Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de géopolitique de Paris
Le Yémen occupe une position géographique stratégique au carrefour de l’Asie, de l’Afrique et de l’Europe et sur la route commerciale, ainsi qu’entre l’océan Indien et la mer Méditerranée.
Toutefois le Yémen maintenait par sa pratique politique, l’unique démocratie de la péninsule, permettant notamment aux femmes de voter depuis 1970, droit alors inexistant dans les pays du Golfe persique.
L’agression saoudienne contre le Yémen depuis le jeudi 26 mars 2015, est une ingérence caractérisée dans les affaires internes d’un pays souverain, selon le Droit public international.
Entre 2009 et 2010, l’agression de l’Arabie Saoudite au Yémen avait déjà fait 1 600 000 victimes dans la quasi-indifférence générale. Aucun principe ni valeur militaire international n’y trouvant son compte.
Mais au-delà des prises de positions diplomatiques et des déclarations verbales des responsables politiques, la communauté internationale et plus particulièrement l’Union européenne porteuse des valeurs humanistes qui sont les siennes, se doivent de poser les questions concernant le cœur de cet inacceptable drame humain : qui sont les vrais antagonistes et protagonistes de la catastrophe actuelle au Yémen et quelles sont leurs motivations ? L’Arabie saoudite dès le début a mobilisé 150 000 militaires et 170 avions de combat, dont les Emirats arabes unis en ont engagé 30, Bahreïn et le Koweït 15 chacun.
En plus de ces pays du Golfe, voisins du Yémen, l’Arabie saoudite s’est fortement engagée pour mobiliser l’Égypte, la Jordanie, le Soudan, le Pakistan et le Maroc. La Ligue arabe a aussi exprimé un soutien total à cette coalition.
Cette guerre géopolitique, risque d’avoir un impact et des conséquences majeurs sur le passage d’une partie importante du commerce mondial dont 40% de l’exportation pétrolière des pays du Golfe Persique.
Si l’on examine la situation au Yémen entre janvier et mars 2015, on observe que le mandat du Président Mansour Hadi devait légalement s’achever en février 2015.
Or, celui-ci démissionna de son poste en janvier, avant de quitter le pays :
il apparaît que ce serait un président contesté, démissionnaire et en exil qui aurait demandé une intervention militaire étrangère… pas à l’Organisation des Nations unies dont le Yémen est membre, mais à l’Arabie saoudite, pays répressif, régulièrement dénoncé en matière de violations des droits de l’homme et qui n’expose à ce jour aucun plan de paix clair pouvant prendre le relais de son intervention militaire.
En aucun cas le droit international admet qu’un pays extrémiste et totalitaire puisse imposer par une ingérence caractérisée son aide à un pays en difficulté, et il est donc pertinent de se demander : « Sur quels critères est fondée l’intervention militaire par le Conseil de Coopération du Golfe et leurs alliés, au Yémen ? ».
L’intervention saoudienne a au contraire réussi à transformer la situation nationale yéménite en une anarchie de seigneurs de guerre.
En fait, dès lors qu’il n’existe plus d’administration, que l’armée est désorganisée et dans l’incapacité d’accomplir sa mission de défense, on doit se poser la question de savoir qui est habilité à prendre des décisions au nom de l’État ?
Il est aujourd’hui établi que les autorités yéménites ne contrôlaient plus le Yémen, ne représentaient plus leur peuple et n’avaient plus de légitimité.
De fait, on doit s’interroger de la manière de laquelle le cas du Yémen a été traité par le Conseil de sécurité de l’ONU. Celui-ci a semblé donner quitus à ceux qui veulent installer l’anarchie au Moyen-Orient par la multiplication des crises et des conflits.
Seul le dialogue inter-yéménite doit permettre de sortir de la crise et de rétablir la paix et la stabilité : la formation d’un gouvernement d’unité nationale est nécessaire pour représenter le Yémen devant les instances internationales et, ceci sans ingérence étrangère.
Face à tout ce chaos et ces massacres, il convient de se demander où sont les instances internationales qui veillent à la justice, à la liberté et à la paix, éléments indispensables à la dignité humaine, au sein de toutes les nations ?
Quels moyens de droit ont-ils été utilisés ?
Quelles actions de rétorsion et d’influence ont-elles été appliquées à l’encontre des agresseurs et des criminels ?
Les responsables de cette catastrophe bafouent manifestement en toute impunité le droit international, ainsi que les droits humains les plus élémentaires. Récemment les Pays-Bas, le Canada, le Luxembourg, la Belgique et l’Irlande ont déposé auprès du Conseil des droits de l’homme de l’ONU à Genève, une résolution pour la création d’une commission d’enquête internationale indépendante sur les violations commises par toutes les parties au conflit au Yémen.
Dans sa feuille de route aux ambassadeurs, le président de la république française a promis de ne pas recouvrir d’un « voile pudique » la question des droits humains au nom des intérêts diplomatiques et économiques de la France. Il a invoqué avec force devant l’Assemblée générale des Nations Unies, les droits de l’Homme, « au cœur de la légitimité internationale », et les conséquences dramatiques des violations du droit international humanitaire.
Toutefois, on observe qu’un certain nombre de contrats d’armements de valeur astronomique lient des Etats européens à l’Arabie Saoudite et aux Emirats arabes unis. Or des alliances politiques et commerciales ne sauraient justifier le moindre marchandage sur les principes humanitaires et de droit international.
Mesdames Messieurs, Mesdames et Messieurs les députés parlements: Il est temps pour l’Europe et ses institutions d’apporter un soutien clair à un processus de retour à la paix et la reprise de l’ordre légal et civil au Yémen. Toute autre position enverrait au monde un signal désastreux sur les priorités de la diplomatie européenne et la réalité de ses engagements en faveur du droit international et du droit humanitaire.
Le Parlement européen a adopté une résolution en justifiant que « les frappes aériennes de la coalition menée par l’Arabie et le blocus naval qu’elle a imposé au Yémen (… ) ont conduit à des milliers de morts et ont encore déstabilisé davantage le Yémen ».
Alors, Mesdames et Messieurs les Députés, pourquoi le Parlement européen ne s’engage-t-il pas pour arrêter les combats et faire cesser les attaques contre les civils, et proposer un processus de rétablissement de la paix ?
Fort de cette proposition, le Parlement européen serait à même de placer les protagonistes devant leurs responsabilités en constatant leur réponse au plan de paix proposé dont la proposition préliminaire serait le cessez-le-feu.
Le Parlement européen doit également soutenir l’appel de plusieurs ONG européennes exigeant que les membres de l’UE arrêtent d’exporter leurs armes vers l’Arabie saoudite. Elles affirment que ces pays, notamment la France, l’Italie et la Belgique, enfreignent les droits de l’homme et violent leurs propres lois nationales, qui interdisent de fournir des armes à un pays en état de guerre.
L’organisme des Nations Unies pour les Affaires humanitaires établit à 4 millions le nombre de déplacés, 17 millions de personnes souffrant d’insécurité alimentaire, ce qui représente 60% de la population, 7 millions déjà au stade de la famine. Les infrastructures médicales et sanitaires ont été bombardées par la coalition régionale. Deux tiers de la population n’ont plus accès à l’eau propre. 17% des structures sanitaires ne fonctionnent plus. Moins de 30% des médicaments nécessaires entrent dans le pays. 9 millions d’enfants n’ont plus les moyens de se soigner et d’avoir accès à de l’eau potable ou à des services sanitaires.
Bilan catastrophique en matière des droits de l’homme.
Avec un tel tableau, il serait légitime de s’attendre à ce que l’Arabie saoudite fasse l’objet de sanctions internationales sévères et soit confinée à la marge du système international.
Les règles communes européennes prévoient que les États membres refusent l’autorisation d’exportation si le pays de destination ne respecte pas les principes du droit international humanitaire.
Le soutien militaire de la France aux opérations saoudiennes est donc militaire, logistique et politique, ce qui explique le silence de sa diplomatie. Sa responsabilité dans la complicité des crimes commis au Yémen n’est toujours pas posée. Les parlementaires français restent impassibles. Aucune commission d’enquête parlementaire n’est en place. L’État français se doit de stopper immédiatement toute transaction avec les belligérants du conflit et à effectuer un contrôle parlementaire des ventes d’armes.
Il apparaît qu’il est du devoir des institutions parlementaires, si elles veulent correspondre aux principes humanistes sur lesquels elles sont fondées :
– de décider de la création d’une commission d’enquête aux niveaux nationaux et européens sur les violations commises par toutes les parties au conflit au Yémen depuis le début de la crise ?
– de demander au Parlement européen qu’il exige instamment l’arrêt des combats pour faire cesser au plus vite les attaques contre les civils, le personnel d’urgence et le personnel médical. Il doit également urgemment proposer un processus de rétablissement de la paix pour que cessent également les combats au sol et les bombardements ?
– de prendre immédiatement des sanctions d’ordre économique, financier et politique (tel qu’un embargo sur la vente d’armes et sur l’achat de pétrole, le gel des avoirs à l’étranger) à l’encontre de l’Arabie Saoudite et de ses alliés au cas où ils ne tiendraient pas compte de cette demande des institutions européennes de répondre positivement au plan de paix proposé ?