La politique des Etats-Unis en Afghanistan

Kacem FAZELLY

Octobre 2005

Le 11 septembre qui avait coûté la vie à des milliers d’Américains, et qui avait valeur de miracle pour la très grande majorité des Afghans, devait marquer le début d’une série de prises de décisions débutant par la réunion à Bonn d’une conférence internationale régie par les Nations-unies.u commencement tout s’annonçait euphorique. L’action punitive américaine, conduite sur le terrain en collaboration avec les troupes du Front islamique uni, mit rapidement fin au pouvoir du démentiel condominium géré par les services de renseignement pakistanais (ISI), Al-Qaeda, actif depuis le milieu des années ’90, et les Talibans. Il a fallu à peine un mois pour que l’autorité moyenâgeuse de l’émirat islamique s’effrite et cède la place à la troïka constituée par les contingents de l’Alliance anti­terroriste, dirigée par les Etats-Unis, la Force internationale d’assistance à la sécurité (ISAF), mise sur pied à la demande des participants à la conférence de Bonn par le Conseil de sécurité, et les milices du Front islamique uni, dont le retour des zones de combat suscitait à la fois espoir et appréhension.

À la veille de cette date fatidique, le différend majeur qui opposait les Américains aux Talibans concernait l’expulsion d’Ossama Ben Laden, engagé depuis 1996 dans de multiples attentats contre les intérêts des Etats-Unis sur le sol saoudien, et contre les ambassades américaines au Kenya et en Tanzanie. Pour toute réponse, les Talibans avançaient des arguments tirés de la Charia et fondés sur l’absence de preuve. Dès lors, le 7 août 1998, la frappe déclenchée par l’armée américaine sur les grottes autour de la ville de Khost constituait un premier acte de belligérance non pas contre l’Afghanistan, mais contre le réseau terroriste Al-Qaïda-Talibans.

Comment se positionnait l’opinion afghane, avant le 11 septembre, au milieu des fracas sans fin, rendus insupportables par le discours inadéquat des Talibans puisé dans la Charia chaque fois que le débat sur la paix revenait sur le tapis ?

Témoins forcés et impuissants de la destruction de leur propre pays, des groupes d’Afghans tentaient de rechercher les rares voies de sortie offertes soit par des mécanismes internes de négociation, soit par l’entremise des institutions internationales.

Ceux qui s’étaient réunis à Rome autour de l’ancien roi, Mohamad Zaher Chah, à présent Père de la nation, pensaient redonner sens à une institution monarchico-tribale, rejetée par les Moudjahidins mais considérée comme ultime recours, vu sa relation historique avec un roi réhabilité : l’Assemblée traditionnelle de la loya djirga.

Grâce à l’assistance offerte par le gouvernement italien et au travail accompli depuis juin 1999, le dispositif savamment préparé par l’entourage du roi, fut prêt à fonctionner. Il appartenait aux Américains, en contact avec l’ancien roi, et aux délégués spéciaux du secrétaire général des Nations-unies, en charge du dossier afghan, d’explorer cette voie de légitimation que désormais personne ne contesterait. C’est ce qui fut fait sans délai sur la base de la résolution n°1378 (2001) du Conseil de sécurité. Le reste relevait de la logistique que mit en place le précieux travail du gouvernement allemand, avec la participation enthousiaste des délégations des pays concernés, en tête desquels les Etats-Unis.

La conférence réunie au Palais de Petersberg, dans la banlieue de l’ancienne capitale allemande, s’est illustrée par l’adoption des accords de Bonn, armature d’un processus de paix auquel l’Organisation des Nations Unies a apporté sa caution, alors qu’un état de non-droit ravageait l’Afghanistan en crise.

La mise en œuvre des accords, échelonnés en phases successives de transitions, généralement respectées, fut accueillie avec optimisme.

L’enthousiasme général était visible à travers les visites répétées rendues par des hommes d’Etat, et la tenue de réunions internationales, forums destinés à fournir l’assistance technique et financière nécessaire. La dernière en date des transitions est celle qui donnera lieu à la création du parlement, en septembre 2005.

De là à conclure que le processus atteindra son but et amènera la paix, il y a un pas difficile à franchir. Les paramètres fondamentaux qui conditionnent la stabilité en Afghanistan ne sont pas de nature à préserver l’avenir. La sécurité, confiée à la Force internationale d’assistance, est de plus en plus couverte par la présence des forces de l’OTAN. Le démarrage économique n’est pas perceptible, faute d’investissements dans un pays sans ressources et manquant des infrastructures nécessaires. Les signes de désagrégation sont donc évidents au niveau d’un pouvoir central qui, malgré le progrès formel du processus politique, ne réussit pas à asseoir l’autorité de l’Etat. Pour se protéger, le président Hamed Karzai continue à s’appuyer sur des alliances ethniques changeantes et précaires. Le retour du pouvoir religieux est notoire au détriment de celui de la société civile qui, en dehors de la presse, en partie infiltrée, n’a pas connu le succès escompté. Il est curieux de constater qu’en comparaison avec le Pakistan, le gouvernement de Parviz Musharraf se montre plus sensible aux changements alors que la cible visée en priorité est tout de même le régime politique en Afghanistan.

Comment expliquer cette dérive alors que le processus de paix en Afghanistan, soutenu par la société internationale, bénéficiait d’une mobilisation générale sans précédent ?

L’ancrage dans la religion et les retombées de la guerre en Irak

– C’est d’abord l’ancrage dans un islam politique, qui plus est, fondamentaliste, qui est en cause. L’objectif visé par cette démarche est double :

  • rassurer les talibans et ne pas fournir d’arguments à ceux qui considèrent que la guerre contre le terrorisme international dissimule une croisade contre l’islam. Il s’agit d’effacer des esprits l’effet produit par les déclarations enflammées de G.W. Bush, au lendemain du 11septembre, selon lesquelles on allait recourir à la guerre sainte
  • attirer les anciens Moudjahidins. Il est prouvé depuis le processus de Bonn que les Etats-Unis ne sont aucunement disposés à se séparer des anciens moudjahidins, alliés à leur politique dans la guerre froide. Sauf Golbodine Hekmatyar, chef du Hezbé Eslami associé aux Talibans, les autres anciens responsables du djihad contre l’ancienne Union soviétique approuvent l’action américaine et soutiennent opportunément Hamed Karzai. Certains d’entre eux jouent un rôle prépondérant dans les choix politiques du gouvernement. Ce rôle a été particulièrement évident lors de la préparation du texte de la constitution annonçant la république islamique d’Afghanistan

C’est la loya djirga d’urgence, le forum où s’est réalisée l’entente entre les djihadistes et les Américains qui a pris soin de changer l’appellation de l’Autorité transitoire en Etat islamique de transition. La question de la nature de l’Etat à reconstituer sous l’impulsion américaine est donc soulevée dès le départ, et c’est l’ancrage dans l’islam politique qui est la raison qui justifie l’abandon du schéma conçu par les accords de Bonn. A noter au passage que si, malgré le ferme soutien de la société internationale, l’Etat ne réussit pas à s’organiser en Afghanistan, cela est dû en bonne partie à ce retour du religieux.

– La deuxième explication réside dans les débordements de la crise en Irak. Conscient des retombées négatives de la guerre contre un pays comme l’Irak, hautement symbolique aux yeux des musulmans, Hamed Karzai s’est déclaré, dès le départ, opposé aux déclenchement des hostilités. Mais c’était mal interpréter les intentions américaines qui visaient faire de l’association entre Kaboul et Bagdad la base de leur stratégie au Moyen Orient. Les américains ne saisissaient pas d’ailleurs la teneur du lien communautaire unissant deux pays musulmans. Hamed Karzai a cédé et « Bagdad-Kaboul, même combat » est devenu le slogan qui manquait. Depuis, le ton sévère des membres des gouvernements successifs est sans équivoque. Le président américain fait l’objet d’une réprobation généralisée.

En fait, en liant Al-Qaeda à l’Irak, autant qu’à Saddam Hossein et aux armes de destruction massive, le gouvernement conservateur américain voulait conceptualiser la guerre contre le terrorisme international (islamique). Et puis le triangle Washington-Bagdad-Kaboul offrait le cadre idéal de collaboration indispensable à la politique de « Nation-building », chère aux Etats-Unis. C’est ainsi que désormais des similitudes marqueront la conduite du processus de légitimation des deux pays. Sous des appellations différentes, à savoir : conférence nationale, loya djirga, parlement, gouvernement intérimaire, autorité provisoire, élections nationales, constitution, etc., nous constatons des préoccupations communes et un processus unique. Nous trouvons aussi les mêmes difficultés et les mêmes blocages : le fédéralisme, la place de la religion, le régime étatique, le rôle des femmes dans la société. Les mêmes hommes : Lakhdar Brahimi pour les Nations-Unies, et Zalmai Khalilzad pour Washington, tentent de poser les mêmes jalons et s’efforcent de répondre aux mêmes revendications qui sont souvent d’ordre ethnique et confessionnel. A deux différences près : la première c’est que la richesse pétrolière ne touche que l’Irak, la seconde c’est que l’Etat en Afghanistan est reconstruit alors qu’il était détruit avant l’intervention américaine, tandis-que celle-ci est à la fois à l’origine de la destruction et de la reconstitution de l’Etat en Irak.

Il y a lieu de souligner aussi que dans un premier temps l’Afghanistan a servi d’exemple et que l’Irak a suivi. A présent ce n’est plus le cas.

Dues au caractère tribal du comportement du dirigeant de l’Administration transitoire et l’alignement de celle-ci sur le fondamentalisme islamique et surtout au désir du gouvernement néo-conservateur américain de tirer profit du déroulement rapide du processus de paix pour sa propre campagne électorale, les erreurs se sont multipliées, exposant la réalisation des accords de Bonn aux risque d’une nouvelle « djihadisation ». Ce qui fait que, compte tenu de l’insécurité croissante et un état de corruption généralisée qui a ses racines dans l’existence des réseaux de trafics illégaux, et sa justification dans l’effacement de l’Etat, lui-même incapable de transcender les différences ethniques, il est plus juste de parler aujourd’hui de deux crises ayant chacune ses spécificités. Si la tension qui oppose les Etats-Unis à l’Iran à propos de la question nucléaire se développait, la crise s’étendrait sur toute la longueur de la zone qui sépare Kaboul et Bagdad, n’épargnant aucunement Islamabad.

La signature de l’accord de partenariat stratégique par Hamed Karzai successivement avec les gouvernements américain et britannique, révèle en Afghanistan le souci d’une éventuelle accentuation de la tension au niveau de la région. Alors que l’orientation de l’Afghanistan vers la république islamique prive celui-ci des garanties de stabilité qui lui avaient été promises par les accords de Bonn, la forme future de la présence militaire internationale est à repenser à la lumière d’un éventuel désengagement des Etats-Unis et de probables réactions régionales.

La création de la République islamique d’Afghanistan

En dépit de l’orientation moderne imprimée par les accords de Bonn, l’Etat issu de l’Administration transitoire retombe dans les travers du pouvoir tribal.

Les phases successives de transition censées promouvoir les bases démocratiques de l’Etat de droit voient émerger des formes renouvelées d’alliances, portant l’empreinte de la période du djihad. La loya djirga d’urgence, qui avait pour mission de donner sens et légitimité aux nouvelles structures, se transforme en conseil islamique de baïat… Hamed Karzai cède à l’appel des anciens Moudjahidins et oublie que la raison de sa présence à la tête du processus de paix est d’insuffler un esprit nouveau et d’extraire le pays de l’enlisement « djihadiste ». L’administration transitoire prend, sans que quiconque s’en offusque, le titre d’ »Etat islamique de transition », ce qui ouvre la porte à de nouvelles spéculations. Là encore, Hamed Karzai n’hésite pas à s’allier à ceux qui avaient préparé le pays à l’émergence des talibans.

À la veille des élections parlementaires, alors que s’accomplit la dernière étape du processus de Bonn, la vie politique en Afghanistan ne montre aucun signe d’organisation. Les partis sont totalement absents et les électeurs prennent part au scrutin en se référant à des critères d’appartenance ethnique ou religieuse, ou en suivant les réseaux de corruption largement étendus à tous les niveaux de l’Etat et sur l’ensemble du territoire. Dans ce contexte, le dernier acte du processus de Bonn peut être considéré en même temps comme le prononcé de son inhumation.

Dès lors, l’attente de Hamed Karzai de voir dans le parlement le moyen de réaliser tout ce qu’il n’a pas été en mesure d’accomplir au cours de ses mandats successifs, est plus que surprenant.

Mais ce n’est pas tout. Avec le nouveau parlement, très probablement sous l’emprise des fondamentalistes, reprendra l’islamisation de la vie publique, déjà largement contaminée par des cercles religieux d’obédience pakistanaise. L’ancien ministre taliban de « la commanderie du bien et de l’interdiction du vice » est de nouveau actif. Deux dispositions expresses de la constitution de la république islamique faciliteront le travail des parlementaires : l’article 3 fait de la Charia la source unique de la législation, et l’article 45 confie à l’Etat la charge de promouvoir l’enseignement en conformité avec un corpus religieux unique. D’ores et déjà la multiplication des madrassa (écoles à orientation religieuse) est à l’ordre du jour. Le gouvernement vient d’annoncer l’ouverture d’un important centre de formation aux disciplines islamiques. Curieuse méthode pour combattre le radicalisme islamique que de procéder à la multiplication des madrassa dont le rôle négatif vient d’être souligné par les attentats du 7 juillet à Londres.

La légalité de la présence militaire en Afghanistan

Que penser du statut juridique de la présence militaire américaine en Afghanistan ?

Même si les conditions d’une semi-occupation sont à l’évidence réalisées, il n’est pas exagéré de dire que l’intervention militaire américaine a été salutaire et même qu’elle a été souhaitée par la très grande majorité des Afghans. Nous prenons soin de le souligner car il est important de savoir, ne serait-ce que pour dissiper les malentendus et éviter les confusions, que rien n’est comparable à la situation créée par l’intervention de l’ancienne Union soviétique, qualifiée de la part de la société internationale, d’agression caractérisée et de violation de la Charte des Nations-Unies (se référer aux sentences du Tribunal permanent des peuples, rendues à Stockholm et à Paris en 1981 et 1982).

Toutefois, la question ne peut être éludée dans la mesure où cette intervention militaire, légitimée à posteriori et de façon implicite par les accords de Bonn, s’oriente vers une présence durable, renforcée par l’installation de bases militaires permanentes et accompagnée de la signature d’un accord de partenariat stratégique dont la raison d’être va bien au-delà de la guerre contre le terrorisme international, celui-ci ne visant que le radicalisme islamique.

Dans le champ limité de la conférence de Bonn qui réunissait les Afghans sous les auspices des Nations-Unies, la présence militaire américaine n’est pas envisagée de façon explicite. Elle fait partie d’une action internationale qui a pour objectif d’assurer la sécurité de la capitale afghane et éventuellement celle des provinces, mais aussi la sécurité des frontières contre les ingérences extérieures. Ce serait, semble-t-il, cette dualité de fonctions qui servirait de base de distinction entre la mission réservée aux Nations-Unies (la sécurité de la capitale et des villes), et celle attendue de la société internationale dont font partie les Etats-Unis (la protection des frontières).

Durant le processus de paix, la mission sécuritaire confiée aux Nations-Unies a couvert toutes les phases de transition (l’organisation de la loya djirga et le déroulement des élections, entre autres). Elle s’est étendue en outre, au désarmement des unités afghanes et des milices actives sur le terrain. Cette démarche prévue par les accords de Bonn, a donné naissance à une action spéciale du réseau dénommé PRT (Provincial reconstruction teams soit équipes provinciales de reconstruction), et a été étendue avec succès à plusieurs provinces. La réintégration des milices dans la vie civile faisait partie de cette mission.

Vu le désir de désengagement progressif des Etats-Unis, le réseau PRT est de plus en plus géré par les forces de l’OTAN. Dans une phase ultérieure, à supposer que la guerre contre le terrorisme international perde de son intensité, seules les forces de l’OTAN seront chargées de la sécurité d’Afghanistan. A cet effet, les contacts se multiplient dans le cadre de l’OTAN. La réunion de deux jours tenue par cette organisation les 12 et 13 septembre dernier à Berlin a permis de grandir de nouveau pas dans la voie de l’accroissement de la capacité d’intervention en Afghanistan. Il serait reconnu à l’OTAN la mission de combattre le terrorisme sur l’ensemble du territoire.

Par ailleurs, le Conseil de sécurité, considérant toujours la situation en Afghanistan comme une menace pour la paix, a prolongé le mandat de l’ISAF pour une durée supplémentaire d’un an. Il est prévu que l’« otanisation » d’Afghanistan s’achève fin 20061. À cette échéance, la distinction entre les diverses missions de sécurité n’aura plus de justification.

Ce dépassement des accords de Bonn impliquant l’OTAN dans une mission n’entrant pas traditionnellement dans sa sphère d’action (l’Allemagne et la France y étaient au départ opposées), n’est pas de nature à laisser sans réaction les pays de la région.

En effet, l’accord de partenariat stratégique, signé le 24-05-2001 entre Hamed Karzai et George W. Bush, tout en se référant à la Charte des Nations-unies et aux constitutions respectives des deux pays partenaires, autorise, pour mieux organiser la guerre contre le terrorisme international, les forces armées américaines présentes en Afghanistan à utiliser les installations de la base de Bagram, ainsi que celles qui seront désignées d’un commun accord à l’avenir.

Il est l’évident que l’écart qui sépare le potentiel économique et militaire des deux parties, et surtout l’état de désagrégation dans lequel se trouve l’Afghanistan, incitent à penser que l’accord de partenariat dissimule en réalité une mise sous tutelle de ce pays. C’est en ce sens que les pays de la région et surtout les voisins interprètent la manœuvre et c’est ce qui explique leur évidente préoccupation. Hamed Karzai n’est d’ailleurs pas en restée. Il vient de déclarer (14 septembre 2005) en s’adressant à Donald Rumsfeld et à la société internationale que le succès de la lutte contre le terrorisme suppose des actions fermes visant les foyers mêmes où ce genre d’activité est régulièrement entretenu.

La réaction des pays d’Asie centrale à l’accord de partenariat stratégique

La première réaction est venue des pays d’Asie centrale. Un sommet tenu le 5 juillet 2005 à Astana, capitale du Kazakhstan, par les Etats membres de l’organisation de coopération de Shanghaï qui regroupe l’Ouzbékistan, le Tadjikistan, le Kirghizistan, le Kazakhstan mais aussi la Russie et la Chine, s’est prononcé pour qu’une « date butoir » limite la durée du déploiement des bases militaires américaines dans la région. L’argument avancé s’appuyait sur l’assurance donnée par les américains, selon laquelle « la phase militaire active de l’opération anti-terroriste en Afghanistan » touchait à sa fin. En réalité, l’hypothèse de la stabilisation de l’Afghanistan n’est pas vérifiée, les attaques venant des Talibans ayant augmenté d’intensité et les turbulences dues au fondamentalisme ambiant et au trafic de drogue n’ayant pas cessé. C’est pourquoi Donald Rumsfeld n’a pas montré d’empressement à répondre à cette demande et a souhaité maintenir un jeu d’alliances adapté à la situation et favorable aux Etats-Unis. Au cours d’une visite rendue les 25 et 26 juillet, le ministre américain de la défense a réussi à convaincre les gouvernements de Kirghizistan et de Tadjikistan, au prix d’aides économiques substantielles, de la nécessité du maintien du statut quo, en attendant que la situation soit durablement sécurisée en Afghanistan2.

Qu’en est-il de l’Ouzbékistan ? Dans ce pays d’Asie centrale qui abrite aussi une base militaire américaine (à Karchi Khanabad), le désir de se rapprocher de la Russie et de la Chine l’a emporté sur les raisons économiques. Menacé par les fondamentalistes à la suite des événements d’Andijan, le dirigeant ouzbek Islam Karimov, a exprimé sa volonté de mettre fin à la présence militaire américaine.

Quelles que soient ces réactions, l’Afghanistan semble être durablement intégré au plan de sécurité régionale des Etats-Unis et, partant, de l’OTAN. Sous réserve de l’approbation par le prochain parlement, la volonté exprimée dans l’accord d’élever l’Afghanistan au rang d’un pont reliant l’Asie centrale à l’Asie du sud fait partie de ce plan.

Le problème reste le Pakistan qui tient une carte importante dans la liaison entre les zones nord et sud.

La réaction pakistanaise face à l’accord de partenariat stratégique

Le Pakistan est concerné par l’accord de partenariat à plus d’un titre. L’implication des talibans et l’engagement de ceux-ci à côté d’Al-Quaïda a laissé des traces qui font qu’à présent le Pakistan forme le centre névralgique de la guerre conduite contre le terrorisme international. Contrairement à l’impression qui prévaut, c’est le Pakistan qui est le plus touché par l’action militaire américaine.

Sous les talibans, le Pakistan nourrissait de larges ambitions, allant jusqu’à préparer une éventuelle annexion de l’Afghanistan, en invoquant des sentiments d’unité véhiculés par la communauté religieuse et historique. La manœuvre consistait à raviver dans le sentiment national, le souvenir historique des conquêtes lancées à partir de la terre afghane pour étendre l’islam au sous-continent indien.

Après le processus de pays, les américains ont enfermé le Pakistan dans le rôle d’un voisin tenu à l’écart, obligé de jouer la carte de la paix et de la stabilité dans le nouvel environnement créé au lendemain du 11 septembre. À présent, aidé par les erreurs de l’Administration transitoire sous Hamed Karzai, la direction pakistanaise tente de reconquérir sa place en Afghanistan. L’accord de partenariat est justement le moyen d’empêcher la réalisation de cette ambition. Parviz Musharraf et ses services de renseignement utilisent à cette fin l’atout principal en leur possession qui est la zone tribale, semi-autonome, habitée de Pachtouns, ethnie influente en Afghanistan. Mais le Pakistan détient aussi la clé des madrassa, réservoir de futurs « djihadistes ».

En face, Hamid Karzai, conscient de la menace pakistanaise, ne ménage pas ses efforts pour rappeler aux voisins, plus spécifiquement au Pakistan, que le temps des conquêtes est révolu. Depuis la signature de l’accord de partenariat stratégique avec les Etats-Unis et aussi la Grande Bretagne, le dirigeant afghan n’a de cesse de dire que son gouvernement est infiltré par des agents étrangers (entendons pakistanais).

Le problème est que la guerre menée contre le terrorisme international touche conjointement les trois pays : l’Afghanistan, le Pakistan et les Etats-Unis. Une commission mixte se réunit périodiquement pour coordonner leurs travaux, sans véritable progrès. Dans quelle mesure le rapprochement entre l’Afghanistan et le Pakistan est-il compatible avec les engagements annoncés dans l’accord de partenariat. C’est la question qui constitue l’enjeu principal, enjeu qui ne laisse par ailleurs indifférents ni l’Inde3 ni l’Iran, dans la mesure où les Etats-Unis penchent vers un rapprochement avec la première et ont des contentieux à régler avec le second.

Quant à la diplomatie afghane, réticente au moment de la création du Pakistan en 1947, et méfiante vis-à-vis d’un Iran impérial, élève préféré en ce qui concerne l’Inde et l’Irak, jouer comme par le passé la carte de l’alliance occasionnelle. Dans la situation présente, cette diplomatie rejoint les nouvelles visions stratégiques des Etats-Unis.

* Kacem FAZELLY est juriste Afghan, ancien ministre au gouvernement de Hamed Karzai. Auteur de plusieurs articles et ouvrages sur l’Afghanistan dont le dernier intitulé « L’Afghanistan, du provisoire au transitoire. Quelle perspective », Paris : Langues et Monde l’Asiathèque, 2004.

Note

  1. Une ébauche des zones annoncées prévoit : la zone ouest (l’Espagne, l’Italie) ; la zone nord (l’Allemagne) ; la zone est (la Grande Bretagne) ; la zone sud (les Etats-Unis) ; la zone centre comprenant la capitale (la France). Le ministre britannique de la défense a annoncé le 13.09.2005 l’envoi de troupes supplémentaires au sud de l’Afghanistan avec pour mission d’opérer contre le terrorisme et sous le couvert de l’OTAN.
  2. Les Etats-Unis pourront garder leur base militaire au Kirghizistan aussi longtemps que l’exigera la situation en Afgh (Le Monde du 27 juillet 2005)
  1. Invite par Hamid Karzai, M. Manmohan Singh (premier ministre indien) s’est rendu le 28 août 2005 en Afghanistan. L’Inde participe à la reconstruction de l’Afghanistan, dans les domaines de la santé et de l’agricu A l’occasion de ce voyage, la pierre de fondation du siège du futur parlement afghan est posée au cours d’une céremonie qui associait l’ancien roi à un geste hautement significatif en faveur de la démocratie.
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