Nicolas HOPTON
Juillet 2005
Depuis 1979 date de la révolution iranienne, la société iranienne a connu de profonds changements qui ne se sont pas nécessairement dus à la Révolution mais qui se sont produits, voire accélérés, durant les vingt dernières années. La modernisation de cette société est un élément
prioritaire de ces mutations. Comme le constate Olivier Roy1, la révolution a accompagné, voire accéléré cette modernisation. La société iranienne s’est d’abord largement urbanisée. En 1975, sur quelque 33,7 millions d’habitants, 47 % des Iraniens vivaient dans des villes de plus de 100 000 habitants. Lors du dernier recensement de 1996, sur une population totale de plus de 60 millions, 61 % résidaient dans les villes, et Téhéran est passée, en vingt ans, de 4, 5 millions à plus de 10 millions d’habitants aujourd’hui.
A présent, les mutations de la société iranienne paraissent sous une influence d’ouverture et de démocratisation du régime islamique. L’économie occidentale marquée par la mondialisation, a mis le peuple iranien entre deux systèmes forts puissants. L’un est interne, le régime islamique contrôle toute progression du peuple et atomise ses aspirations. L’autre est externe, les puissances occidentales tentent de pousser le peuple iranien au rejet du régime islamique en utilisant des influences économiques et culturelles.
Force est de constater aujourd’hui que le pouvoir des religieux s’amollit
par ses échecs de construction d’une société de justice sociale. Le peuple iranien a constaté la nécessité de s’ouvrir à la diversité, à la technologie et de reprendre ses libertés individuelles. La mauvaise gestion du pays, les conditions difficiles de la vie économique et l’obstruction de tout avancement, reflètent le pessimisme de la population, et l’échec patent du régime islamique dans son projet d’atomisation de la société iranienne. La République islamique est aujourd’hui, confrontée à deux enjeux qui s’entremêlent et redimensionnent la perspective de son avenir. Que répondra t’elle devant le défi démocratique que lui lance sa société civile ?
Cependant, les rapports ardus que développe Téhéran avec l’Occident au sujet de l’acquisition de la technologie nucléaire, engagent le pays dans des négociations menées par la troïka européenne E3, acteur clés d’une résolution pacifique de ce dossier.
La coopération britannique se veut complémentaire pour cet acteur ambitieux pour l’économie régionale du Moyen -Orient. Le partenariat anglo-iranien prévoit un programme dans lequel Londres pousse Téhéran à mettre en place des reformes, indispensables, afin de se maintenir dans une région en pleine mutation. Cet engagement suscite des réformes dans de nombreux secteurs. Le gouvernement britannique souhaite aider l’Iran dans ces améliorations. Le constat que nous pourrons dresser ici, relate une situation difficile et très souvent critique dans certains domaines. Nous essayerons de démontrer quels sont aujourd’hui les secteurs dans lesquels l’Iran est resté
LES DROITS DE L’HOMME
Au cours de l’année écoulée, il y a eu malheureusement peu de progrès sur les questions des droits de l’homme en Iran. Un problème a particulièrement retenu l’attention de la communauté internationale : le châtiment des enfants. Nous avons reçu un nombre croissant de rapports concernant la condamnation à mort, la flagellation, voire parfois l’exécution de jeunes délinquants.
Nous avons noté quelques timides améliorations dans le domaine des droits de l’homme. La militante iranienne des droits de l’homme, Shirin Ebadi2, a reçu le prix Nobel de la paix et est retournée en Iran, où elle s’est élevée contre les injustices, à l’encontre des femmes et notamment des enfants. Bien que des éléments purs et durs aient essayé de l’intimider, certains membres du gouvernement se félicitent de cette distinction et la soutiennent dans son action.
Il y a également eu des avancées législatives : par exemple, une nouvelle loi donnant plus de droits (mais toujours pas l’égalité) aux femmes en matière de divorce ; une autre pour amener le « prix du sang » payé aux chrétiens, aux juifs et aux zoroastriens (mais pas à la communauté baha’ie) au niveau de celui qui est versé aux musulmans.
La liberté d’expression
Il semble que les restrictions relatives à la liberté d’expression se soient durcies. Les autorités ont bloqué de nombreux sites Internet et des weblogs contenant des informations ou des commentaires critiques à l’encontre du régime, et ont fermé un certain nombre de journaux réformistes.
Le système pénal et judiciaire
Les pratiques courantes de détention arbitraire après arrestation, de détention dans des prisons hors système pénitentiaire et de torture en détention sont encore une spécificité du système pénal iranien. La déclaration faite l’année dernière par le responsable du pouvoir judiciaire, l’Ayatollah Shahroudi, selon laquelle « toute torture destinée à obtenir un aveu est interdite, et tout aveu obtenu par la torture est nul », de même que la législation qui a suivi, ne semble pas avoir vraiment pris effet. Un récent rapport du rapporteur spécial de l’Onu sur le Droit à la liberté d’expression et d’opinion souligne ces déficits. Néanmoins, nous nous félicitons de ce que le responsable de la Cour suprême administrative ait annoncé en décembre 2002 que la pratique de la lapidation était suspendue et nous espérons qu’elle ne sera pas rétablie. Un « moratoire » analogue sur les amputations a été déclaré en mars 2003. Cependant, nous nous alarmons de rapports faisant état de la poursuite d’exactions de ce type et nous ignorons si des amputations ont été effectivement pratiquées. Le Gouvernement britannique demeure aussi très préoccupé par l’usage que fait l’Iran de la peine de mort et continue à s’en ouvrir aux autorités iraniennes.
Les minorités
Alors que trois minorités religieuses – les chrétiens, les juifs et les zoroastriens – sont reconnues par la Constitution, elles demeurent vulnérables dans une société régie par les lois et les valeurs de l’Islam. La religion baha’ie n’est pas officiellement reconnue – cette communauté ne jouit donc d’aucune liberté constitutionnelle et fait souvent l’objet de persécutions.
Selon la loi iranienne, la conversion d’un musulman à toute autre religion (apostasie) est un délit, théoriquement passible de la peine de mort.
La Grande-Bretagne poursuit régulièrement et à tous les niveaux ses démarches auprès des autorités iraniennes quant à ces atteintes aux droits de l’homme. Elle le fait tant au titre bilatéral qu’au sein de l’Union européenne. Depuis 2002, l’Union entretient un dialogue avec l’Iran à ce sujet, qui lui donne l’occasion de soulever des violations spécifiques et de faire valoir la nécessité de procéder à des réformes. Lors de l’Assemblée générale des Nations unies, la Grande-Bretagne et tous ses partenaires européens ont co-parrainé une résolution canadienne sur les droits de l’homme en Iran, qui a été adoptée par le troisième comité le 17 novembre 2004. Cette résolution condamne clairement les violations des droits de l’homme qui y sont commises.
L’AIDE HUMANITAIRE DE LA GRANDE-BRETAGNE EN IRAN
Le problème des réfugiés, constitue un véritable enjeu d’instabilité pour le République d’Iran. Le gouvernement iranien estime aujourd’hui à un million le nombre de réfugiés établis dans le pays. La plupart sont afghans mais il y a une importante minorité en provenance d’Irak, bien que 107 000 réfugiés soient retournés en Irak depuis la fin du régime de Saddam Hussein. En 2002, le Haut commissariat aux réfugiés des Nations unies (HCR) a lancé un programme de retour volontaire visant à inciter les Afghans à rentrer chez eux. A la fin mars, date de clôture de ce programme, ils étaient 1, 2 million à être retournés en Afghanistan. Il en reste environ 800 000. Le HCR s’attache avec les autorités iraniennes à leur trouver une solution à long terme.
LE NUCLEAIRE
La Grande-Bretagne, la France et l’Allemagne (la troïka européenne, appelée « E3 » ont engagé un dialogue avec l’Iran depuis un an pour l’inciter à coopérer pleinement avec l’Agence internationale de l’énergie atomique (AIEA) et à prendre des mesures pour garantir à la communauté internationale que son programme nucléaire était exclusivement destiné à des fins pacifiques.
La troïka européenne a fait valoir qu’il était essentiel que ces mesures comprennent la suspension de toutes les activités liées à l’enrichissement de l’uranium et au retraitement (l’uranium peu enrichi – low enriched uranium -peut servir de carburant aux réacteurs nucléaires ; l’uranium hautement enrichi peut servir de matière fissile pour des armes nucléaires). L’AIEA a adopté à l’unanimité différentes résolutions exigeant que l’Iran suspende toute activité d’enrichissement. Le gouvernement britannique lui avait précisé qu’il n’était pas question de lui dénier le droit de posséder un programme civil de production d’énergie nucléaire. La garantie britannique exige une suspension durable à toutes les activités d’enrichissement de la part de l’Iran. Le gouvernement britannique pourrait négocier des dispositions à long terme.
Le 15 novembre 2004, l’Iran a conclu un accord avec la troïka européenne, dans lequel il acceptait de suspendre complètement toutes les activités liées à l’enrichissement et au retraitement, et de s’y tenir pendant la négociation de dispositions à long terme. Le directeur général de l’AIEA, Mohamed Elbaradei, a confirmé le 29 novembre 2004 que ses activités avaient bien été suspendues. Dans le cadre de notre accord avec l’Iran, les dispositions à long terme offriront des garanties objectives quant au caractère exclusivement réservé à des fins pacifiques du programme nucléaire de l’Iran et ouvriront la voie à une coopération nucléaire, économique et technologique accrue.
Des groupes de travail ont été mis en place pour faire avancer les négociations, aujourd’hui l’Iran, Etat signataire du TNP, est désormais en mesure d’acquérir la technologie nucléaire utilisée à des fins civiles et pacifiques.
La vision britannique s’inscrit dans un cadre de coopération avec l’Iran, un engagement de soutien dans ses efforts de réformes. Elle manifeste aussi un grand intérêt à la gestion de la crise du nucléaire par des moyens pacifiques.
* Nicolas HOPTON, Conseiller aux Affaires économiques et européennes à l’Ambassade de Grande Bretagne à Paris
Note
1 Iran : comment sortir d’une révolution religieuse ? (Avec Farhad Khosrokhavar), Paris, Le Seuil, 1999.
2 L’avocate iranienne, Shirin Ebadi, a reçu le Prix Nobel de la Paix 2003 pour son action en faveur des droits de l’Homme, des femmes et des enfants en Iran.