ensemble des négociations officielles précédentes, les résolutions internationales, la feuille de route du Quartet, les efforts du président Bill Clinton et l’initiative de paix arabe. L’accord cherchait à répondre à toutes les questions jugées essentielles pour les deux parties. Sur la question territoriale, la frontière des deux États serait fixée sur la ligne verte, celle qui existait avant la guerre de 1967. Jérusalem serait divisée administrativement en deux : Jérusalem-Est devenant la capitale de l’État palestinien, et Jérusalem-Ouest celle d’Israël. Pour éliminer la plupart des colonies de peuplement israéliennes dans les territoires palestiniens, les Palestiniens devaient limiter leur droit au retour des réfugiés en Israël pour un nombre déterminé par le gouvernement israélien et mettre fin à toute autre revendication[17]. Après l’espoir ainsi suscité par son appui à l’initiative, Obama a déçu. Comme c’était le cas avec Hillary Clinton quelques années auparavant, le changement de cap chez Obama était remarquable. Il confirmait que les États-Unis ne devraient jamais chercher à dicter ce qui était meilleur pour les Israéliens et leurs intérêts de sécurité, et qu’aucun Premier ministre israélien ne devrait se sentir traîné à la table des négociations.
Conscient des rapports de force dans le conflit israélo-palestinien, Obama se disait convaincu qu’Ehud Olmert (Premier ministre d’Israël en 2006-2009) était plus que disposé à négocier une fin au conflit israélo-palestinien qui se traduirait par deux États vivant côte à côte dans la paix et la sécurité. Il a également reculé sur son affirmation selon laquelle « personne ne souffre plus que le peuple palestinien » en rejetant la responsabilité de l’impasse dans le processus de paix non pas sur l’occupation israélienne, mais sur les Palestiniens eux-mêmes. De plus, la protestation des Palestiniens et des défenseurs de droits humains n’a pas emmené le gouvernement d’Olmert à renoncer à la colonisation des Territoires occupés.
Alors, comme aujourd’hui, Obama est appelé à se confronter au même problème que ses prédécesseurs à la Maison-Blanche : comment répondre aux exigences de son poste politique et de ses dettes envers son électorat et ses bailleurs de fonds, d’une part, et accomplir une promesse morale et un engagement solennel envers un peuple dont le droit est reconnu par tous sans qu’il y ait une ferme volonté politique de le réaliser ? Le dilemme est de taille ! Obama est en train de brûler le mandat clair qu’il avait obtenu de l’électorat américain pour faire autrement, introduire un « changement » notable dans la gestion de l’État. Sa faiblesse devant Benjamin Netanyahu, qui est résolu à poursuivre le processus de colonisation de ce qui reste de la Cisjordanie, devient de plus en plus criante. Il recule quand Netanyahu avance, même lorsqu’il a le droit international de son côté. La montée historique d’Obama à la présidence a montré comment l’audace peut susciter un profond espoir de transformation sociale et politique. S’il a le courage politique d’agir, le président américain a le pouvoir et les moyens de contribuer à une transformation importante au Moyen-Orient[18].
Cependant, tous les indices montrent qu’Obama ne sera pas en mesure de faire une grande différence dans le conflit israélo-palestinien s’il poursuit l’approche actuelle. Un échec américain dans le dossier palestinien aura comme conséquence inévitable une plus grande radicalisation dans la région et la marginalisation des courants de pensée modérés. Une plus grande instabilité ne peut que mettre en péril les régimes en mal de légitimité qui sont tous proches des États-Unis. La République islamique d’Iran est déjà convaincue que les États-Unis sont beaucoup trop faibles pour contrôler la région ; ils doivent quitter le Moyen-Orient, le leadership islamique le réclame.
Le casse-tête iranien
Le comportement occidental, notamment américain, dans le dossier nucléaire a persuadé Téhéran de la nécessité de mener une politique étrangère agressive. Le refus iranien d’accepter la validité des résolutions du Conseil de sécurité des Nations unies, que le président Mahmoud Ahmadinejad a qualifié de « papier déchiré », est présenté comme une victoire devant le déclin américain sur l’échiquier mondial.
De son côté, Obama souffle le chaud et le froid dans le dossier iranien depuis sa candidature. Il a gagné des applaudissements et des critiques pour ses prises de position sur l’Iran. Pour lui, l’option nucléaire contre l’Iran ne devrait pas être sur la table alors même que l’option d’une attaque classique reste présente. Au moment où il soutient le besoin de négocier directement avec l’Iran, bien qu’il ne faille pas exclure l’usage de la force militaire, Obama réaffirme que son pays ne devrait pas hésiter à parler directement avec l’Iran. De plus, la diplomatie américaine doit viser à accroître le coût pour l’Iran de la poursuite de son programme nucléaire en appliquant des sanctions plus sévères et en augmentant la pression de ses principaux partenaires commerciaux. Obama appelle le monde au secours en vue de travailler pour arrêter le programme iranien d’enrichissement d’uranium et empêcher ce pays d’acquérir des armes nucléaires. En échange, Obama propose des relations diplomatiques avec l’Iran, l’engagement économique et des garanties de sécurité, retirant la « notion de changement de régime[19] », idée si chère au président Bush.
Les messages mixtes d’Obama, présentés sous la forme de « carotte et bâton », sont vus à Téhéran comme une politique confuse et insensée. Il existe clairement une grande différence culturelle entre les dirigeants des deux pays, qui écarte tout dialogue constructif. La religiosité qui domine l’esprit et les actes des dirigeants iraniens rend toute compréhension de leurs messages politiques impossible. L’aspect prédominant de la référence au retour imminent du douzième imam des chiites duodécimains, Imam Mahdi, rend impossible tout raisonnement avec le leadership de la République islamique. Comme il est protégé par ce dernier, personne ne peut lui infliger une perte. Cette attitude ressemble singulièrement et étrangement aux gestes des suicidaires qui, dans les deux éventualités de se faire tuer ou d’éliminer l’ennemi, vont au paradis !
Les relations entre les États-Unis et l’Iran postrévolutionnaire n’ont jamais été normales depuis que le mouvement révolutionnaire a réussi à prendre le pouvoir au détriment de la monarchie très proche de Washington. Les Américains ont perdu non seulement leur meilleur allié dans la région sensible du golfe Persique, mais aussi l’accès au territoire iranien, jugé vital pour la sécurité des alliés dans le contexte de la guerre froide.
La perte de l’Iran a bouleversé l’équilibre des forces dans la région et a occasionné l’invasion de ce pays par l’Irak, guerre suivie par l’invasion du Koweït par les troupes de Bagdad peu après. Depuis la prise en otage du personnel de l’ambassade américaine à Téhéran, Washington a imposé de nombreuses sanctions militaires et économiques à l’Iran. Washington a même tenté une mission militaire de sauvetage de ses otages. L’échec de la mission à cause d’une tempête de sable a renforcé la position de Khomeiny et d’autres dignitaires du régime qui voyaient la main cachée de Dieu dans la protection de la République islamique. Ainsi, pour les trente et une dernières années, l’« ennemi » est devenu le concept le plus utilisé et le plus mal défini par les dirigeants iraniens.
Les preuves justificatrices de l’hostilité envers l’autre s’accumulent à Téhéran et Washington. Les Iraniens croient fortement dans la théorie du complot, c’est-à-dire que les Américains tentent de détruire leur régime. Ils citent souvent l’invasion de leur territoire par l’Irak en 1980 comme une « affaire commandée » par Washington. Les informations selon lesquelles Bagdad avait reçu de renseignements satellitaires sur le mouvement de ses troupes durant la guerre renforcent leur suspicion. Pour leur part, les Américains voient la main cachée de l’Iran dans tous les actes illicites et anti-américains à travers le monde. Au fil des ans, les États-Unis ont formulé une politique anti-iranienne sur quatre postulats : 1. La participation et l’appui de l’Iran au terrorisme international. Ce que les États-Unis reprochent à l’Iran dans ce dossier se résume à l’aide que le groupe Hezbollah libanais reçoit de la République islamique. 2. La recherche des armes de destruction massive est la deuxième source d’hostilité entre les deux pays. La question nucléaire n’a fait qu’envenimer le climat de méfiance. 3. Les États-Unis reprochent à l’Iran sa tentative de saboter le processus de paix israélo-arabe. 4. La violation des droits humains est souvent citée comme preuve de la nécessité de dénoncer le régime iranien. Si les accusations sont bien répétées depuis plusieurs années, la riposte iranienne reste moins connue. Le régime islamique ne cache pas son appui « politique » au Hezbollah qui luttait contre l’occupation du Liban Sud par Israël, rejetant ainsi toute aide militaire à ce groupe. Dans le dossier des armes de destruction massive, l’Iran se voit la victime de ses armes, que l’Irak a utilisées au cours de la guerre en 1980-1988. Quant au processus de paix et au rôle saboteur de l’Iran, Téhéran plaide sa non-culpabilité et dénonce l’absence de paix à cause de l’intransigeance israélienne. Il faut rappeler cependant la non-reconnaissance de l’État hébreu par le régime islamique, car Israël est « illégitime et usurpateur » selon Téhéran et ne devrait pas exister. Les récents propos d’Ahmadinejad à cet effet rappellent la position de Téhéran sur cette question. Enfin, en réaction à la violation des droits humains, qui est le talon d’Achille et le point très faible de la République islamique, celle-ci se trouve sur la défensive et ne peut que dénoncer les Abou Ghraib et Guantanamo, sans répondre pour autant aux accusations dont elle est l’objet à l’intérieur comme à l’extérieur.
C’était dans ce contexte survolté qu’Obama est entré dans la campagne électorale et a lancé son idée de négociation directe avec Téhéran. S’adressant aux membres de l’AIPAC en mars 2007, Obama a expliqué comment les armes nucléaires iraniennes pourraient déstabiliser la région et déclencher une nouvelle course aux armements. Il a mentionné le cas des pays comme l’Égypte, l’Arabie Saoudite et la Turquie qui pourraient s’engager dans une course nucléaire, sans expliquer pour autant l’absence d’une telle course dans le passé, malgré l’existence d’un Israël nucléaire, et surtout le pourquoi du réveil nucléaire soudain d’autres pays de la région si l’Iran se dotait d’armes nucléaires. L’hypothèse d’une menace présumée de l’arme iranienne justifie donc qu’Obama reprenne la phrase préférée du président Bush sur la nécessité de garder sur la table toutes les options, incluant l’action militaire face à un Iran récalcitrant. Obama, qui deviendra le champion de désarmement nucléaire après son élection, n’a pas jugé pertinente une proposition égyptienne sur la création d’une zone exempte d’armes nucléaires au Moyen-Orient[20]. Proposer une telle option à un public défendant Israël ne faisait pas de sens dans une campagne électorale. Rappelons que certaines prises de position et la rhétorique dépourvue de substance de quelques dirigeants iraniens ne feront qu’alimenter le sentiment d’imminence d’une menace iranienne qui tarde à se produire.
Tout en présentant les dirigeants iraniens comme une « menace pour nous tous », Obama, qui n’a pas exclu l’usage de la force s’il le fallait, a ajouté que les États-Unis devraient s’engager dans une « diplomatie agressive combinée avec des sanctions sévères » pour empêcher l’Iran de devenir une menace nucléaire. Il a appelé à un engagement direct avec la République islamique sur son programme nucléaire, par la voie d’une diplomatie ferme et résolue, une intervention similaire aux réunions que les États-Unis avaient menées avec les Soviétiques durant la période de haute tension des années de la guerre froide. La diplomatie accompagnée des sanctions très sévères va s’exercer à deux niveaux : au niveau international par l’entremise des Nations unies, et à l’échelle régionale par la voie d’une stratégie de
coopération avec les États du golfe Persique et des sanctions qui viseraient le secteur énergétique de l’Iran[21]. Autrement dit, Obama dit ce que son auditoire aimerait entendre.
Malgré la mention de l’Iran trente-deux fois dans son discours devant l’AIPAC, Obama a été attaqué par John McCain, le candidat républicain, pour s’être déclaré prêt à négocier avec Téhéran. Réagissant à cette attaque, Obama a adopté une approche plus nuancée en utilisant un ton beaucoup plus belliciste pour décrire l’Iran, la plus grande menace pour Israël ou pour la paix et la stabilité de la région. Il a affirmé que, contrairement aux allégations de certains (entre autres, McCain et Clinton), il n’avait aucun intérêt à s’asseoir avec ses adversaires iraniens pour le simple plaisir de parler. Mais en tant que président des États-Unis, Obama serait prêt à diriger la diplomatie dure et de principe avec les dirigeants iraniens, à un moment et dans le lieu de son choix, si et seulement si elle pouvait faire avancer les intérêts des États-Unis[22]. Propos étonnant de la part d’un professeur de droit, conscient du risque de vouloir « négocier » (« dicter » serait un terme plus approprié) dans un tel contexte où il choisirait son interlocuteur et les lieux de négociation !
Conclusion
La feuille de route qu’Obama s’était dressée durant la longue campagne électorale se déploie depuis qu’il assume la présidence des États-Unis.
Dans le dossier israélo-palestinien, il n’y a pas de progrès substantiel. Quoique affaibli par la crise économique et les guerres idéologiques et procédurales internes pour remplir ses promesses électorales sur le plan national, Obama a quand même réussi à nommer George Mitchell envoyé spécial pour réduire l’écart entre Israéliens et Palestiniens. Ce dernier, dont le travail est saboté par la colonisation des Territoires palestiniens par Israël – qui contrevient ainsi au droit international -, les incursions militaires du Tsahal en Cisjordanie et à Gaza, les déchirures interpalestiniennes, les actes militaires inefficaces mais propagandistes du Hamas contre le territoire israélien, l’incapacité des États arabes à mettre de l’ordre dans leurs visions de la région, n’a jusqu’ici pas réussi à faire avancer véritablement la paix. Dans l’éventualité de cette tendance, Obama connaîtrait le même échec que ses prédécesseurs.
D’autre part, le dossier nucléaire iranien devient de plus en plus compliqué. Comme le candidat Obama s’était engagé à ne pas permettre à l’Iran de devenir une menace nucléaire, la diplomatie américaine a réussi à imposer des sanctions internationales à l’Iran. Elles sont en train de ronger l’économie et, graduellement, la société iranienne, sans déstabiliser mortellement pour autant le régime islamique. C’est un dossier à suivre, car tout changement important en Iran affecte directement l’ensemble du Moyen-Orient.
Somme toute, Obama a beaucoup à faire s’il veut résoudre les deux dossiers les plus préoccupants pour la région et l’ensemble planétaire…
[1]Pierre Tristam, « Barack Obama’s Middle East Policy. The Dovish Hawk », About.com Guide.
[2]Pour l’image du certificat de naissance d’Obama, voir Los Angeles Times, 16 juin 2008.
[3]Pour un résumé des sondages de Time et Pew, voir Al Jazeera : http://english.aljazeera.net/news/americas/2010/ 08/2010819191334584676.html.
[4]John Cohen & Michael Shear, « Poll shows more Americans think Obama is a Muslim », Washington Post, 19 août 2010.
[5]« Is Obama a socialist ? What does the evidence say ? », The Christian Science Monitor, 1er juillet 2010.
[6]Pierre Tristam, « Barack Obama in Arab and Middle Eastern eyes skepticism, cynicism and outright hostility », About.com Guide, 25 juillet 2008.
[7]New York Times, 14 mars 2007.
[8]En dépit des scandales politiques et accusations d’espionnage qui pèsent lourdement contre certains de ses membres, l’AIPAC reste le passage obligé des candidats à la présidentielle, et les présidents en exercice doivent réitérer l’engagement américain dans la protection d’Israël à la conférence annuelle de l’organisation. L’AIPAC place ses stagiaires dans les bureaux des membres du Congrès où ils ont un accès privilégié pour rédiger leurs discours, faire de la recherche ; ils se trouvent dans le cercle intime des membres du Congrès. Les stagiaires sont des personnes qui, en un sens, deviennent les yeux de l’AIPAC dans les bureaux des membres du Congrès, des espions. Les stagiaires rédigent également des discours pour le vice-président. Voir Dennis Bernstein & Jeffrey Blankfort, KPFA/Flashpoints, « AIPAC Lobbying », Audiovisual item # 286, Transcript of radio program, 6 janvier 2005. http://www.monabaker.com/pMachine/more.php?id=A2797_0_1_0_M.
[9]http://newsbusters.org/blogs/brad-wilmouth/2009/01/05/nbc-s-mitchell-recounts-hillary-clinton-kissing-arafat-s-wife.
À voir également, le débat en 2000 entre Clinton et son rival Lazio, un autre aspirant au Sénat, et la course entre les deux pour prouver qui était le plus favorable à Israël, même dans le contexte de VIntifida de Jérusalem :
http://www.ontheissues.org/ senate/Hillary_Clinton_Foreign_Policy.htm.
[10]Rachel Neuwirth, « Barack Obama’s Anti-Israel Alliances [incl. Rashid Khalidi] », 24 octobre 2008. http://www.campus-watch.org/article/id/5917.
[11]Stephen Zunes, « Rashid Khalidi : The Republicans’ Latest Smear of Obama», 2 novembre
2008.
http://www.huffingtonpost.com/ stephen-zunes/rashid-khalidi-the-republ_b_140097.html
[12]Ibid.
[13]Pierre Tristam, op. cit.
[14]Personnalité controversée, Rudolph (Rudy) Giuliani, maire de New York (1994-2001) et candidat malheureux à l’investiture républicaine des présidentielles de 2008, a été obligé de se retirer de la course faute d’appuis et de fonds. Durant la campagne électorale, le journal israélien Haaretz, a rassemblé huit experts israéliens pour déterminer le meilleur candidat pour Israël : Giuliani est arrivé premier, John McCain troisième, Hillary Clinton quatrième, et Obama le dernier. Haaretz, 5 septembre 2006.
www.haaretz.com/…/israeli-panel-giuliani-is-best-presidential-candidate-for-israel-1.196603.
[15]Cité par Ali Abunimah, « How Barack Obama learned to love Israel », The Electronic Intifada, 4 mars 2007. http://electronicintifada.net/v2/article6619.shtml.
[16]Stephen Zunes, « Barack Obama on the Middle East », Foreign Policy In Focus, Washington DC, 10 janvier 2008.
[17]Pour le texte complet de l’accord de Genève, voir : http://www.geneva-accord.org/mainmenu/french. Les annexes de l’accord se trouvent dans : http://www.geneva-accord.org/mainmenu/the-annexes.
[18]Mark Levine, « Obama’s Middle East challenge », 28 janvier 2009. http://english.aljazeera. net/focus/theobamapresidency/2009/01/ 200912694223241504.html.
[19]Pierre Tristam, « The Dovjsh Hawk », op. cit.
[20]Stephen Zunes, « Barack Obama on the Middle East », op. cit.
[21]Shmuel Rosner, op. cit.
[22]Pierre Tristam, « Obama and Israel : An Analysis of Barack Obama’s AIPAC Speech. How Obama hawked up his Middle East Policy — and talked tough on Iran », About.com Guide, 13 juin 2008.