André PERTUZIO
Perspectives en cas de crises pétrolières
PARLER DE CRISE PETROLIERE au Moyen-Orient, c’est sous-entendre une crise politique aiguë qui entraîne immanquablement des conséquences sur les cours du pétrole ou même sur l’approvisionnement en cette indispensable matière première énergétique.
En effet, les pays producteurs du Moyen-Orient renferment 60% des réserves mondiales de pétrole brut et assurent aujourd’hui environ le tiers de la production mondiale. Il est donc évident que toute crise politique importante dans cette région entraîne une tension sur les marchés pétroliers et une hausse des cours qui peut aller jusqu’à un « choc » pétrolier. C’est ce qui s’est produit en 1973 lorsqu’à l’occasion du conflit entre Israël et les Pays Arabes, ceux-ci ont augmenté volontairement les prix du pétrole brut de 70% tout en réduisant leur production de 5 % avec un embargo sur les exportations à destination des Etats-Unis, d’où une répercussion évidente sur le marché européen. L’OPEP en ayant profité pour décréter une nouvelle hausse, le prix du baril (environ 159 litres) passa dans un laps de temps très court de US $ 2.00 à US $ 10.00. Ce fut donc un véritable « choc » pétrolier, situation qui résulte d’une hausse brutale des cours qui perturbe profondément et durablement l’économie des pays consommateurs.
Depuis lors des crises, notamment en 1979 en Iran, ont été à l’origine de hausses importantes suivies de baisses des cours. Récemment, le brut est monté jusqu’à US $ 79 (en dollar constant 1973 : environ 18 dollars). Dans la perspective d’une crise majeure au Moyen-Orient, l’Europe, c’est-à-dire en ce qui nous concerne, les pays européens notamment occidentaux, lesquels, à l’exception du Royaume Uni, sont peu ou pas producteurs, seraient dans une situation difficile.
Approvisionnement des pays européens
Il convient d’abord d’examiner la politique énergétique et singulièrement la politique d’importations pétrolières des principaux pays européens. Ces politiques sont nécessairement différentes d’abord parce que les économies de ces pays sont hétérogènes, ensuite pour des raisons d’ordres divers notamment la politique des compagnies pétrolières qui achètent et raffinent le pétrole brut.
L’ensemble des sept plus importants pays consommateurs – Allemagne, Belgique, Espagne, France, Italie, Pays Bas, Royaume Uni – a importé en 2005 environ 500 millions de tonnes de pétrole mais la provenance de ce dernier varie considérablement. Les importations du Moyen-Orient vont ainsi de 2 millions de tonnes pour le Royaume Uni, grand producteur lui-même il est vrai, et 8 millions de tonnes pour l’Allemagne soit 7% de ses importations, à 32% pour le Benelux et l’Italie (62 millions de tonnes). La France se fournit à 26% de ses besoins au Moyen-Orient (22,5 millions de tonnes), l’Espagne 24% (14,5 millions de tonnes). En tout ces pays importent 110 millions de tonnes du Moyen-Orient soit 2,200 000 barils/jour soit 22% en moyenne de leurs besoins pétroliers.
Les autres fournisseurs sont essentiellement la Russie, l’Afrique et la Mer du Nord dans la proportion respective de 31% (mais 42% pour l’Allemagne), 23% et 28%. Seule l’Espagne importe une quantité appréciable d’Amérique Latine (17%).
Les crises pétrolières
Comme nous l’avons vu, une crise pétrolière est la conséquence soit d’une crise politique majeure, soit d’une tension politique dans la région. Dans le premier cas cela se traduira par une hausse importante du cours du pétrole brut pouvant aller si elle s’installe de façon importante et durable à un « choc pétrolier » comme celui de 1973, soit de hausses plus ou moins importantes suivies de baisses comme celle que nous avons vécue récemment qui a vu le cours du brut monter jusqu’à US $ 79.00 pour redescendre à moins de US $ 60.00. Ce sont là des hausses conjoncturelles qui sont la conséquence d’un certain nombre de facteurs tels que la situation internationale dans les pays producteurs, l’état des stocks pétroliers notamment américains, l’anticipation de consommation en hausse non confirmée (Chine + 16% en 2004
Les relations entre l’Europe et le Moyen-Orient : Perspectives en cas de crises pétrolières mais seulement + 1,5% en 2005), la situation climatique, la spéculation etc. En fait, il est impossible de prévoir l’évolution du prix du brut avec quelque précision.
Les crises pétrolières peuvent donc être de natures fort différentes selon les cas et leur incidence sur l’approvisionnement des pays consommateurs également.
Dans le cas qui nous occupe, à savoir les relations entre Europe et Moyen-Orient dans la perspective d’une crise pétrolière, le grand problème consiste dans la nature de cette dernière. Plusieurs scénarii sont possibles suivant l’ampleur du déficit pétrolier et la possibilité que l’élasticité des productions autres que celle(s) du ou des pays intéressé(s) puisse ou non le compenser.
Perspectives possibles
Les compagnies pétrolières investissent beaucoup depuis quelques années dans l’exploration pétrolière et les experts attendent pour 2010 ou 2012 une augmentation très sensible de la production mondiale d’environ 12 à 15 millions de barils/ jour qui placerait la production nettement au dessus de la demande et permettrait de grandes possibilités d’ajustement en cas de crise pétrolière. Aujourd’hui cependant – et nous devons raisonner à court terme – l’élasticité de la production est assez réduite. Il est donc certain qu’une crise importante qui ne consisterait pas seulement en une hausse de prix mais en une diminution des exportations, serait un événement aux conséquences très sérieuses.
Reprenons donc les statistiques : les pays européens se fournissant en pétrole au Moyen-Orient pour 110 millions de tonnes par an les pays de provenance sont essentiellement l’Arabie Saoudite pour 60 millions b/j, l’Iran pour 28 millions et 24 millions se répartissant entre Irak, Koweït et Syrie par ordre d’importance. Si donc survenait une crise pétrolière, conséquence d’une crise politique, il y aurait évidemment une hausse importante des cours du brut ; en cas de crise majeure affectant l’approvisionnement tout dépendrait de la zone affectée et de la forme (bouleversement politique ou actions militaires) que prendrait l’évènement.
Cela dit, si pour un temps devait disparaître un approvisionnement de l’ordre de 500 à 600.000 barils/jour, sans doute le déficit pétrolier pourrait être compensé. Dans l’immédiat, un déficit nettement supérieur poserait de sérieux problèmes. Si, notamment, la production saoudienne s’arrêtait, la machine tomberait en panne (il en serait ainsi en cas de blocage du détroit d’Ormuz car la plupart des points de chargement sont situés tout au long des côtes du Golfe Persique). Les grands pays consommateurs disposent certes de stocks de réserves mais ils pourraient difficilement suffire plus d’un mois.
Il ne convient pas non plus de se polariser sur les seules relations Europe Moyen-Orient car une crise affectant par exemple le Koweït qui exporte le plus clair de sa production vers l’Extrême Orient ne serait pas sans répercussion sur l’approvisionnement de l’Europe en raison de la tension internationale ainsi créée sur les cours et l’approvisionnement.
La conclusion à tirer de tout cela est qu’une saine répartition des approvisionnements liée à un développement des productions comme il est prévu pour les années 2010-2015, est indispensable pour l’équilibre des économies en espérant que les relations pétrolières entre l’Europe et le Moyen-Orient n’auront pas à souffrir de crise grave dans un avenir proche.
* Consultant pétrolier international et conseiller juridique à la Banque mondiale.