Les services de renseignements et les problèmes de sécurité dans les pays balkaniques

Roger TEBIB

Professeur des universités

2eme trimestre 2011

GÉOGRAPHIQIJEMENT, LES BALKANS REGROUPENT la Bulgarie, la Grèce, l’Al­banie, la majeure partie de l’ex-Yougoslavie et la Turquie d’Europe1.

De leur côté, les historiens et les spécialistes de la science politique, tout en y ajoutant la Roumanie, insistent sur le fait que la situation est très complexe dans cette région et cela depuis des siècles, de l’Empire ottoman à la crise du Kosovo, sans oublier l’assassinat de l’archiduc François-Ferdinand à Sarajevo et le déclenche­ment de la Première Guerre mondiale2.

À noter, à ce sujet, que la France et l’Allemagne viennent de s’opposer à l’entrée de la Bulgarie et de la Roumanie dans l’espace Schengen à cause de la nécessité des contrôles frontaliers.

Il paraît utile de faire les analyses dEs les différInts peyI,aveIuneétudesur l’insécurité qui y règneet lœmoiens quisona u tOlsés pourunelutte difficiSe.

On peut essayer d’étuUtetsayidement troittypes de donuets : lessiOuerrions ethniques et religieuset, SesmaOesotles ttefics d’êtres humains. Face à cela, il y a les services de renseignements avec leurs structures et leurs rôles.

Le renseignement civil et militaire

Comme dans tous les pays, on distingue deux types de renseignement dont l’utilisation a plus ou moins changé depuis la fin de la guerre froide et la chute du régime soviétique :

  1. Le renseignement militaire vise surtout les pays voisins, pour assurer une suprématie en cas d’affrontement.
  2. Le renseignement civil permet de surveiller l’environnement du pouvoir politique ainsi que la sécurité publique.

Mais on constate, dans les pays balkaniques, un grand nombre de ces services dans une région qui ne compte qu’environ 50 millions d’habitants.

Il est possible de faire un certain recensement de ces services qui changent sou­vent de noms et de structures.

Albanie

Dans ce pays, après la chute du régime communiste en 1991, fut mis en place le Service national d’information (Sherbini Informativ Kombetar, SIK), avec plus de 10 000 agents dont près de la moitié sont affectés aux forces armées. Ce service continue à être en relations avec l’ex-KGB soviétique qui l’avait mis sur pied3.

Bosnie-Herzégovine

Il existe, depuis 1996, une Agence pour la recherche et la documentation

(ARD) dépendant directement de la présidence collégiale. Ce service est respon­sable des renseignements extérieurs et de certaines opérations spéciales dont, par exemple, l’engagement et l’entraînement des combattants iraniens dans la région3.

Bulgarie

On constate une évolution dans le domaine du renseignement et de la sécurité.

  • En 1989, le Service de sécurité d’Etat (Durjavna Sigurnost, DS) a été rem­placé par des organisations dépendant directement du ministère de l’Inté­
  • On a placé un Service de renseignements national (NIS) sous la direction directe du chef d’État. Mais il a été impliqué en 1992 dans une affaire d’ex­portation illégale d’armes.
  • Malgré les changements de régime politique, on a conservé surtout une Direction du renseignement militaire du ministère de la Défense (Razuzavatelno Upraclyenye Ministerstovo na Narodnata Otbrana, RUMNO). Ce service est militaire et gère essentiellement la sécurité du pays4.

Croatie

Dans ce pays, on compte au moins quatre services de renseignements pour une population d’environ 5 millions d’habitants.

  • L’Office de la sécurité nationale, dont les effectifs sont évalués à 4 000 ou 5 000 mille agents.
  • Le Service de renseignements des forces croates, responsable de la sécurité militaire.
  • Le Service de sécurité de l’information, dont le rôle est surtout de protéger les forces armées contre l’infiltration d’agents d’espionnage.
  • Le Service de renseignements de sécurité au sein du ministère des Affaires étrangères ; il s’intéresse surtout à la Bosnie-Herzégovine3.

Grèce

On note, dans ce pays, une évolution importante des services de renseigne­ments, due surtout aux évolutions politiques.

Dans les années 1950, les Britanniques avaient créé dans ce pays un Service de renseignements national. Cet organisme a évolué surtout avec l’arrivée des socia­listes au pouvoir et le coup d’État des « colonels » en 1967.

À noter qu’un accord signé en 1955 avec la CIA avait créé un réseau « SHEEP SKIN » avec près de 4 000 agents. Cet accord fut dénoncé par le gouvernement socialiste.

Ajoutons que la Grèce avait été intégrée en 1952 à l’OTAN, en même temps que la Turquie. Elle l’a quittée en 1974 à la suite de la crise de Chypre mais est revenue en 1980 à l’Organisation atlantique3.

Macédoine

Un Service de renseignements de Macédoine a été créé en 1997. Roumanie

On trouve dans ce pays un grand nombre de services de renseignements avec une évolution due aux problèmes politiques : jusqu’en 1989, avec la chute du ré­gime de Ceausescu, puis jusqu’à l’heure actuelle.

Notons d’abord que les services suivants – dont il est possible, difficilement, de dresser la liste – sont théoriquement coordonnés par un Conseil de coopération opérationnelle dépendant du Conseil suprême de la défense du pays qui est sous la surveillance d’une commission parlementaire.

  • Directorat du renseignement ;
  • Directorat de la surveillance opérationnelle et du renseignement ;
  • Direction du renseignement de l’armée ;
  • Directorat du contre-renseignement de l’état-major général ;
  • Service du renseignement étranger ;
  • Service de protection et de garde des hauts personnages de l’État ;
  • Service spécial des télécommunications.

Malgré leur nombre, les informations fournies montrent que ces services sont coordonnés4.

Turquie

Il existe dans cet État deux services officiels de renseignements :

  • Le Service de renseignements militaire dépend de l’état-major général. Il collabore avec les organisations stay behind (« réseaux dormants ») pour des actions de guérilla coordonnées par l’OTAN.

Le réseau turc a été mis en place dans les années 1960 avec l’aide des États-Unis mais il reste autonome et subordonné à la Division guerre spéciale de l’état-ma­jor général sous la désignation d’Organisation de contre-guérilla. Il semble que cette organisation subsiste et qu’elle a été intégrée au commandement des forces spéciales.

  • Le Service national de renseignements est responsable de la sécurité inté­rieure et extérieure. Il est composé de six bureaux : lutte contre le terrorisme et la subversion ; techniques et services logistiques ; service du contre-espionnage ; agence de sécurité ; documentation et fichiers3.

Des constatations sur ces services de renseignements

  • Renseignement militaire et renseignement civil vont de pair avec une préémi­nence donnée aux responsables de l’un ou l’autre domaine selon l’histoire du pays.
  • Les coups d’État et les révolutions qui ont ébranlé les Balkans contraignent chaque gouvernement à chercher en permanence les éléments menaçant sa péren­nité parmi des organisations religieuses, des cercles révolutionnaires ou des groupe­ments sans couleur politique nettement définie.
  • Aux activités clandestines qui peuvent se développer à l’intérieur d’un pays s’ajoutent les efforts déployés par certains services d’un pays voisin.
  • Enfin, il ne faut pas oublier les opérations d’espionnage ou d’infiltration me­nées dans les Balkans, par l’ex-URSS ou la CIA en particulier.

 

L’insécurité dans les Balkans

Quand on observe la situation de ces pays, on constate que les tensions en cours ne sont ni isolées ni sans précédent. Elles ont augmenté depuis la chute du mur de Berlin, en novembre 1989, et l’Occident règle encore mal cette question. On a pourtant assisté en Europe à l’adoption et à la promotion des normes en matière d’État de droit, de démocratie, de libertés publiques, de droits de l’homme et de la femme, de minorités, mais les résultats sont encore lents.

 

Les tensions ethniques et religieuses

En voici quelques déplorables exemples : « Serbes et Albanais dans la guerre dra­matique du Kosovo ; Croates et Serbes en Croatie ; Bosniaques, Serbes et Croates en Bosnie-Herzégovine, Slavo-Macédoniens et Albanais en Macédoine ; Roumains, Hongrois, Turcs et Tatars en Roumanie ; Bulgares, Pomaks musulmans et Turcs en Bulgarie ; Albanais et Grecs en Albanie5. » Les causes immédiates et lointaines de ces conflits sont nombreuses et d’ordre linguistique, religieux, géographique, histo­rique et stato-national, et elles engendrent des exclusions de toutes sortes.

Ainsi, un pays comme l’Albanie est devenu une des bases du terrorisme isla­miste, ceci en dépit des efforts du gouvernement pour démanteler les réseaux étran­gers qui avaient trouvé un refuge dans la capitale. L’un des chefs de ces groupuscules déclarait : « Je rêve d’une grande Albanie dans ses anciennes frontières qui inclu­raient les Albanais vivant aujourd’hui au Kosovo, au Monténégro, en Macédoine, dans le Sud de la Serbie et ceux du Nord de la Grèce. J’espère que tous les Albanais pourront vivre ensemble dans un seul pays6. »

On assiste également, depuis des années, à toute une série d’actions pour forcer les Turcs de Bulgarie (environ 9 % de la population) à émigrer en Turquie. Mais cet État ne veut pas les accepter. Toute une propagande s’est alors développée pour expliquer que la Communauté européenne devrait financer un accord d’émigration plutôt que d’envoyer dans les Balkans des forces de maintien de la paix.

Ajoutons qu’en Bosnie-Herzégovine des « Afghans » avaient trouvé un débou­ché mais aussi un laboratoire pour le développement de leurs différentes activités terroristes. Un journaliste italien enquêtant dans ce domaine a été arrêté à Sarajevo pour l’empêcher de parler du trafic d’armes7.

On constate que les structures ethniques sont régulièrement instrumentalisées dans un but politique, avec des zones d’entraînement pour des activistes afghans, pakistanais, turcs…

Les mafias dans les Balkans

On peut les retrouver au moins dans quatre territoires, sans compter leurs im­plantations dans d’autres pays : Albanie, Macédoine, Serbie, Monténégro.

L’effondrement du communisme et le chaos politique qui l’a suivi ont aussi joué un rôle d’accélérateur dans le développement de leurs trafics.

Ajoutons qu’au Kosovo, par exemple, le calme relatif actuel ne doit pas trom­per : en réalité, quinze clans mafieux environ se partagent le pays et ils mettent durablement en danger la stabilité politique et économique des autres pays. On a écrit, à ce sujet : « En Albanie et au Kosovo, les différents clans criminels sont tous affiliés à un parti politique. Les opérations anticrime mafieux font une concurrence souvent à des hommes politiques plutôt qu’entamer l’assainissement du pays8. »

C’est ainsi qu’au Kosovo, pourtant sous protectorat international, les gangs ma­fieux sont très bien placés. Des enquêtes montrent, par exemple, les villes d’Albanie où ils sont bien installés :

  • Elbasan (1 clan)
  • Dùrres (5 clans)
  • Fier (2 clans)
  • Shengjin (1 clan)
  • Shkoder (4 clans)
  • Tirana (2 clans)
  • Vlora (1 clan).

Cette mafia est d’une extrême violence et nettement polycriminelle. Les clans s’illustrent, selon les cas, dans les trafics de drogue, de cigarettes, d’êtres humains (prostitution et immigration clandestine), de véhicules volés, d’armes et de marché publics truqués. Ces bandits s’assurent aussi du contrôle de la route des trafics. Certaines émeutes ou offensives dites militaires ont souvent des sources mafieuses.

 

Les trafics d’êtres humains et la déferlante des Balkans

  1. Depuis l’effondrement de l’URSS et de ses pays satellites, se développent les réseaux de proxénètes. « Des dizaines et des dizaines de milliers de femmes, sou­vent très jeunes, déferlent de l’autre côté de l’ancien rideau de fer. Mais pas seules. Poussées par la misère et le chômage, elles se sont jetées dans les bras des proxénètes, ont cru aux petites annonces alléchantes, aux rencontres séduisantes, aux promesses d’un avenir meilleur9. »

Parmi beaucoup de pays, les Balkans constituent une base de départ. « En Albanie, selon des données de 1998, plus de 14 000 Albanaises se prostituent en Europe. D’après la police albanaise, entre 30 et 40 % d’entre elles ont été enlevées en Albanie et prostituées de force, à l’étranger. Parmi elles, 40 % de mineures10. »

  1. L’exploitation de la prostitution débouche sur d’autres activités. Les sou­teneurs albanais étendent leur empire. Ils ne se limitent pas à leurs compatriotes mais dirigent également des prostituées venues d’autres pays de l’Europe de l’Est, Roumanie, Moldavie et Russie en premier lieu. Ils mettent également sur pied des filières d’immigration clandestines. De plus, à la faveur de la guerre du Kosovo, ils ont augmenté les trafics d’armes et de stupéfiants. Enfin, avec l’ouverture des fron­tières, l’Europe doit lutter contre le développement du proxénétisme.

On a écrit, à ce sujet : « La pègre n’est pas bête. Depuis l’effondrement de l’Union soviétique, la loi et l’ordre ne sont plus ce qu’ils étaient, et il y a davantage de liberté de mouvement. Les profits dépassent l’entendement. Les frais généraux sont faibles, la drogue on la vend une fois, et c’est fini, tandis que les femmes, ça rapporte pendant longtemps11. »

 

Les luttes contre le crime organisé

Les pouvoirs politiques ont toujours lutté contre ces types de délinquance qui mettent durablement en danger la stabilité politique et économique d’un pays, avec tout un fond de crise morale. Mais malheureusement les résultats sont souvent fragiles.

On peut citer plusieurs exemples :

  • En 2003, la Commission de la Communauté européenne a fait un rapport sur cette situation en Albanie. Il était dit : « La criminalité organisée constitue toujours un très grave problème en Albanie. On estime qu’elle est capable de pénétrer les centres de pouvoir du pays, que ce soit au niveau politique ou au niveau écono­ Cette situation menace les perspectives d’une mise en ordre satisfaisante de l’État de droit et, en définitive, les chances de l’Albanie de jouir d’un développe­ment à la fois sain et durable et d’adhérer un jour à l’UE12. »
  • À la même époque parut encore un rapport du chef de la police à Tirana. Il accusait les hommes politiques de « fermer les yeux face au monde criminel. Des responsables de la politique, des hauts fonctionnaires de l’État et de la justice ont ouvertement soutenu ces trafiquants de drogue et ont facilité le blanchiment de l’argent provenant du crime13 ».
  • De son côté, pourtant, le ministre albanais de l’Intérieur, Igli Toska, a lutté en termes très clairs contre le crime organisé. « Il est un danger très présent. Après avoir blanchi leur argent, les trafiquants essaient maintenant de blanchir leur réputation en se lançant eux-mêmes dans la politique ou en achetant des médias. Une chose est sûre, des personnes impliquées directement ou indirectement dans le monde du crime figurent sur la liste des députés aux prochaines législatives14. » Et le gou­vernement n’a pas pu obtenir l’adoption par le Parlement de lois sur l’organisation d’unités spéciales de la police pour lutter contre le crime organisé.

Il faut espérer qu’une politique de répression et de justice dans ce domaine pourra se développer avec l’aide des institutions européennes.

 

Notes

  1. CASTELLAN G., Histoire des Balkans, Paris, Fayard, 2004.
  2. ANCEL J., Peuples et nations des Balkans, Paris, CTHS, 1993.
  3. TEBIB R., Les services de renseignement dans le monde islamique, Paris, L’Aencre, 2001.
  4. BAUD J., Encyclopédie du renseignement et des services secrets, Paris, Lavauzelle, 1998.
  5. YACOUB J., Au nom de Dieu. Les guerres de religion d’aujourd’hui et de demain, Paris, Lattès, 2002.
  6. Agence France Presse, 1995.
  7. ANGOUSTRES A. et alii, Diasporas et financement des conflits, dans Économie des guerres civiles, Paris, Hachette, 1996.
  1. DERENS J.A. et GESLIN L., Comprendre les Balkans, Non-Lieu, 2007.
  2. GAYRAUD J.-F., Le monde des mafias, Paris, Odile Jacob, 2005.
  3. LEGARDINIER C., Prostitution et société, n° 112, janvier 1996.
  4. Le Monde, 28 avril 1998.
  5. Villes et lieux de traite des êtres humains, Lyon, Séminaire du Forum européen sur la sécurité urbaine, février 1999.
  6. AFP, 6 mai 2004.
  7. AFP, 1er novembre 2004.

 

 

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