COMPTE-RENDU DU COLLOQUE
L’Académie de Géopolitique de Paris a organisé le 24 septembre 2024, en association avec le Centre irakien de documentation et de lutte contre les crimes de guerres et de génocide, un colloque sur le sujet des « enjeux géopolitiques de la coopération internationale en matière de répression des crimes de guerre et de génocide », en présence de Son Excellence M. Wadee AL-BATTI, Ambassadeur de la République d’Irak en France, ainsi que d’une délégation de chercheurs irakiens, spécialisés dans les enquêtes et la répression du crime international.
La délégation irakienne était composée de :
- M. Jassim Mohammed ALOUMERI, Président de la Cour suprême fédérale irakienne (présent à distance).
- M. Jawad KADUM, Membre du Conseil d’administration du Mausolée de l’Imam Alabbas.
- Dr. Abbas Ativa ALKORAISHI, Chercheur à l’Université de Kufa (Faculté de l’éducation fondamentale) et Président du Centre irakien de documentation des crimes de l’extrémisme.
- Dr. Kais Naser RAHI, Chercheur à l’Université de Bassora et au Centre de recherche sur les crimes de terrorisme contre les minorités religieuses en Irak.
- Dr. Raed Aubeis MATLAB, Chercheur à l’Université de Kufa (Faculté des lettres).
- M. Saad Hussen SOLTAN, Chercheur au Centre de recherche sur les crimes contre les minorités religieuses en Irak.
Les intervenants ont développé sur la nécessaire collaboration entre institutions judiciaire, policière et militaire, en mettant particulièrement l’accent sur la question du besoin d’un renforcement accru de la collaboration internationale dans la définition, la reconnaissance, la réaction, le jugement et l’application effective de la répression de la criminalité internationale. En mettant en avant cette problématique, l’Académie de Géopolitique de Paris entend inciter les différents spécialistes, tant du droit international que de l’action diplomatique et des relations internationales, à analyser le système international, et son intégration dans un cadre collaboratif à grande échelle, à la lumière de la géopolitique.
***
Intervention d’ouverture du colloque par M. le Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP) Dr. Ali RASTBEEN, après l’accueil des intervenants et du public, au sujet de « L’enjeu de la responsabilité de la communauté internationale face aux génocides ».
La responsabilité de la communauté internationale face aux génocides constitue un enjeu central du droit international et de la politique mondiale. Depuis la Seconde Guerre mondiale et l’introduction du terme « génocide », des instruments juridiques ont été mis en place pour prévenir et punir ces crimes. L’étude des génocides permet de comprendre le passé pour prévenir l’avenir, de rendre hommage aux victimes, de promouvoir la justice et d’éduquer les générations futures sur les dangers de la haine et de l’intolérance. De nombreux génocides, tels que ceux des Juifs, des Arméniens, des Tutsis ou encore des Darfouris, ont marqué l’histoire. Bien que leurs causes soient complexes, les idéologies extrémistes jouent souvent un rôle majeur. La Convention pour la prévention et la répression du crime de génocide, adoptée en 1948, est un texte fondamental en matière de droit international humanitaire. La responsabilité des États face aux génocides repose sur la prévention, la répression et la protection des populations vulnérables. Mais la communauté internationale doit faire face à des défis géopolitiques complexes qui influencent la coopération nécessaire à la répression des crimes de génocide : les intérêts des grandes puissances, les questions de souveraineté des États, ainsi que les tensions entre la recherche de la paix et l’exigence de justice rendent souvent difficile la mise en œuvre de mesures efficaces. Pour prévenir ces atrocités, un cadre juridique plus solide et une meilleure collaboration multilatérale seront essentiels. La reconstruction après ces crimes demande également une approche multidisciplinaire.
Je vous remercie de votre attention. Tout de suite, je donne la parole à Son Excellence M. Wadee AL-BATTI, Ambassadeur de la République d’Irak en France.
S. E. M. Wadee AL-BATTI, Ambassadeur de la République d’Irak en France.
Monsieur le Président, Madame l’Ambassadrice, tous les frères et sœurs (tout le monde), je suis très heureux d’être là parmi vous à l’Académie de Géopolitique de Paris, pour participer, avec mes confrères irakiens qui sont là, qui sont venus depuis le pays des civilisations. Pour cette conférence assez importante, au sujet assez critique, j’ai en fait préparé un discours officiel, mais les mots du cœur prévalent, et seront une meilleure réponse.
En réalité, il n’est pas étrange de voir ce genre de conférence se dérouler en France, le pays des Droits de l’Homme, et nous sommes tous des êtres humains qui luttons pour la Justice. La paix que nous essayons de construire ne peut voir le jour sans la Justice. Celle-ci ne peut pas réaliser par le mot de la vengeance, mais vraiment en apprenant des leçons du passé pour prévenir cela dans le futur. Ce que le monde est aujourd’hui, est trop loin du monde que nous espérions voir, surtout après la Seconde Guerre mondiale, lors de laquelle il y eut des génocides et pas mal de crimes contre l’Humanité. Cela se voit facilement aujourd’hui, avec les crimes se passant, ou s’étant passé, à Gaza et au Liban, qui souffrent des génocides et des crimes de masse. En Irak aussi nous avons été victimes de génocides et crimes de masse. Que ce soit sous le régime dictatorial du « père », quand il était un héros dans les crimes de masse, ou même après 2003 quand l’Irak a vu des groupes terroristes qui se sont acharnés contre les irakiens et ont commis des crimes atroces. C’est pour ces raisons que nous espérons voir une réaction de la communauté internationale et de la Cour Pénale Internationale (CPI) afin de poursuivre les auteurs de ces crimes, et pour les prévenir. Un crime comme celui de Speicher, qui a fait 2000 victimes (des hommes irakiens) sans aucune réaction, ou ce qu’il s’est passé également à Sinjar, au moment de l’État islamique, font partie des crimes de masse. Le droit à la vie est un droit sacré pour tous les êtres humains, peu importe leurs ethnies, leurs religions ou leurs appartenances communautaires, et ce droit a été procuré par Dieu même. C’est Dieu même qui a le droit de le retirer. Donc, que dire, quand des groupes terroristes vous enlèvent ce droit ? Cette organisation n’était pas du tout une organisation irakienne, c’est une pandémie internationale. Cela peut exister dans n’importe quel pays du monde, et ce fut la malchance des irakiens d’être ainsi la proie de ces criminels. Ainsi, les irakiens ont payé le prix de la lutte contre ces organisations, ils ont payé ce prix pour le monde entier.
Depuis cette perspective, nous attendons que le monde nous traite équitablement, nous aide et collabore avec nous pour identifier et pour prévenir ce genre de crimes, partout dans le monde. Je ne vais pas faire un long discours, mais je salue le discours que vous proposez aujourd’hui, et je suis certain que votre participation et vos interventions contribueront aux efforts contre ces crimes. Nous prions Dieu de nous bénir et de nous laisser loin de ces atrocités et de leurs auteurs, et que nous puissions vivre tous ensemble dans un monde paisible où la paix et l’humanité règneront.
Dr. Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP).
Nous avions prévu de recevoir M. Jassim Mohammed Aloumeri, Président de la Cour suprême fédérale irakienne, mais il a dû rester à Bagdad à cause d’un empêchement. Il interviendra donc à distance. Je l’invite à prendre la parole. Je profite de l’occasion pour remercier également Son Excellence Mme. l’Ambassadrice de Jordanie en France pour sa présence aujourd’hui.
Intervention de M. Jassim Mohammed ALOUMERI, Président de la Cour suprême fédérale irakienne, sur le sujet du « Rôle de la constitution irakienne dans la promotion de la paix sociale ».
La reconnaissance des droits humains fondamentaux et de l’égalité des droits entre les membres de la famille humaine est essentielle pour la liberté, la justice et la paix. La violation de ces droits a conduit à des actes barbares, ce qui souligne la nécessité de lois protégeant les droits humains contre la tyrannie et l’injustice. Le crime de génocide, une atteinte grave aux droits humains, doit être clairement défini et réprimé. Tous les humains naissent libres et égaux en dignité, et doivent se traiter avec fraternité, sans distinction de race, sexe, religion ou autre. Les crimes contre l’humanité comme le génocide sont parmi les plus graves et nécessitent une action internationale de prévention, et de punition de leurs auteurs. La Convention sur le génocide des Nations Unies de 1948 (entrée en vigueur en 1951) définit le génocide comme des actes intentionnels visant à détruire, en tout ou en partie, un groupe national, ethnique, racial ou religieux. Ces actes incluent le meurtre, les atteintes physiques ou mentales graves, l’imposition de conditions de vie destructrices, l’empêchement de la procréation et le transfert forcé d’enfants. Des tribunaux internationaux, comme ceux pour l’ex-Yougoslavie et le Rwanda, ont été créés pour juger les crimes de génocide, contribuant ainsi au développement des normes juridiques internationales. Le droit international est donc un instrument clé pour protéger les droits fondamentaux de l’humanité. Les États ont l’obligation d’appliquer ces normes, de coopérer internationalement et de prévenir la répétition de tels crimes. Ce crime est imprescriptible, c’est-à-dire qu’il ne peut être limité dans le temps. Sa particularité est d’être reconnu comme un crime universel, ce qui donne à tout État le droit d’en poursuivre les auteurs, indépendamment de leur nationalité ou du lieu du crime. Les éléments constitutifs du génocide incluent des actes matériels, comme le meurtre ou les atteintes à l’intégrité physique, mais aussi un élément moral, c’est-à-dire une intention criminelle spécifique de détruire un groupe.
Le développement des armes de destruction massive a aggravé les crimes de génocide, et il faut évoquer également le rôle des pays riches et des puissances militaires qui financent des groupes terroristes, contribuant ainsi à la propagation de ces crimes. La Constitution de la République d’Irak de 2005 est mentionnée pour son engagement dans le sens de la prévention du terrorisme, de la garantie des droits fondamentaux, avec un accent sur la rotation pacifique du pouvoir, la protection des droits humains et la lutte contre les discriminations.
Intervention de M. Jawad KADUM, Membre du Conseil d’administration du Mausolée de l’Imam Al Abbas, pour une « présentation rapide ».
Je salue tout le monde, M. le Président Ali Rastbeen, M. l’Ambassadeur Wadee Al-Batti et nos chers invités. En premier lieu, je voudrais remercier M. Rastbeen et les organisateurs pour nous avoir invité moi et mes chers collègues, pour cette conférence importante, et qui peut se décrire : « La complète responsabilité face aux génocides et crimes de guerres », et qui se déroule pour la première fois entre l’Académie de Géopolitique de Paris et le Centre irakien de documentation des crimes de l’extrémisme, qui est relié au Centre irakien du Mausolée de l’Imam Al-Abbas. L’importance de cette conférence vient de plusieurs considérations. D’abord, le symbole du lieu. La conférence se déroule à Paris avec des collègues universitaires, conférenciers, académiciens, cela envoie une lettre de reconnaissance au peuple irakien, que la communauté internationale ne les laissera pas seuls. La communauté internationale a, avec l’Irak, a concrétisé un travail assez important contre les crimes de guerre et génocides. C’est là que réside l’importance de notre réunion d’aujourd’hui, qui a pour but de discuter des crimes de masse et de la responsabilité de la communauté internationale à ce sujet. Il n’échappe à aucun d’entre vous que les irakiens ont beaucoup souffert des crimes de masse et des génocides, il est même l’un des peuples qui a souffert le plus, témoin de l’occupation d’un tiers de son territoire par l’État islamique. Et le gouvernement irakien a sollicité l’intervention et l’action de la communauté internationale. Le peuple irakien a récemment reçu le rapport final émis par la communauté internationale. Pour (investir) sur les crimes de l’État islamique, et dans lequel le crime de Speicher a été identifié ou reconnu contre les étudiants chiites, et les crimes contre les prisonniers de Badoush, et les crimes contre les femmes Turkmènes, que l’UNITAD a reconnu contre le peuple chiite en Irak, ainsi que les crimes commis contre les Yézidis. Les travaux du Centre irakien de documentation des crimes de l’extrémisme apportent une grande valeur ajoutée à la réunion d’aujourd’hui. Le Centre du Mausolée de l’Imam Al Abbas constitue également un pôle important, dans sa lutte contre les crimes, et la constitution irakienne a aussi réalisé des efforts, ainsi que donné plus de pouvoir et de voix, d’importance, aux mosquées dans la reconstitution religieuse du pays, et c’est pour cela que le Centre irakien du Mausolée de l’Imam Alabbas a établi des forces dans les secteurs social, culturel et politique. Et la mosquée Abbasside, dans ce contexte-ci, confirme ces massacres et essaie d’en conserver le souvenir dans la mémoire collective du peuple irakien, afin que les générations futures puissent raconter ce qu’il s’est passé, afin d’en être conscients pour le prévenir à l’avenir, à travers la création d’un inconscient collectif contre les radicalismes. Je vous transmets également les salutations de M. Ahmad (…), qui vous envoie ses (…) pour vos efforts. Enfin, j’espère que vos efforts et négociations puissent aboutir à quelque chose. (…).
Intervention du Dr. Raed Aubeis MATLAB, Chercheur à l’Université de Kufa (Faculté des lettres), sur le sujet « Les monuments historiques sont tombés mais pas l’identité : étude sur l’idéologie de Daesh ».
Daech a perpétré un ethnocide contre le patrimoine civilisationnel irakien, accompagné d’une vaste couverture médiatique via internet. Cette campagne de destruction des sites culturels faisait partie d’une stratégie cohérente, visant à consolider le contrôle de Daech sur les territoires conquis en Irak et en Syrie entre 2013 et 2019. Les attaques sur le patrimoine religieux et culturel, loin d’être aléatoires, étaient au centre de l’idéologie du groupe, qui considérait ces actions comme un moyen d’effacer les identités ethniques et religieuses de ses ennemis. Ces crimes, liés aux génocides humains, visaient à annihiler la diversité culturelle de la région.
Toutefois, l’étude montre que la destruction matérielle du patrimoine irakien n’a pas marqué la fin de la civilisation ou de l’identité symbolique irakienne. Au contraire, ces actes ont suscité une prise de conscience internationale sur l’importance de l’héritage irakien, notamment à Mossoul. Les actes de destruction, diffusés dans les médias, ont paradoxalement mis en lumière la richesse culturelle du pays.
L’étude est divisée en trois axes : la relation entre l’idéologie de Daech et la destruction des monuments ; l’extermination matérielle et patrimoniale des groupes considérés comme mécréants par Daech ; et l’ethnocide culturel, à travers le pillage et la destruction systématique des trésors culturels.
Principales conclusions :
- Beaucoup de membres de Daech ont découvert le vide et la déformation de l’idéologie de l’organisation. Alors, ils les compensent par l’attaque des adeptes des religions, des ethnies et des autres minorités, ainsi que par le génocide biologique avant l’ethnocide de leurs propres monuments patrimoniaux, comme l’a déclaré la femme d’al-Baghdadi dans une interview sur al-Arabiya.
- Daech a tenté de standardiser le style des villes qu’il contrôlait avec un timbre qui lui était propre et les monuments de son nouvel État, et avant que cet État soit anéanti, car son idéologie meurtrière ne tolère pas la diversité et ne sait pas coexister avec ceux qui contrarient le modèle souhaité.
- La destruction des monuments irakiens par Daech a été effectuée de manière systématique avec des motivations idéologiques spécifiques à Daech, en plus des facteurs externes qui ont aidé Daech à piller, vendre et détruire ce qu’il ne pouvait pas emporter.
- La présence de nombreux voleurs d’antiquités et spécialistes parmi les rangs de Daech a attiré l’attention d’autres membres pour piller les pièces antiques qui se trouvent dans les musées et les sites archéologiques, et les vendre.
- Les motivations économiques étaient une raison principale pour Daech et ses membres pour vendre les pièces antiques héritées des civilisations irakiennes anciennes.
- Le génocide biologique des communautés ciblées par Daech et l’ethnocide des monuments et du patrimoine religieux et civil des sectes étaient des objectifs intégrés.
- L’ethnocide est aussi grave que le génocide biologique dans la destruction de la dimension existentielle des communautés.
- Prendre pour cible les communautés par l’extermination, la destruction et la démolition ne signifie point que Daech a anéanti l’identité des sectes, des groupes, des écoles et des religions.
Merci pour l’attention que vous m’avez accordée.
Intervention de M. Abbas Ativa ALKORAISHI, Chercheur à l’Université de Kufa (Faculté de l’éducation fondamentale) et Président du Centre irakien de documentation des crimes de l’extrémisme, au sujet du « Rôle du centre dans la mémoire des génocides et la prévention des crimes contre l’humanité ».
Le Centre irakien de documentation des crimes de radicalisme se concentre sur la documentation des crimes majeurs, en particulier le génocide, en Irak. Il cherche à répertorier les violations graves contre les Irakiens, du régime Ba’ath (ou Baas) jusqu’aux crimes commis par al-Qaïda et Daech.
Les axes de travail du centre :
1-Recensement des crimes et violations graves
Le centre documente les crimes de guerre, les génocides et autres violations, comme ceux du régime Ba’ath et des groupes terroristes qui ont ciblé marchés, mosquées, minorités, etc.
2-Collecte de documents et témoignages
Il collecte des preuves (documents, vidéos, photos) liées aux crimes commis par divers groupes terroristes afin de constituer une base de données sur ces actes.
3-Analyse des violations
Le centre analyse la manière dont les crimes ont été perpétrés ainsi que leurs impacts sur la société irakienne, en mettant en lumière les motivations des auteurs, qu’ils soient d’origine gouvernementale ou non.
4-Impacts juridiques, sociaux et économiques
Des études sont menées pour sensibiliser aux conséquences des violations, et des recommandations proposées pour améliorer les lois et les mécanismes judiciaires.
5-Collaboration avec la justice transitionnelle
Le centre coopère avec les institutions judiciaires pour juger les responsables et assurer une documentation précise des crimes et des preuves de ces crimes, en vue de la paix sociale et de la justice pour les victimes.
6-Éducation et sensibilisation
Le centre organise des campagnes de sensibilisation (conférences, séminaires, festivals, ateliers spécialisés réunissant des experts, etc) pour prévenir le radicalisme et sensibiliser aux dangers qu’il représente pour la société, et son impact sur les générations futures. Les différents aspects du radicalisme, les moyens de le contrer et ses effets destructeurs y sont discutés.
7-Coopération internationale
Le centre participe aux efforts internationaux de documentation en collaborant avec des institutions et des organisations internationales, ainsi qu’avec des équipes des Nations Unies travaillant dans le domaine des droits humains et de la documentation des crimes (UNITAD, OIM, ICMP) pour soutenir les efforts de justice et de documentation des crimes de radicalisme.
8-Soutien aux proches des victimes
Il fournit un soutien aux familles des victimes et crée des plateformes pour qu’elles puissent partager leurs histoires, documenter leurs histoires comme témoignages des violations subies, et revendiquer leurs droits.
Le Centre irakien de documentation des crimes de l’extrémisme aspire à devenir une référence dans la documentation des crimes de radicalisme, en offrant une base de données solide pour la justice et la réconciliation nationale. Il vise aussi à sensibiliser la société et à collaborer au niveau international pour lutter contre les violations des droits humains, dans le but de promouvoir la justice sociale et la stabilité.
Intervention du Dr. Kais Naser RAHI, Chercheur à l’Université de Bassora et au Centre de documentation des crimes de terrorisme contre les minorités religieuses en Irak, sur le sujet : « Crimes de terrorisme contre les minorités religieuses en Irak – le cas des Shabaks ».
Cette recherche vise à étudier les crimes commis par les terroristes contre les minorités ethniques et religieuses en Irak, et se focalise particulièrement sur les Shabaks. La problématique de la recherche consiste à aborder un sujet qui n’a pas reçu une plus grande attention en termes de documentation et d’étude pour une minorité ethnique religieuse
Introduction au cadre juridique et historique : Après 2003, la Constitution irakienne reconnaît l’Irak comme un État multiethnique, multi-religieux et pluriconfessionnel. Les articles garantissent des droits égaux aux citoyens, notamment la reconnaissance de l’identité culturelle et religieuse. Cependant, avant cette date, les Shabaks, quatrième plus grande communauté d’Irak, ont subi de graves persécutions sous le régime Ba’ath (ou Baas). Leur identité était niée, et ils étaient forcés d’adopter soit l’identité arabe, soit l’identité kurde, subissant alors des persécutions similaires à celles des Kurdes et des chiites.
Les crimes terroristes contre les Shabaks : Bien que l’Irak ait été reconnu comme un État pluraliste, les groupes terroristes ont continué à cibler les minorités religieuses et ethniques, notamment les Shabaks, principalement chiites (70 %), à travers plusieurs phases de violence.
Les principales formes de violence contre les Shabaks chiites :
– Violence structurelle : Les Shabaks ont subi une violence culturelle et confessionnelle basée sur leur ethnicité et leur confession.
– Crimes sous le régime Ba’ath : Avant 2003, les Shabaks ont été victimes d’une politique d’effacement de leur identité culturelle et d’exclusion systématique.
– Crimes terroristes après 2003 : La période post-2003 se divise en plusieurs phases marquées par des crimes, dont des attentats contre des sanctuaires chiites, l’occupation par Daech en 2014, et les persécutions religieuses basées sur la croyance.
– Déplacements forcés et génocide : Les Shabaks ont été déplacés en masse et ont subi des actes de génocide et d’épuration ethnique.
– Enlèvements, meurtres et pillages : Les groupes terroristes ont commis des enlèvements, des meurtres et des pillages contre la communauté Shabak.
Conclusion : Les Shabaks chiites ont subi des crimes cruels d’épuration ethnique et confessionnelle, qualifiés de génocide par des rapports internationaux. Ces crimes exigent une documentation complète et la reconnaissance officielle afin de garantir justice et indemnisation pour les victimes, tout en empêchant la répétition de ces atrocités.
Intervention de M. Saad Hussen SOLTAN, Chercheur au Centre de documentation des crimes contre les minorités religieuses en Irak, sur le sujet : « Les crimes de l’État islamique contre les chiites turkmènes ».
1. Le contexte du conflit et l’émergence de Daech (et son expansion) :
1.1. La création de Daech : Daech (l’État islamique en Irak et au Levant) est né après l’invasion américaine de l’Irak en 2003, sous la forme d’un groupe djihadiste appelé « al-tawhid wal-jihad », dirigé par Abou Moussab al-Zarqaoui. Ce groupe, visant initialement les chiites, a ensuite évolué sous Abou Omar al-Baghdadi et a pris le nom d’État islamique en Irak. Malgré des défaites militaires, Daech a exploité le chaos politique pour se reconstruire.
1.2. La renaissance de l’organisation : Entre 2011 et 2013, profitant du retrait américain et de la crise syrienne, Daech a étendu son contrôle dans les régions sunnites d’Irak et de Syrie sous Abou Bakr al-Baghdadi. Il a alors proclamé le « califat » et intensifié ses attaques, notamment pour libérer des combattants emprisonnés.
1.3. L’exploitation des tensions confessionnelles : Daech a exploité les manifestations sunnites en Irak pour s’infiltrer et gagner du terrain. Cela lui a permis de prendre le contrôle de grandes villes comme Mossoul, Fallouja, et Salah al-Din et des parties de Kirkouk. Cette infiltration a permis à l’organisation d’étendre son contrôle sur de vastes parties de la province d’al-Anbar, puis vers Tikrit, Ninive et Salah al-Din, où elle a renforcé sa présence militaire et commencé à mener des attaques à grande échelle contre les chiites en général et les Turkmènes chiites en particulier dans les provinces de Diyala, Kirkouk, Salah al-Din, Mossoul ainsi que contre d’autres communautés irakiennes.
2. La chute de Mossoul et les crimes contre les Turkmènes chiites :
2.1. La chute de Mossoul : En juin 2014, Mossoul tombe sous le contrôle de Daech, créant un vide sécuritaire. Les Turkmènes chiites ont été victimes de massacres, d’exécutions et de déplacements forcés, notamment à Tall Afar. Certains auteurs des crimes étaient issus de la communauté turkmène sunnite, Daech exacerbant les tensions internes, et rendant difficile aux chiites de dissimuler leur identité.
2.2. Les violations et les déplacements forcés : Daech a mené des exécutions de masse et enlevé femmes et enfants dans les zones turkmènes chiites. À Tall Afar, plus de 200 000 Turkmènes chiites ont été forcés de fuir, subissant des violences lors de leur déplacement.
2.3. La destruction culturelle et religieuse : Les sites religieux chiites ont été détruits, et les survivants ont été soumis à un lavage de cerveau. Daech a tenté d’effacer l’identité religieuse et culturelle des Turkmènes chiites.
3. Conséquences juridiques et humanitaires :
3.1. L’analyse juridique des crimes : les crimes contre les Turkmènes chiites sont qualifiés de génocide selon le droit international, en raison de l’intention claire de Daech de détruire cette communauté. Des crimes de guerre et des crimes contre l’humanité, comme la torture et les persécutions religieuses, ont également été commis.
3.2. L’impact psychologique et social : les survivants souffrent de traumatismes psychologiques et de l’absence de justice. Ils ressentent de l’amertume face à l’inaction des autorités irakiennes et internationales. Socialement, ces crimes ont aggravé les divisions confessionnelles en Irak.
3.3. Les recommandations du rapport : le rapport appelle à une enquête internationale sur les crimes commis contre les Turkmènes chiites, à une justice rapide, ainsi qu’à un soutien psychologique et social pour les survivants. Il recommande également de réhabiliter les sites religieux détruits et de documenter ces crimes pour éviter qu’ils ne soient oubliés.
Intervention du Dr. Mohammed AL KARAISHI, Chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), sur « Le programme d’éducation de l’État islamique ».
L’article explore les actions de l’État islamique (EI), non seulement en tant que groupe violent et militaire, mais également comme organisation ayant mis en place une gouvernance dans les territoires qu’il contrôlait. L’un des aspects les plus troublants de cette gouvernance est son système éducatif, qui vise à façonner la jeune génération dans une idéologie extrémiste. L’État islamique a conçu un programme éducatif structuré, comprenant des matières religieuses et des concepts militaires, tout en éliminant des matières telles que l’art et la musique. Le programme promeut des valeurs djihadistes, incitant à la violence et à la haine des « infidèles ».
Les écoles étaient divisées selon les origines des enfants et incluaient des programmes particuliers pour les orphelins, qui recevaient une radicalisation plus poussée. La manipulation des armes et des explosifs était enseignée, notamment dans des établissements appelés « lionceaux de bien ». Les enfants étaient classés par régions, et les écoles étrangères ou celles des dirigeants de l’EI recevaient une attention particulière.
En parallèle, l’EI a développé une structure de gouvernance très organisée, avec des ministères pour gérer divers aspects de la société tels que la santé, les finances et l’éducation. Leur système fiscal était bien développé, permettant de financer leurs opérations, principalement par le commerce et l’agriculture plutôt que par les ressources pétrolières, comme largement cru.
L’article met également en lumière l’endoctrinement religieux et militaire omniprésent dans les manuels scolaires, visant à préparer la jeunesse à perpétuer le jihad. L’organisation a su instaurer un contrôle administratif et éducatif très efficace, rendant la radicalisation encore plus dangereuse et posant des défis immenses pour la reconstruction et la lutte contre la radicalisation future.
Intervention du Pr. Christophe RÉVEILLARD, Secrétaire général de l’Académie de Géopolitique de Paris, sur « La qualification et les caractéristiques des génocides : l’histoire et le droit ».
Le terme de génocide est construit à partir du grec ancien genos (race, tribu) et du latin cide (qui tue) et se trouve adapté à « la complexité du processus d’extermination ». Le juriste R. Lemkin vulgarise le mot « génocide » à partir de son ouvrage Axis Rule in Occupied Europe. Son texte Le Crime de génocide (Documentation française, 1946), servira de base à l’élaboration de la Convention internationale des Nations Unies sur le génocide en 1948. Formulant le constat qu’il n’existe pas de moyen de sanction judiciaire légal des crimes de masse par des puissances publiques ou leurs représentants, son action sera tournée vers l’idée d’une justice internationale devant s’appliquer à des criminels d’État, notamment lors des conférences annuelles du Bureau international pour l’unification des lois pénales. À celle de l’année 1933 à Madrid, il ajoutera aux « actions exterminatrices dirigées contre les collectivités ethniques, confessionnelles ou sociales, quels qu’en soient les motifs (politiques, religieux, etc.) tels les massacres, les pogromes, les actions entreprises en vue de ruiner l’existence économique des membres d’une collectivité » : pour la définition du génocide, voici les cinq phases préméditées de la destruction :
1/ prévision et sorte d’anticipation par l’organisation ;
2/ extermination des élites ;
3/ élimination des membres et des représentants de la substance même de la culture de la communauté ciblée ;
4/ dispersion de la population et/ou apport massif de populations étrangères ;
5/ l’extermination proprement dite de la communauté nationale
Le problème est celui de la reconnaissance juridique. Lemkin constate que l’absence de loi internationale empêche la qualification juridique de l’extermination de groupes comme crime. Pour la conférence de Madrid en 1933, il souhaite ajouter deux nouvelles catégories à la liste de crimes de portée internationale dressée à la conférence de Varsovie en 1927 : les « actes de vandalisme » pour la destruction systématique des œuvres culturelles d’une communauté, nation ou ethnie, sorte de génocide culturel, et les « actes de barbarie » pour l’extermination physique d’une ethnie, d’un groupe religieux ou d’un groupe social ; il remarque l’une des constantes de la phase préliminaire des crimes de masse : la « déshumanisation » du groupe ciblé, souvent qualifié de « sous-hommes ». Lemkin réussit à décrire le processus fondé sur une conjonction de facteurs créant les conditions de son accomplissement : « le génocide […] signifie plutôt la mise en œuvre de différentes actions coordonnées qui visent à la destruction des fondements essentiels de la vie des groupes nationaux, en vue de leur anéantissement. Une telle politique a pour objectifs la désintégration de leurs institutions politiques et sociales, de leur culture, de leur langue, de leur conscience nationale, de leur religion et de leur existence économique, la destruction de la sécurité, de la liberté, de la santé, de la dignité individuelle et de la vie même des individus ».
Aujourd’hui, le point commun des entreprises génocidaires, c’est « l’intention d’extermination » et la singularité réside soit dans la « motivation idéologique (briser l’opposition à un programme conçu comme vital ou éliminer un ennemi perçu comme mortel), soit dans la mise en œuvre meurtrière (destruction partielle ou totale) ». B. Bruneteau indique les quatre éléments de référence qui la permettent : « la définition du groupe cible ; le degré d’intentionnalité, le profil des exécuteurs, les formes de la mise en œuvre ».
Ces quatre éléments appellent respectivement l’analyse de :
1/ « l’appareil de justification idéologique » désignant comme ennemi absolu un groupe forcément déshumanisé
2/ les traces de planification ou de prédiction révélant une décision, une intentionnalité effective
3/ « l’univers social et culturel producteurs de fantasmes meurtriers » des exécuteurs
4/ les formes de la mise à mort où, même variées, les méthodes révèlent l’existence d’une organisation.
Mais ces quatre variables de la terreur, n’ont de sens que dans le cadre dynamique d’un processus génocidaire ayant pour origine une maturation sociale, idéologique et culturelle puis une phase d’accélération prenant appui sur les possibilités contextuelles.
Intervention du Dr. ALI ALYAQOUBI, Consultant juridique et chercheur à l’Université Alshaab, sur le sujet : « Existe-t-il des défis législatifs irakiens à l’internationalisation des crimes internationaux de Daesh ? ».
Le génocide occupe une dimension importante dans les réflexions juridiques. Cette importance vient de nombreuses considérations, au premier rang desquelles l’horreur de ces crimes, car ils comptent parmi les crimes internationaux les plus importants visés par les conventions internationales, en plus de leur dimension humanitaire.
Ces crimes revêtent une importance particulière en Irak, surtout après les rapports annoncés par l’équipe d’enquête internationale chargée d’enquêter UNITAD sur les crimes de Daesh en Irak, parmi lesquels les crimes commis contre les Yézidis à Sinjar et les crimes commis contre les étudiants chiites à Speicher étaient considérés comme des crimes de génocide.
Dans la préparation de notre travail, nous tenterons de répondre à la question : existe-t-il des défis législatifs en Irak qui empêchent l’internationalisation des crimes internationaux de Daesh, y compris, bien sûr, les crimes de génocide ?
Pour répondre à cette question, nous l’aborderons en deux parties. La première traite des contestations constitutionnelles, tandis que la seconde traite des contestations juridiques. En ce qui concerne les contestations constitutionnelles, nous pouvons souligner que la Cour suprême fédérale d’Irak a considéré que la création de tribunaux spéciaux ou exceptionnels pour enquêter sur les crimes de génocide, les crimes de guerre ou les crimes contre l’humanité est contraire à la Constitution de la République d’Irak 2005, sur la base des dispositions de l’article 95 de cette Constitution. Cette décision est basée sur une demande néerlandaise car elle ne veut pas juger des citoyens impliqués dans des crimes avec Daesh sur son territoire. Elle a plutôt proposé un système hybride : que des tribunaux combinant le droit international et le droit irakien soient établis sur le territoire irakien. Avec cette décision, la Cour suprême fédérale a établi le principe de la nécessité de se soumettre aux tribunaux nationaux et au sein du Conseil judiciaire irakien et non aux tribunaux d’exception.
Sur le plan législatif, le système juridique interne de l’Irak n’a eu connaissance des crimes internationaux qu’une seule fois, à la Cour pénale suprême irakienne, qui a pris en charge le procès de Saddam Hussein et d’autres responsables de ce régime . Mais ce tribunal n’est compétent que pour les crimes commis par le régime du parti Baas, et sa loi n’inclut pas les crimes commis par Daesh. Par conséquent, l’Irak a eu recours à la loi antiterroriste pour poursuivre les criminels de Daesh, une loi qui ne contient pas de crimes internationaux. Des discussions approfondies ont actuellement lieu en Irak pour légiférer sur un projet de loi sur les crimes internationaux, que nous aspirons à voir adopter prochainement.
Intervention de M. Jure Georges VUJIC, Géopoliticien franco-croate, Directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, Chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), sur « La responsabilité de la communauté internationale face aux génocides, entre déni, ‘équilibrisme mémoriel’ et ‘concurrence victimaire’ ».
Le concept de génocide, qui revient périodiquement sur le devant de la scène médiatique dans le cadre de commémorations et de politiques mémorielles, est très souvent galvaudé et sujet à polémiques quant à sa reconnaissance politique et juridique et/ou aux responsabilités qui lui sont liés. Les génocides qui s’inscrivent dans un espace-temps particulier, relèvent aussi, de temporalités spécifiques et plurielles, relatives à l’identification, puis á la reconnaissance politique et judiciaire. La reconnaissance du statut de génocide constitue toujours un acte post-factuel qui intervient très souvent après des années voir des décennies après la découverte du génocide. C’est pourquoi il s’agit d’un acte éminemment politique et judiciaire évolutif, soumis aux variables de l’expertise juridique, aux interprétations parfois polémiques et de l’exégèse politico-judiciaire.
C’est la raison pour laquelle, le temps génocidaire ne correspond pas au temps politique, au temps moral ou éthique, et encore moins au temps judiciaire. En effet, l’identification de crimes de masse est soumise aux pondérables à la fois géographiques, temporels et opératoires. Le choix de la reconnaissance ou non du génocide est en tout cas toujours lié à des stratégies politico-diplomatiques, et parfois á des stratégies d’euphémisation et de relativisation préméditées. En effet, l’accusation de « génocide », constitue une arme dans les grands conflits géopolitiques, alors que la Convention de 1948 contient l’engagement de punir le crime de génocide, et donc l’obligation d’agir dès lors qu’ un massacre à caractère génocidaire est identifié, ce risque étant subi dès lors qu’il s’ agit de devoir justifier une intervention militaire préventive. Le déni, le jeu d’un certain équilibre mémoriel chez les instances politiques ou judiciaires, résultent aussi de l’incertitude de la notion même de génocide. D’autre part, le phénomène de concurrence victimaire contemporain, avec la prolifération des revendications de reconnaissance de statut de génocide, résulte en partie de l’ambiguïté et du flou de la définition annoncée dans la convention de 1948, mais aussi d ‘une posture idéologique privilégiant la culture de repentance et victimaire.
Projection d’un extrait de 5 minutes d’un film documentaire sur le massacre de Tikrit (ou massacre de la base Speicher), du 12-13 juin 2014, pendant la seconde guerre civile irakienne à la suite de la prise de la ville de Tikrit par l’État islamique en Irak et au Levant.
***