Les perspectives d’avenir pour le Cameroun 

L’intervention de Dr. Ali RASTBEEN sur « Les perspectives d’avenir pour le Cameroun », lors de la réunion de lancement de la campagne électorale du MPCC (Mouvement Patriotique pour le Changement du Cameroun), présidé par Monsieur Jean Blaise Gwet, pour l’élection présidentielle 2025 au Cameroun, organisée le 13 juillet 2024 à Créteil.

Après 40 ans de domination politique sans partage, le Cameroun connait une reconfiguration du jeu politique, avec l’avènement de nouvelles politiques publiques et l’émergence de nouvelles générations issues de couches sociales différentes. L’époque durant laquelle les comportements individuels ou familiaux condamnables au regard de l’état de droit et du respect des libertés publiques, est révolue.  À l’instar du Sénégal, du Gabon, du Libéria et de la Guinée, les élites dirigeantes africaines se renouvellent par étapes et sans violences.

Le Cameroun est un pays ethniquement et linguistiquement divisé, constitué d’une multitude de clans, d’ethnies et de lignages parlant chacun son idiome spécifique avec des particularités propres. Contrairement à ce qui prévaut pour d’autres pays voisins comme le Gabon et le Congo-Brazzaville, où le français joue à l’échelle nationale le rôle de ciment linguistique, au Cameroun le bilinguisme (français/anglais) constitue un handicap à l’échelon national.

Ce bilinguisme est issu de la double colonisation du pays et s’est traduit par toute une série de violences dont les populations civiles du pays ont été les premières victimes, et les affrontements entre groupes ethniques opposés ont fait 600 000 déplacés et 3 000 morts.

Lorsque le traité de Berlin (1885) décida du partage de l’Afrique entre les principales puissances européennes, le Cameroun se situait à la croisée de plusieurs lignes de partage – entre le golfe de Guinée et le Bassin du Congo – autour desquelles les anglais et les français ne cessèrent de vouloir asseoir et étendre leur pouvoir et leur autorité. La coexistence entre le Cameroun anglophone et francophone est toujours turbulente.  

Mais les Camerounais savent transcender leurs clivages et dépasser leurs divisions, notamment lorsque l’honneur national est en jeu, ou que les intérêts de la nation sont en cause.

Les « Lions indomptables » du Cameroun, est la première équipe africaine qui en 1986 et en 1994, sous l’égide de leur valeureux avant-centres, Roger Mila, parvenue à se hisser jusqu’aux quarts de finale. Ils ont démontré au monde ce qu’est une équipe africaine disciplinée et solidement organisée, en termes de beau jeu, d’exploits individuels, de solidarité dans l’effort et d’efficacité collective.

À l’inverse, les déconvenues essuyées par l’équipe nationale du Cameroun, entre 1996 et 2012 illustrent les faiblesses et les fragilités de la société qui retourne à ses vieux démons, la sorcellerie, l’alcoolisme, l’imprévoyance due à l’esprit de fête et aux addictions aux jeux, aux drogues, aux danses, aux rites vaudous, et qui laisse libre cours à ces pulsions perverses endémiques qui ont pour nom corruption, vénalité, ostentation, quête obsessionnelle de la jouissance immédiate, avarice, cupidité, kleptomanie.

L’avenir du Cameroun dépendra pour une large part de la capacité de sa population à renoncer à ses vieux démons, à fédérer ses énergies, à unir ses forces pour parer aux menaces qui commencent d’ores et déjàà se dessiner :

– Le Cameroun est chroniquement exposé à l’absence de contrôle de la démographie, imputable à la persistance d’une forme d’irresponsabilité masculine ;

– L’exploitation anarchique et incontrôlée de ses ressources minières et pétrolières met en péril l’avenir du pays, témoignant de sa vassalisation géopolitique à l’égard des États-Unis, de la Chine et de la France. La croyance erronée sur le caractère inépuisable de ses ressources stratégiques expose à terme le pays à des risques de grave pénurie ;

– L’explosion démographique et la corruption à grande échelle, qui affligent le Nigéria voisin : la domination de quelques clans et réseaux sur l’économie du pays et en particulier sur les industries minières et énergétiques affectent des pans entiers de la société, à l’instar de l’anarchie constatée dans des mégapoles comme Lagos. Un tel débordement à l’intérieur du territoire camerounais est hautement probable. Doté d’une faune et d’une flore extraordinaires, le Cameroun dispose de quelques-unes des plus belles et des plus riches réserves animalières du continent africain et du monde.

Mais les pressions extérieures provenant de la Chine et des pays d’Asie du Sud-Est, notamment jointes à la corruptibilité d’un certain nombre d’agents de sécurité et de gardiens de réserves liée à la faiblesse des rémunérations proposées par l’administration d’État pour la gestion des parcs nationaux, conduisent à une explosion des pratiques de braconnage et de trafics de contrebande.

Un scénario du type Libéria/Sierra Leone (multiplication des groupes rebelles vivant de l’exploitation illégale et sauvage des diamants, et financement d’un arsenal de guerre à partir des recettes tirées de cette vente illégale, leur assurant leur autonomie financière au moyen d’alliances avec des mafias internationales, voire avec des groupes terroristes internationaux) n’est pas du tout à exclure. Si les autorités camerounaises n’y prennent pas garde, le Cameroun pourrait subir le même sort que la République de Côte d’Ivoire à partir de 2001 – coup d’État du général Guey, opposé à la politique menée par Henri Konan-Bédié – jusqu’à aujourd’hui – réélection à la présidence d’Alassane Ouattara, pour un troisième mandat, à la suite de l’éviction puis du déferrement de Laurent et Simon Gbagbo devant les juges de la Cour pénale internationale de La Haye. La Côte d’Ivoire a longtemps été présentée comme un modèle de décolonisation réussi, de réussite économique, et comme la vitrine de la politique française de coopération en Afrique. Le Cameroun pourrait vivre le même phénomène d’effondrement interne par l’importation des conflits des États voisins.

Une telle situation aurait des effets directs sur des milliers de franco-camerounais vivant au Cameroun. Les kidnappings pourraient alors se multiplier, avec des demandes de rançon, des tentatives de pression, d’intimidation, des menaces, des chantages exercés sur les familles d’otages par les ravisseurs.

Un phénomène qui avait été observé en 2013 au Mali au moment du lancement de l’opération Serval. La présence soudaine d’importants contingents de soldats français dans ce pays francophone envahi par des troupes armées – issues de la convergence d’intérêt entre groupes Touaregs, forces rebelles infiltrées depuis l’Algérie et la Lybie, et mouvements djihadistes internationaux (du type AQMI) financés et équipés par les pétromonarchies du Golfe – avait à l’époque provoqué une réaction immédiate et directe du groupe Boko Haram.

Connu pour la finesse acérée de ses croquis caricaturaux et pour sa haute vision des enjeux géopolitiques africains, le dessinateur Willem pointait du doigt le risque accru d’enlèvement pesant sur les ressortissants français ou franco-camerounais présents au Cameroun.

Malgré des liens de subordination distendus et complexes, le lien entre l’opération Serval déclenchée au Mali le 11 janvier 2013 et l’enlèvement, le 19 février 2013 au Nord-Cameroun, de la famille Moulin-Fournier (trois adultes et quatre enfants), avait pu être établi. Un indice supplémentaire qui indique que la France ne saurait se désintéresser de ce qui se passe au Cameroun. Sans entrer dans une démarche d’ingérence ou vouloir imposer de force sa propre vision – démarche arrogante et teintée de paternalisme qui avait largement contribué à la rupture des liens diplomatiques avec les nouveaux pouvoirs militaires établis au Mali, au Burkina-Faso et au Niger –, une forme de vigilance accrue dans l’intérêt futur, tant des ressortissants français que des populations et des institutions camerounaises elles-mêmes, pourrait, dans le respect, naturellement, des volontés légitimes exprimées par les Camerounais eux-mêmes, contribuer à prévenir les dangers les plus pressants et à parer aux menaces de basculement violent les plus probables.

Il est donc grand temps que les hommes de bonne volonté des deux pays se rapprochent et coopèrent afin de contribuer à l’émergence et à l’accession au pouvoir d’élites formées et cultivées, capables de prendre en main la destinée du pays.

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