Le Brésil et les BRICS

Général (2S) Henri PARIS

Président de DÉMOCRATIES.

4eme trimestre 2013

Les BRICS (Brésil, Russie, Inde, Chine, Afrique du Sud) sont une alliance de circonstance créée en 2009 à Ekaterinenbourg en Russie. Cependant, l’élément dominant est la Chine qui poursuit un but plus politique qu’économique en regroupant des états émergents.

Le Brésil occupe dans cette constellation le peloton de queue. Il est voué à l’instabilité politique et sociale du fait des inégalités et de la corruption qui gangrènent la société brésilienne. À peine élue, la présidente, Dilma Rousseff est mise en question.

Il n’y A RIEN d’ÉTONNANT À CE QUE LE BRÉSIL compte parmi les pays fonda­teurs d’une union, rassemblant avec lui la Russie, l’Inde, la Chine, ainsi que l’Afrique du Sud qui a rejoint cette union par la suite. En effet, ces pays se veulent avoir en facteur commun d’être pourvus d’un système socio-économique émergent. C’est très vrai donc du Brésil, comme de l’Inde et de la Chine. Cela l’est beaucoup moins de la Russie et de l’Afrique du Sud qui n’ont jamais été dans une situation écono­mique de sous-développement suivie d’un décollage fulgurant de leur économie, grâce à des réformes judicieuses bien senties et bien appliquées par un gouvernement résolument réformateur.

Il n’en demeure pas moins que l’accord des BRICS ne portant pragmatiquement d’autre nom que la réunion des premières lettres de la dénomination des pays fonda­teurs a, comme élément commun fédérateur, un train de réformes économiques et d’infléchissements sociaux, couronné de succès dans les premiers temps de son ins­tauration. Cependant, cet élément commun, à lui seul, est insuffisant, pour expliquer rationnellement l’union des Brics. La République d’Afrique du Sud, notamment, a connu, certes, une révolution sociale sous la forme de l’abolition de Xapartheid, mais aucun train de réformes notoire n’a été lancé pour bouleverser son économie en la propulsant vers les cimes d’un accroissement de son produit intérieur brut (PIB) à deux chiffres. Un autre facteur intervient en se combinant aux deux premiers : un antagonisme profond et viscéral vis-à-vis de la doctrine socio-économique professée par des docteurs de la foi américains en faveur du libéralisme et du libre échangisme à outrance. Cette doctrine, selon l’union, le Brics, n’occulte que très mal l’impéria­lisme américain. Il se déduit de cette opposition une rivalité qui rejaillit sur la scène internationale et qui raffermit l’union des Brics.

C’est d’un commun accord, implicite bien souvent, que les BRICS acceptent le jeu du libéralisme dans leur système extérieur, mais absolument pas au plan Brics. Au plan intérieur, leur économie, assise sur leur système politique, comprend une part de dirigisme variable selon les états. Les remontrances du Fonds monétaire international (FMI) comme de la communauté internationale restent sans portée. En outre, la libre concurrence, de règle au niveau international, est battue en brèche par le très faible niveau salarial par rapport aux pays occidentaux. Il en découle une médiocrité relative du niveau de vie des classes laborieuses, pour emprunter son langage au marxisme. Ce facteur, l’atout éminent des Brics, au niveau concurrentiel de la production des biens et des services, est dénoncé avec force par les états nantis occidentaux.

Cependant, comment s’insurger contre un système socio-politique, débouchant sur une économie nationale sans faire acte d’ingérence dans les affaires intérieures d’un pays ? Aucun article du FMI ou de la Charte de l’Organisation des Nations Unies (ONU) ou encore du Conseil économique et social de l’ONU ne le permet. En revanche, le droit international, issu partiellement de la jurisprudence de l’ONU, condamnant formellement toute ingérence dans les affaires intérieures d’un pays tiers, donne argument aux Brics, pour s’élever contre toute critique occidentale à leur égard portant sur des clauses sociales troublant le libre jeu de la libre concurrence internationale. Le non-interventionnisme américain, père du libre-échangisme, est pris à son propre piège. Comment s’en dépêtrer ? Autrement que par des actions de force ? Autrement qu’en détruisant les fondements des assises internationales que l’on a soi-même édifiées ? Le recours à la « responsabilité de protéger », mauvais décalque du « devoir d’ingérence », n’est absolument pas de mise en l’occurrence.

Pour les Américains, l’aporie est absolument inextricable.

Le Brésil est plongé dans ce nœud de vipères, encore que son PIB dans les années 2010 ait résolument tourné le dos à une progression à deux chiffres. Est-ce une donnée conjoncturelle ? Passagère ? Le même ralentissement de la croissance du PIB s’observe dans les États du Brics, avec évidemment les mêmes interrogations.

Ce phénomène n’est certainement pas artificiel puisqu’il atteint tous les États du Brics. Cependant, avant de se pencher sur le cas spécifique du Brésil, il convient d’examiner ce qu’il en est de l’accord Brics, intrinsèquement comme dans le cadre qu’il offre aux états membres.

Les BRICS

Conclu en 2009 au sommet tenu à Ekaterinenbourg en Russie, l’accord consti­tutif a réuni donc le Brésil, la Russie, l’Inde et la Chine. D’emblée, la Chine se présente comme l’élément dominant. Le groupe BRIC est une alliance, presque informelle, ne comportant pas de secrétariat ou une quelconque structure élaborée. Elle est basée sur le facteur commun qu’est l’émergence économique et une solide défiance à l’égard des Occidentaux, notamment des États-Unis. L’absence de secréta­riat et d’infrastructure normative dénote l’influence prépondérante de la Chine qui répugne à ce genre de construction, l’estimant par trop bureaucratique donc lourde à manier et inutilement contraignante puisque chaque article inclut une clause de réserve, comme il se doit. C’est cette absence de processus normatif qui a permis, en 2010, l’entrée dans le club de l’Afrique du Sud par consensus entre les membres. Les BRIC devenaient ainsi BRICS.

La seule norme est un principe promouvant la tenue d’un sommet annuel et la réunion de responsables désignés en cas de besoin exprimé par un état membre.

L’Afrique du Sud est bien consciente de la faiblesse du taux de croissance de son PIB. La croissance dee PIB, moins de 3 % pour 2012, est largement inférieure à celle de la Chine, de l’Inde et de la Russie, mais supérieure à celle du Brésil qui ne dépasse pas 0,9 % en 2012. L’entrée de l’Afrique du Sud dans le club Brics est motivée pas sa relation avec la Chine qui constitue le lien bilatéral le plus important pour l’Afrique du Sud, même à l’intérieur du regroupement Brics.

L’union Brics est bien d’essence politique et non économique, qui n’intervient qu’en deuxième priorité. À preuve, l’absence parmi les états fondateurs des « dragons asiatiques », dont la candidature n’interviendra que bien après l’acte de fondation d’Ekaterinenbourg. Et encore, ces « dragons » ne posent pas tous leur candidature. Il en est ainsi, à titre d’exemple, de la Corée du Sud, jugée trop inféodée aux États-Unis.

Au sommet de 2011, tenu à Sanya, dans l’île chinoise d’Hainan, le 14 avril, a été vainement proposée la médiation des Brics dans le conflit opposant les Occidentaux et les pétromonarchies à la Libye de Kadhafi. Une même proposition de médiation, visant à trouver une issue à la guerre civile syrienne, fut également repoussée, en 2012, par les Occidentaux.

C’est encore en 2011, les 26 et 27 octobre, que le sommet européen s’est adressé aux Brics pour leur demander d’abonder les Fonds européen de stabilité financière à peine créé et vite transformé en Mécanisme européen de stabilité en juillet 2012. La Banque centrale européenne (BCE) avait été chargée, le 9 décembre 2011, de la gestion du Fonds puis du Mécanisme.

Le 30 octobre 2011, la Chine donne son accord, à la différence du Brésil qui lui préfère le FMI comme intermédiaire. Cependant, la Chine pose deux conditions. La première consiste à obtenir le statut, délivré par la Commission européenne, lui reconnaissant sa qualité de partie prenante à l’économie de marché. La seconde vise à faire entrer le yuan dans un panier comprenant déjà le dollar, l’euro, la livre et le yen et composant l’actif des Droits de tirage spéciaux (DTS) du FMI. La péripétie dénote la puissance financière des Brics, c’est-à-dire de la Chine.

Cette même occasion jette les bases de la création d’une banque de développe­ment des Brics, banque concurrente de la Banque mondiale, estimée trop dominée par les Occidentaux et surtout les Américains.

Le sommet de 2012 a amené Chinois et Indiens à dialoguer plutôt que de ressas­ser leur guerre de 1962. Ce sommet a déblayée les obstacles qui barraient la route à la visite à New Delhi du Premier ministre, Li Keqiang, le 20 mai 2013. Les écono­mies indiennes et chinoises pourraient être complémentaires. L’Inde souffre d’une carence de sa base manufacturière trop faible. En revanche, elle bénéficie d’une forte économie de services. Ainsi la Chine, « Atelier du monde », a un solde exportateur positif dans son commerce avec l’Inde, « Bureau du monde ». En 2012, le déficit indien vis-à-vis de la Chine atteignait 29 milliards de $, soit 15 % du déficit global de sa balance du commerce extérieur. New Dehli vend surtout à Pékin des matières premières, coton, fer… et achète donc des produits manufacturés, notamment des équipements de télécommunication.

Le but poursuivi par les Chinois n’est pas tant de rééquilibrer le déficit indien que, par ce biais, de donner des gages de confiance visant la conclusion d’une al­liance politique. En outre, les Chinois s’efforcent par le même biais de détourner les Indiens d’une alliance avec les Américains.

Le cinquième sommet des Brics s’est déroulé, les 26 et 27 mars 2013 à Durban en Afrique du Sud.

Le projet de banque de développement est repris. La banque devait être dotée d’un capital de 50 milliards de $, à raison d’un versement de 10 milliards par chaque état. Or, il s’est avéré que les Sud-Africains étaient impécunieux tout autant que les Brésiliens et les Indiens. Quant à l’apport russe, il ne pouvait dépasser 3 milliards de $. Le projet a été renvoyé au somme de 2014.

En revanche, les négociations engagées en marge du sommet ont été plus pro­ductives. Russes et Sud-Africains se sont accordés pour créer une sorte d’OPEP du platine, tandis que Chinois et Brésiliens convenaient d’un accord entre banques cen­trales d’un montant équivalant à 30 milliards de $ en yuans et en réals, contournant ainsi la domination du dollar.  voire en se posant en concurrent.

Au plan des relations extérieures, intervient un consensus : les Brics se montrent totalement adversaires de tout autre terme qu’une relation négociée du problème iranien aussi bien que celui du problème syrien. Ils s’inscrivent résolument dans la perspective du rejet de toute intervention étrangère. Le consensus, en la matière, est absolu, même en ce qui concerne le Brésil, bien éloigné cependant géographique-ment du théâtre d’opérations iranien et syrien. Une amorce de perspective commune dans les relations internationales se fait jour.

La montée en puissance des Brics, en tant qu’entité internationale, jouant son propre jeu à l’écart du système orchestré par les États-Unis, est démontrée par les démarches en vue d’une adhésion qu’ont entamée l’Indonésie et la Turquie.

En novembre 2012, l’Indonésie et la Turquie, chacune de leur côté, ont lancé une avance en direction des Brics. Les Brics deviendraient-ils des BRICSIT ? Le sommet de Durban, en 2013, prend acte de la démarche. Au plan géopolitique, l’adhésion de l’Indonésie et de la Turquie étendrait la portée du club au Moyen-Orient avec la Turquie.

Aucun problème normatif ne s’oppose à une telle adhésion. Des inconvénients existent néanmoins. L’Indonésie reste la proie de désordres sociaux et ethniques qui se traduisent par une guérilla larvée. La Turquie se débat entre une vieille tradition laïque kémaliste et un gouvernement se réclamant d’un fondamentalisme islamiste porté au pouvoir par une élection populaire. En août 2013, éclate en plein jour une tentative de coup d’état militaire visant la restauration du laïcisme kémaliste en tant que soubassement du pouvoir étatique. En revanche, la Chine, par ce biais, enfonce un coin dans le mécanisme de l’OTAN. Il n’en demeure pas moins que le régime d’un fondamentalisme islamiste, certes modéré, instauré par le parti au pouvoir, l’AKP, est vulnérable. Le kémalisme n’est certainement pas éteint en Turquie qui, avec l’arrivée au pouvoir de l’AKP, est entrée dans une ère d’instabilité politique structurelle.

Cependant, ces adhésions disparates introduisent au sein des Bricsit des éléments centrifuges qui risquent de faire éclater le club.

Face à la politique monétaire engagée en 2013 par la Federal Reserve Board (FED) américaine, entreprenant de réduire ses injections de liquidités sur les marchés en ne jetant que 85 milliards de $ d’actifs rachetés chaque mois, les Brics ont à faire face à une fuite massive de capitaux. Les investisseurs internationaux, unanimement mais en ordre dispersé, se dégagent des Banques centrales ou des entreprises des Brics. Les Brics, séparément, organisent la riposte : chacun pour son compte défend sa mon­naie, selon les systèmes classiques en vigueur. Aucune politique financière commune n’a été mise en œuvre, puisque la Banque de développement est restée un vœu pieux.

L’inconnue brésilienne

Le Brésil, pays le plus vaste et le plus peuplé d’Amérique latine avec quelque 8,5 millions de km2 et 194 millions d’habitants, se révèle être la sixième puissance économique de la planète. Son PIB en 2012, est de 2517 milliards de $, en pro­gression de 0,9 % par rapport à 2011 et le PIB par habitant en parité de pouvoir d’achat est de 10471 $ en 2010. Les derniers chiffres sont trompeurs, car la société brésilienne se caractérise par une inégalité abyssale. Plus d’un tiers des habitants vit au-dessous d’un seuil de pauvreté du type d’un pays africain sous-développé, particulièrement dans le Nordeste. Ces populations misérables s’entassent dans des bidonvilles, les favellas.

Près de 10 % de la population possèdent les trois quart des terres exploitables. La forêt amazonienne, inexploitable, couvre 50 % de la superficie du pays. La classe moyenne, au sens occidental du terme, n’atteint pas 20 % de la population.

Le Brésil est une république fédérale composée de 26 états et d’un district fédé­ral. La Constitution, datant de 1988, promeut un régime présidentiel avec deux chambres. Le président est élu pour quatre ans et à la majorité absolue des voix des gouverneurs et du district fédéral ainsi que des maires des villes de plus de 200 000 habitants. Il y a certes beaucoup à dire sur ce système électoral qui, institu-tionnellement, fait la part belle aux notables.

Comme tous les pays émergents, le Brésil avec la décennie 2010 connaît un déclin de son économie. Les raisons en sont multiples, beaucoup sont partagées par l’ensemble des pays émergents et leur sont donc communes. Un certain nombre est cependant spécifique au Brésil.

Tous les pays émergents enregistrent une baisse de la croissance de leur PIB. Tous ont définitivement abandonné une croissance à deux chiffres. En 2012, la Chine reste dans le peloton de tête avec 7,8 %, suivie par l’Inde avec 3,9 %, la Russie avec 3,4 % et l’Afrique du Sud avec 2,5 %. L’Indonésie, pays candidat à l’union, affiche 6,2 %, indice moyen et la Turquie, également candidate à l’union, 3,7 %. C’est le Brésil qui est en queue du peloton en ne s’inscrivant que pour 0,9 %. Les prévisions de croissance pour 2013 n’anticipent qu’une hausse de 2,5 % du PIB et de 4 % pour 2014, en baisse notoire par rapport aux études précédentes. Ces hausses, rapportées aux pays occidentaux industrialisés et développés, seraient une bénédiction. Mais il s’agit de pays émergents, non encore sortis du sous-développement.

Le moteur déterminant de la crise économique frappant le Brésil est son insta­bilité socio-politique. La deuxième quinzaine de juin 2013 a été marquée par des manifestations monstres qui ont déferlé dans toutes les grandes villes du Brésil : Rio de Janeiro, Sao Paulo, Brasilia… Les Brésiliens étaient dans la rue, conspuant Dilma Rousseff, présidente de la république qui, en quelques jours, a connu une spectacu­laire chute de popularité. Depuis la première semaine de juin, début de la fronde sociale, jusqu’au 1er juillet, son indice de popularité est passé de 57 % à 30 %.

En cause, qui n’est qu’un prétexte : une augmentation du prix des transports urbains. Très vite, le pouvoir a reculé, revenant aux anciens prix. Ce n’est pas pour autant que la révolte a cessé de gagner de nouvelles villes et que le mécontentement relatif à de mauvaises conditions de transport a cessé. La fronde s’est étendue, se dressant contre les inégalités sociales flagrantes, issues de disparités économiques no­toires, qui caractérisent la société brésilienne. Aucun des états émergents n’échappent à ce mal. La richesse produite a bénéficié à une faible minorité, comprenant les nan­tis et une classe moyenne très faible en nombre.

Autre prétexte, les dépenses dispendieuses consacrées à la préparation de la coupe du monde de football, pourtant sport national. C’est qu’en sus de la hauteur des fonds dépensés pour la construction des stades, se pose la question de la corruption qui préside à cette construction comme à toute entreprise au Brésil.

La fronde évoluant en émeute et en crise sociale a amené la présidente à proposer une réforme politique retoquée le 12 juillet par les responsables des partis politiques des deux chambres. Le problème des dividendes du pétrole a également provoqué une ire sociale sans précédent, parce que la présidente proposait une répartition des dividendes limitée à l’éducation nationale et à la santé publique, matières principales en objet de la contestation. Or, la rue, l’émeute, voulait une nationalisation pure et simple, à l’exemple du Venezuela avec une redistribution nationale.

Devant l’ampleur des manifestations qui risquaient de glisser vers une révolte généralisée, le gouvernement de Dilma Rousseff s’est résigné à repousser les réformes institutionnelles au terme de l’élection présidentielle d’octobre 2014. Par cela même, la réélection de Dilma Rousseff était mise en cause, voire en balance. De même, la proposition d’un référendum en cinq points a été repoussée au motif qu’elle était inadéquate avant l’élection, malgré le vœu exprimé par la rue. On aboutit à une crise de régime. La réélection de Dilma Rousseff est très sérieusement mise en question.

La venue du pape, le 22 juillet pour célébrer les Journées mondiales de la jeu­nesse les 23 et 24 juillet 2013, calma l’effervescence… Pour un temps. Le pape, en se rendant spécialement dans une banlieue défavorisée de Rio de Janeiro, une favella, n’accorda au pouvoir en place aucun satisfecit, bien au contraire : tant dans cette visite que dans ses discours et ses gestes évitant la pompe gouvernementale, il se plaçait très ouvertement aux côtés des défavorisés.

Le Brésil suit le régime de l’ensemble des Brics, mais avec un temps d’avance dans la décroissance de la montée de la richesse nationale.

Le recours au FMI serait une calamité. Il est regrettable que les Brics ne soient pas parvenus à un accord sur la fondation d’une banque commune chargée du dévelop­pement, d’un FMI spécifique. L’occurrence cependant n’est pas dépassée, mais reste, désormais, plus difficile à mettre en œuvre.

À chaque pays émergent, les problèmes qui freinent le maintien de la croissance apparaissent. Pour le Brésil, comme pour tous les pays émergents, les inégalités entre les trop nombreux défavorisés et la petite minorité de nantis provoquent des mou­vements sociaux qui ne sont pas de nature à favoriser une économie prospère. Le Brésil partage avec l’Inde et l’Indonésie, un manque criant d’investissement dans le domaine des transports : routes, voies ferrées, installations portuaires, ainsi que dans le secteur énergétique.

Par ailleurs, l’offre de services et de produits manufacturés de grande consomma­tion est bridée par un dirigisme désordonné aussi bien au Brésil qu’en Inde.

Il y a confusion entre une émergence souhaitée et bienvenue et un développe­ment économique durable et harmonieux. En d’autres termes, il y a absence de visées d’avenir, de prospective. Les inégalités provoquent une criminalité croissante que les forces du maintien de l’ordre ne peuvent réprimer, car elles sont trop occupées avec la rue en ébullition permanente.

Le mal endémique qui est la corruption atteint des sommets effrayants. Effectivement, tout s’achète au Brésil, n’importe quel passe-droit est à portée de n’importe quel citoyen. Ce n’est qu’une question de prix. Or, Dilma Rousseff avait établi sa propagande électorale principalement sur l’extinction de la corruption et c’est ce programme que lui avait laissé en legs son prédécesseur Inacio Lula da Silva. Aucun progrès, bien au contraire, n’a été enregistré à ce sujet. Or, cette corruption, par trop visible, alimente la colère de la rue. L’apparition d’une classe moyenne est souhaitée, mais reste à l’état de vœux pieux dans la société brésilienne. C’est en Chine qu’elle est la plus nombreuse, mais trop minoritaire en regard de l’importance de la population.

À l’analyse des composants, la crise brésilienne en gestation avancée, ne serait-elle pas une prémonition d’un drame chinois ?

Un danger majeur guette le Brésil. S’il n’y est mis bon ordre, la révolte latente se transformera inéluctablement en instabilité politique chronique, décourageant encore plus les investisseurs. Le Brésil, pour soutenir son économie et surtout pour faire redémarrer sa croissance a un besoin pressant d’un état juste et puissant.

Une réélection de Lula est à considérer comme une hypothèse sérieuse.

Le même jeu d’hypothèses prospectives semble s’appliquer à la Chine, avec néanmoins une différence notoire. La réforme est aux mains du parti omnipotent, mais lui-même demande à se réformer au plan interne, avant de se lancer dans une réforme nationale. Les tentatives gorbatchéviennes sont là pour démontrer le danger de faire appel à la rue.

L’autre solution, à moyen terme, consiste à se réfugier dans un conflit internatio­nal, remède classique mais éculé et peu digne de la réflexion de la sagesse chinoise.

En guise de conclusion, il est possible d’avancer que le Brésil est l’enfant malade des Brics. Mais il n’a pas été voulu pour tel à l’origine.

L’accord des Brics tient ses assises géographiques à Ekaterinenbourg, en 2009, presque par hasard, en ce sens qu’il est issu d’une étude commune sino-russe. Le ha­sard provient du lieu, de l’accord, lieu rapidement oublié au profit de la philosophie de cet accord. C’est ce qu’en a retenu la communauté internationale : une union des pays émergents dressée à l’encontre des Occidentaux. Il n’y a pas eu d’erreur. À preuve, l’essai raté de création d’une banque de développement des Brics. Pas plus d’erreur en ce qui concerne l’acteur principal de cet accord. Il s’agit bien de la Chine qui, forte de sa nouvelle puissance, cherche à s’implanter de par le monde.

En outre, la globalisation jouant, il eut été profondément anormal à l’époque, tout comme dans la décennie 2010, que la Chine n’aille pas chercher des alliances sur tous les continents ; donc, voici, voilà le Brésil entraîné aux côtés de la Chine et de ses partenaires. Le but chinois n’est pas uniquement une alliance des économies, mais aussi une alliance politico-stratégique transcontinentale à l’ère de la globalisation.

L’émergence est quelque peu artificielle. Pour prendre un exemple simple, voire simpliste, confinant à l’absurdité, mais néanmoins parlant, donc valable, un pays sous-développé, lorsqu’il produit une cacahouète et qu’il double sa production en un an pour produire ainsi deux cacahouètes, a donc une croissance de 100 %. Certes, cela relève du domaine du royaume ddAbsurdie. Il n’en demeure pas moins qu’il y a là une parcelle de vérité.

D’une manière tout aussi évidente, l’instauration des Brics et encore plus leur extension à l’Indonésie et à la Turquie dénote une volonté affirmée de la Chine d’être présente sur la scène internationale et d’y intervenir.

L’échec de la banque de développement des Brics n’est pas rédhibitoire. Cependant, jamais le Brésil ne pourra y concourir à raison de 10 milliards de $ pas plus que l’Inde ni la Russie. En revanche, le signal est clair : la Chine est présente sur le marché financier international.

L’approche du sommet du G20, les 5 et 6 septembre 2013, amène le Brésil et l’Inde à réagir. L’Inde a subi le choc d’une dépréciation de sa monnaie face au dollar de 20 % de 1995 à 2013. Elle est donc contrainte à l’action. Faute d’un apport de 10 milliards de dollars, New Delhi et Brasilia proposent, à eux deux, 1 200 milliards de $. Ce capital de la Banque à créer pourrait être plus conséquent avec un apport chinois atteignant 50 000 milliards de $ et non plus 10 000. Certes, la Chine est capable d’un tel apport, néanmoins il est risqué. Tout aussi risquée, l’ouverture d’un conflit avec le dieu dollar.

Les Brics sont tous en proie à deux maux qu’ils partagent, tous sans exception aucune : l’inégalité sociale et la corruption.

Ce sont deux maux, générateurs d’une instabilité politique qui risque de ruiner l’émergence et de conduire les Brics à leur perte.

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