Jean Michel VERNOCHET
LA CRISE LIBANO-ISRAÉLIENNE de juillet 2006 aura constitué un puissant révélateur de la dynamique des relations géopolitiques globales, apportant notamment un éclairage sur la difficulté de positionnement de l’Union européenne et les divergences existant en son sein.
En un mot, la crise a mis en relief l’inexistence politique de l’Union : ce constat sans nuance peut choquer, il est cependant confirmé aujourd’hui par la fermeture de la parenthèse ouverte à l’occasion du rapprochement franco-américain sur le dossier syrien et l’adoption le 2 septembre 2004 de la résolution 1559 par le Conseil de sécurité à l’initiative de la France. En effet, il semble bien que le désaccord entre l’Élysée et la Maison-Blanche, sur le règlement du contentieux nucléaire iranien, rendu public la veille de la 6lème session de l’Assemblée générale des Nations unies le 20 septembre, n’ait clos cette embellie. En se déclarant hostile aux sanctions à l’encontre de Téhéran, souhaitant même que le Conseil se dessaisisse du dossier et ne voyant désormais qu’une seule issue, celle de la négociation, Jacques Chirac vient très certainement de rompre le pacte tacite de solidarité occidentale qui l’avait rapproché des Etats-Unis après le refus de la France de s’associer à l’offensive américaine de 2003 contre l’Irak.
Durant la quasi totalité de la crise libanaise, tous les observateurs ont été frappés, malgré l’urgence et les risque d’escalade régionale, par l’apparente inertie ou par le lenteur de réactions des différents acteurs de la scène internationale, celles de l’Union européenne (UE) en particulier. Car comment expliquer la « paralysie » qui a semblé frapper les Nations unies, notamment le Conseil de sécurité qui a démontré une fois de plus à cette occasion son impuissance à enrayer une escalade meurtrière laquelle pourtant menaçait immédiatement l’équilibre déjà bien précaire de la région ?
Le « mutisme » ou l’« attentisme contraint » de l’UE durant le conflit a par ailleurs jeté une lumière crue sur l’absence de consensus existant entre les membres de l’Union, voire révélé la présence de fractures profondes au cœur du noyau dur de l’Europe des Six. L’Italie socialiste de M. Romano Prodi n’a-t-elle pas, tout comme le Royaume-Uni travailliste de M. Blair, autorisé le transit sur ses aéroports militaires des engins de destruction massive de facture américaine qui ont détruit la plupart des infrastructures civiles du Liban ?
Nul accord ne s’est effectivement dégagé comme cela eut dû se faire a priori pour recommander un embargo général sur les armes à destination du champ de bataille (à l’instar par exemple de celui décidé par le général de Gaulle en juin 1967) et alors même que les conventions de Genève était de toute évidence violées avec la destruction d’infrastructures civiles telle que les centrales électriques, hôpitaux, ou encore le largage extensif de bombes à fragmentation- 700 000 sous-munitions seront ainsi larguées dans les 72 dernières heures des combats – visant essentiellement les populations non belligérantes.
On avait pourtant vu naguère l’Europe plus « réactive » quand il s’était agi d’intervenir au profit des albanophones du Kosovo. On sait d’ailleurs que, dans ce cas, ce sont l’intervention et les bombardements de l’Otan qui, sous couvert « d’ingérence humanitaire », avaient déclenchés l’exode des civils albanophones. Ce déplacement de population qui avait légitimement suscité de fortes réactions dans l’opinion et dans les chancelleries, était pourtant d’une ampleur considérablement moindre que l’exode de près de 800 000 civils refluant en hâte du Sud Liban et sous les bombardements.
On peut s’interroger longtemps sur les raisons d’une telle disproportion ou d’un tel écart entre la mobilisation internationale dans le premier et le second cas. Notons seulement que les réactions, en particulier de la part de l’Europe, n’ont pas été proportionnelles à l’ampleur du drame libanais et par conséquent à ce qu’elles auraient dû être, compte tenu du concept organique de l’Union connu sous le vocable de « politique de voisinage ». C’est un point que l’histoire retiendra.
Avec le recul et au regard des enseignements tirés de la crise depuis l’entrée en vigueur du cessez-le-feu, l’attitude européenne peut s’expliquer par ce qu’il convient d’appeler un regrettable « attentisme ». Autrement dit, loin de parler et d’agir au nom de principes constituant la charpente juridique de la construction européenne, il apparaît que ce sont les liens, le plus souvent informels, entre certains États-membres et les États-Unis qui ont prévalu dans le choix d’une attitude face à la crise plutôt que l’esprit communautaire, cela au détriment des valeurs censés orienter et déterminer une improbable politique extérieure collective.
La crise libanaise nous a finalement donné le consternant spectacle des divisions séparant les membres de l’Union, situation qui a conduit l’Europe à s’aligner de facto sur le parrain atlantique tout au long de la crise. Les positions n’ayant finalement commencé à se décrisper que lorsqu’il est apparu que l’action israélienne tournait au fiasco et que ses buts de guerres, avoués ou masqués, visibles ou plus lointains, ne sauraient être atteints.
Mais jusqu’aux prémisses du déploiement de la Finul renforcée, lesquelles ont coïncidé avec l’éclatement au grand jour d’une sévère mise en cause par l’opinion et les militaires israéliens de leur équipe gouvernementale, les Européens ont longuement témoigné de leur incapacité à s’autodéterminer face à la montée des périls. Alors comment qualifier autrement que d’« attentisme » l’attitude ayant consisté à ne s’extraire d’un silence « complice » ou à ne réagir concrètement que lorsque les grandes infrastructures du Liban, nombre de villages et le sud de Beyrouth furent réduits à l’état de décombres fumants ?
Faut-il encore souligner le peu d’empressement des Européens à configurer la nouvelle Finul et la valse hésitation de la France marquant le pas jusqu’à sembler revenir sur ses engagements préalables ? Il est vrai que dans les jours qui ont suivi la mise en œuvre d’un cessez-le-feu encore très précaire et dans un silence tout relatif des armes (raid israélien sur Tyr et répliques du Hezbollah) chacun demeurait encore dans l’expectative tant une reprise des hostilités semblait possible sinon probable.
L’Italie ayant pris l’initiative de se porter volontaire pour assumer la direction des forces onusiennes, Paris ne pouvant rester en arrière sauf à perdre la face, et s’est par conséquent senti obligé de surenchérir sur l’offre italiennes en ce qui regarde le nombre d’hommes et le matériel lourd. Mais déjà la grande presse faisait Outre-Atlantique des gorges chaudes des hésitations françaises à s’embarquer dans cette galère : Le Washington Post, le Los Angeles Times, ou encore le San Francisco Chronicle et le New York Times n’ont eu à ce moment de mots assez durs pour fustiger un pays qui se réclamant du statut de grande puissance, se « dégonflait » au moment d’envoyer des troupes. Le Los Angeles Times allait jusqu’à parler d’une « offre pathétique », « pingre », reprochant à George Bush et à Mme Rice de prendre trop de gants avec la France. Seuls le New York Times et le San Francisco Chronicle ont un instant considéré que les préoccupations de la France puissent être légitimes faisant écho en cela au Département d’État, désireux de ménager Paris, utile en la circonstance, qui expliquait le 22 août que le déploiement de la force multinationale prenait plus de temps que prévu parce que la résolution 1701* n’avait pas précisé à qui il incomberait de désarmer le Hezbollah !
Cette résolution instituant un cessez-le-feu alors que l’offensive terrestre israélienne marquait le pas, avait eu un accouchement singulièrement difficile parce que son objet semble-t-il selon Georges Corm, ancien ministre libanais des Finances, était de « transformer une défaite militaire en victoire politique » et avait ainsi laissé dans le flou cette disposition décisive de la R.1559 relative « au désarmement des milices », qu’un étonnant non-dit semblait implicitement incorporer à la mission onusienne. Citons plus précisément Georges Corm, qui s’exprimait ainsi le 15 septembre : « Le Hezbollah a empêché l’armée israélienne de réussir une nouvelle invasion du sud du Liban et a résisté 32 jours de bombardements intensifs aériens, terrestres et maritimes… La bataille a donc été transportée sur le plan politique où elle est loin d’être terminée. Les grandes manœuvres de la diplomatie aux Nations unies se sont efforcées de transformer la défaite militaire sur le terrain en victoire politique à travers la résolution 1701 du Conseil de sécurité. Les Etats-Unis et Israël, avec l’appui de l’Europe, essaient d’imposer une interprétation de cette résolution qui vise à mettre le Liban sous mandat international et à obtenir l’éradication des capacités militaires du Hezbollah. C’est une bataille qui ne fait que commencer ».
À propos du Cheikh Hassan Nasrallah : « C’est un homme d’Etat qui a compris que désormais la bataille se déplaçait au niveau politique. Dans cette bataille, il a marqué des points puisque les Américains et les Français ont dû revoir leur copie au Conseil de sécurité et faire des compromis qui ont abouti à la résolution 1701 qui ne donne pas mandat à la FINUL renforcée de désarmer le Hezbollah ».
Or l’affirmation de Georges Corm, à savoir que «les Etats-Unis et Israël, avec l’appui de l’Europe, essaient d’imposer une interprétation de cette résolution qui vise à mettre le Liban sous mandat international » incite à évoquer en parallèle le cas de Khartoum refusant jusqu’à présent l’installation de forces internationales au Darfour, ceci malgré l’urgence humanitaire, de crainte que celles-ci ne soient le précurseur d’une occupation ultérieure par les troupes de l’Otan. L’exemple entre autres, du Kosovo maintenant au bord de l’indépendance, reste donc bien présent à l’esprit de tous et contribue à perturber l’ « agenda » de la Maison-Blanche.
Je notais personnellement dans mon journal de la guerre, au début d’août, ce commentaire tiré d’une dépêche : « Le retard dans la formation de la Finul, les hésitations européennes à y participer activement, la poursuite du blocus maritime israélien et les entraves mises à la reprise des liaisons aériennes commerciales au Liban, amplifient les inquiétudes de la population. Les Libanais craignent que leur pays ne soit en fin de compte placé sous protectorat international ». Comme on le voit, une crainte omniprésente dans l’opinion des élites du monde arabe, comme dans celle de l’homme de la rue.
Toujours est-il que l’action européenne apparaît avec le recul comme une sorte de rattrapage d’une situation sur laquelle elle n’avait pas prise avant l’épuisement de l’offensive israélienne, sans doute par défaut de volonté politique cohérente. Si en effet la guerre s’était envenimée, comme vraisemblablement le scénario du conflit le prévoyait entraînant l’implication de la Syrie dans le conflit et au-delà de l’Iran « Américains et Israéliens avaient planifié ensemble depuis quelques mois une agression majeure sur le Liban pour éradiquer le Hezbollah du sud du pays » nous dit Georges Corm, conviction partagée comme nous l’avons vu par les cercles d’analyses stratégiques moscovites, l’Europe se devait de rester prudemment en retrait, en spectatrice en quelque sorte. Devant l’échec tout autant israélien qu’américain de la manœuvre, et ayant senti « passer le vent du boulet » d’un embrasement général du Proche-Orient, l’Europe, la France en tête réagirent alors pour détourner la dynamique états-unienne de sa ligne dure et de sa politique de « sanctions » à l’égard de l’Iran impliquant le cas échéant des frappes préventives et un conflit ouvert.
Cette incapacité de la part de l’Union à agir de façon autonome au moment opportun et à dégager un consensus de troisième voie entre les belligérants au profit d’un arrêt rapide des hostilités, n’a en effet commencé à se débloquer que lorsqu’il est clairement apparu que l’action israélienne s’essoufflait et même tournait au fiasco, aucun des buts de guerres, avoués ou masqués, visibles ou lointains, ne pouvant être atteints. Délivrés de l’impossibilité de condamner une action qu’ils avaient laissé faire à défaut de la condamner ou de s’y être opposés, les Européens pouvaient dès lors se rattraper en jouant un rôle dans la consolidation du cessez-le-feu ou mieux encore assurer des tâches supplétives dans le suivi de l’après-conflit.
Scénario de sortie de crise déjà éprouvé dans les Balkans et notamment au Kosovo (Kfor), en Afghanistan (Otan), en Irak (individuellement : Italiens, Britanniques, Polonais, Danois) et maintenant au Liban (Français, Italiens, Allemands).
Ici comme ailleurs, on demande aux Européens et d’essuyer les plâtres et de mettre la main à la poche. L’UE doit ainsi verser des allocations sociales ces jours-ci à 40 000 familles palestiniennes par l’intermédiaire d’une fondation contrôlée officiellement par la Banque mondiale. L’Union a donc diligenté une commission chargé d’évaluer les besoins en reconstruction du Liban, besoins évalués au sommet de la francophonie à Bucarest les 28 et 29 septembre, la Roumanie rejoignant l’Union en janvier 2007. Curieusement, le Liban ne sera pas « représenté » son président, Émile Lahoud, n’ayant pas été invité. Le Premier ministre, Fouad Siniora a en conséquence délégué son ministre de la Culture, Tarek Mitri, au titre de «représentant personnel » ! Si la situation au Liban et dans la région n’était aussi grave les péripéties des dissensions entre Paris et Damas prêteraient à sourire, surtout lorsque l’on sait qu’à Tel-Aviv comme à Washington le débat est à présent ouvert quant à une éventuelle normalisation des relations avec la Syrie !
Impossible enfin d’évoquer l’Europe dans la crise libanaise sans revenir sur la question de la « menace » iranienne et la volte-face de Jacques Chirac à l’égard de la politique du Président Bush. Paris à l’évidence s’est aujourd’hui rallié aux associés énergétiques de l’Iran que sont la Russie et la Chine principalement sur les ressources gazières. Le changement de cap de Paris apparaît comme une sorte de coup de grâce après l’échec de John Bolton au Conseil de sécurité qui a rejeté la politique des sanctions d’autant que Moscou vient de signer ce mardi 26 septembre un protocole additionnel de coopération nucléaire avec l’Iran relatif à la centrale de Bouchehr dont la construction s’opère sous la supervision de la société russe Atomstroyexport.
Autre signe non équivoque envoyé à Washington marquant une fermeté de plus en plus ostensible face aux ambitions américaines au Proche-Orient. Ce raidissement d’une partie de la communauté internationale doit évidemment s’interpréter comme conséquence directe de la tentative avortée des néo-conservateurs d’amorcer un conflit régional au moyen du détonateur libanais. La crise ayant fait long feu, c’est tout le scénario qui perd sa trame. À Paris, à Moscou, à Pékin l’analyse est la même les enjeux géopolitiques, et géo-énergétiques sont tels au PO que le temps est venu de donner un coup d’arrêt au grandiose projet des Thinks tanks américains de « refonte démocratique » de l’Orient musulman.
Il y a un peu plus d’un mois, le commentaire suivant de Joschka Fischer, ex ministre des Affaires étrangères et vice-chancelier allemand entre 1998 et 2005, concernant la crise libanaise et l’Europe, illustrait parfaitement les actuelles divergences qui se font jour entre Paris et Berlin, comme le retour de l’Allemagne de Mme Merkel dans le giron atlantique, à l’instar de la situation de 1990 à la veille d’une décennie de guerre balkanique. Nous en donnons ici de larges extraits de ce qui semble vouloir constituer un significatif alignement de l’Europe sur les États-Unis, au moins pour une partie significative du texte. Chose étonnante de la part d’un « Vert » apparemment contaminé par le complexe obsidional américain relatif à une conspiration terroriste globale. Donnons la parole à M. Fischer !
« La guerre au Liban a cruellement rappelé à l’Union européenne qu’elle a des « intérêts stratégiques », qui sont avant tout des intérêts sécuritaires et que, si elle choisit de les ignorer, elle risque de le payer cher… En outre, la division du travail entre les États-Unis et l’Europe ne fonctionne plus comme au bon vieux temps : la guerre en cours en Irak ronge les capacités militaires américaines et a débouché sur une crise de légitimité morale et politique des États-Unis dans le monde arabe/islamique.
En décidant d’envoyer plusieurs milliers de soldats au Liban pour mettre en œuvre la résolution 1701, le cessez-le-feu de l’ONU, les États-membres de l’Union européenne ont pris la décision la plus significative dans le cadre de sa Politique de voisinage. L’Union européenne est-elle capable de devenir une force politique stabilisatrice dans la zone de conflit la plus dangereuse du voisinage géopolitique immédiat de l’Europe ?
Après la guerre des Balkans dans les années 1990, le Proche et le Moyen-Orient sont les régions voisines à la fois les plus dangereuses et, du point de vue de la sécurité, les plus importantes pour l’UE aujourd’hui. Les principales menaces posées à la sécurité européenne au début du XXIe siècle viennent de cette région. Les menaces concentrées au Moyen-Orient sont diverses : conflits régionaux, idéologies religieuses totalitaires, terrorisme, programmes d’armement nucléaire, barrage à la modernisation, régimes instables et ambitions hégémoniques.
Si quelqu’un se demande quels intérêts l’UE et ses États-membres peuvent avoir dans cette région secouée par les crises, la réponse est qu’il est certain que des intérêts énergétiques et économiques de l’Europe sont en jeu, ainsi que les intérêts vitaux des partenaires et des alliés de l’Europe (Israël notamment). La façon dont le Moyen-Orient va se développer déterminera l’étendue des risques, ou des défis probables, pour la sécurité de l’Europe. Si l’Europe parvient à contenir, voire à résoudre le conflit qui y fait rage, les conséquences pour sa sécurité seront extraordinairement positives.
Le Moyen-Orient se définit aujourd’hui par trois conflits centraux : le conflit israélo-arabe, l’Irak et l’Iran. La fusion du programme nucléaire iranien (et des ambitions hégémoniques iraniennes) et de la situation en Irak ainsi que du Hezbollah au Liban débouchera sur un « Nouveau Moyen-Orient » qui, selon toute probabilité, provoquera une confrontation majeure. Cela impliquera bien davantage que les acteurs et conflits régionaux habituels. La guerre au Liban a abondamment démontré jusqu’où ce dangereux état de choses a déjà progressé. La mission au Liban est à haut risque pour les forces de l’ONU, et pour l’Europe en particulier. La guerre n’a pas provoqué de vraie décision. Ni le Hezbollah ni la Syrie, et encore moins l’Iran, n’ont aucun intérêt dans le succès de la mission de l’ONU. La résolution du Conseil de sécurité présuppose, outre la séparation des combattants, la mise en application de la souveraineté interne et externe du gouvernement libanais élu, sans préciser comment cela va pouvoir se faire avec un Hezbollah politiquement renforcé et militairement supérieur aux forces libanaises ».
Plus pragmatiques sont les issues proposées mais elles semblent aussi être empreinte du traditionnel partage des tâches entre les É-U et l’UE déjà éprouvé dans le traitement du dossier iranien où Washington laissait aux Européens le soin d’épuiser les voies diplomatiques. Reste que le plan tracé et les solutions avancées constitue une indéniable base de discussion pour les membres de l’Union même si le présupposé atlantiste se fait trop insistant et marque la distance qui se creuse aujourd’hui entre Paris et Berlin.
« Toute tentative de désarmement du Hezbollah par les forces de l’ONU signifierait une guerre contre le Hezbollah (et avec la Syrie et l’Iran en arrière-plan), une tâche qu’elles sont incapables d’accomplir. Mais si l’ONU et l’Europe devaient se résigner au rôle de simple observateur au Liban, elles perdraient toute crédibilité. En outre, il y a fort à parier qu’au bout de quelques mois, les soldats de l’ONU se retrouveraient à nouveau entre les lignes de tir des ennemis. La mission devra par conséquent marcher sur des œufs pour mener à bien son solide mandat de stabilisation du pays. Le risque d’échec sera constant et le risque militaire élevé. Pourtant, vu la situation, il n’existe pas de meilleure alternative ».
Étant donné les risques courus par ses soldats, l’Europe sera forcée d’influencer et même d’apporter de manière active des changements stratégiques à l’environnement politique de tout le Moyen-Orient. Avec sa décision en faveur de la mission au Liban, l’UE a franchi un Rubicon militaire. Elle doit à présent soutenir son poids croissant au Moyen-Orient à l’aide d’initiatives politiques. Celles-ci doivent inclure trois éléments-clés : une solution négociée pour la Syrie, la reprise de négociations entre Israël et les Palestiniens et un accord stratégique commun avec les États-Unis quant à la stratégie politique occidentale dans la région (qui concerne le désaccord le plus dangereux de la région, l’Iran).
Cette approche commune constituera le défi essentiel pour l’avenir des relations transatlantiques. Pour l’Europe et ses soldats, l’enjeu au Liban est très important. Il s’agit des intérêts vitaux de l’Europe. La guerre et le chaos au Moyen-Orient ou simplement un vide moral ou politique affecteront directement et perturberont la sécurité de l’UE et de tous ses États-membres. L’Europe se devait donc d’agir, bien que cette décision ait de toute évidence été difficile à prendre. La question primordiale à court terme sera de savoir si l’Europe a réellement les capacités militaires et politiques, la puissance suffisante pour rester, et la volonté commune d’agir en accord avec ses intérêts essentiels au Moyen-Orient. On verra bien. Quoi qu’il en soit, on peut déjà dire : bienvenue dans la réalité ».
Des pistes de convergence existe indéniablement mais les lignes de fracture courent sous la surface sous la surface consensuelle qui pourraient remettre une fois de plus en cause la cohérence du projet européen. Reste ainsi à savoir qui, en cas d’un retour de crise, de Paris ou de Rome et Berlin saura faire prévaloir son point de vue, vision continentale liée aux défis énergétiques qui se profilent sur l’horizon proche, ou solidarité trans-Atlantique ?
* Journaliste, spécialiste du monde musulman.
Notes
* La Résolution 1701 du Conseil de sécurité des Nations unies, adoptée le 11 août 2006, contient les exigences mises en avant par le gouvernement d’Israël suite à l’attaque et au bombardement du Hezbollah en territoire israélien, le 12 juillet dernier, lorsqu’il avait décidé de répondre en déclenchant une opération visant à porter un coup décisif à l’infrastructure réputée « terroriste » de ce mouvement au Sud-Liban: la libération de ses otages, la suppression de la menace du Hezbollah contre les villes du Nord d’Israël et l’application de la Résolution 1559 exigeant du Liban le rétablissement de sa souveraineté sur tout son territoire, le déploiement de son armée jusqu’à la frontière avec Israël et le désarmement du Hezbollah.
Dans son préambule, la résolution met clairement la responsabilité de la crise actuelle sur le Hezbollah, qui pour la première fois est mentionnée nommément dans une résolution du Conseil de Sécurité. Elle appelle à l’application de la résolution 1559 du Conseil de Sécurité des Nations unies, exigeant le désarmement de toutes les milices au Liban et le rétablissement de la souveraineté libanaise au Sud-Liban.
La résolution consacre le droit à l’autodéfense d’Israël. Elle crée une nouvelle FINUL renforcée, dont les effectifs sont portés à 15.000 hommes, et qui pourra entreprendre «toutes les actions nécessaires » afin d’empêcher toute activité hostile dans le territoire où elle opérera. Aucun groupe armé libanais ou autre (milices du Hezbollah ou conseillers militaires syriens ou iraniens) ne devra se trouver au Liban. En outre, la FINUL aura pour mission de faire respecter un embargo d’armes destinées à des groupes libanais autres que le Gouvernement, par la surveillance des aéroports, les ports et les passages frontaliers. La résolution interdit le retour des éléments armés du Hezbollah au Sud-Liban, de la ligne bleue jusqu’à la rivière Litani.