Bruno Drweski : Maître de conférences habilité à diriger les recherches à l’INALCO, Paris; Historien, Politologue; 1978, Maîtrise d’histoire à l’Université de Cracovie, Pologne; 1982, Doctorat d’histoire, INALCO, Paris; 1991, Doctorat de l’Institut d’Etudes politiques de Paris.
Résumé : L’on peut regretter que la colonisation juive ait abouti à la création, à l’image des réserves indiennes ou des bantoustans, d’enclaves palestiniennes isolées et non viables. Mais si nous souhaitons éviter un renouvellement en Terre sainte de « l’alternative » qui s’est imposée aux colons français en Algérie à la fin de la colonisation, ou encore « la valise ou le cercueil » appliquée en Europe orientale en 1945 aux colons et enclaves allemandes, il n’y a pas d’autre solution que de créer une entité étatique commune en Terre palestinienne qui légitime les droits et compense la spoliation des biens des Palestiniens. Tel était, à l’origine du conflit, le projet stratégique des groupes politiques démocratiques qui ont tenté de trouver une issue pacifique auprès des Palestiniens arabes et des Juifs.
Il va de soi que le « rêve » d’un Etat laïc, citoyen, unitaire et démocratique ne peut se réaliser du jour au lendemain vu l’accumulation de souffrances et de méfiances engendrées par un conflit qui dure depuis au moins 70 ans. Néanmoins, des pistes inexplorées existent. Si le principe de deux Etats semble désormais irréalisable, l’on peut imaginer deux citoyennetés pour un même territoire dans un système confédéral ne prenant pas en compte le territoire effectivement contrôlé mais les populations. Il est possible d’envisager deux structures étatiques parallèles gérant les fonctions non territoriales propres à chaque vie étatique, ainsi que des structures confédérales gérant les territoires. Jusqu’à la naissance des Etats modernes, les communautés juives dans le monde musulman disposaient d’un statut d’autonomie juridique. C’est aussi ce que réclamaient les partis juifs socialistes et libéraux, Bund et Folkiste, en Pologne et en Russie avant 1939 sous le concept « d’autonomie nationale culturelle ». Rien n’empêche d’imaginer une « autonomie nationale culturelle » juive et arabe dans le cadre d’une Palestine commune, avec garantie et financements internationaux.
Par ailleurs, si l’on parle beaucoup et à juste titre de colonisation sioniste en Cisjordanie, on néglige le fait que les Juifs d’Israël sont concentrés sur une mince bande de territoire d’une vingtaine de kilomètres de large, le long des rivages de la Méditerranée, soit à peine 15 % du territoire palestinien d’origine. Il est possible d’assurer un droit de retour pour une grande partie des Palestiniens qui le souhaiteraient, et de compensations pour les autres, la chose devenant moins menaçante pour les Israéliens qui, dans le cadre d’une structure confédérale, auraient des garanties de sécurité qui leur manquent aujourd’hui et se manifeste par l’attachement des Israéliens à la double citoyenneté (le plus souvent européenne).
Nous allons essayer ici de démontrer les points essentiels qui nous semblent, si l’on exclut l’hypothèse d’une guerre cataclysmique à grande échelle toujours possible, imposer l’instauration d’une toute nouvelle configuration politique sur la terre deux fois promise de Palestine.
Summary : One can regret the Israeli colonization of Palestinian lands which led to the spread of isolated and unsustainable territories, similar to the Indian and Bantustan lands. However, for Palestinians to escape the fate of French settlers after the Algerian independence or that of the Germans in Western Europe in 1945, it is time to consider creating a joint state on Palestian territories that would also legitimize Palestinian rights and offer compensations of their losses. This option had already been discussed by political and democratic players at the beginning of the conflict as a peaceful solution was under debate.
It now seems obvious that a secular, social, united, democratic state cannot be built overnight for grief and distrust have been exacerbated by an everlasting conflict. Nevertheless, unexplored options need to be taken into account. In spite of an impossible two-state solution, one can consider two citizenships sharing a unique territory and regulated by a confederate system which would govern its population rather than a territory. Two parallel structures could lead separately each community’s public affairs. On the other hand, each territory would be governed by confederate systems. Until modern states were built, Jews in the Muslim world were provided with an autonomous legal status. This same status had also been demanded before and until 1939 by Jewish liberal and socialists of Poland and Russia who named it « national cultural autonomy ». A similar « national cultural autonomy »that would benefit from international fundings and protection, is perfectly imaginable for Jews and Arabs living in a common Palestinian land.
In spite of the West Bank sionist colonization polarizing discussions, one must keep in mind that Israeli people have mainly settled on a thin strip of land on the Mediterranean coast, that only measures dozens of kilometers, and represents less than 15% of the initial Palestinian territory. Thus, Palestinians who seek a return could easily be granted this right, or else they could demand compensations. Such a confederate frame would facilitate the resolution of these specific issues for it grants Israel with a new and currently lacking security as most Israeli citizens still cherish inherited double citizenships.
I will therefore try and develop conditions that are essential to the shaping of a new political balance in a twice-promised land.
Le droit au retour ou comment en finir avec le dernier avatar du vieux colonialisme européen et de l’antisémitisme
Si la question israélo-palestinienne constituait un problème strictement Moyen-oriental, ce sujet pourrait être laissé à l’appréciation des spécialistes et des habitants de cette région mais comme ce conflit est au cœur des rapports Nord-Sud, il est aussi israélo-arabe et israélo-islamique et il touche donc par ses conséquences le monde entier, ce qui explique pourquoi le monde entier se sent concerné et que d’une façon ou d’une autre presque tous les conflits existant dans le monde possèdent des liens avec le conflit qui se déroule pour la possession de la terre de Palestine. D’autant plus que les peuples d’Europe doivent d’une part une grande partie de leur culture aux pays du Levant et que ce conflit est né dans la foulée de la colonisation européenne. En plus, les fondateurs du sionisme étaient presque tous originaires d’Europe centrale, plus particulièrement de l’Espace Baltique – mer Noire. Il est donc nécessaire de remonter aux sources centre- et est-européennes du sionisme qui plonge ses racines dans la forme de nationalisme ethnico-religieux qui est né là-bas à partir des années 1880 du XIXe siècle sous l’influence allemande. Nationalisme situé entre l’idéologie européenne légitimant la domination coloniale en se basant sur le postulat de la supériorité de la « race blanche » et l’influence de l’école allemande qui éprouvait un intérêt particulier pour la biologie et les conceptions racistes. Les « éveilleurs nationaux » cherchant à créer des nations modernes à l’est du Reich ont dès lors tous eu tendance à construire, comme en Allemagne, une représentation des nationalités sur une base ethnique, non territoriale, non politique, et vues en état de concurrence permanente les unes avec les autres. Ils ont en raison des spécificités de l’espace situé entre l’Allemagne et la Russie pu baser leur nationalisme naissant sur une identité ethnico-religieuse. Là où le nationalisme allemand bâtissait sa légitimité naissante autour du concept de race, plus à l’Est, c’est le rituel religieux qui est apparu comme le marqueur identitaire le plus utilisable. C’est dans ce terreau qu’on trouve l’origine du sionisme moderne[1] et de l’antisémitisme, deux phénomènes strictement européens jusqu’en 1948. Chaque groupe ethnico-religieux ainsi construit s’est cherché une terre « d’origine » pour y exercer un droit de possession exclusif, comme une race et une nationalité distincte ne devant pas se mélanger aux autres[2]. Même la « gauche sioniste », travailliste, a adhéré à ces principes puisque son syndicat en Palestine, Histadrouth, militait pour le « travail juif » et refusait l’adhésion aux travailleurs arabes dont elle prônait au contraire le licenciement, chose allant bien sûr à l’encontre des principes fondamentaux du socialisme.
Les habitants arabes de Palestine, musulmans ou chrétiens, étaient à la fin du XIXe siècle de leur côté à des années lumières de ces évolutions, comme l’étaient également les habitants du monde musulman professant la religion juive. En quelques années pourtant, ils allaient être rattrapés par la logique du colonialisme britannique puis la nécessité de former eux-mêmes une nation moderne, en réaction face au rouleau compresseur de la colonisation sioniste. Après l’extermination des masses juives majoritairement antisionistes d’Europe centrale et orientale, les sionistes, à partir d’une masse de « parias » d’Europe retournés, ont pu se lancer dans une colonisation qui allait pousser finalement les Palestiniens vers la diaspora.
Aujourd’hui, il y a une expression où Palestiniens et Israéliens semblent se retrouver, celle du « droit au retour ». Mais pour les Palestiniens, il s’agit du droit au retour des réfugiés et de leurs descendants issus de la « nakba », de la catastrophe de 1948 et de la guerre de 1967. Pour les Israéliens, il s’agit du droit au « retour », à « l’aliyah », la montée vers Jérusalem, sur les mêmes terres, des juifs dispersés dans le monde et censés « retourner » dans le pays qui fut en principe réservé par Dieu pour les juifs, il y a plus de 3 000 ans. Du côté palestinien, il y a le principe basé sur le droit du sol, du côté sioniste, celui du droit du sang. Aujourd’hui, la majorité des juifs vivent toujours en « diaspora » et plus de 70% des Palestiniens arabes sont des réfugiés[3]. Dans chaque cas, on a pu rêver un temps, d’un « retour » vers la situation passée, historiquement et géographiquement proche dans le cas palestinien, lointaine et mythique dans le cas juif. Dans les deux cas cependant, il s’agissait de « reconstituer » un espace quasiment mono-ethnique. Puis guerres sans fin aidant, le « réalisme » a poussé certains dirigeants palestiniens comme israéliens à « admettre » qu’il leur fallait en principe envisager la division du territoire « israélo-palestinien » en deux entités séparées. Mais que faire dès lors des 6 millions de réfugiés palestiniens ? La division de ce territoire exigu est-elle d’ailleurs possible ? Ce qu’ont nié alternativement au cours du siècle écoulé les dirigeants palestiniens et sionistes. La politique israélienne des faits accomplis depuis 1967 n’a-t-elle pas de toute façon déjà signé le glas de ce qui ne serait qu’un mythe historique de plus, deux États pour deux « peuples » ?
Sortir donc des ethnocentrismes est-européens et du colonialisme ouest-européen semble impossible sans remise en cause non pas de la présence juive en Palestine qui a toujours existé, mais de l’existence d’un État basé sur une légitimité ethnico-religieuse unique et exclusive en Palestine. Les réfugiés palestiniens portent toujours sur eux la clef de la maison qu’ils ont dû fuir lors de la « nakba » de 1948, ou plus tard. 250 000 d’entre eux habitent dispersés en Israël même, d’autres dans les territoires occupés en 1967, la plupart hors de leur pays, souvent à quelques kilomètres de la ligne de cessez-le-feu, au Liban, en Syrie, en Transjordanie. Et le fait que l’État créé par les sionistes en 1948 ne survive que grâce au contribuable nord-américain, qu’il soit dans l’impossibilité de mener une politique en quoi que ce soit autonome, ce que la liste des votes aux Nations-Unies depuis 1948 démontre, et que plus de la moitié de ses habitants garde, à l’inverse des clefs des Palestiniens, un passeport étranger, tout cela montre que le projet israélien, après 70 ans d’existence, est instable, que le temps du bilan est arrivé et qu’il faut donc imaginer des solutions innovantes.
Aucune solution de paix et aucun État n’a jamais survécu dans l’histoire tant qu’il n’était pas en état d’avoir une légitimité basée sur la justice élémentaire. La justice ne peut en aucun cas faire l’impasse sur le droit au retour de plus de 70% des Palestiniens laissés pour compte des accords d’Oslo et de leurs suites, d’autant plus que 80% des terres des villages évacués en 1948 par les actuels réfugiés puis détruits restent aujourd’hui inhabités, ce qui témoigne de l’illégitimité du projet sioniste tel qu’il a été réalisé[4]. L’ethnicisme démoralise aujourd’hui les juifs, comme l’antisémitisme a démoralisé les Européens pendant la période de développement des fascismes et du colonialisme[5]. Les juifs ont donc besoin des Palestiniens pour se libérer du fardeau des conceptions coloniales européennes surannées dont ils sont les porteurs actuels, même si leurs ancêtres ont eu tant à en souffrir. Les juifs ont besoin par ailleurs, s’ils ambitionnent de redevenir « la Lumière parmi les nations » qu’ils ont été à plusieurs reprises dans l’histoire, de retrouver les sources de leur tradition, de leur culture et de leur foi pour les ré-intégrer dans leur environnement sémitique[6].
Des populations désormais inextricablement entremêlées
Quelle situation existe aujourd’hui entre la mer Méditerranée et le Jourdain ? D’un côté, depuis 1948, puis 1967, ce fut le rouleau compresseur de la colonisation juive, s’appuyant sur un État expansionniste qui n’a jamais défini ses frontières. D’un autre, il y a eu la vitalité formidable du peuple palestinien qui a su combiner croissance démographique prolongée et accès massif à l’éducation. Aujourd’hui, même « délestés » de plus de 4 millions de Palestiniens réfugiés dans les pays arabes voisins ou émigrés outre-mer, les Palestiniens sont presque déjà redevenus majoritaires sur l’ensemble du territoire de la Palestine mandataire. Même si l’État d’Israël tente de recruter de nouveaux candidats juifs „au retour”, les cherchant de la France aux tribus perdues d’Éthiopie et aux Slaves d’origine plus ou moins juives d’ex-URSS, la colonisation sioniste s’essouffle, à tel point que même les campagnes antisémites, réelles ou imaginaires, spontanées ou organisées, n’arrivent plus à pousser des masses suffisantes de juifs à faire l’„aliyah”. En revanche, nombreux sont les „Sabras”, des Israéliens de naissance, qui quittent leur terre natale pour émigrer et devenir ceux que leurs ex-concitoyens appellent des „yordims” (des larves), des émigrés recherchant en quittant Israël „la facilité” plutôt que d’affronter la dure réalité d’un État prétendant pourtant avoir rendu les juifs libres, surs d’eux, en sécurité et épanouis.
Les gouvernements israéliens issus de la vieille extrême droite sioniste qui se sont succédés au cours des dernières décennies au pouvoir ont axé leurs efforts sur la judéïsation des territoires occupés en 1967. Plus de 700 000 colons juifs habitent aujourd’hui ces territoires[7]. Cette colonisation a un prix. Non seulement elle coûte cher et pas seulement en terme d’image, mais elle vide peu à peu le « vieux territoire » israélien, d’avant 1967, de sa substance. En Galilée, plus de la moitié de la population est déjà d’origine arabe palestinienne et le Negev reste largement désertique faute d’investissements suffisants. À côté d’îlots urbains de peuplement juif, de la base nucléaire de Dimona, le Negev est parcouru par des tribus bédouines soumises à des contrôles tatillons et à des expulsions. Israël n’a donc visiblement plus les moyens de mener à bien son programme de peuplement à l’intérieur des lignes de démarcation de 1948, a fortiori à l’extérieur de ces lignes. Israël n’a pas réussi à renverser l’équilibre démographique dans les territoires conquis après 1967 et perd pied dans ses anciennes limites. Aucun mur de séparation n’y changera rien. L’histoire de tous les murs est là pour le prouver. De fait, l’Israël juif, c’est aujourd’hui une bande côtière longue d’un peu plus de 150 km et large d’une quinzaine de kilomètres, soit 15% seulement de la Palestine historique. L’interpénétration des populations juive et palestinienne est complète pour le reste du territoire. Comment dans ce contexte imaginer la création de deux États „ethniques” distincts, sans avoir à procéder à de nouveaux déplacements de populations massifs, douloureux, entraînant en plus une désorganisation de l’appareil économique déjà en piteux état et soutenu à bout de bras par le contribuable étatsunien ? Le fait que les Palestiniens soient en passe d’être majoritaires dans la Palestine mandataire rend par ailleurs impossible la résolution de la contradiction entre „État démocratique” et „État juif”[8], deux sources de légitimité en fait contradictoires. Ce que les „Arabes de 1948” en principe « citoyens israéliens » constatent tous les jours, limités dans leurs déplacements, dans leurs lieux de résidence, dans l’accès aux universités, aux prêts, aux allocations, aux emplois, etc.
Les mythes sionistes en échec
La proclamation de l’État d’Israël s’était appuyée sur plusieurs justifications fondatrices qu’il convient d’examiner pour savoir dans quelle mesure, soixante-dix ans après sa création, il s’agissait d’argumentations pertinentes ou de mythes irréels. Le temps du bilan est arrivé pour les Arabes, alors que la résistance au Liban et à Gaza s’affirme avec une force et une efficacité militaire grandissante, et aussi pour les juifs qui doivent poser aux sionistes la question : tout ces efforts pour arriver à quoi ? Sans parler du reste du monde qui subit les conséquences à la fois politiques, sécuritaires, économiques, médiatiques de tous les conflits dont la source se trouve entre la Méditerranée et le Jourdain.
L’une des premières assertions justifiant la colonisation juive en Palestine fut qu’elle s’établissait dans un « pays sans peuple pour un peuple sans terre ». Aujourd’hui, ce mythe n’est évidemment plus revendiqué depuis la découverte par le monde entier de l’évidence d’un peuplement arabe en Palestine existant avant l’arrivée des colons sionistes. Le fait que cette argumentation ai été démontée devrait logiquement obliger ceux qui s’en sont prévalus à modifier leurs décisions antérieures. Question de légitimité. Cette revendication allait de pair avec l’assertion que les juifs revenaient en Palestine après 2000 ans d’absence. Or, si l’on sait que des Arabes habitaient en Palestine, y compris à l’époque biblique, il est désormais prouvé par les archéologues qu’il y a eu une continuité au moins partielle de peuplement en Palestine depuis l’Antiquité. Les Palestiniens sont donc aussi les descendants d’une partie des populations autochtones de Palestine, juives comprises. Dès lors, en quoi la conversion au christianisme puis pour la plupart d’entre eux ensuite à l’islam, retire-t-elle aux Palestiniens le droit d’être considérés eux-aussi comme des « fils d’Israël » mêlés à des « fils d’Ismaël » arrivés d’Arabie au cours des siècles ? Les sionistes les plus extrémistes sont capables de tenter d’aller chercher jusqu’en Afghanistan ou en Éthiopie les descendants supposés des « tribus perdues d’Israël » à l’époque de la haute Antiquité mais ne sont pas en état de voir que les Palestiniens sont pour une large part des descendants de juifs convertis. Le refus de reconnaître cette réalité par les sionistes démontre le caractère non seulement ethniciste mais aussi théocratique de l’État « juif » qui refuse aux musulmans, aux chrétiens et à leurs descendants le même droit à cette terre qu’à ceux qui, tout en vivant hors de Palestine pendant deux millénaires, appartiennent à la tradition religieuse juive. Religion et ethnicité restent donc inextricablement mêlées dans les arguments fondateurs de l’État « moderne » d’Israël en principe créé au départ par des « socialistes » et des « laïcs ». Confusion mentale.
Les sionistes ont aussi légitimé la colonisation de la Palestine au nom de la nécessité pour les juifs de reprendre possession de la terre après des siècles de « déformation » de leur propre structure sociale dans certaines professions urbaines. Mais seule une toute petite proportion de juifs est devenue cultivateurs depuis leur « retour » sur la « terre promise ». Cela est même vrai pour les colons des « territoires de 1967 » qui vivent majoritairement dans des banlieues-dortoirs plus reliées à Tel Aviv, à Haïfa ou à Jérusalem-ouest qu’à la terre où ils habitent, et où les activités économiques locales jouent tout au plus un rôle d’appoint. Point donc de « retour à la terre ».
Le sionisme avait aussi élaboré la promesse d’un État quasiment « socialiste ». Or, cet État est devenu pour ses citoyens aussi inégalitaire sur le plan social que n’importe quel État capitaliste. L’idéal collectiviste a cédé la place à des différenciations fort peu socialistes.
Mais Israël reste dit-on la « seule démocratie du Proche-Orient ». Or, il ne peut exister de démocratie sans citoyenneté, et il ne peut y avoir de citoyenneté sans égalité de tous les citoyens devant la loi. La « judéïté » proclamée d’Israël empêche l’égalité, dans l’emploi comme dans la vie publique[9]. La loi israélienne discrimine les populations autochtones à qui l’on refuse, sur une base ethnique, aides publiques, égalité devant l’emploi, et, pour plus du trois quart des Palestiniens exilés tout simplement le droit de vivre, de travailler et de participer à la vie publique sur leur terre au profit d’immigrants sélectionnés sur des critères religieux (ou plutôt ethnico-religieux[10]). Et quand les Palestiniens ont voulu créer une démocratie et voté en faveur du Hamas, c’est Israël qui a arrêté les députés à peine élus. Donc, si la „seconde démocratie” du Proche-Orient n’a pas vu le jour, c’est à cause de la „première démocratie” israélienne. Bien étrange démocratie donc.
Peut-il d’ailleurs exister un État basé sur les principes de la religion juive ? Traditionnellement, depuis deux millénaires, les rabbins ont répondu négativement à cette question et c’est toujours le point de vue de ceux qui sont restés orthodoxes malgré la victoire des sionistes en 1948[11]. Selon eux, un État juif n’a pas le droit d’exister depuis la destruction du temple de Jérusalem, ce qui rend l’État d’Israël « impie » aux yeux de la tradition qui a dominé toute l’histoire des juifs depuis 2000 ans. Voilà le point de vue des rabbins orthodoxes. Comment un État peut-il légitimer son existence en se basant sur une histoire pluri-millénaire …tout en niant les principes mêmes qui ont prédominé au cours de cette histoire? On constate bien ici que le sionisme est une construction historique récente correspondant à la situation de l’Europe de la fin du XIXe siècle. On a donc, dans le cas du sionisme, bricolé et pioché de façon sélective dans l’histoire les arguments permettant de légitimer la création d’un État, d’un peuple et même d’une langue totalement nouvelle.
On a aussi avancé l’idée que l’existence d’un État juif était nécessaire pour protéger les juifs menacés par l’antisémitisme. Outre le fait que cette assertion implique que l’on considère l’antisémitisme constitue une donnée irréductible de toute société humaine, ce qui démontrerait un fixisme historique opposé à la raison et au progrès, on doit constater que s’il existe un territoire dans le monde sur lequel la vie des juifs est particulièrement menacée, c’est bien l’entité sioniste à cause de la situation de guerre qui y rend la vie d’un juif moins sure que dans n’importe quel pays d’Europe ou d’Amérique. En plus, la situation de guerre au Proche-Orient a tendance à élargir constamment au reste du monde les violences et les terrorismes. Israël est devenu non seulement un exportateur majeur d’armes mais aussi de firmes de « sécurité » et de formations à la répression pour les régimes les plus répressifs qu’il a intérêt à voir se développer. L’actuelle politique israélienne contribue donc à réduire les espaces de paix dans le monde, ce qui menace aussi les juifs dans leur sécurité comme dans leurs principes fondateurs. Cette situation explique en retour pourquoi l’humanité entière a un droit particulier à prendre position sur la question palestinienne, non seulement pour des raisons morales, mais aussi pour des raisons d’intérêt légitime.
On a par ailleurs avancé l’idée que l’État d’Israël devrait sa légitimité à la nécessaire réparation due par « les nations » pour le génocide antisémite commis par les nazis. Constatons d’abord l’instrumentalisation des victimes de Hitler qui ont été exterminées dans la plupart des cas d’une part parce qu’elles étaient juives, MAIS aussi parce qu’elles avaient refusé de souscrire au projet sioniste, ce qui explique qu’elles étaient restées dans l’Europe conquise par les nazis et n’avaient pas rejoint la Palestine, ou émigré ailleurs. Les juifs d’Europe n’ont jamais cherché à rejoindre massivement la Palestine avant le XIXe siècle, et il en a été de même après la naissance du mouvement sioniste. Quant aux juifs arabes, le mouvement sioniste ne les toucha tout simplement pas. Même quand les juifs ont fui massivement la péninsule ibérique et été accueillis par le sultan ottoman, ils ont, dans leur immense majorité, préféré s’installer dans la capitale, à Constantinople, dans sa région ou à Salonique (ville à majorité juive jusqu’à la fin du XIXe siècle) plutôt que dans la très « provinciale » Palestine où seul quelques groupes ont immigré, à Jérusalem, ou fondé la colonie de Safed en Galilée. S’il s’agissait donc de chercher un refuge pour les victimes du nazisme en 1945, il aurait fallu le trouver en Bavière ou en Prusse.
Les sionistes ont en fait manipulé la mémoire des victimes de Hitler qui sont « sollicitées » à titre posthume comme « garants » de la légitimité du projet sioniste, alors même que, avant la création de l’État d’Israël, la majorité des juifs appuyait les courants non ou antisionistes (Bund socialiste, Folkisme libéral, traditionalisme religieux antisioniste, communisme, assimilationisme, voire projets de foyers juifs en URSS, Birobidjan, ou en Australie – Frajland, etc.). Autant de projets politiques concurrents qui ont été très violemment combattus par les sionistes[12].
La prise en main par les sionistes après 1948 de la plupart des organisations communautaires juives a en plus entraîné un appauvrissement de la culture juive. La création d’un État juif était censée permettre à la culture juive de se développer, mais on constate depuis plus de 50 ans, qu’il y a eu un net appauvrissement de celle-ci, notamment avec l’extirpation des différentes langues juives, yiddish, judéo-arabe, etc, dues d’un côté au génocide hitlérien, mais d’un autre côté à la politique de promotion systématique du nouvel hébreu menée par les sionistes. Une langue artificiellement créée en partie seulement à partir du lexique de l’ancien hébreu, assez pauvre, et compensée par des emprunts massifs faits à l’arabe, à l’araméen, aux langues slaves, au yiddish et à l’allemand avant de le soumettre à l’influence de l’anglais. Une partie de la culture israélienne est donc de fait …palestinienne, l’autre étant est-européenne.
L’État sioniste prétendait être au moins capable de procéder à l’intégration sur la terre promise des différentes composantes du mythe que constitue le « peuple juif ». Mais, en plus de l’exclusion sociale, visant en particulier mais pas uniquement les citoyens israéliens d’origine palestinienne, la société israélienne est marquée par des rivalités très vives entre « religieux » et « laïcs », à quoi s’ajoute surtout les inégalités entre juifs « européens » et « arabes », sans parler des Éthiopiens.
Les juifs arabes n’ont d’ailleurs jamais été tentés par le sionisme avant la création de l’État d’Israël. Ils y ont immigré après sa création, souvent sous la contrainte des attentats sionistes[13] ou des pressions nationalistes arabes qui ont résulté de la guerre de 1948 et des suivantes, ou plus tard encore de la décolonisation française en Afrique du Nord. Le lien entre le colonialisme européen et le sionisme est direct, mais, à l’image de l’Afrique du Sud de l’apartheid ou de la Rhodésie, le sionisme s’est enraciné au moment où les colonialismes européens étaient sur le reflux. Cela explique l’exacerbation de ses comportements et les liens privilégiés de Tel Aviv avec les gouvernements les plus fidèles aux idéologies coloniales réactionnaires : Afrique du Sud de l’apartheid, régimes militaires d’Amérique latine, dictatures africaines, Iran du shah, etc. Dans le monde arabe, ce sont aussi les régimes les plus réactionnaires qui montrent le plus de « compréhension » envers Tel Aviv, depuis le règne d’Abdallah de Transjordanie, ce pourquoi il a été assassiné par un Palestinien jusqu’à la monarchie des Saoud qui aujourd’hui coopère quasi-ouvertement avec Tel Aviv.
État, base militaire ou base sécuritaire ?
L’imbrication des intérêts des États-Unis et d’Israël peut parfois paraître telle aujourd’hui, que les observateurs en arrivent parfois à débattre pour savoir lequel des deux partenaires est le plus influent. La publication à l’Université de Harvard d’une étude sur la question a provoqué de très nombreuses polémiques démontrant à quel point ce débat est difficile mais nécessaire[14]. Nous avons vu que, démographiquement et socialement, Israël se heurte à un manque de cohérence. En fait, ce n’est pas un État viable. Car en plus du fait que 85% de sa population se concentre sur petite bande de terre de 150 km sur 15 km, cette entité ne survit militairement et économiquement que sous la perfusion des États-Unis. Un tiers de l’aide mondiale accordée par les États-Unis à ses protégés est destinée à Tel Aviv, c’est-à-dire à une population qui ne représente que 0,001% de la population mondiale. Soulignons en plus que 99% de cette aide a été versée après 1967, soit à partir du moment où Israël est devenu une puissance militaire régionale et l’unique puissance nucléaire du Moyen-Orient. Cette aide n’a donc rien à voir avec la défense d’une « démocratie menacée », comme peut le soutenir Washington. Le gouvernement des États-Unis a accordé à chaque citoyen israélien en moyenne plus d’argent que pour ses propres citoyens[15].
Israël ne constitue donc pas un État à proprement parler car ce n’est pas un vrai organisme économique autonome et viable tant qu’il ne sera pas intégré dans son environnement régional, ce qui nécessiterait le changement de son idéologie fondatrice basée sur l’exclusivisme ethnique. Israël constitue en fait une base militaire outre-mer et une forme d’aide publique à la production militaire privée des États-Unis de la part du gouvernement de Washington. C’est une succursale du complexe-militaro-industriel et sécuritaire global basé aux État-Unis. C’est pour cela que les sionistes les plus brillant et les plus influent préfèrent occuper des postes aux États-Unis ou dans d’autres pays occidentaux, plutôt qu’en Israël. Il est impossible de séparer clairement les deux entités, Israël et États-Unis pour mesurer l’influence respective de la bourgeoisie anglo-saxonne néo-protestante, néoconservatrice et juive sioniste askhénaze dans les choix décidés à Washington et à Tel Aviv.
L’État d’Israël s’est donc bâti en opposition avec la population locale palestinienne et les sociétés arabes environnantes. L’israélité de l’État « juif » est contestable, tant du point de vue des valeurs juives européennes socialisantes que du point de vue des principes propagés par les prophètes d’Israël. L’entité créée par les sionistes n’est pas un véritable État indépendant, mais une base militaire excentrée, chargée de veiller aux intérêts militaires du complexe militaro-industriel et énergétique nord-américain au Moyen-Orient, mais aussi ailleurs dans le monde (Amérique centrale, Afrique, etc.). Washington y a d’ailleurs bâti « une base dans la base », aux abords de l’aéroport Ben Gourion[16].
Quel droit de retour ?
Le caractère somme toute artificiel de « l’État hébreu » saute aux yeux dès lors qu’on analyse point par point ses éléments de légitimité, d’incohérence et son incapacité à s’insérer dans son environnement. Cela explique pourquoi l’abcès de fixation palestinien constitue l’une des principales causes de tensions dans le monde s’où dérivent beaucoup d’autres conflits, en particulier dans les pays arabes mais pas seulement. Puisque les juifs comme les Palestiniens se réfèrent à l’ancestralité, c’est sur ce terrain que les deux légitimités s’affrontent. Le problème palestinien est avant tout un problème de droit de vivre et de travailler sur sa terre et celle de ses ancêtres. Dès le début en fait, les dirigeants sionistes ont eu plus le regard tourné vers leur « métropole », l’Europe puis les États-Unis, et n’ont jamais pensé s’intégrer sérieusement dans leur environnement arabe et sémitique, déjà bien avant la création de leur État.
Pour les Palestiniens, le principe de justice, en particulier la résolution 194 de l’ONU, n’est pas négociable car il s’agit d’un droit inaliénable, quoique puisse déclarer l’Autorité palestinienne déconsidérée depuis l’échec des accords d’Oslo. Tout au plus, les Palestiniens peuvent donc envisager de discuter ses aménagements. Aux yeux du droit international, le principe du droit à vivre chez soi prime sur toute justification ethnique ou religieuse. Partout où il y a eu un problème de réfugiés et d’exil depuis 1945, sa solution est passée par le droit au rapatriement des autochtones (peuples déportés du Caucase nord, Tatars de Crimée, Tutsis et Hutus du Ruanda, Bosniaques des différentes nationalités, Albanais et aujourd’hui Serbes du Kosovo, Timor, Soudan et bientôt Chypre).
Le droit de retour des Palestiniens pose effectivement le problème du maintien du caractère juif de l’État d’Israël, mais aucun État respectueux des règles démocratiques ne peut s’appuyer sur un critère ethnique[17]. Même la résolution de l’ONU de 1947 qui prévoyait le partage de la Palestine en deux États de taille égale n’était qu’un compromis inégalitaire en faveur des sionistes donnant une dominante ethnique à chaque entité, sans reconnaître, contrairement à ce qui est fréquemment prétendu, ni le caractère « juif » ou « arabe » d’aucun des deux États prévus, où des minorités devaient continuer à vivre de part et d’autres et jouir de leurs droits civiques. Cette résolution, refusée par les États arabes qui ne pouvaient accepter la remise en cause des règles de la majorité, a été de toute façon violée par Israël dès 1948, puis définitivement après 1967.
De toute façon, comme les Palestiniens résidant toujours sur le territoire de la Palestine mandataire sont globalement en passe d’être majoritaires, pour « respecter » le caractère juif de l’État d’Israël et sortir d’un statut d’occupation militaire, par principe provisoire, il existe peu de possibilités. Il faudrait soit procéder à une nouvelle expulsion massive des Palestiniens[18], soit créer des « réserves de peuplement » palestinien séparées les unes des autres par les colonies juives et dont les habitants, à l’image des bantoustans sud-africains ou des réserves indiennes aux USA, se verraient attribuer un statut fictif de remplacement, soit procéder à des échanges massifs de population dans le cadre d’une paix de compromis territorial, dont les difficultés auxquelles s’est heurtée la « mini-évacuation » des colons de Gaza par Sharon, démontrent son impossibilité à mettre en œuvre dans un État démocratique[19]. Il y a déjà eu depuis 1947 des massacres de Palestiniens, ce qui n’a fait qu’augmenter leur mobilisation. On imagine mal comment le monde accepterait aujourd’hui d’être silencieux comme lors des massacres de 1948 ou d’après.
Mais en revanche, comme d’un côté, 85% des juifs habitent seulement 15% de l’espace de la Palestine historique, et qu’à l’opposé ce sont seuls 1,5% des juifs qui contrôlent environ 80% des terres prises aux Palestiniens après 1948, le droit au retour des Palestiniens n’est pas irréalisable. 80% des terres des villages palestiniens confisqués en 1948 ne sont toujours pas habitées, ce qui rend possible la réalisation du droit au retour pour la plupart des Palestiniens et démontre l’incohérence du projet de colonisation sioniste qui sait confisquer les terres mais ne sait pas les peupler[20]. À l’inverse, les agences palestiniennes ont fait un immense travail de repérage des terres, accompagné d’un travail de mémoire. Plus de 40 000 noms de lieux palestiniens, villages, sites et monuments historiques effacés par les Israéliens ont été recensés afin que le jour du « retour » chacun sache ce qui se trouve sur sa terre originelle et comment se repérer pour s’y ré-installer[21]. Les Palestiniens ont élaboré une cartographie précise de leur pays et de son repeuplement, ce qui démontre leur sentiment d’appartenance et, en conséquence, justifie leur droit au retour.
Un retour humainement inéluctable et économiquement nécessaire
L’État qui a pris le nom d’Israël a donc été bâti sur des mythes qui se sont révélés faux ou irréalisables : la terre de Palestine était habitée avant l’arrivée des colons sionistes, les Palestiniens arabes étaient des autochtones qui pouvaient revendiquer leur enracinement pluri-millénaire, l’État d’Israël n’est parvenu à réaliser ni la diversification sociale des immigrés ni la construction d’une société socialiste. Son caractère démocratique est limité, et son fondement ethnique comme sa légitimité religieuse posent problème au regard de la tradition israélite elle-même. Cette entité n’est pas en état d’assurer la sécurité pour ses habitants, elle n’a pas permis l’épanouissement de la ou des cultures juive(s), et l’intégration de ses immigrés sur le plan social et celui de valeurs communes. Sa légitimité comme réaction au nazisme résulte d’un amalgame réducteur. Cet État n’a pas les moyens de son indépendance à cause de son incapacité à s’insérer dans l’économie, la culture et la vie de son environnement, ce qui explique qu’il se soit transformé de fait en une base militaire et sécuritaire excentrée. Alors, que faire in fine avec ce qu’est devenu le projet sioniste ?
Il est impossible de séparer ce projet des conceptions colonialistes, racistes et ethnicistes dominantes en Europe à la fin du XIXe siècle, singulièrement en Europe centrale où les nationalismes ethniques s’étaient répandus dans la foulée du nationalisme « völkisch » allemand. Le sionisme constitue la pointe avancée de cette forme de nationalisme aujourd’hui délégitimé dans sa patrie de naissance. Ceci explique que la colonisation juive en Palestine a été avant 1948 une colonisation juive uniquement européenne. Mais la majorité des juifs européens n’a de toute façon jamais souscrit à ce projet et réside ailleurs, comme ce fut d’ailleurs le cas pour tous les autres colonialismes. Cela concerne aussi ceux qui ont survécu au génocide hitlérien et qui ont majoritairement refusé de s’engager dans l’entreprise de colonisation sioniste. Une majorité de juifs européens a décidé après 1945 soit de rester en Europe, soit d’émigrer aux Amériques ou en Australie.
L’irréalisme économique du projet sioniste dans sa forme réalisée et l’imprescriptibilité du droit au retour des Palestiniens, ne doivent cependant pas nous empêcher de voir que l’idée sioniste du « droit au retour » pour les juifs, répond à un appel profond, sans doute perverti, mais correspondant à une sensibilité réelle et donc légitime chez beaucoup de juifs. Pour sortir de cette contradiction, il faudra beaucoup de courage et d’imagination de la part des penseurs juifs. L’État d’Israël est donc bien, avec les États-Unis en Amérique et ses réserves indiennes, le dernier avatar visible du colonialisme européen et de l’antisémitisme.
Voilà pourquoi la cause palestinienne est à la fois la grande cause des héritiers du message transmis depuis Abraham, et celle de tous les rationalistes et progressistes. C’est aussi une question de respect de l’intérêt légitime de populations menacées par les promoteurs des « guerres de civilisations ». La question israélienne éveille des sentiments très forts chez tous les héritiers de la civilisation méditerranéenne et de la tradition des Lumières, aujourd’hui en crise. En même temps qu’il y a crise du nationalisme européen issu du XIXe siècle et dont le sionisme constitue la pointe avancée, « plantée » en Terre Sainte. La question palestinienne permet d’examiner la question des racismes et des causes du clivage que les prêcheurs du « conflit de civilisations » tentent d’enraciner entre la rive nord et la rive sud de la Méditerranée. Avec en particulier la lancinante question de l’islamophobie qui prend le relai du vieil antisémitisme, y compris sous la forme pervertie d’un antiracisme de façade camouflant un racisme réel.
Dans ce contexte général où deux
populations attachées, par l’origine ou par les mythes, à la terre de
Palestine/Canaan/Israël, sont destinées à cohabiter dans un Moyen-Orient qu’on
souhaite pacifié, la solution ne peut résider que dans une autonomie culturelle
de chaque population au sein d’une entité politique garantissant le droit de
chaque partie constituante, et l’équilibre entre les populations. Tous les
Palestiniens ne voudront pas forcément revenir dans le village de leurs
ancêtres mais ce droit doit leur être reconnu et des compensations prévues,
tous les Juifs d’Israël ne voudront pas
d’emblée vivre sur une terre qui ne leur appartiendrait pas en
exclusivité mais la fin de l’apartheid a prouvé que des changements de
mentalités se produisent lorsque le rapport de force se modifie. Nous pensons
avoir démontré ici que la réhabilitation sur la terre de Palestine de la
vieille revendication des juifs d’Europe orientale d’autonomie
nationale-culturelle au sein d’une entité étatique commune des juifs d’Europe
orientale constituait dans ce contexte la seule voie possible et réaliste
permettant de résoudre le conflit qui déchire la région.
[1] Rappelons que, avant le développement au XIXe siècle des nationalismes laïcs et du sionisme moderne, l’idée d’un « retour » des juifs en Palestine se retrouve dans les conceptions puritaines anglaises, à partir de la prise du pouvoir par Cromwell. Qui pouvait s’appuyer sur une relecture de l’Ancien testament biblique et sur une pensée très minoritaire existant un peu plus tôt au sein du judaïsme. La conception d’un peuple élu par simple caprice divin constituant la base du néo-protestantisme qu’on retrouve aujourd’hui aux USA avec le puissant courant des chrétiens sionistes dont fut issu, entre autres, l’ancien président des États-Unis George W. Bush Junior.
[2] Jüdische Rundschau, Sept. 17, 1935. Quoted in: Yitzhak Arad, with Y. Gutman and A. Margaliot, eds., Documents on the Holocaust (Jerusalem: Yad Vashem, 1981), pp. 82-83.
[3] British Joint Parliamentary Middle East Councils Commission of Enquiry – Palestinian Refugees, Right of Return, Publ. Labour Middle East Council, Conservative Middle East Council, Liberal Democrat Middle East Council, London May 2004.
[4] Idem.; < http://www.saphirnews.com/Nakba-les-villages-detruits-de-Palestine-recenses-dans-une-application-mobile_a18817.html >, consulté le 6/8/2015
[5] Voir : Bertell Ollman, Lettre de démission du peuple juif, www.lapenseelibre.org, N°7 – Septembre 2005
[6] Voir < http://www.lapenseelibre.org/2016/07/n-119-judaisme-judeite-humanite-1-3.html >
[7] Sans compter dans ce chiffre les terres syriennes et libanaises occupées du Golan et des fermes de Chebaa.
[8] John E. Dougherty, « Will Israel Become an Arab State ? », 12-01-2004, http://www.newsmax.com/archives/articles/2004/1/11/124803.shtml, consulté le 14 juillet 2005.
[9] „Des étrangers de l’intérieur : le statut de la minorité palestinienne d’Israël », Lettre mensuelle de la Fédération internationale des ligues des droits de l’homme, reproduite dans La Pensée n°328, Octobre-novembre-décembre 2001.
[10] Il faut savoir que dans les universités israéliennes on a séparé les études d’histoire générale des études d’histoire juive, ce qui est contraire aux traditions académiques, et qu’on trouve aussi dans leurs facultés de biologie des études sur le « sang juif ». Ce qui devrait faire bondir de rage tous les antinazis conséquent.
[11] Rabbi Ahron Cohen, « Intervention à l’Université de Birmingham », England, 26 Février 2003, Israel, Judaism and Zionism, Copyright 2003, Neturei Karta International
[12] Israël Shamir, „Voyons comment les sionistes ont « sauvé les juifs » durant la Seconde Guerre mondiale… », Proche Orient Média, http://www.media.ca.tc, consulté le 14 juillet 2005
[13] Naeim Giladi, « The Jews of Iraq », Jews against Zionism,< http://www.iraqresistance.net/article.php3?id_article=95 >, consulté le 14 juillet 2005
[14] John J. Mearsheimer, Stephen M. Walt, The Israel Lobby and U.S. Foreign Policy, Harvard University, John F. Kennedy school of Government, Faculty Research Working Papers Series, March 2006
[15] Stephen Zunes, Associate Professor of Politics and Chair, Peace and Justice Studies Program, San Francisco University, dans « L’aide des USA à Israël », http://www.media.ca.tc, consulté le 14 juillet 2005 : Coût de l’aide des USA à Israël aux contribuables des États-Unis :Somme Totale (1949-2000) : US$ 84 854 827 200, 00 ; Intérêts encourus au cours de la même période : US $ 49 936 680 000, 00 ; Coût total pour les contribuables des États-Unis : US$ 134 791 507 200, 00 ; Coût total par Israélien : US$ 23 240, 00.
[16] Barry Chamish, Exclusive Photos Of Huge New US Base In Israel, http://www.rense.com, 2005
[17] Voir Mazin Qumsiyeh, PhD, „Commémoration onusienne – La Palestine hante la commémoration de la libération des camps nazis”, http://www.qumsiyeh.org/UNcommemoration et Ilan Pappe „Résister à l’apartheid israélien : Stratégies et principes -Signification et objectifs du boycott universitaire”, Londres, Conférence internationale sur la Palestine, SOAS, 5 décembre 2004 : La résistance à l’apartheid israélien : stratégies et principes.
[18] « Israël prépare l’expulsion de plus de 100 000 Palestiniens : le nettoyage ethnique sioniste est en cours » www.nord-palestine.org/debat.arabs48.260605.htm ;« Un plan sioniste pour expulser les Palestiniens de Jérusalem d’ici à 2020 », < http://www.ipc.gov.ps/ipc_new/france/details.asp?name=5209 >, consultés le 14 juillet 2005
[19] Voir Ran Ha Cohen, « The seeds of fascism », www.antiwar.com, 02.07.2005
[20] Laila El-Haddad, « Palestinian right of return is feasible », Al Jazeera, 28-05-2005, entretien avec Salman Abu-Sitta, general coordinator of the Right of Return Congress and founder of the Palestine Land Society. Voir aussi Abd Al-Aziz Saqr, Right of Return, op. cit., p.161.
[21] Idem