LES SOCIETES MILITAIRES PRIVEES (SMP) AUX ÉTATS-UNIS FACE AUX NOUVELLES GUERRES

Roger TEBIB

Professeur des universités

Trimestre 2010

Des spécialistes ont éCriT, à ce sujet : « Le mercenariat a une très longue his­toire, mais qui témoigne de la permanence du phénomène, même si le recours à des soldats stipendiés était en contradiction avec la tradition militaire des citoyens1. » Depuis des siècles, on a assisté à une lente transformation du mercenariat tradition­nel ainsi qu’à l’abandon progressif, dans certains pays, du monopole régalien de la défense au profit de prestataires civils de services militaires.

Un nouveau type de mercenariat

Des États, principalement anglo-saxons, ont repris à leur compte des missions d’habitude effectuées par les armées nationales et désormais confiées aux soldats sans armée de sociétés militaires privées.

On les retrouve maintenant sur les cinq continents, dans toutes les zones de conflits armés ou de troubles civils.

Avec le développementries conflitriqiai nécessitent des méthodes de défense très sophistiquées, les États-Unis confient à des sociétés privées des missions de rensei­gnement, de surveillance des sites sensibles et de protection des forces en opérations extérieures.

L’invasion de l’Irak, au printemps 2003, a contribué à intensifier ce recours au secteur privé et à dévoiler l’ampleur de ces structures, précédemment constatées dans les Balkans, en Colombie, en Afrique et en Afghanistan.

Le marché de la sécurité

Pour assumer leur rôle de première puissance mondiale, les États-Unis se sont engagés en différents points de la planète mais, en même temps, l’importance de leur armée se trouvait en train de diminuer rapidement. Ainsi, leurs effectifs mili­taires sont passés de plus de 2 000 000 d’hommes en 1991 à 1 300 000 en 1999, même si le successeur de Donald Rumsfeld s’est engagé à procéder au recrutement de près de 90 000 hommes d’ici 2012.

Ce manque de personnel a poussé Washington au recrutement de mercenaires qui obtiennent une prime de 20 000 dollars après avoir subi un entraînement ra­pide et avant de partir pour l’Irak (cf. dépêche AFP, Washington, 27 août 2007).

Le recrutement de ces mercenaires est dû aussi à des raisons technologiques, les systèmes d’armes actuels étant de plus en plus complexes. L’entretien, la réparation et l’utilisation des certains armements exigent d’importantes connaissances tech­niques. Les armées deviennent de plus en plus dépendantes de spécialistes civils. Aujourd’hui, près du tiers des systèmes d’armes américains reposent sur la connais­sance et la maîtrise des entrepreneurs privés.

Une autre raison de cette évolution est d’ordre politique : en effet, les presta­taires privés peuvent faire preuve de discrétion lorsqu’ils sont chargés d’intervenir hors de leur territoire d’origine. De plus, lorsqu’ils subissent des pertes humaines, l’impact psychologique sur la population est très faible.

Le développement

On constate aussi que « la privatisation de la sécurité a été clairement encou­ragée par la Banque mondiale et par le FMI, elle est en phase avec les dogmes qui les inspirent, en particulier avec la théorie néoclassique selon laquelle les activités marchandes doivent être étendues au maximum2 ».

On trouve des sociétés militaires privées (SMP) dans les recoins les plus sombres du monde, là où le Pentagone souhaite intervenir discrètement.

Certaines de ces sociétés militaires privées figurent même dans la liste des plus grandes entreprises, établie par le magazine Fortune.

Souvent dirigées par d’anciens officiers, dont des généraux, elles dévoilent le nouveau visage de la guerre, aussi bien sur le territoire national qu’à l’étranger.

Elles effectuent une large gamme de prestations : sécurité des sites officiels et des bases, protection rapprochée, soutien logistique, transport aérien, déminage, renseignement, formation initiale et entraînement…

Un manuel de l’armée de terre américaine les présente ainsi : « Il faut com­prendre que leur rôle dépasse largement la logistique. Leur contribution couvre le soutien tactique et le soutien aux services. Cette contribution peut toucher les domaines de la restauration et de l’intendance, mais également la traduction, les transmissions, la gestion des infrastructures. Elle peut aussi s’appliquer aux opé­rations défensives et offensives, aux opérations d’imposition et de maintien de la paix, et à toutes les actions militaires depuis les guerres de très basse intensité aux conflits majeurs3. »

D’après certaines statistiques, on compte près de 120 SMP aux États-Unis4.

Structures et actions

On peut citer quelques-unes de ces sociétés, parmi les plus puissantes, avec leurs missions importantes et leurs effectifs5.

  • AECOM Government Services : soutien logistique, maintenance : 12 500 per­sonnes
  • Aero Tech Services : formation au combat aérien et maintenance aéronau­tique : 7 000
  • Akal Security : sécurité des sites fédéraux : 8 000
  • CACI : renseignement, logistique, défense du territoire : 9 500
  • Computer Sciences Corporation : gestion du risque, prévention du terro­risme : 90 000
  • Cubic Corporation : simulation, guerre électronique : 5 000
  • Dyn Corp : soutien opérationnel, maintenance : 23 000
  • Inter Con : protection des forces, sécurité des sites : 25 000
  • ITT : logistique, maintenance : 38 000
  • Military Professional Resources Inc. (MPRI) : soutien opérationnel, forma­tion, logistique : 1 500
  • Northrop Grumman : maintenance, logistique : 120 000
  • Raytheon : électronique de défense : 75 000
  • Science Applications International Corporation (SAIC) : gestion du person­nel, communication, logistique : 40 000
  • Wackenhut Corporation : protection rapprochée, sécurité des sites sensibles :40 000
  • Washington Group ; logistique, audit : 27 000.

Ces entreprises décrochent d’importants contrats. Trois facteurs expliquent ce fait :

  • la défense officielle pèse très lourd sur le budget fédéral américain ;
  • le recrutement militaire est assez difficile et la tradition du soldat-citoyen s’efface ;

–  on manque donc d’effectifs pour assurer la sécurité du territoire national. Des points de vue

  1. Les arguments de base des partisans des SMP sont les suivants :
  • Elles coûtent moins cher que l’armée classique.
  • On peut accepter de voir couler le sang d’un mercenaire ou l’ignorer, mais c’est impossible avec un GI.
  • Confier à des civils les missions de soutien, de formation et de protection permet d’affecter à différents postes de combattants des recrues que les armées ont du mal à attirer.
  1. Certains des plus gros fournisseurs de la Défense, comme Boeing ou Lockheed, dépendent des commandes militaires pour maintenir leurs activités économiques. Les nouvelles technologies – comme la conception aérospatiale, l’informatique ou l’électronique – sont financées par le Pentagone, et les sociétés militaires privées en tirent profit6.
  2. Pourtant, des parlementaires, aussi bien républicains que démocrates, s’inquiè­tent et développent des critiques. Certains ont adressé au gouvernement des lettres, dont l’une contient ces mots : « Nous trouvons inacceptable de voir l’armée de terre vendre des sites fédéraux et privatiser des postes du ministère de la Défense sans l’avis du Congrès7. »

Certains militaires posent également des questions, en particulier au sujet du renseignement, car les SMP échappent à tout contrôle. Ils s’interrogent aussi sur la sécurité des employés privés sur le champ de bataille d’une part et, d’autre part, sur la difficulté d’adapter le code de justice militaire à ces cas particuliers.

Ajoutons qu’Inter Action, une grande fédération d’ONG américaines, préco­nise de ne pas recourir aux services de SMP pour assurer la protection des humani­taires. Elle traque aussi leurs dérapages, en particulier celui du MPRI en Bosnie et du Dyn Corp en Colombie et au Kosovo.

Les influences sur les autres pays

Il existe, dans plusieurs pays anglo-saxons, de nombreuses SMP, et un nombre croissant d’États – dont la France – ont recours à des partenaires privés de services militaires. Notons aussi l’Afrique du Sud, Israël, le Canada, où le développement de ces services est important. On ne peut pas non plus se désintéresser des sociétés aus­traliennes, russes, italiennes et asiatiques qui se sont positionnées dans ce domaine sur le marché international.

Citons le cas de deux pays :

  1. En Angleterre, l’externalisation de certaines tâches, antérieurement accomplies par les forces armées, est devenue importante. Voici les plus considérables de ces SMP :
  • Aegis Defence Services : sécurité maritime, protection rapprochée : 20 000 personnes
  • Cobham : services aéronautiques : 9 000
  • Interserve : soutien logistique, maintenance : 13 000
  • Megitt : aéronautique militaire : 5 000
  1. En France, on compte environ 15 SMP, dont les plus importantes sont les sui­vantes :
  • Défense Conseil International : conseil, soutien : 300 personnes
  • Atlantic Intelligence : intelligence économique et audit : 30
  • AVDEF : formation aéronautique, guerre électronique : 80.

Indubitablement, notre pays n’est pas vraiment confronté à une véritable indus­trie de services militaires privés.

En conclusion, on peut dire qu’il est très difficile d’empêcher le développement du privé dans la sphère de la défense, d’autant plus que les équipements militaires dépendent beaucoup des entreprises.

La réussite de l’intégration des SMP passe absolument – et les Américains le comprennent – par la permanence des armées nationales. Sinon, on assisterait à un retour aux féodalités du Moyen Age.

Notes

  1. CHAPLEAU Ph. et MISSER F., Mercenaires S.A., Desclée de Brouwer, 1998.
  2. SERFATI C., La Mondialisation armée, Textuel, 2001.
  3. Contractors on the Battlefield, Manuel de l’armée de terre américaine, mars 2001.
  4. Cultures et Conflit, n° 52, 2004.
  5. CHAPLEAU Ph., Sociétés militaires privées, Éditions du Rocher, 2005.
  6. GUYATT N., Encore un siècle américain ? Collection Enjeux Planète, éditions Charles Léopold Mayer, 2002.
  7. Défense nationale, juillet 2003.
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