L’AVENIR DE L’EUROPE : ENJEUX GÉOPOLITIQUES ET PERSPECTIVES MÉTAPOLITIQUES 

Le Conseil scientifique de l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé un colloque sur « L’avenir de l’Europe », mardi 11 mars 2025.

Le début de la guerre en Ukraine constitue indéniablement une bascule à la fois historique et géopolitique pour l’Europe, mais aussi pour le monde entier. Cette guerre multidimensionnelle a bouleversé les sociétés, les économies et les équilibres diplomatiques fragiles à travers le monde, entraînant un vaste mouvement de recomposition géopolitique du monde contemporain, caractérisé par le retour d’un ordre international fondé sur le rapport de force, mais aussi sur une contestation croissante de la domination de l’ordre libéral occidental.

En effet, cette bascule géopolitique semble bien révéler l’avènement d’un nouveau paradigme des relations internationales en pleine gestation, qui se matérialise non plus par le seul déclin du système occidental, mais aussi par un retour du duopole russo-américain avec l’administration Trump, voire la dimension mondiale d’un condominium Washington-Pékin-Moscou. La Conférence de Munich sur la sécurité, qui s’est tenue du 14 au 16 février, a vu se fracturer la relation atlantique, alors que l’UE a été marginalisée, écartée des négociations sur la paix, reléguée une fois de plus à son rang de spectateur et de puissance de second rang.

Cette nouvelle reconfiguration de l’ordre mondial, si elle révèle les faiblesses et l’incohérence de l’UE, pourrait très bien constituer un accélérateur de la transformation à la fois militaire, géopolitique, économique, mais aussi civilisationnelle et identitaire de l’Europe. Cette nouvelle donne géopolitique constitue indéniablement une occasion historique inespérée de réfléchir à l’élaboration et à la construction de nouvelles alternatives à la fois identitaires, culturelles, géopolitiques et métapolitiques. Plus qu’une simple réforme, un aggiornamento technocratique de la gouvernance de l’UE, c’est bien une refonte en profondeur de la conception même de l’Europe en tant que destin collectif et vision du monde qui s’impose. L’Europe, en tant que continent et puissance, a besoin d’un retour aux sources de l’identité européenne, par la réappropriation de son histoire, comme préalable à une redéfinition d’une identité géopolitique singulière dans le monde.

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COMPTE-RENDU DU COLLOQUE

Dr. Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), « Les contradictions de la Charte des droits fondamentaux de l’UE : entre ambitions universalistes et influences partisanes ».

La Communauté européenne est née de la volonté de prévenir le retour des horreurs de la Seconde Guerre mondiale. L’intégration économique visait à créer une interdépendance entre les nations, rendant ainsi les conflits moins probables. Les traités de la Communauté européenne du charbon et de l’acier et de la Communauté européenne de l’énergie atomique ont mis en commun des ressources clés, favorisant la coopération et la reconstruction.

La Communauté économique européenne, à ses débuts, se concentrait sur la stabilité économique et la prospérité.

Les principes de l’ordo-libéralisme, tels que la stabilité monétaire et la liberté d’entreprise, étaient au cœur du projet.  Le « miracle économique allemand » a servi de modèle, illustrant le succès de ces principes. Le traité de Rome, a mis en avant les quatre libertés de circulation fondamentales ; des personnes, des capitaux, des marchandises et des services. L’Acte unique et le traité de Maastricht ont élargi les ambitions de l’Union européenne, en y ajoutant des dimensions politiques et sociales.  La Charte des droits fondamentaux a été conçue pour incarner les valeurs éthiques de l’Union européenne.

Son adoption progressive a marqué une étape importante dans l’affirmation de l’Union européenne en tant que communauté de valeurs.

La Charte proclame que l’Union européenne est fondée sur les valeurs de dignité humaine, de liberté, de démocratie, d’égalité, d’État de droit et de respect des droits de l’homme. Elle insiste sur le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

Ces valeurs sont communes aux États membres dans une société caractérisée par le pluralisme, la non-discrimination, la tolérance, la justice, la solidarité et l’égalité entre les femmes et les hommes.

La Charte est organisée en sept titres, chacun consacré à une valeur fondamentale ou à des dispositions générales. Elle reprend et précise les principes fondateurs de l’Union européenne, tout en les adaptant aux enjeux contemporains. Elle affirme leur permanence tout en les adaptant aux évolutions contemporaines. Cette formalisation juridique renforce leur portée, assurant leur reconnaissance et leur application au sein des États membres.

Les valeurs de la Charte proviennent de diverses sources philosophiques, politiques et juridiques, ce qui peut nuire à leur cohérence. L’absence de hiérarchie claire entre ces valeurs rend leur interprétation et leur application complexes. L’Homme que prétend promouvoir l’Union européenne n’est jamais ni défini ni caractérisé.

Des concepts tels que la dignité, la liberté et l’égalité sont sujets à de multiples interprétations, ce qui peut entraîner des conflits. Le manque de précision de la Charte peut la rendre vulnérable aux manipulations et aux instrumentalisations. Agrégat désordonné de droits abstraits, la charte semble ainsi flotter dans les limbes d’un univers éthéré bien éloigné des réalités concrètes vécues par les citoyens et fondamentalement indifférente aux contraintes imposées par les évolutions géopolitiques du temps. L’inscription de certaines valeurs dans la Charte résulte de compromis politiques et de l’action de groupes de pression.

Le lobby féministe a obtenu l’inclusion de l’égalité entre les femmes et les hommes, tandis que les lobbies antiracistes ont promu la non-discrimination.

Les lobbys antiracistes ont obtenu l’inscription à tous les étages des principes de non-discrimination, condition indispensable à l’avènement de la société multiethnique et métissée qu’ils appellent de leur vœu.

Le lobby régionaliste a obtenu que l’évocation du respect des personnes appartenant aux minorités soit ajouté au respect des droits de l’homme comme si ces personnes n’appartenaient pas aussi à l’humanité et n’étaient pas également justiciables des droits de l’Homme. La Charte peine à affirmer son universalité, en raison des compromis politiques qui ont présidé à sa rédaction. La crainte d’être perçue comme arrogante a conduit l’Union européenne à minimiser la portée universelle de ses valeurs.

Dans un contexte de dénigrement systématique de ce qui fit la grandeur de l’Europe et des civilisations européennes, à l’heure où triomphe le wokisme, l’antiracisme et le féminisme le plus sectaire, l’idée même de pouvoir présenter comme universelles des valeurs que l’on prétend par ailleurs fondatrices pour soi-même a clairement paru outrecuidante aux rédacteurs de la charte. La Charte des droits fondamentaux de l’Union européenne est un texte complexe, marqué par des tensions entre ses ambitions universalistes et les influences partisanes. Son manque de cohérence et ses définitions ambiguës peuvent nuire à son efficacité et à son attractivité.

Pour renforcer son projet éthique, l’Union européenne doit renouer avec ses principes fondateurs et se doter d’une vision claire et unifiée de l’homme et de la société.

Recteur Gérard-François DUMONT, Économiste et démographe, Sorbonne Université, Vice-Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), « Les conséquences géopolitiques de l’hiver démographique en Europe ».

Au fil de nos recherches, nous avons mis en évidence les lois de la géopolitique des populations. En considérant les principales caractéristiques contemporaines de l’hiver démographique de l’Union européenne, trois aspects appellent un examen approfondi. Le premier concerne l’évolution du nombre d’habitants à considérer à l’examen de la loi géopolitique du nombre. Le deuxième consiste à étudier le mouvement naturel dont l’évolution doit être examinée sous le prisme de la loi géopolitique de langueur. Quant au mouvement migratoire, ses effets peuvent être analysés notamment sous certains aspects de la loi d’attirance et de la loi des diasporas.

Prof. David ENGELS, Historien, Professeur de recherche à l’Institut Zachodni à Poznań (Pologne) et professeur à l’Institut catholique de Vendée, « Les dernières révoltes grecques contre les Romains et les relations entre Europe et États-Unis au 21ème siècle ».

Pour quiconque douterait encore que la situation actuelle du monde occidental ressemble de manière de plus en plus effrayante à la fin de la république romaine au 1er siècle av. J.-Chr., les dernières semaines ont dû être difficiles à supporter. L’alliance entre Elon Musk et Donald Trump, auxquels l’on pourrait joindre J.D. Vance, comme parallèle au Premier Triumvirat romain, la création de « DOGE » comme outil de proscription et d’épuration politique, le retour volontairement assumé du salut romain sur la scène publique comme symbole d’un certain autoritarisme de droite, l’influence accrue d’hommes politiques défendant l’idéal monarchique dans l’entourage le plus proche du président, le retour au « bon vieil » impérialisme territorial avec les plans d’annexer le Panama, le Groenland et le Canada : partout où l’on regarde, nous semblons comme projetés plus de 2000 ans dans le passé. Comme la Grèce sous la République romaine tardive, les pays européens semblent-ils bel et bien rentrés en pleine décadence et condamnés au rôle de spectateurs, pire, de simples objets d’une histoire sur laquelle ils n’ont plus aucun contrôle ?

Jure Georges VUJIC, Géopoliticien, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, chercheur associé de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), membre du Conseil scientifique de la revue Géostratégiques de l’AGP, « L’identité géopolitique européenne au cœur de la dialectique conflictuelle entre ‘Grands espaces’ et États-nations ».

La fin de la « mondialisation heureuse », avec la remise en cause de l’hégémonie occidentale et la désoccidentalisation du monde, ont révélé un vaste mouvement de recomposition et d’affirmation de néo-empires tels que la Russie, les États-Unis, l’Iran, la Turquie, la Chine, mais aussi l’émergence de puissances régionales du Sud global, qui se projettent dans un avenir de conquêtes et de remise en cause de l’ordre international. L’éclatement de nombreux conflits territoriaux et la réactivation de conflits gelés, illustrent bien ce mouvement de recomposition de volonté expansionniste des anciens empires,  face aux nations qui entendent conserver leur souveraineté territoriale. Parallèlement au vaste mouvement de longue durée qui selon E. Hobsbawm a caractérisé tout le « long XIXème siècle » de décompositions et de recomposition des empires, s’affirme aujourd’hui un nouveau modèle d’État,  l’État civilisation,  qui correspond aux grands espaces civilisationnels (Chine, Inde, Russie), lequel  estime que l’ère des États obsolètes est révolue, et que l’heure est à  la structuration du monde « en grands espaces » comme leviers de projection de puissance géopolitique sur une échelle planétaire. Avec la guerre en Ukraine en tant que première guerre mondialisée, et la possible normalisation des relations entre la Russie Poutinienne et l’Amérique Trumpienne, l’ordre international fondé sur le droit est sur le point de céder à un autre ordre mondial néo-impérial fondé sur les recours de la force. L’Europe, quant à elle, est au centre de cette dialectique conflictuelle entre les « grands espaces » à vocation néo-impériale, et les nations, qui dans le cadre de leur État territorial respectifs,  sont aujourd’hui confrontées à des enjeux géopolitiques existentiels de leur survie, leur souveraineté et leur indépendance.

Prof. Christophe RÉVEILLARD, Enseignant-chercheur en Histoire et Droit international (Université Paris IV-Sorbonne), directeur de séminaire au Collège Interarmées de Défense (CID) à l’École militaire, « L’Union européenne possède-t-elle la capacité de répondre aux nouveaux défis géopolitiques ? ».

Merci beaucoup M. le Président. Je suis très honoré de cette invitation, et je félicite le professeur Vujic qui est le cœur de l’organisation de colloque. Alors, à votre grande déception, je vais descendre de plusieurs étages, puisque nous sommes partis sur des altitudes atmosphériques avec le professeur Engels et le professeur Vujic. En bon collègue du recteur Dumont, je vais revenir à une illustration disons plus concrète du discours sur les défis géostratégiques de l’Union européenne, mais qui s’inscrivent dans la continuité, disons, ou plutôt qui s’insèrent dans cette analyse qui était je dirais beaucoup plus théorique et conceptuelle. Bref.

Évidemment, le sujet se trouve au cœur de l’actualité. Le cadre serait en effet tout à fait propice, le cadre serait évidemment tout à fait propice à cette évolution potentielle de la capacité géopolitique et géostratégique de l’Union européenne, avec un nouveau président américain élu, avec une Union européenne – on l’a oublié, comme si c’était très ancien – qui vient de se renouveler, il y a quelques mois encore (fin de l’été dernier), il y a un renouvellement qui est tout neuf, qui vient de se faire, que l’OTAN est en suspension, je ne reprendrai pas le mot du président sur « l’état de mort cérébrale », et puis que l’Ukraine est toujours en guerre.

Nous avons connu 4 grandes périodes pour l’Union européenne. D’abord 1945-1989. Vous avez en 1954 l’échec de la CED (Communauté Européenne de Défense). La CED, tout ce qu’on vous a dit dessus vous l’oubliez immédiatement, parce que c’est faux. J’ai eu ce privilège de travailler sur les archives de la CED, c’est tout l’inverse de ce qu’on nous dit. Ça n’a jamais été un projet d’armée européenne puisque c’était une fusion, donc une armée unique et pas commune, une fusion de contingents des armées européennes, sous direction américaine. Les FED (Forces Européennes et de Défense) étaient casées directement – je cite le traité – en temps de paix comme en tant de guerre, sous le commandement intégré du SACER (c’est-à-dire du commandant suprême des forces alliées), donc un général américain – je crois qu’à l’époque c’était le général Rodgers mais je ne suis pas sûr –, c’est presque une caricature, qui n’avait qu’un seul maître : c’était le président des États-Unis.

Vous avez la deuxième période, si on peut dire, c’est la naissance de l’Union européenne (UE) avec le Traité de Maastricht (1992). Ex nihilo, venu d’on-ne-sait-où, eh bien on décide qu’il existe une politique étrangère et de sécurité communes, c’est le titre J du traité, ça tombe juste au moment de l’éclatement de l’ex-Yougoslavie, où l’on voit de facto et de jure que non, les États européens n’ont pas la même perception de cet éclatement de la Yougoslavie, c’est-à-dire d’un théâtre européen (le retour de la guerre sur le théâtre européen).

La troisième période, c’est le lancement des missions militaires. Avec une qui est relativement réussie – c’est normal elle est totalement française, évidemment sous coloration de l’Union européenne –, c’est en République Démocratique du Congo (RDC), c’est l’opération « Artémis », tirs à tuer, une vraie opération de guerre, mais manque de chance : il n’y a rien d’européen, tout est français. C’est une labellisation de l’opération « Artémis » en RDC, et c’est tout à fait normal, parce que nous sommes dans un cadre qui est – j’y reviendrai – totalement anti-stratégique et anti-géopolitique.

Et puis la dernière, donc avec la nomination – vous venez de le voir – des hauts-représentants pour l’Union européenne, vous venez de voir M. Javier Solana : pratiquement tous, sauf une militante antimilitaire et antinucléaire qui était Mme. Ashton, tous sont passés par le secrétariat général de l’OTAN, donc les choses sont d’une clarté limpide. Troisième et dernière période, celle de Mme. Von der Leyen, où nous voyons le lancement de tout un programme fondé sur une analyse géopolitique. D’ailleurs elle l’a dit elle-même, la président de la Commission européenne, elle a dit que sa Commission « sera géopolitique ». Le président Macron vient apporter un supplément en créant et en réussissant à fonder quelque chose qui n’a pas de suite, en tout cas de façon concrète, qui est la Communauté Politique Européenne, et on voit cette fusion extraordinaire, cette complémentarité entre les instruments financiers de l’UE et la force opérationnelle de l’OTAN. Qui paye, ne commande pas : c’est exactement l’inverse…

Ce qu’on nous présente – et c’est pour ça que je reprends ce que dit le sage chinois : « si vous aviez pendant une seconde un pouvoir infini, un pouvoir total, que feriez-vous ? Je rétablirai le sens des mots ». Qu’est-ce qui nous trompe aujourd’hui dans le cadre de l’Union européenne ? Ce qui nous trompe, c’est qu’on met des mots sur des notions qui sont inverses. Regardez l’ensemble des libellés de ce qu’on nous présente. On voit une « boussole stratégique », un « fonds européen pour la paix », et évidemment des doctrines stratégiques. En fait c’est exactement l’inverse. Quand vous rentrez dans la réalité de ce qui est présenté, ce n’est qu’une duplication des objectifs stratégiques américains. Le fonds européen pour la paix, c’est le financement de la guerre en Ukraine, et l’ensemble des capacités de l’Union européenne ne sont pas des éléments militaires, des éléments armés, c’est de la gestion de crise qui se place sous la tutelle de la sécurité collective organisée par la Charte de l’ONU. Et dans la vingtaine d’opérations menées sous chapeau de l’Union européenne, qui pratiquement sont toutes finies, les institutions européennes n’ont aucune capacité à planifier des opérations militaires proprement dites, qui ressortent plutôt des moyens des nations cadres, des nations dites cadres. Généralement tout simplement les grands : la France, la Grande-Bretagne quand elle en faisait partie, l’Italie, l’Allemagne, qui prennent en main également la plupart des formats internationaux de négociations, comme la France dans le cadre de la crise russo-géorgienne, ou la France et l’Allemagne pour les négociations de Minsk. Et surtout, j’oubliais, les moyens de l’OTAN, bien sûr.

Donc l’Europe de la défense s’interdit le recours à la force, elle n’est pas directement compétente en matière de défense territoriale, elle n’est pas compétente en matière de projection de forces, elle reste sur des missions de basse intensité. Les missions de guerre restent du ressort américain, je cite Buller, le ressort américain qui est la puissance européenne de plein exercice alors que l’Union européenne ne l’est pas. C’est-à-dire : la puissance extra-européenne est une puissance européenne de plein exercice, tandis que l’Union européenne, l’entité européenne, ne l’est pas. Elle est dépendante du choix atlantiste, elle est sans autonomie stratégique, l’Union européenne a longtemps assumé le fait d’être resté ce qu’elle était devenue pendant la guerre froide : un objet, et non pas un sujet géopolitique. Et tout cela la conduit par conséquent à ne pas pouvoir peser sur l’agenda international d’un monde devenu polycentrique et qu’elle a du mal à comprendre puisqu’aujourd’hui, avec l’arrivée de Donald Trump au pouvoir, n’a plus la ligne de conduite aussi clairement affichée à suivre.

On reprend. Commission « géopolitique », comité politique européen, etc., toutes les doctrines stratégiques européennes, tout cela ne connait pas de réalisation réelle. Je rappelle que l’Union européenne était devenue le creuset, lors de la « mondialisation heureuse » rappelée par notre collègue Vujic, le creuset de l’idée que la fin de la guerre froide avait sonné la fin du paradigme de la puissance, que le nouvel ordre mondial était situé dans l’au-delà de la souveraineté et de l’intérêt national, lesquels était dorénavant subsumés au service de communautés humaines globalisées, fondées sur une citoyenneté réticulaire et pluriculturelle dans le cadre des processus de régionalisation. L’Union européenne a développé un modèle, qui est le primat de l’économique sur le politique, de la société civile sur les dirigeants, et du transnational sur l’interétatique. La remise en cause du concept de puissance s’inscrirait donc dans un universalisme bridant l’expression d’intérêts et d’enracinement stratégiques. Pourquoi pas ? C’est un point de vue. Mais qu’on ne vienne pas nous dire ensuite, avec des airs martiaux, que l’on va créer une défense européenne.

Justement, parlons-en de la défense européenne. Voilà la Communauté politique européenne de notre président Macron. Si quelqu’un la retrouvait quelque part, qu’il me prévienne, parce qu’après les deux réunions eh bien nous n’en avons plus entendu parler. Voici les 9 opérations qu’a lancé l’Union européenne dans le cadre que je vous ai souligné, c’est-à-dire dans le cadre de la gestion de crises. Elles sont pratiquement toutes finies et celles qui perdurent sont aussi importantes, aussi efficaces, aussi essentielles que par exemple les UTM – en bon français – Somalia, depuis 2010 pour la formation de l’armée somalienne.

Alors quels sont les fondamentaux ? Les voilà, et il y a quelques militaires dont je salue la présence ici parmi nos auditeurs, qui retrouvent les fondamentaux nécessaires pour exercer une puissance militaire. La multiplication de programmes et de comités administratifs sont tout à fait antithétiques de la condition d’une défense. Les défauts d’aguerrissement et de cohérence sont indépassables. Quelles sont les armées aguerries aujourd’hui, ici dans l’Union européenne ? Combien de temps faut-il pour les aguerrir ? À part l’armée française et l’armée anglaise, qui pourtant voient leurs théâtres d’opérations diminuer, les armées les plus aguerries sur le territoire européen sont l’armée ukrainienne et l’armée russe. Le défaut d’aguerrissement – qui est un défaut a minima, je dirais que c’est presque le prérequis minima pour une armée, pour rentrer en conflit – n’est assumé par personne.

Il y a évidemment la distorsion des stratégies, et ses répercussions au niveau opérationnel. Et je n’accuse personne en disant cela, mais le dispositif opérationnel allemand est presque l’antithèse du dispositif opérationnel français. Ils ont un dispositif continental, alors que nous nous avons un dispositif de forces de projection. Ils ont des matériels adaptés à ceci, tandis que nous nous avons des rafales marines qui doivent se poser sur un porte-avion pour des projections dans l’ultra-marin. Il y a vraiment un caractère antithétique qui ne peut que se traduire dans les choix fondamentaux des industries de défense.

Et justement parlons des industries de défense. L’état des lieux c’est la projection sur un territoire européen d’une stratégie américaine, c’est-à-dire d’une stratégie qui n’est pas celle de l’Europe. Et cette stratégie nous a amené à devoir défendre des points de vue je dirais ou des postures qui ne sont pas celles de nos intérêts propres. L’élargissement de l’OTAN a suivi , pour reprendre l’expression du Professeur Vujic, une « grammaire » géopolitique atlantiste, qui faisait de l’Ukraine le point nodal, et qui fait également dans le Pacifique de la Chine taïwanaise, les États pivots de la projection géopolitique atlantiste.  

Si nous regardons cet état d’avancement, avons-nous construit un modèle géopolitique européen ? À part l’attractivité matérialiste, qui fait de l’économicisme quelque chose qui peut, effectivement, qui augmente le niveau de vie, qui multiplie les relations marchandes, avons-nous créé ne serait-ce que l’envie de s’insérer dans le modèle culturel européen ? Quel est le modèle culturel européen ? Je ne reviens pas là-dessus, je crois que le collègue Engels l’a bien dit, nous en sommes à la négation de nous-mêmes. Franchement, tous les immigrés, tous les éléments extérieurs frontaliers, ont envie de profiter de l’Union européenne, mais pas de s’insérer dans un programme suicidaire, largement souligné également par le recteur en termes démographiques.

Quel est le danger de l’Union européenne ? Mais, jusqu’en 2023 vous avez ces chiffres qu’on ne vous donne plus. Est-ce que c’est parce qu’aujourd’hui on approche les 2 % réclamés par l’OTAN des budgets militaires que l’on va rattraper plus de cinquante ans de gabegie ? Cinquante ans de gabegie ! Où des armées de l’Europe centrale et orientale n’ont pas le minimum vital en termes militaires. Non seulement ils achètent sur étagère, mais en plus ils n’ont rien ! Donc voilà, c’est quand même important à savoir. Il n’y avait, encore une fois, que l’Allemagne, que la France, l’Angleterre et l’Italie qui ont investi un minima. On ne rattrape pas trente ans, ou voire cinquante ans pour l’Europe occidentale, de gabegie aussi rapidement. Je passe sur les chiffres. Regardez le nombre de militaires d’active. Aujourd’hui, la mobilisation russe sur le front et en mobilisation de second ou de troisième rang, c’est minimum 500 000 personnes, avec une augmentation sur un million très rapidement. Les Ukrainiens ont eux-mêmes mobilisé énormément. Nous en sommes, nous, sur la totalité de l’Union européenne, largement en-dessous. C’est d’ailleurs ce qui freine le plus. Je peux vous dire que dans les négociations, c’est : combien de divisions ? Eh bien, la France, l’Angleterre, arrivent péniblement à formuler la capacité de 30 000 hommes. 30 000 plus 30 000, ça fait 60 000 hommes. La contribution des États européens au budget commun : voilà ce que nous payons à l’OTAN, c’est-à-dire à une stratégie dont nous ne sommes pas les maîtres. Une organisation qui a une stratégie qui ne sont pas les nôtres. Tout ça ne va pas dans la défense européenne.

Aussi, le fait que des États qui ont leur dignité et qui ont le droit d’avoir leur positionnement, mais nous ont entrainé sur des terrains qui ne sont pas forcément absolument les nôtres. Ces États c’étaient les États – on le comprend – qui sont frontaliers ou très proches de la Russie, et qui poussent absolument à l’adhésion de l’Ukraine à l’Union européenne. Cette fuite en avant demandée, je le rappelle, par les différents présidents américains – de quoi je me mêle ! – qui nous disent de quel élargissement, de quelle nature doit être l’Union européenne. Rappelez-vous le Président Bush qui, bien avant le président Clinton, qui ont du haut de leur grandeur de demander au président français d’accepter tel et tel élargissement, notamment l’élargissement turque,  pour des théâtres d’opération qui ne sont pas les nôtres ! Nous serions frontaliers des conflits, en Irak et ailleurs…

Le revenir à la réalité du choc des choix géostratégiques, c’est se rendre compte qu’il est impossible qu’il existe une défense européenne. Une communautarité, une communauté européenne de défense oui, éventuellement, mais surtout pas une Europe de la défense. Regardez : ici vous avez les puissances nucléaires, la France et l’Angleterre, très bien. Les États en jaune, qu’est-ce que c’est ? Ce sont des États qui ont sur leurs bases des bombes américaines. Ces bombes américaines, elles sont soit littéralement pilotées par les Américains eux-mêmes, donc sur des bases in situ, soit pilotées effectivement par des militaires locaux avec un système de double clé. Ce qui implique tout un tas de choses, notamment l’achat du F-35. Si on ne peut pas acheter de Rafales, nous disent nos partenaires, un matériel européen, c’est parce que le système logistique et le système d’adéquation entre les missiles et entre le matériel américain ne peut se faire que sur un F-35. Et c’est normal de la part des États-Unis, on ne va pas leur reprocher de vendre leur matériel. Mais quelle souveraineté européenne est-elle possible dans ce cadre-là ? Même l’Angleterre, qui étaient déjà – allez, on va le dire même si ce sont nos alliés – notre meilleure ennemie, comme on dit – ça fait longtemps que le système nucléaire est sous double clé – Et bien même eux viennent d’accepter, à 100 km de Londres, la création d’une nouvelle base de stockage de matériel nucléaire américain.

Nous avons des systèmes d’investissement – là je me suis limité à 2022 – qui ne vont pas dans notre escarcelle de défense européenne, auxquels il faut ajouter donc que s’est auto-attribué l’Union européenne, avec la complicité des États, c’est très clair, mais auxquels il faut ajouter la facilité européenne pour la paix, qui est en réalité la facilité européenne pour la continuation de la guerre en Ukraine. Et là, on dépasse les plafonds, on atteint des sommets phénoménaux.

Alors, quel est le système ? Ça implique aussi de revenir à des réalités. Je cite Eva Högl, elle l’a dit en 2023. Nous venons de passer en 2025. En 2023, elle n’est pas rien, elle est en quelques sortes l’intermédiaire entre le président et le Bundestag. Elle dit : les 100 milliards qui ont été lancés en 2022 par le, le chancelier Scholtz ne sont pas arrivés encore dans les caisses des militaires de l’armée allemande. Elle dit ça en mars 2023, il y a exactement 2 ans.

Ce ne sont pas 100 milliards, mais 300 milliards. Et elle dit en gros : l’armée allemande est en short. Donc même si les allemands étaient d’un seul coup devenu militaristes, ce que je ne crois pas une seule seconde, il faudrait combien de dizaines d’années pour que l’Allemagne redevienne une force militaire crédible ?

Au niveau des fondamentaux du choix stratégique, il faut une volonté stratégique qui doit évidemment se traduire par une volonté d’exclusivisme. À quoi servent les budgets et l’augmentation du budget ? À quoi sert l’appropriation, par l’Union européenne et la Commission européenne principalement, des budgets européens, les 500 milliards d’euros ? Où vont-ils aller ? Eh bien, vous avez un système qui s’appelle l’EDIP. Et je m’arrête là pour un petit instant. L’EDIP, c’est le programme européen pour l’industrie de défense. Il a été créé en mars 2024, l’EDIP. Vous vous souvenez, je parlais du pouvoir des mots tout à l’heure. Officiellement, c’est : « pérenniser les dispositifs militaires d’urgence ». Excusez-moi, ça a été lancé en 2022 et c’est devenu l’EDIP en mars 2024, dans la foulée de l’invasion russe, donc, de l’Ukraine. Le projet de règlement de la Commission européenne était, là encore le pouvoir des mots, se voulait d’être une « boîte à outils destinée à inciter les États membres à acheter européen ». Je pense maintenant vous avoir bien appris que quand on dit quelque chose, c’est l’inverse, c’est-à-dire que en réalité c’était au début un milliard 500 millions d’euros et déjà en 2022 le commissaire à la défense, le lituanien Kubilius assurait que nous arrivions à 500 milliards d’euros. C’est amusant, nous sommes à 500 milliards d’euros.

Alors qu’elle est la question fondamentale. La question, c’est la question des critères. D’un côté, les industriels de défense français. La seule vraie industrie de défense, qui est multi-capacitaire et qui permet à la France justement de disposer de tous les moyens nécessaires à l’autonomie et à l’indépendance. Donc la France, en fait les industriels français – vous savez, je ne fais plus tellement confiance aux politiques depuis qu’ils disent n’importe quoi, donc nous sommes plutôt portés à écouter les gens qui sont concrets, c’est-à-dire les grands industriels de défense – Eh bien nous avons aussi quelques alliés au niveau européen qui défendent une vision évidemment extensive d’un armement made in Europe. C’est-à-dire que pour être éligible, il faut être et que le matériel soit conçu par un groupe européen, sur le sol européen, avec une autorité de conception européenne, qui permet d’utiliser et d’entretenir des matériels sans aucune autorisation extérieure.

Les autres pays, ce sont des pays comme les Pays-Bas, comme la Pologne, comme l’Allemagne, comme les pays qui ont des bases américaines avec du matériel nucléaire, et qui disent que non, les fonds européens doivent aussi financer des armements d’origine américaine, d’origine israélienne, d’origine sud-coréenne… à partir du moment où ils sont produits sur le sol européen. Ça vise quoi ? Ça vise les missiles américains Patriot Raytheon fabriqués en Allemagne par MDBA, ça vise les chars sud-coréens K2 Hyundai Rotem qui sont fabriqués également sur le sol européen.

Alors, l’Union européenne a retenu 65 % minimum de contenu produit est contrôlé par l’Union européenne. Ça veut dire 35 % de matériel qu’on achèterait directement aux américains et aux israéliens, aux sud-coréens. Mais c’est une plaisanterie ! Ça veut dire très clairement que la France, notamment mais il y a d’autres alliés, comme les italiens qui ne sont pas très heureux non plus, et qui verraient évidemment leur pouvoir de propriété intellectuelle, leur capacité de production, leur capacité de mener des laboratoires de recherche, etc. sur le long terme être complètement je dirais absorbée par une communautarisation, par une je dirais absorption de l’Union européenne, et donc d’achat de matériel américain.

Les choses sont vraiment d’une clarté limpide. Il suffit juste de vous reporter, si vous voulez lire des vidéos YouTube qui le disent, sur les auditions à l’Assemblée nationale ou au Sénat des grands patrons de l’industrie militaire française, que ce soit Dassault, Safran, Naval Group, etc.

Nous avons un repère récent, c’est le discours d’Olaf Scholtz à l’Université Charles de Prague. Ce discours du chancelier allemand, tout à fait récent, était en quelque sorte une contrepartie – et je vais entrer dans conclusion – était une sorte de contrepartie du discours du président français à la Sorbonne. Eh bien, ce qu’il a dit, d’une clarté limpide, et c’est ce que je viens de vous écrire : le choix de l’OTAN, donc pas de souveraineté européenne – il n’a pas parlé de souveraineté européenne – l’idéal d’une CED actualisée, c’est-à-dire donc sous commandement américain, et puis il a lancé des programmes de défense, sans d’ailleurs prévenir à temps les Français, des grands programmes de défense qui intègrent certains des alliés, je dirais des clients allemands, sans prévenir la France, sans intégrer les industries de défense française ou européennes, mais avec des technologies américaines et israéliennes. Et puis une absence totale des thématiques françaises : le nucléaire et l’industrie d’armement.

Je voulais prendre trois exemples d’abandons allemands de coopérations avec la France. Très rapidement, et c’est ma conclusion. Le programme de modernisation des missiles. Les Allemands nous ont fait le cadeau d’aller, de pousser jusqu’au début de la chaîne de production avant de se retirer du projet. Merci, Berlin ! Le deuxième, c’est la modernisation du Tigre. Le troisième, ce qui est le plus important – alors, il y a les avions de patrouille maritime, bien sûr – mais le troisième, c’est beaucoup plus important, c’est la coopération militaire spatiale. La coopération militaire spatiale, c’est la capacité, pour l’Union européenne de se substituer à la globalisation de géolocalisation américaine, qu’elle soit d’ailleurs de Starlink ou autre, privée ou publique, mais aussi aux autres projets non contrôlés par le parent, par l’Union européenne ou des États européens. Eh bien, c’est ce que vont faire les Allemands qui, par European Sky Field achètent du matériel américain, Patriot, achètent du matériel israliéen, Larow, alors que, je le prouve tout de suite, il existe du matériel français. Donc, nous avons ici très clairement la cartographie des systèmes antimissiles. Le European Sky Field, défense vraiment américaine, de l’Europe américaine – c’est marqué l’ « Europe américaine » – alors même que nous avions bien cette capacité. Et je prouve cette capacité française, regardez. Si je prends l’ensemble du dispositif, eh bien le système français, que vous voyez être entouré de rouge à chaque fois, fait le travail, fait le job, comme on dit en bon français, sur la totalité de la course. Donc, nous sommes entrés dans une guerre industrielle où nos alliés ont préféré acheter du matériel américain, ou le F-35 est le vrai vainqueur de la guerre en Ukraine, parce que ce qu’achètent nos alliés, par exemple la Roumanie – qui a vraiment les moyens d’acheter du F-35, c’est d’une évidence biblique… – Et bien, ce n’est pas un avion, c’est une garantie pour les États acheteurs de la chaîne logistique, de l’information et du parapluie américain, alors même que, par exemple, sur le SCAF, le système aérien du futur que notre industriel Dassault a mené très loin concernant le rafale, qui est un système de l’avion du futur, qui intègre – pour faire très rapide – un avion de chasse dernière génération avec un essaim de drones, du plus petit drone jusqu’aux drones Neuron que vous voyez ici.

Heureusement, grâce au lobbying de notre industrie de défense, l’investissement est plutôt de 9 milliards du côté de la modernisation du Rafale et de 1 milliard seulement pour le SCAF, parce que pour le SCAF – et je conclus, monsieur le président je vous le promets – nous avons un concurrent. Eh oui, figurez-vous qu’il y a un meilleur avion, soi-disant que le Rafale, et ce meilleur avion, c’est le Typhoon. Il est produit avec un État qui n’est plus dans l’Union européenne, c’est-à-dire l’Angleterre, avec l’Allemagne. Je suis le premier à reconnaître les qualités du Typhoon, mais on est sur un déclassement total par rapport aux Rafales. Mais pire que ça, nos contributions françaises, qui vont sur le concurrent de Boeing, qui est-à-dire Airbus, eh bien, nos contributions françaises au niveau de l’Union européenne – c’est toute l’originalité du système, remarquable – financent le concurrent du Rafale, puisque l’européen Airbus favorise le projet SCAF avec un Typhoon Je ne sais plus quel est l’autre nom, il a deux noms.

Voilà, la boucle est bouclée. J’aurais tellement eu de choses à vous dire. Mais si je vous demandais une chose à retenir de mon propos, c’est : quand l’Union européenne développe son système de propagande fondée sur des mots qui flattent, qui sollicitent le patriotisme européen, soyez sûrs que ça cache une inversion des valeurs. Je vous remercie.

Prof. Michel MAFFESOLI, Professeur Émérite en Sorbonne, Membre de l’Institut universitaire de France, récemment auteur d’Apologie – une autobiographie intellectuelle (2025), « L’Europe ou le retour de l’idée impériale ». 

Bien, monsieur le président. Je vous remercie, en fait il aurait fallu continuer encore. C’est très agréable d’entendre parler de soi, et ça évite qu’on prenne soi-même la parole ! Je le fais avec beaucoup d’humilité pour tout ce que je viens d’entendre. J’avais expliqué que je n’avais aucune compétence géopolitique, peut-être même n’ai-je pas beaucoup d’appétence, à vrai dire. Mais que ma sensibilité théorique, surtout ce que vous venez de dire de moi, c’est plus métapolitique. Mais j’ai vu que le mot métapolitique apparaissait dans le programme.

En préalable, pour vous dire ces petites choses que je pourrais raconter dans un instant, c’est que je pense qu’il faut se débarrasser de ce qui est, ce que j’appelle notre cerveau reptilien. Je veux dire, ce qu’on a sucé depuis la petite enfance, le lait maternel jusqu’à l’Alma mater universitaire, c’est le linéarisme, le mythe du progrès. Moi, ce qui fut ma thèse d’État dans les années soixante-dix, c’était, ce n’était pas original, de faire une critique du mythe du progrès et du progressisme. Encore une fois, ce linéarisme. L’Humanité serait partie d’un point A de barbarie, va arriver à un point B : immigration absolue. N’oublions pas que c’est au 19ème siècle, qui est pour moi le grand siècle de la modernité, que Hegel a formalisé cette idée de philosophie de l’Histoire avec un grand H. Avant, il y avait de l’historiographie, là il y a la philosophie de l’histoire, et par après, je crois que d’ailleurs, l’ambiance, actuellement, de l’intelligentsia, en tout cas en France, et aussi ailleurs, reste sur cette mentalité hegeliano-marxiste, fondamentalement le progressisme, qui reste quand même notre idée de base.

À l’époque de ceux-là, si je cite un peu Joseph de Maistre, j’ai rappelé tout à l’heure à propos du métapolitique que, je dirais, le bon sens et la droite raison réunies nous obligent à observer que sur 2000 ans, qui est notre champ d’observation, il y a des époques. Non pas se linéarisent, mais des époques. En grec, le mot « époque » signifie parenthèse. Une parenthèse s’ouvre, une parenthèse se ferme, et pour moi est en train de se fermer la parenthèse moderne.

Entre les époques – et c’est de là peut-être qu’il n’y a plus grand chose à dire – il y a des périodes, qui durent quelques décennies. Périodes crépusculaires où, d’une certaine manière, on pressent ce qui entraîne s’achever – je dis bien on pressent – et on balbutie sur ce qui est en train de naître. Encore une fois, on n’a pas et on ne peut pas avoir de grands systèmes interprétatifs, Jean-François Liotard l’a bien montré. Eh bien, pour ma part, voyez, quand je dis cela, c’est pour montrer qu’il y a de l’impermanence, et il faut accepter, on ne l’accepte pas, et peut-être de la continuité de la vie. Décadence et renaissance. J’en dirais peut-être un mot tout à l’heure. Je rappelle que ce qui fut la première phrase écrite dans notre tradition culturelle à minima entre deux milliers, c’était (…). Genèse et déclin, déclin et genèse. Voilà, pour ma part, c’est ce qui a obsédé tous mes travaux depuis de longues années en effet. Première banalité.

La seconde banalité, c’est que quand il y a cette transmutation épocale, ce que nous vivons actuellement, eh bien il faut trouver les mots, les moins faux possibles, je ne dis pas encore les concepts, comme c’est pire et c’est enfermé dans des mots. Vous connaissez la formule, je ne peux que la répéter, Camus : « Mal nommer les choses contribue au malheur du monde ». Quand Camus a cette formule, il lit La République de Platon, où Platon montre que quand il y a dégénérescence de quelque chose, en la matière d’une démocratie, la vraie, eh bien il y a ce que Platon appelle la fraude au mot. Je crois qu’actuellement nous visons sur cette fraude. On fait de l’incantation. L’incantation, c’est quand on chante quelque chose dont on n’est pas convaincu. Exemple un peu grivois que je donne, c’est qu’on ne parle jamais autant d’amour que dans un couple qui va se séparer. Nous sommes, dans ce cas-là. En quelques sortes, il y a ce décalage.

Troisième banalité, eh bien c’est quand il y a cette transmutation, quand il y a les mots qu’il convient d’indiquer, eh ben il y a actuellement – nous le vivons de diverses manières – un déphasage entre l’élite et le peuple. On a une idée dans sa vie. On n’en a pas cinquante. La seule idée que j’ai eue, c’est le désaccord, ou l’accord, tant bien que mal, qui existe entre le pouvoir et la puissance. Pouvoirs institués, puissance instituante : quand ça marche, ça va bien. Nous sommes à un moment où il y a justement un désaccord entre cela et, du coup, vous citiez tout à l’heure Hobsbawm, qui a écrit ce livre sur L’Ère des révolutions. Moi, pour ma part, je pense que même cette ère des révolutions est achevée. Et j’ai écrit un livre: s’appelle L’Ère des soulèvements, c’est-à-dire qu’il va y avoir une série de soulèvements en ce sens. Voilà un peu, si vous voulez, le préalable.

Les trois points, de mon exposé : les racines ; un diagnostic, l’Europe moderne ; un pronostic, l’Europe postmoderne.

Alors, les racines. Je me suis amusé à regarder, et je vous prie d’excuser la banalité de mon propos, l’étymologie du mot Europe est une théologie incertaine. C’est-à-dire qu’à la fois c’est Eurus, Obs, la terre large, cette vue, qui est d’ailleurs Pénélope, la belle fille. En même temps l’étymologie sémitique Aruba, la belle femme. Et puis une étymologie phénicienne, Ereb, qui est le couchant. Pourquoi je dis ça ? Je ne suis pas compétent, je ne vais pas aller plus avant, sinon pour vous rendre attentifs au fait que l’Europe, dans le fond, est de frontières incertaines, de langues et de mythologies plurielles. C’est ça qui me parait important. Gardons cette idée-là, et oublions le reste.

Mais c’est à partir de là que s’est constitué je dirais une Europe mythologique, résultat, finalement, des rêves – et c’est sa spécialité, l’imaginaire, que j’ai héritée de mon maître Gilbert Durand – des histoires, des mythes millénaires, qui ont constitué à bien des égards ce que je viens d’indiquer, et dans le fond – je vous rends attentifs aux mots que je vais employer – une structuration contradictorielle. Ce n’est pas la logique du contraire dialectique, dont on a entendu parler tout à l’heure, qui pour moi est fini. La logique contradictoire, c’est une logique où le contraire ne se dépasse pas en synthèse.

Une des expressions paradigmatique de cette logique contradictorielle – (…) Gilbert Durand et quelques autres – le fondement de cela c’est le Cardinal Nicolas de Cues quand il parle de la Coincidencia oppositorum, c’est-à-dire comment il peut y avoir en quelques sortes une coïncidence de choses éminemment opposées, en la matière pour cette racine, le mélange de civilisations. Je dis civilisation, je ne dis pas culture. Il y a une différence, de mon point de vue, entre la civilisation et la culture.

À partir de ces racines, qu’est-ce qu’il s’est passé ? diagnostic : l’Europe actuelle, dans le fond, pour le dire très simplement, c’est l’exportation de l’État-nation d’une certaine manière, et ce qui se passe actuellement en est l’expression. La généalogie : année précise, Révolution française, philosophie des Lumières, révolution industrielle, société de consommation. Par là nous pouvons suggérer cette généalogie aboutissant – le terme, vous l’avez employé tout à l’heure vous-même, cher collègue – à un « économicisme », qui est uniquement préoccupé – si je prends le mot de Péguy, « de la mangeaille » en quelques sortes. Et on voit comment, dans le fond, cette économicisme repose là-dessus.

Du coup, quatre piliers à cette Europe moderne. Moi j’aime toujours repérer un peu ce sur quoi repose une structuration. C’est bien sûr, je l’ai indiqué, le grand rationalisme. Je rappelle que le livre de Weber est important là-dessus (L’Éthique protestante et l’esprit du capitalisme), tout est soumis à la raison, tout doit donner ses raisons, rationalisation généralisée aboutissant au fameux « désenchantement du monde ». Je le rappelle d’ailleurs chaque fois que je le peux, on a traduit (…) « Désenchantement du monde » alors que le vrai sens aurait été « démagification du monde » (…). Le mot vient de « sorcier », donc d’une certaine manière quelque chose de plus fort, ce désenchantement du monde, aboutissant à ce modèle pasteurisé. Pasteur, dans le fond, l’éradication de l’élément perturbateur, ce qui aboutit à une ensemble hygiénisé, l’Europe comme sanatorium généralisé. Dans le fond, on va évacuer en quelques sortes ce qui ne convient pas.

Deuxième pilier, l’utilitarisme, bien sûr, dans cette perspective économiciste : les activités humaines doivent être tout simplement utiles. Je rappelle qu’au Quattrocento, dans Florence la belle, eh bien il y avait Médicis, mais il y avait aussi Michel-Ange et Raphaël. Conjonction en quelques sortes d’éléments opposés, contradictoriels tels que je disais tout à l’heure. Heidegger poussant jusqu’au bout, réfléchissant d’ailleurs sur l’Europe, dit « ustensilarité », c’est-à-dire une conception du monde à la manière des ustensiles de cuisine, que je peux manipuler, manœuvrer, c’est-à-dire que j’ai à la main. Voilà en quelques sortes l’utilitarisme, et cela étant la conséquence – la cause ou la conséquence, cela reste à voir – de cette idéologie du progrès – moi c’est ma critique, je l’ai dit tout à l’heure, essentielle, c’est-à-dire que ce qui est important c’est la flèche du temps. Carl Schmitt, Carl Levitt, ont montré en quelques sorte que cette idéologie du progrès n’était qu’une sécularisation du modèle judéo-chrétien. Le paradis n’est plus céleste, il va être terrestre, mais kif-kif bourricot. Et cela, bien sûr, renvoie fondamentalement à l’oubli du passé, l’oubli de la tradition, puisque la tradition est obscurantiste. Le Moyen-Âge est obscurantiste par construction. Michelet l’a bien développé.

Dernier point de ce pilier, l’individualisme. Là, je rappelle à bien des égards que c’est le pôle central à partir duquel s’est constituée la modernité, Descartes, Luther, Rousseau… On voit bien comment, d’une certaine manière, ces individualismes, principium individuationis, ont fait que l’État-Nation est la cellule de base de l’Europe moderne, protégeant – et je pèse ici mes mots – l’individualité de la communauté.

Voilà en quelques sortes les quatre piliers, de mon point de vue, et voilà mon pronostic : en rappelant avant de le développer rapidement, j’ai été inspiré par un sociologue russo-américain, qui s’appelle Sorokin, qui montre que justement il y a des époques rationalistes et des époques sensualistes. Cela a été repris, d’ailleurs, de diverses manières. Nietzsche à sa manière, Walter Pater pour l’Art, Mannheim pour la pensée sociologique, etc. Alors je ferme cette parenthèse pour dire que, de mon point de vue, actuellement (pronostic, bien sûr ce n’est pas quelque chose de sérieux, c’est un pronostic, un peu un rêve de ce qui me parait être en jeu) au-delà de ces subsidiarité verticales, celle du pouvoir, du pouvoir étatique, du pouvoir technocratique, en bref celle de l’État jacobin exporté, toute chose qui ont été exportées en Europe, pour moi il y a le retour des diverses communautés, territoriales, associatives, communales, corporatives, culturelles, religieuses, etc. Et cela va être conforté par cette petite expression que vous connaissez tous, mais à laquelle il convient de revenir à mon avis : la « secessio plebis », la sécession du peuple par rapport, ou contre l’Europe moderne. Je rappelle que le peuple, quand il n’est plus en accord avec le Sénat, dans la Rome antique, il se retire sur l’Aventin. Il est aussi des analyses dans Le Prince de Machiavel qui montrent qu’à certains moments il y a une différence entre la pensée de la place publique et la pensée du palais.

À mon sens, c’est ce qui est en jeu actuellement. C’est-à-dire, face à une Europe, une Union européenne concédant tout le pouvoir aux banques et aux technocrates, il y a une désaffection structurelle vis-à-vis de l’Europe jacobine, et c’est là où peut-être cette idée de l’idée impériale, le saint-empire romain germanique. C’est bien cela qui est en jeu. Cela peut prêter à confusion, mais dans le fond, c’est une entité symbolique culturelle. Une mosaïque dans le sens simple du terme, unissant des territoires, des terroirs, sur la base de – un terme que nous n’avons pas en français mais que l’école de Palo Alto en Californie a bien développé – la proxémie, c’est régions, cités, cantons, et tout à l’avenant. Voyez, pour moi c’est là ce qui fait la différence entre le pouvoir institué et la puissance instituante. Le pouvoir bien sûr a le pouvoir, la puissance instituante amenant ce que j’ai dit il y a un instant, certainement l’ère des soulèvements.

Intéressant de voir comment, de divers manières, basques, catalans, corses, alsaciens, bretons, bavarois, ceux que je connais, mais on pourrait les multiplier à l’infini – sont tout simplement des affirmations de ce que je viens de dire sur la proxémie et, en même temps, comment peuvent s’ajuster ces éléments ? J’ai dit mosaïque, où il peut y avoir une cohésion alors que chaque pièce de la mosaïque va accorder sa structure, sa couleur, sa configuration. C’est ça, pour moi, l’Europe postmoderne, qui est à l’opposé de l’Europe des Nations.

Pour le dire simplement, c’est la pulsion communautaire et, en effet, c’est ce que j’ai développé en mettant l’accent sur cette dimension émotionnelle. Le sensualisme que développe sur Sorokin. Le sentiment d’appartenance rejoint la diversité de l’Europe mythique, que j’ai indiquée y a un instant, un peu peut-être ce que j’appelle moi la passion Erasmus du XVème siècle, Érasme, d’une certaine manière, et on voit bien ce qui se passait là en termes d’idées, en termes de débats là-dessus.

Voilà ce qui est pour moi, c’est ma conclusion, le nouveau Moyen-Âge en gestation. J’emprunte ici le terme à Nicolas Berdiaev qui a bien sûr écrit un livre fameux en la matière, en gros revenir – et voilà ma distinction, je ne peux pas ici développer – revenir à la culture contre la civilisation. Nous n’avons pas ce débat en France. La philosophie allemande a montré qu’il y avait une grande différence entre culture et civilisation, et de mon point de vue c’est la tendance qui est en jeu actuellement, la fin d’une civilisation, c’est clair, et en même temps on voit des resurgissements de cette idée de culture, déploiement des langues régionales, et le paradoxe – puisque c’est Goethe qui disait « tout moment naissant est paradoxal ». Le paradoxe, c’est qu’on voit bien comment ce retour à la culture va trouver l’aide de l’adjuvant, des réseaux et de la cyberculture.

Moi cette idée m’est venue un jour d’un de mes étudiants, qui avait fait une thèse sur la techno-musique. Il était d’Albi. Une techno-musique très spécifique de cette petite ville, Albi, rentra en connexion avec le même groupe de Bratislava faisant le même type de musique, et c’est à partir de ce réseau, si vous voulez, qu’il y a ce que j’appelle ici la culture Albi et Bratislava pour rendre attentive, en gros, des initiatives locales pluralistes.

Et c’est cela pour moi l’idée impériale. Plutôt que l’État-nation généralisé. C’est-à-dire un lien socia, fondé à la fois sur la raison et l’affect, la création et le plaisir. Et je rappelle, puisqu’un de mes maîtres à penser essentiellement c’est Aristote et Saint Thomas d’Aquin, que Saint Thomas d’Aquin avait cette belle formule : « Nihil est in intellectu quod non prius fuerit in sensu » : il n’y a rien dans l’intellect qui n’ait été dans les sens et c’est ce qui me paraît être en jeu dans ce que j’appelle ici la culture.

S’il y avait deux mots à retenir de mon propos, c’est que ce qui a prévalu dans la modernité, l’État-nation et l’Europe moderne, c’est cette idée d’Auguste Comte, mon compatriote, Reductio ad unum. On va réduire à l’unité : l’un de l’individu, l’un de l’État-nation, l’un des grands systèmes interprétatifs. Pour moi, cette unité est finie. Alors qu’il y a un autre terme qui est important, auquel on ne pense pas assez, c’est l’ « unicité ». L’unité est la réduction. L’unicité, c’est l’expansion. L’unicité, c’est une liaison en pointillé de la diversité, c’est le mystère de la sainte trinité catholique, c’est-à-dire Dieu en trois personnes, où on voit bien comment, d’une certaine manière, il peut y avoir cette unicité qui ne soit pas une unité fermée, en quelque sorte réduite au plus petit dénominateur commun. Et ce qui se passait au Moyen-Âge, l’Église médiévale, les évêchés et les monastères et abbayes, avaient des relations entre eux, mais pas forcément avec quelque chose qui chapeautait le tout.

Voilà, si vous voulez, un peu ce qui me paraît être un jeu actuellement. Je ne sais pas si vous vous souvenez, moi j’étais fasciné ces derniers temps par ce qu’a pu développer au XIIIème siècle autour de Othon de Freising sur la Translatio imperii. Translation d’empire. Mais autour de Freising je rappelle que quand il y a Translation imperii, il faut qu’il y ait une translatio studii, en gros une autre manière de lire, en effet de trouver des noms comme manière de dire cette translation, et pour moi c’est cela qui est en jeu actuellement. Nous sommes en décalage, ou plutôt on ne sait pas assumer et analyser cette Translatio imperii et on reste sur des schémas qui seront, encore une fois, des schémas intellectuels, à bien des égards dépassés, alors que, dans le fond, la sagesse populaire, qui me paraît importante, j’ai dit Berdiaev il parle d’un relevé rythmique, régulièrement, tout à l’heure j’indiquais « décadence ». Maintenant, on a peur du mot décadence, on dit « antiquité tardive », mais quand on n’avait pas peur du mot décadence, on savait que des (…), ceux qui tombent, amenaient à bien des égards une renaissance. C’est la palingénésie de Ballanche, une plante qui va renaître à partir de ses cendres. C’est la mythologie du Phénix. Voilà ce qui me paraît être en jeu actuellement.

Jacques MYARD, Membre honoraire du Parlement, Maire de Maisons-Laffitte, ancien membre de la commission des affaires étrangères de l’Assemblée nationale, « La nécessité de construire l’Europe des réalités. Construire l’Europe des Nations ».

L’Europe à la sortie de la Seconde Guerre mondiale a suscité un immense espoir et est apparue comme un destin inéluctable, afin de sortir des conflits européens. Malheureusement, l’idéologie fédéraliste soutenue par des lobbys technocratiques avides de pouvoir l’ont conduit dans une impasse. En dépit de toute raison, la président de la Commission et certains politiques pratiquent la fuite en avant. Il est urgent de revenir à la réalité, construire une organisation de coopération européenne non-exclusive dans le village planétaire. Le destin de la France se joue certes en partie en Europe, mais aussi en Méditerranée, en Afrique et dans le monde.  Elle a tous les atouts pour assurer et tenir son rang dans le concert des Nations.

Ilya PLATOV, Professeur des Universités, directeur du département russe à l’INALCO,« Une Europe du cœur est-elle possible ? ». 

Il s’agit d’explorer la possibilité d’une refonte profonde du projet européen, en dépassant une simple réforme technocratique pour réintégrer une dimension affective et culturelle à l’identité collective européenne. I. Platov propose d’examiner cette question à travers le prisme du « cœur », notion complexe qui ne se limite pas au sentimentalisme mais inclut aussi les habitudes culturelles implicites, l’intuition et la spiritualité. La réflexion s’inscrit dans le constat d’un trouble existentiel affectant l’Europe, qui se traduit par une perte de sens et une crise des imaginaires collectifs. S’appuyant sur les travaux de Tocqueville, Ilyine, Averintsev, Bibikhine et Kojève, il s’agit de démontrer que la rationalité seule ne suffit pas à mobiliser les peuples. L’Europe souffre d’une muséification de sa culture, perçue comme figée et déconnectée des réalités contemporaines. La bureaucratisation des valeurs – démocratie, droits de l’homme, État de droit – en fait des concepts désincarnés, qui peinent à susciter une adhésion profonde. Enfin, la réflexion s’oriente vers une réhabilitation de la raison et de la culture comme fondements d’un renouveau européen. Plutôt que d’opposer raison et cœur, il s’agit de retrouver une rationalité plus profonde, qui ne soit ni un intellectualisme abstrait, ni un fidéisme sentimental. 

Après cette intervention, un débat a eu lieu.

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