Emmanuel DUPUY
EVOQUER LE RÔLE que l’Europe devrait jouer sur la scène moyen-orientale est un défi, devenu pourtant, au fil du temps et compte-tenu de l’actualité immédiate, une urgente nécessité.
Cet ambitieux colloque s’inscrit ainsi dans un contexte particulièrement belli-gène et fortement anxiogène. Il suffit pour cela de dresser la longue liste des pierres d’achoppements qui ont et risquent de nouveau d’embraser toute la région :
- Une guerre civile en Irak, qui ensanglante le pays depuis la chute du régime de Saddam Hussein, au prix de plusieurs milliers de tués de part et d’autres des communautés chiites et sunnites désormais dressées l’une contre l’autre. Ajoutez à cela des attentats quotidiens qui affaiblissent considérablement la crédibilité d’une force multinationale exsangue et sans « ordre de mission », ni objectif stratégique bien précis et le tableau du chaos et de l’enlisement américain en Irak est complet ;
- L’extension d’une instabilité chronique en Afghanistan, qui risque de ramener les talibans aux portes de Kaboul réduisant à néant les efforts de la communauté internationale depuis cinq années, dans le cadre de la reconstruction post-conflit du pays ;
- L’enlisement de la Communauté internationale à éradiquer le terreau et les champs d’actions du terrorisme international au Moyen-Orient comme sur le reste de la planète ;
- L’épineux dossier du nucléaire iranien et des menaces de proliférations d’armes de destructions massives (ADM), qui couve une crise régionale et internationale bien plus grave encore, avec ou sans sanctions ;
- Les velléités de « communautariser » les relations internationales, à travers le projet américain du « Grand Moyen-Orient » (GMO), auquel sont liés en Asie centrale, la Stratégie de la « Route de la Soie », ainsi qu’en Afrique, le Plan « Pan Sahel » ;
- La « guerre de juillet » ayant balayé du revers d’une main les timides et patientes avancées sur la voie d’une paix juste et globale entre Israël et ses voisins, en premier lieu desquels la Palestine et le Liban (et ce malgré les résolutions 1559 et 1701 de l’ONU) ;
- La montée en puissance de l’Islamisme politique légitimé par les urnes (au Liban avec la progression électorale du Hezbollah lors des élections législatives de mai 2005, en Palestine avec la victoire du Hamas en janvier 2006 ou encore la progression inquiétante des islamistes en Egypte, Koweït, Bahreïn, Irak, Algérie, demain peut-être au Maroc…).
Bref, une fois ce tableau inquiétant planté, encore faut-il également comprendre pourquoi la position de l’UE doit enfin s’exprimer et comment…
L’Union européenne, un acteur à part entière au Moyen-Orient ?
Des défis considérables, tant régionaux que globaux
Il convient, tout d’abord, de noter une étonnante prise en compte collective, encore balbutiante et somme toute très récente, quant à la nécessité de se doter d’une politique énergétique commune (comme en témoignent le Livre vert « Vers une stratégie européenne de sécurité d’approvisionnement énergétique » de juin 2002, la mise à l’agenda de cette question stratégique à l’occasion de la réunion du G-8 à Saint-Petersbourg ou encore la réunion tripartite Paris/Berlin/Moscou, rendue davantage d’actualité avec la crise du gaz entre l’Ukraine et la Russie en mai dernier). Ainsi l’UE perçoit simultanément sécurité de ses approvisionnements, solidarité en cas de crise, compétitivité et développement durable, le tout dans une politique extérieure au service de l’UE et de ses citoyens, sans que les antagonismes dans les objectifs ne soient pour autant tous levés.
Il en va de même concernant l’appréhension quant à la réalité de la menace terroriste sur le continent européen. A titre d’exemple significatif, il faudra attendre 2002 pour que le nom d’Al-Qaida soit évoqué dans les papiers officiels de la Commission (en l’espèce la liste des organisations terroristes établie par les chefs d’État et de Gouvernement lors du Conseil européen du 18 juin 2002).
Par ailleurs, le formidable défi écologique, qui depuis le Plan Bleu de 1977 engage 21 États riverains est également au cœur des préoccupations méditerranéenne et européenne, alors même que la Méditerranée orientale comme occidentale se trouve au croisement d’intérêts voraces et contradictoires, entre espaces de dialogue, partenariats et processus d’échanges UE-État du Sud concerné, pouvant parfois laisser l’impression d’être concurrents l’un de l’autre.
Pour y remédier, comme cela a été indiqué par l’ambassadeur Yves Gazzo, Chef de la représentation de la Commission européenne en France, l’UE a à sa disposition, sur le papier, de nombreux mécanismes pour favoriser la paix au Moyen-Orient.
Les enjeux de la Finul renforcée
Hélas, l’évocation des faits nous amène à constater, comme le fait Monsieur Ali Rastbeen, que les faits sont souvent têtus et que la faiblesse diplomatique de l’UE est inquiétante.
Renforcée par des moyens militaires européens conséquents, notamment français et italiens, et des conditions d’engagement moins contraignantes, la FINUL est ainsi devenue un laboratoire, à la fois pour la Politique Européenne de Sécurité et de Défense (PESD) qui trouve là une mission digne des ambitions européennes en matière diplomatique et militaire, mais aussi pour les Nations Unies et le multilatéralisme, pour qui se joue sans doute un moment important pour sa crédibilité en matière de médiation et de résolution des conflits.
Rappelons que le Liban fait figure, malgré lui, de précurseur en la matière, compte tenu des effets de quinze années de guerre civile entre 1976 et 1991, ponctuées par des incursions étrangères récurrentes (israéliennes en 1982 et 1996, syriennes dès 1976 et jusqu’à leur départ en mai de l’année dernière). Déjà en 1958, le Groupe d’observation des Nations Unies au Liban (GONUL, basé à Beyrouth) avait reçu le mandat de veiller à ce qu’il n’y ait pas d’infiltrations illégales de personnels, d’armes ou d’autres matériels via la frontière entre la Syrie et le Liban.
Par ailleurs, la Force des Nations Unies chargée d’observer le désengagement des hauteurs du Golan (FNUOD, créée en juin 1974), ainsi que l’Organisme des Nations Unies chargé de la surveillance de la trêve (ONUST qui est, depuis mai 1948, la « doyenne » des opérations de maintien de la paix onusienne) confirme l’intérêt déjà ancien pour la communauté internationale de veiller à la stabilité régionale.
Néanmoins, résolutions après résolutions, de la 158 datant de 1948 à la 1701 d’il y a quelques mois, le paradoxe veut que les moyens nécessaires pour assurer l’ancrage durable de la paix soient peut-être surabondants sur le papier et qu’ils soient injustement absents dans le foyer principal qui enflamme la région depuis bientôt un demi-siècle, à savoir les territoires palestiniens.
Des mécanismes de coopération ambitieux mais sous exploités
Inutile de nier que la coopération euro-méditerranéenne initiée à Barcelone en novembre 1995, a pris un sérieux coup quant à sa crédibilité avec la crise de juillet dernier. En effet, comment pourrait-il en être autrement quant trois protagonistes signataires du Processus (le Liban, Israël et l’Autorité Palestinienne en tant qu’observateur) ont participé à la Conférence de Barcelone, au même titre que les neuf autres Pays Tiers Méditerranéens – PTM. Il est vrai que, concurrencée, à la fois par le Dialogue 5+5 lancé en 2001 (réunissant les pays dits de l’Arc Latin (Espagne, France, Italie, Grèce, Malte, Mauritanie, Maroc, Algérie, Tunisie et Libye) – ainsi que par le Dialogue méditerranéen créé en 1995, comme le prolongement du PpP de l’OTAN, relancé lors du Sommet de l’Alliance d’Istanboul en 2004, on pourrait lui trouver des circonstances atténuantes.
La Politique européenne de voisinage (PEV lancée en mai 2004 dans la foulée de la dernière vague d’adhésion qui se conçoit comme une politique volontariste basée sur une relation privilégiée, un engagement mutuel en faveur de valeurs communes en direction des voisins de l’UE au Caucase, sur le pourtour de la mer noire et sur la rive sud de la Méditerranée) ainsi que le mécanisme des accords d’association bilatéraux liant l’UE aux pays de la rive sud de la Méditerranée tendent, cependant, à confirmer la parfaite ingénierie en matière de coopération Nord-Sud.
Le lien avec le premier « cercle d’amis » est ainsi concrétisé par de substantielles aides au développement (80 millions d’Euros en avril 2006 pour le Liban, dont l’accord d’association vise, entre autre à l’accompagnement de la transition démocratique et la modernisation du système social).
Dans ce même esprit, l’accord douanier liant l’UE et Israël depuis 2000 ainsi que l’UE et l’Iran, via un accord de commerce ouvert en 2002 est la preuve que l’UE a un rôle moteur à jouer dans la région, du moins sur le papier. En témoigne l’importance vitale du financement des infrastructures palestiniennes par l’UE (cette dernière est le principal donateur avec 10 millions euros/an, soit 2 milliards d’euros investis depuis 1994). Le programme ECHO consacre ainsi 187 millions euros tandis que l’agence onusienne chargée du sort des réfugiés palestiniens en Jordanie (UNWRA) consacrait déjà 581 millions d’euros.
Dès lors, mettons nous à rêver que le Marché commun du Levant (lancé en grande pompe en février 1989 à Marrakech, sous l’égide de la bien discrète Union du Maghreb Arabe – UMA) accompagnant la création, en 2010, d’une zone de libre échange en Méditerranée voit le jour. Peut-être faudrait-il d’ailleurs accélérer un peu la cadence, compte tenu des avancées très concrètes en ce qui concerne le volet financier. Comme en témoigne la transformation du FEMIP (Facilité Euro-Méditerranéenne d’Investissement et de Partenariat qui a contribué à hauteur de 2 milliards d’euros de projets de développement) en Banque euroméditerranéenne de développement vraisemblablement confirmée à l’occasion du Conseil européen de décembre 2006.
L’évocation de plus en plus précise quant à la création de fonds structurels dans l’espace méditerranéen, voire d’une Communauté de la Méditerranée, dotée d’un Secrétariat politique et paritaire, sorte de Conseil exécutif du Bassin méditerranéen, viennent compléter ce dispositif d’avenir.
Et pourtant, à juste titre, les symptômes de l’apathie européenne ont été maintes fois étudiés. Parmi les critiques les plus communément évoquées, celles sur la caractère supplétif de l’Europe sur le plan économique et l’absence de rôle déterminant sur la scène internationale, demeurent la preuve de notre incapacité à sortir du rôle habituel que l’on confine aux acteurs européens, à savoir l’aide humanitaire d’urgence. A titre d’anecdote, c’est le bureau ECHO (Office humanitaire de la Commission) à Beyrouth qui a ré-ouvert le plus rapidement… Le fiasco de la mission du Parlement européen, dans le cadre de l’Assemblée parlementaire euroméditerranéene voulue par la députée européenne Toika Saïfi est un autre exemple de notre poids « réel », loin des réalités de « l’Orient compliqué ».
Bien évidemment, la participation au sein du Quartet (en vue d’une résolution du conflit israélo-palestininienne) et de la Troïka portant sur le dossier du nucléaire iranien peut donner l’illusion d’une présence active et reconnue de notre diplomatie au Machrek et au Maghreb. Or, à force de ne pouvoir offrir une alternative crédible au GMO, les sociétés civiles arabes demeurent prise au piège -entre dictature, népotisme et État-famille d’un côté et intolérance, obscurantisme et fanatisme de l’autre. Ce « mal arabe », comme le rappelait à juste titre l’opposant tunisien Moncef Marzouki, restera t-il une banale et tragique fatalité ?
Les symptômes d’une crise profonde entre l’Orient et l’Occident
La crise au Moyen-Orient, même si elle s’inscrit dans une conflictualité régionale incrustée de longue date, n’en revêt pas moins également un caractère géopolitique global. Dans ce contexte, les essais de missiles balistiques nord-coréens et iraniens, ainsi que les manœuvres au large du Golfe persique, de la mer d’Oman et en mer de Chine (sur lesquels planent encore un doute sur leur capacités à devenir des vecteurs nucléaires fiables de moyenne et longue portée), légitiment la réflexion sur la relance du projet de bouclier régional anti-missile, comme cela a été rappelé fort légitiment par le général Henri Paris.
S’y ajoutent les pressions pesant de toutes parts sur les États -Unis (dispersion de ses troupes en Afghanistan, au Pakistan et en Asie centrale -Kazakhstan et Kirghizistan-, échecs successifs « politiques » en Amérique latine, au Caucase-Mer Noire avec l’échec peu ou prou des « révolutions colorées »).
Ainsi cet affaiblissement moral durable accompagné de la pression sur l’allié stratégique, Israël (soumis à une pression démographique très forte) suffit à comprendre les liens entre les deux partenaires.
D’où une légitime interrogation quant à savoir qui du Hezbollah ou de Tsahal était sorti vainqueur de ces 34 jours de bombardement. Si l’on considère, en effet, le poids de la guerre sur l’information, alors indéniablement la victoire revient au Hezbollah, dont la chaîne Al-Manar a continué d’émettre en continu et ce malgré les bombardements qui l’ont visée.
Le choc lié aux images du massacre de Canaa, l’utilisation de bombes à fragmentations -pourtant interdites depuis 1997 par la Convention d’Ottawa- les destructions systématiques des principales infrastructures libanaises, routes, ponts et bâtiments officiels (soit plus de 15 milliards d’euros de dégâts et V de la population déplacée) sans oublier l’immense catastrophe écologique qui va menacer l’ensemble de la région, sont les arguments indéniables que la bataille de l’image semble avoir été plutôt mieux maîtrisée par le Hezbollah.
L’épée de Damoclès continue de peser sur la région, faisant dire à tous les commentateurs et spécialistes de la zone, parmi lesquels Richard Labévière, Rédacteur-en-Chef de RFI, auteur d’un remarquable « Le grand retournement : Beyrouth-Bagdad » que la bonne question à se poser n’est pas si les protagonistes vont reprendre les armes, mais quand ils le feront ?
La crédibilité quant à la présence ostensible de l’Europe se jauge également en dehors de la zone évoquée ; en Afghanistan, où c’est l’ensemble de la Communauté internationale qui joue sa crédibilité, comme cela a été rappelé par les présidents Karzaï et Moucharaf et il y a peu encore ou lors du Sommet de Riga, exprimé de manière consensuelle par les 26 membres de l’Alliance dans les derniers jours de novembre.
De fait, il est un aspect qui reste occulté trop souvent, comme nous l’a rappelé le recteur Gérard-François Dumont : celui de l’importance de la vision historique du conflit. Ainsi, il est tout à fait pertinent de comprendre comment l’on est passé du paradigme pan-arabe et nationaliste et de son expérience dans les années 60/70 (notamment à travers la République arabe unie (RAU) créée en 1958 par l’union de l’Égypte nassérienne et de la Syrie, et disparue en 1961) à une incarnation d’une nouvelle vision de l’Islam politique, tel que le discours du chef du Hezbollah le laissait entendre au lendemain de la guerre dite de juillet.
C’est très certainement dans ce contexte qu’il convient de replacer le discours de Benoît XVI, prononcé lors de son séjour en Allemagne en septembre dernier. Ce dernier n’hésitait-il pas à remettre alors en cause la portée du discours de la « Raison » au profit de celui de l’ordre juste ? Ce qui a, en effet, un arrière-goût de conflit de civilisation et qui pourrait laisser penser qu’il convient de percevoir les relations internationales à travers un nouveau prisme politico-religieux.
Le rappel de la question turque, désormais pleinement inscrite à l’agenda de Bruxelles est également un facteur clef comme l’a rappelé à juste titre Samih Vaner. La Turquie, État pivot entre Occident et Orient, dans le cadre de l’arc turkmène qui va jusqu’au lointain Xinjiang chinois, probable frontière orientale de l’UE avec la Syrie et l’Irak, d’ici 25 ans, doit être pris en compte à sa juste mesure : une puissance régionale, vigie orientale de l’OTAN, partenaire militaire et économique d’Israël et désormais résolument impliquée au Liban, compte tenu de la promesse d’envoi de troupes dans la Finul renforcée.
Des perspectives de dialogue à approfondir
En guise de mise en perspective nécessaire à la question qui a rassemblé à l’occasion de cette conférence -universitaires, historiens, philosophes, diplomates, analystes en question stratégiques, étudiants-, il convient de saluer l’heureuse initiative de l’Institut International d’Études Stratégiques (IIES) visant à faire le lien entre l’Europe et le Moyen-Orient.
Comme cela a été rappelé à de multiples occasions, la France dans l’Europe, avec son environnement spontané qu’est la Francophonie, comme évoqué brièvement au cours de journée, a un rôle déterminant à jouer et des solutions viables et pérennes à faire valoir aux protagonistes.
La première d’entre elles est la tenue d’une Conférence Internationale de paix, au cours de laquelle tous les problèmes régionaux doivent être abordés (tracé des frontières, retour des réfugiés, reconnaissance de l’État d’Israël, création d’un État palestinien, menace terroriste et islamisme, statut de Jérusalem, etc.) liant ainsi l’épineuse question palestinienne aux différents foyers qui couvent dans la région.
La seconde réside incontestablement dans la relance d’une stratégie méditerranéenne, avec notamment, la création d’un Secrétariat exécutif, afin de tenir compte de la spécificité méridionale de la construction européenne -au moment où nous allons fêter le cinquantième anniversaire de la signature du traité de Rome en 1957 et la nécessaire prise en compte du co-développement comme arme contre les menaces transfrontalières, à l’instar de la criminalité organisée et l’émigration clandestine.
La troisième tient au fait d’une meilleure association des processus de dialogues innovants, tels que celui engagé par le Groupe d’Aix, autour du professeur d’économie Gilbert Benayoun, qui préside le Centre d’Economie Régionale, de l’Emploi et des Firmes Internationales (CEREFI), offrant ainsi un pont d’échanges universitaires autour d’une approche micro-économique des plus pertinentes.
Ainsi, dans la foulée du Pacte de Genève, laissé en jachère depuis 2003, le Sommet de Petra, en Jordanie, réunissant quatorze Prix Nobel autour du roi de Jordanie pour proposer des solutions globales est une voie intéressante à suivre.
La cinquième piste à suivre afin d’ouvrir un nouveau chapitre des relations UE/ Moyen-Orient, tient au développement de liens plus forts entre l’UE et le monde arabe à travers, notamment, un dialogue naissant entre l’UE et le Conseil de Coopération du Golfe (CCG).
Cette réflexion autour d’une meilleure articulation entre la PESC (Politique Etrangère et de Sécurité Commune) et la PESD (Politique Etrangère de Sécurité et de Défense) comme instrument de la première est sous tendue par le Rapport Solana de décembre 2003. Ce dernier, en effet, établit une Stratégie européenne de sécurité à la fois dans son acception interne que dans sa prise en compte extérieure. L’appréhension de l’intégration régionale vient fort utilement compléter ce propos, dans le sens d’une stabilité stratégique, l’ancrage de la culture de paix et une sécurité régionale et internationale accrue.
C’est d’ailleurs une formule du Haut Représentant pour la PESC, Javier Solana, qui évoquait le fait que la « meilleure protection pour notre sécurité est un monde fait d’Etats démocratiques bien gouvernés où les politiques commerciales et de développement constituent des outils de promotion des réformes », qui résume, me semble t-il parfaitement la richesse des propos tenus par tous les intervenants. Il faut sans doute également retenir le besoin d’une meilleure prise en compte au Proche-Orient, comme sur tout le pourtour méditerranéen de la notion de « Soft power », qui doit rester au service d’une politique étrangère européenne renforcée.
Depuis la tenue de ce colloque en septembre dernier, plusieurs indices inquiétants laissent cependant à penser que l’Iran tente de nouveau une OPA en matière de leadership régional, faisant craindre une suprématie chiite sur le monde arabe. Phénomène d’autant plus inquiétant, que ce dernier s’accompagne d’une alliance de circonstance avec les fondamentalistes sunnites en guerre contre le modèle de vie occidental.
La conférence de l’Arab Strategy Forum de Dubaï qui s’est tenue du 4 au 6 décembre 2006 est venue confirmer que l’avancée dans le programme nucléaire civil iranien est désormais reconnue par certains États du Golfe, comme un pas vers important vers l’équilibre des forces au Moyen-Orient. Le négociateur iranien sur le dossier nucléaire, Ali Larjani y a été ovationné.
L’Iran semble ainsi réussir en partie à récupérer, temporairement du moins, la contestation des pays arabes envers les États-Unis et Israël. Les conséquences à venir (extension des conflits inter-confessionnels dans la région, renforcement d’Al Qaïda dans la péninsule arabique ou tel que nous le voyons en Irak) semblent ainsi un appel désespéré pour une politique arabe de l’UE plus déterminée, notamment en direction des deux États pivots, prétendants au leadership régional, à savoir l’Egypte et l’Arabie Saoudite.
Espérons, pour terminer, comme l’a rappelé récemment le ministre des Affaires étrangères italien, que la réussite attendue de la « FINUL renforcée » puisse inspirer l’envoi rapide de casques « bleus » et « blancs » à Gaza et en Cisjordanie, où malgré le cessez-le-feu les armes ne sont pas encore rengainées et pour rappeler que ce conflit, comme les précédents dans la région y ont trouvé leur source « d’inspiration », voire au-delà.
* Secrétaire général de l’Institut Prospective et Sécurité de l’Europe (IPSE). Responsable du Pôle Relations Internationales du Cabinet d’Ingénierie Stratégique pour la Sécurité (CI2S) et membre du Centre de Droit Pénal International et d’Analyse des Conflits (CDPIAC, Université des Sciences Sociales de Toulouse).