La défense européenne : l’autre modèle pour l’Union européenne?

Par Christophe Réveillard.

Mars 2001

L’histoire retiendra un double paradoxe dans l’accélération du processus de mise en place d’une défense européenne. De fait, cette accélération aura tout d’abord résultée des suites de la maladresse des Etats-Unis dans leur réponse aux propositions formulées par des Etats membres de l’Otan concernant la création en son sein d’une identité européenne de sécurité et de défense. Puis, la défense européenne aura, à la surprise de beaucoup, bénéficiée de l’impulsion apportée par l’infléchissement certaine de la position politico-stratégique traditionnelle de la Grande-Bretagne tant vis-à-vis de ses partenaires européens que de l’allié américain.

S’il est évident que tout en cette matière reste lié à une multitude de paramètres plus ou moins aléatoires qui rendent à tout moment possible un retournement de conjoncture, il n’en reste pas moins qu’une tendance à la concrétisation d’une Europe de la défense s’est dégagée ces dernières années. Phénomène d’autant plus remarquable, et remarqué notamment outre­Atlantique, que la nouvelle donne dans l’industrie européenne de défense y joue un rôle non négligeable avec la promesse d’éventuelles fortes potentialités dans un avenir étonnamment proche pour ce domaine habitué aux stratégies de très long terme.

Il est dès lors intéressant d’étudier à la fois le contexte, les mouvements et le modèle institutionnel, politique que l’Europe de la défense pourrait inspirer à une Union européenne à la recherche d’un nouveau souffle politique faute d’institutions vraiment efficaces et d’objectifs réalistes. Ainsi, loin d’être seulement un quatrième pilier de l’Union européenne, la politique européenne de la défense pourrait devenir emblématique, si le courage politique des responsables suit, de cette autre façon de construire l’Europe.

Une opposition stratégique révisée.

Au regard des bouleversements géostratégiques du début de la décennie 90, la France, à l’occasion de l’accession au pouvoir d’un nouveau président de la République en 1995, avait proposée une réforme de l’Otan, organisation jugée efficace mais créée et organisée dans le cadre d’une situation désormais révolue. L’objectif de cette proposition était, notamment en octroyant à un officier général européen le commandement du secteur sud de l’Otan, de constituer en interne une identité européenne de sécurité et de défense. La proposition française avait été soigneusement préparée avec beaucoup de prudence et de modération jusqu’à préciser préalablement que Paris n’exigerait pas pour un de ses officiers ce poste de commandement. Or, on se souvient que les Etats-Unis y répondirent eux-mêmes assez brutalement et provoquèrent son rejet de l’intérieur même de l’Union européenne par une discordance du plus fâcheux effet. De la demande assez directe adressée à la France « de ne plus chevaucher de chimères » (1) quant à l’utilisation d’un certain nombre d’arguments sans rapport direct avec la question tel par exemple que le Commandement de la VIe flotte américaine en Méditerranée non concernée en l’occurrence, on vit surtout se constituer un rideau de fumée pour occulter la véritable question de fond.

Avec la nouvelle donne géostratégique, la question n’était plus seulement pour les acteurs concernés d’assurer la défense de l’Europe mais également d’en contrer le dispositif. Au sein de l’Otan, le commandement est structurellement aux mains des Américains et, pour certains pays européens, avoir voulu ne serait-ce seulement même que le rééquilibrer de l’intérieur tenait de la gageure. Dans le même ordre d’idées, les responsables américains ne perdirent pas une occasion de rappeler qu’il fallait considérer les Etats-Unis comme une puissance européenne. Ils permirent de surcroît, malgré la disparition du Pacte de Varsovie et de l’antagonisme Est/Ouest, l’extension de facto de l’aire d’intervention de l’Otan. Mais concomitamment, l’excès de confiance des Américains dans les divisions européennes entre atlantistes et partisans d’une certaine autonomie, les a empêchés de voir le danger pour eux de l’émergence d’une vision proprement européenne de la sécurité européenne.

Entre une gestion uniciste des guerres balkaniques et les multiples incompréhensions de part et d’autre de l’Atlantique, les évènements ont accéléré ce processus de maturation. La maladresse américaine est d’autant plus à souligner qu’elle a favorisé le rapprochement des deux positions défendues jusqu’alors en Europe principalement par l’Angleterre et par la France et, à priori, difficilement conciliables. Cela, alors même que Londres ne semblait pas envisager l’évolution qu’elle allait donner à ses positions en matière de défense européenne comme pouvant porter atteinte à sa relation privilégiée avec Washington, ni ombrage aux objectifs stratégiques américains en Europe.

Une évolution accélérée.

Toujours est-il que c’est au sommet franco-anglais de Saint-Malo des 3-4 décembre 1998, que le projet d’une Europe de la défense organisée dans le cadre de l’Union européenne et avec des moyens militaires et institutionnels va connaître une avancée décisive ; ce sera la première évocation d’une capacité d’action autonome et la responsabilité du Conseil européen de décider le développement progressif d’une politique de défense commune dans le cadre de la politique étrangère et de sécurité commune (PESC) (2). Si certaines des causes de l’évolution britannique sont intérieures ou européennes (la médiocre présidence britannique de l’Union de janvier-juin 1998 et le refus de l’Euro ont convaincu Tony Blair que la situation n’était plus tenable : la défense était le seul domaine où son pays pouvait apporter quelque chose de décisif à l’Europe, d’autres causes relèvent de l’évidence historique : impuissance européenne à maîtriser ses propres crises, tels la Bosnie et le Kosovo ; hésitations des Etats-Unis à s’engager dans les crises européennes ; enfin inquiétudes européennes (britanniques) devant une politique américaine erratique, faisant craindre un comportement imprévisible dans les crises européennes (3). A cet égard, les guerres tant en Bosnie qu’au Kosovo auront servi de révélateur particulièrement en ce qui concerne la tendance américaine à faire cavalier seul et à appliquer obstinément, parfois au détriment des intérêts proprement européens, leurs objectifs stratégiques. Au Kosovo, la limite fut visiblement franchie et ce, doublement, au regard des moyens utilisés.

Dès lors, les décisions découleront logiquement de ce nouveaux cours. Avant de les évoquer, il n’est cependant pas inutile de revenir sur le cadre spécifiquement institutionnel défini par l’Union européenne et ayant permis le déroulement du processus d’élaboration d’une politique européenne de la défense. Le traité de Maastricht (4) signé le 7 février 1992 et entré en vigueur le 1er novembre 1993, créait, ex nihilo, une politique extérieure et de sécurité commune (art. J) dans laquelle était inclus l’ensemble des questions relatives à la sécurité de l’Union européenne, y compris la définition à terme d’une politique de défense commune, qui pourrait conduire, le moment venu, à une défense commune (art. J.4-1) ; phrase assez obscure reflétant l’espèce de synthèse opérée entre les différentes positions des Etats membres et qui avait donné lieu à de durs affrontements entre les pays plus intégrationnistes (France, Allemagne) et ceux plus atlantistes (Grande-Bretagne, Italie, Pays-Bas). Institutionnellement, le traité de Maastricht devait donner au Conseil européen (5) la place centrale puisque c’est lui qui définit les principes et les orientations générales de la politique étrangère et de sécurité commune (art. J.8-1) dont on a vu que la politique de défense commune faisait partie. Enfin, un comité politique fut créé composé des directeurs politiques (6) suivant la situation internationale dans les domaines relevant de la politique étrangère et de sécurité commune et contribuant à la définition des politiques en émettant des avis à l’attention du Conseil (art. J.8-5). Le traité précisait également que l’Union européenne demande à l’Union de l’Europe occidentale (UEO) qui fait partie intégrante du développement de l’Union européenne, d’élaborer et de mettre en œuvre les décisions et les actions de l’Union qui ont des implications dans le domaine de la défense (art. J.4-2). L’UEO devenait ainsi le bras armé de l’Union européenne et le pilier européen de l’Alliance atlantique comme ce fut réaffirmé par la déclaration des Etats membres de l’UEO du 10 décembre 1991 et aussi par l’Otan lors de sa réunion de Rome en novembre 1991. Dans le cadre de la PESC, l’Union européenne avait donc capacité à utiliser l’UEO d’autant que cette dernière fut renforcée d’une cellule de planification à partir de 1992 et d’un centre satellitaire basé à Torrejon en Espagne à partir d’avril 1993 (exploitation des images du satellite Hélios).

Le Traité d’Amsterdam signé le 2 octobre 1997 intègre les missions de Petersberg (7) dans le traité sur l’Union européenne, donne compétence d’orientation au Conseil européen vis-à-vis de l’UEO et décide que le secrétaire-général du Conseil sera également haut représentant pour la PESC, disposant à ses côtés de l’unité de la planification de la politique et d’alerte rapide (UPPAR). Auparavant, ce fut l’obstruction britannique manifeste lors de la Conférence intergouvernementale de 1996-1997 préparant le nouveau traité, qui avait empêché l’intégration de l’UEO dans l’Union européenne dès Amsterdam.

Une capacité d’action renforcée.

Après que la France, dernier Etat à le faire, ait ratifié le traité d’Amsterdam en mars 1999 et permit son entrée en vigueur, les Etats membres manifestèrent lors du sommet de Cologne des 3-4 juin 1999 leur volonté de doter l’Union européenne des moyens et des capacités nécessaires pour assumer ses responsabilités afin de mener une véritable politique européenne commune en matière de sécurité et de défense. L’Union doit pouvoir disposer d’une capacité d’action autonome soutenue par des forces militaires crédibles, avoir les moyens de décider d’y recourir et être prête à le faire afin de réagir aux crises internationales. Dans ce dispositif, l’Union européenne ayant ou non recours aux moyens et capacités de l’Otan, le Conseil devait occuper la place centrale et les Etats membres prenaient l’engagement de rendre encore plus opérationnels les moyens militaires européens issus des formats nationaux. Le Conseil est notamment chargé de définir les modalités de l’inclusion de celles des fonctions de l’UEO qui seront nécessaires à l’Union européenne pour assumer ses nouvelles responsabilités. Ce qui fut justement discuté à la réunion ministérielle de l’UEO du 16 novembre 2000 à Marseille marquant la fin de ses fonctions proprement opérationnelles.

Puis, après la volonté, les moyens : au sommet d’Helsinki des 9-10 décembre 1999, les Etats membres prirent la décision de créer de nouveaux organes et de nouvelles structures politiques et militaires (comité politique et de sécurité, comité militaire, Etat-major), au sein du Conseil, pour permettre à l’Union d’assurer l’orientation politique et la direction stratégique nécessaires à la planification et à la conduite d’opérations de Petersberg. Cette architecture fut mise en place sous une forme intérimaire au 1er mars 2000 en attendant l’architecture définitive favorisant prise de décision et conduite des opérations dont la constitution a été confirmée au sommet de Nice des 7-11 décembre 2000. La mise en œuvre de sa capacité opérationnelle réelle devrait être entérinée au sommet européen de Laeken du deuxième semestre 2001. Helsinki a également été le lieu où ont été précisé les moyens relatifs aux missions de Petersberg : L’objectif global consiste à être en mesure en 2003 de déployer, en soixante jours et sur une durée au moins égale à un an, une force de réaction rapide, si besoin de l’importance d’un corps d’armée, soit au total pour la composante terrestre de l’ordre de 50 à 60 000 hommes, ainsi que des éléments aériens et navals aux capacités cohérentes avec la composante terrestre. Cette force devra être autonome, c’est-à-dire disposer de moyens propres de renseignement, de commandement, de contrôle et de logistique. Enfin l’Union européenne devrait disposer des capacités de commandement, de contrôle, de renseignement et de transport logistique pour obtenir l’autonomie d’évaluation, de décision et d’action pour toute la gamme des missions de Petersberg. C’est également à Helsinki que fut rappelée l’importance du Secrétaire-général du Conseil et Haut représentant pour la politique étrangère et de sécurité commune, poste occupé par Javier Solana, également depuis novembre 1999 Secrétaire-général de l’UEO.

Entre-temps, à Washington les 23-24 avril 1999, l’Alliance atlantique lors de la réunion célébrant le cinquantenaire de l’Otan va évoquer la défense européenne et les consultations et coopérations nécessaires entre les deux organisations, notamment l’accès pour l’Union européenne aux planifications de défense et aux moyens opérationnels de commandement de l’Otan. Les conditions inhérentes au cadre stratégique dans lequel devrait se mouvoir la politique européenne de sécurité et de défense ont été récemment rappelées par le ministre français de la défense, notamment à partir des relations Union européenne – Alliance atlantique : préservation de l’autonomie de décision de l’Union ; différence de nature des deux organisations ; volonté de fonder leurs relations sur la nécessité de déterminer envers chaque crise la réponse appropriée.

Il est donc instructif d’observer l’évolution notable des circonstances et de la volonté politique vis-à-vis d’une Europe de la défense. En effet, d’une tentative trop rapidement conduite par les Américains d’un seul rééquilibrage du commandement à l’intérieur de l’Otan par le biais d’une hypothétique identité européenne de défense, les pays européens ont réussi à faire accepter par Washington une politique de défense européenne décidée de façon autonome par le Conseil européen dans le cadre de l’Union, donc hors Otan mais en collaboration avec elle. Or, cette évolution n’est évidemment pas terminée.

Une politique commune d’armement progressivement menée.

Au niveau industriel, un autre exemple proprement britannique pourrait également illustrer le propos : à l’occasion du processus général de restructuration de l’industrie de défense amorcé tant en Europe qu’aux Etats-Unis, certains industriels américains vont proposer des fusions transatlantiques qui révéleront un tel déséquilibre dans le partage que les Européens s’empresseront de tenter de se renforcer mutuellement pour éviter l’absorption américaine redoutée. Ainsi, quand l’Américain Lockheed-Martin propose au Britannique GEC Marconi Defence, un rapprochement industriel ne laissant qu’au premier le contrôle exclusif de la recherche et du développement, le Britannique Bae rachètera GEC notamment pour éviter l’OPA américaine.

En revenant légèrement en arrière, et sans aucunement évoquer l’existence d’une politique commune d’armement cohérente et volontariste, il est cependant utile de relever que le traité de Maastricht avait envisagé la création d’une Agence européenne pour les armements et que le traité d’Amsterdam avait évoqué une coopération en matière d’armements pour la définition d’une défense commune.

Différentes démarches de coopération entre Etats européens furent donc menées pour organiser leur demande. Ainsi, fut notamment formé le groupe armement de l’Europe occidentale (GAEO) en 1992 par les dix membres pleins de l’UEO travaillant à la mise en place d’un marché européen de l’armement et encadrant le programme de recherche EUCLID (1990), puis l’organisme conjoint de coopération en matière d’armement (OCCAR) a été lancé par l’Allemagne, la France, l’Italie et le Royaume-Uni pour gérer les programmes d’armements produits en coopération (10). Enfin, pour favoriser les restructurations industrielles six pays (Allemagne, Espagne, France, Italie, Royaume-Uni, Suède) ont décidé d’appliquer des règles harmonisées à leurs programmes d’armement conduits en coopération en matière de sécurité d’approvisionnement, de contrôle des exportations, de confidentialité des informations, d’harmonisation des besoins, etc. Les responsables politiques européens montrent dès lors clairement la voie du regroupement aux industriels de la défense.

Ainsi éclairée, la restructuration industrielle suivra. Il sera notamment procédé au rapprochement de GEC Marconi avec Finmeccanica pour former Alenia Marconi Systems et en 1996, aura lieu la formation de Matra Bae Dynamics (MBD). En octobre 1999, l’alliance de l’Allemand Dasa avec le Français Aérospatial Matra pour former l’Européen Aeronautic Defence and Space Company (EADSC) bientôt rejoint par l’Espagnol Casa et l’Italien Finmeccanica, aura suivi de peu celle décrite plus haut Bae-Systems – GEC Marconi Defence de janvier 1999, ainsi que la fusion de Matra Hautes Technologies et d’Aérospatiale en France. Dans l’électronique de défense, après le Franco-anglais Thalès, s’opère le rapprochement de l’Anglais Racal avec le Français Thomson-CSF. Enfin, tout récemment était révélée l’imminence d’un regroupement européen entre EADS, Bae Systems et Finmeccanica pour créer le deuxième missilier mondial MBDA, devant les américains Lockheed Martin et Boeing et à quelques encablures du leader (américain) Raytheon. MBDA sera présent à la fois dans les missiles, les systèmes de missiles et les autodirecteurs électromagnétiques, seul au monde à détenir une telle gamme de produits et sur les trois principaux marchés européens (Italie, France, Grande-Bretagne) avec des visées en Espagne (Indra, EADS Espagne ex-Casa et Izar ex-Bazan) et en Allemagne (BGT et LFK) pour consolider l’industrie européenne du missile (11).

Pour résumer, cette restructuration industrielle en ébullition semble en passe de donner aux groupes européens la taille nécessaire pour résister voire concurrencer efficacement les groupes américains et surtout leur donner la capacité d’investissement nécessaire pour les projets de haute technologie, défi principal de l’industrie de défense. L’étape suivante déjà largement amorcée est l’accompagnement de cette évolution par les Etats européens qui devraient presque systématiquement faire le choix du matériel européen. La crédibilité de la politique européenne de sécurité et de défense en dépend tout simplement. A l’heure actuelle le choix d’un système d’armes soit Otan, soit européen, induit automatiquement l’intégration à un ensemble de systèmes. Si le choix d’un pays européen est aujourd’hui, comme certains continuent de le faire, favorable à un système d’armes américain, le seul environnement lui permettant une rentabilité optimum sera inévitablement et mécaniquement l’intégration Otan. Le choix du matériel et des systèmes européens pour les pays européens est donc loin d’être neutre. Il conditionne même, non seulement le dynamisme industriel, commercial et technologique des entreprises européennes de défense mais également et surtout leur capacité à continuer de créer toute une chaîne de systèmes d’armes indépendants, notamment du standard Otan.

Premiers constats, premiers enseignements.

La démarche engagée pour rendre l’Europe de la défense viable et crédible fait apparaître en creux l’impasse du projet supranational et intégrationniste dont la vaine application est tentée dans l’Union européenne. En effet, dans le cas de la défense, la souveraineté du Conseil européen, c’est-à-dire celle de chaque Etat, est la règle. Le caractère intergouvernemental de l’architecture et la politique européenne de sécurité et de défense est non seulement institutionnalisé mais même la condition de son existence. Et, c’est en assistant le Conseil que le Secrétaire général – Haut représentant a une contribution essentielle à apporter à l’efficacité et à la cohérence de la politique étrangère et de sécurité commune et à la mise au point de la politique commune de sécurité et de défense. Le général Jean-Pierre Kelche, Chef d’Etat-major des armées françaises, décrivant les objectifs, c’est-à-dire atteindre un certain niveau de capacités militaires, disposer des organes permettant une prise de décision efficace et s’insérer dans le réseau d’organisations globales ou régionales existantes afin de coopérer avec elles, précise bien qu’il faut résister à la tentation de les noyer dans un imbroglio technocratique inextricable et paralysant (12). Il réaffirme que s’agissant de politique étrangère et de sécurité commune et son volet défense, le cadre adopté est clairement intergouvernemental. Ce qu’avait confirmé précédemment le ministre français de la défense en faisant même la garantie de sa réussite : Nous excluons toute dimension supranationale dans l’Europe de la défense et je pense que c’est l’une des clefs des succès que nous avons atteints. La définition à Helsinki d’objectifs de capacités ne conduit nullement à transférer vers Bruxelles la détermination de la stratégie des moyens. En effet, la programmation militaire demeurera de la compétence nationale (13). C’est pourquoi les différents éléments du dispositif, confirmés à Nice les 7-9 décembre 2000, tirent tous leur autorité du Conseil : qu’il s’agisse du Comité politique et de sécurité (COPS) composé des représentants des Etats membres et exerçant sous l’autorité du Conseil, le contrôle politique et la direction stratégique des opérations de gestion de crise ; du Comité militaire composé des chefs d’Etat-major des armées représentés par leurs délégués permanents et formulant avis et recommandations au COPS ; de l’Etat-major recevant ses directives du Comité militaire, etc (14).

La réussite de l’Europe de la défense semble à la portée des Etats européens les plus engagés, c’est-à-dire la France, l’Angleterre, l’Allemagne, et l’Italie. Ces Etats représentent quatre-vingts pour cent des moyens de combat de la Force européenne de réaction rapide regroupant tous les moyens militaires pouvant être mis à la disposition de l’Union européenne pour contribuer avec une capacité autonome de décision à la gestion des crises. Le format de ces moyens ressort du catalogue des forces, visées par le Conseil d’Affaires générales (avec les ministres de la défense) le 20 novembre 2000 à Bruxelles, catalogue affichant 100 000 hommes, 400 avions de combat et 100 navires. Pour obtenir la garantie d’une certaine pérennité du processus engagé, il ne suffira pas seulement d’avoir passé le cap de l’aptitude opérationnelle des structures devenues permanentes, ni d’avoir suffisamment développé un esprit de préférence européenne pour dynamiser la capacité industrielle européenne à créer des systèmes d’armes autonomes (15). Les responsables des différents pays concernés devront essentiellement tendre à la sauvegarde de l’orientation intergouvernementale du processus de l’Europe de la défense. L’Union européenne, de par son impuissance politique ontologique, servira quotidiennement les intérêts de ses Etats membres, la richesse de l’Europe étant le fait de ses différentes entités non d’organismes supranationaux technocratiques essentiellement obnubilés par l’exemple fédéral américain et la création d’un grand marché unique transatlantique. Dès lors, le succès potentiel de l’Europe de la défense pourrait provoquer cette prise de conscience que seules les personnalités de ses nations peuvent favoriser une identité européenne forte et promouvoir un véritable objectif d’organisation politique d’ordre confédéral ou intergouvernemental contre la supranationalité et l’intégration qui ont pour résultat de dépolitiser les rapports étatiques et donc d’abolir toute indépendance.

* Christophe Réveillard, Docteur en Histoire (Centre d’Histoire de l’Europe et des relations internationales de l’Ecole doctorale moderne et contemporaine – Université Paris-IV Sorbonne. Co-directeur de la revue universitaire d’études politiques Conflits Actuels. Dernières publications sur quelques mythes de l’Europe communautaire – FX de Guibert ; Les dates-clefs de la construction européenne – Ellipses ; à paraître : Communautés européennes et fédéralisme. Histoire d’une tentative 1944-1954 – FX de Guibert.

  • Volker Ryhe, ministre allemand de la Défense.
  • Pour une description assez complète de la PESC, mais assez peu développée sur les évènements les plus récents : Jean-Michel Dumond et Philippe Setton, La politique étrangère et de sécurité commune, La Documentation française, collection Réflexe Europe, 1999, Paris.
  • Sirius et Philippe Grasset, La défense européenne : rapports transatlantiques, Commission permanente IHEDN-Luxembourg/Belgique cit. in Revue de Défense Nationale, Paris, n° 11, novembre 2000, p. 17.
  • Ecriture française : Maastricht.
  • Il convient ici de bien distinguer le Conseil Européen du Conseil de l’Union européenne voire du Conseil de l’Europe. Le Conseil européen, héritier des sommets européens, réunit les chefs d’Etat ou de gouvernement ainsi que, selon les questions traitées, le président de la Commission européenne. Il est la clef de voûte du cadre institutionnel unique. Le Conseil des ministres de l’Union européenne réunit les ministres des Etats membres, soit les ministres des Affaires étrangères en formation affaires générales, soit les ministres spécialisés. Le Conseil de l’Europe, à l’écart de la construction européenne, est formé d’une Assemblée parlementaire composée de représentants désignés par les parlements nationaux et réunissant plus de 40 Etats d’Europe et un Comité des ministres, organe intergouvernemental.
  • Issus des ministres des Affaires étrangères des pays membres.
  • Les missions de Petersberg (qui ont lieu à Berlin où elles furent définies dans une déclaration au point II-4 en juin 1992 par le Conseil des ministres de l’Union de l’Europe occidentale – UEO) ont été reprises dans le Traité sur l’Union européenne : missions humanitaires ou évacuations de ressortissants, missions de maintien de la paix, missions de forces de combat pour la gestion des crises, y compris opérations de rétablissement de la paix.
  • Alain Richard, L’Europe de la défense, Revue de Défense Nationale, Paris, n°1, janvier

2001, p. 11.

  • Maxime Lefebvre, Le jeu du droit et de la puissance, PUF, Paris, 2000, p. 309 et Jean-Michel Dumond et Philippe Setton, op. cit. , pp. 119-121.

(10) Ibid.

  • La Tribune, n° 465, 16-17 mars 2001, Paris, pp. 1 et 12.
  • In « Vers une force européenne de réaction rapide », Revue de Défense nationale, n° 2, février 2001, Paris, p. 6 et 11.
  • cit. , p. 10.

 

(15) Alain Barreau, Politique étrangère, sécurité et défense : où en est l’Europe ?, rapport d’information, délégation pour l’Union européenne, Assemblée nationale, Paris, 16 mars 2000, pp. 35-37.

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