Mardi 10 décembre 2024
COMPTE-RENDU DU COLLOQUE
Le Conseil scientifique de l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé un colloque international pour la défense des droits de l’Homme, ou droits humains, symboliquement à la date qui leur est dédiée, le 10 décembre, date de création de la Déclaration Universelle des Droits de l’Homme des Nations Unies (1948).
De nombreux drames humains que provoquent les conflits actuels, ainsi que les violations des droits fondamentaux assumés par des régimes iniques ou conséquences de décisions unilatérales de sanctions injustes, sont les fruits du rejet des droits de l’Homme sur tous les continents. Ce sont principalement les populations les plus vulnérables, personnes âgées, femmes et enfants qui subissent ces atteintes à leur dignité. Notre institution a voulu par cette manifestation nommer ces dernières, envisager les voies de leur élimination, et a donc souhaité s’associer à l’ensemble des démarches académiques et diplomatiques visant à trouver les voies de résolution pacifique de ces atteintes aux droits humains.
Sur ce thème, les intervenants eurent à se saisir d’un grand nombre de sujets spécifiques, tels que la question de l’universalisme de la définition des droits de l’Homme, la déclinaison juridique des multiples cas de leur violation sur les nombreux théâtres de guerre, ou de privation des libertés sur tous les continents, de leur avenir face aux bouleversements démographiques, de la collaboration diplomatique internationale (nécessaire pour coordonner leur défense et créer un corpus efficace et contraignant), de la pérennité d’institutions juridictionnelles comme la Cour Pénale Internationale. Sera également posée, la question de savoir si le sujet des droits de l’Homme est réellement intégré par toutes les politiques et programmes de l’ONU, au sein des actions et initiatives pour la paix et la sécurité internationales, le développement, l’aide humanitaire et les questions économiques et sociales, comme son organisation et sa charte le lui obligent.
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COMPTE-RENDU
Première intervention du colloque par le Dr. Ali RASTBEEN, Président de l’Académie de Géopolitique de Paris (AGP), après l’accueil des intervenants et du public. Il s’est exprimé sur le sujet « Les sanctions et les droits de l’homme ».
Les sanctions unilatérales, imposées par un État ou un groupe d’États à un autre État, sont souvent présentées comme un outil de pression politique visant à modifier le comportement d’un régime. Cependant, leur impact sur les droits de l’Homme est un sujet de débat récurrent et complexe. Les sanctions unilatérales illustrent l’établissement d’un rapport de force où le plus puissant impose en toute impunité sa loi au plus faible, en profitant des prérogatives et des privilèges géopolitiques et économiques dont il dispose. Ces sanctions affectent tout autant la légitimité du Droit international public et les Droits de l’Homme.
En effet, ces sanctions remettent en cause les principes d’humanité et d’accès à l’assistance humanitaire et à l’information, d’égalité des droits humains, de protection, de proportionnalité, de non-discrimination et de non-ingérence, et portent atteinte à l’État de droit, à l’exercice de la justice, à la souveraineté et l’égalité des États, à la liberté des échanges commerciaux, et avec des conséquences néfastes sur la jouissance par les individus et les peuples des droits humains les plus fondamentaux : droit inaliénable à la vie, à la santé, l’éducation, l’alimentation, au développement, à des droits économiques, sociaux, culturels et politiques. Cet effet négatif est multiplié par l’impact des sanctions secondaires, les pénalités civiles et pénales pour le contournement des régimes de sanctions, et une conformité excessive par plusieurs acteurs internationaux. Ces mesures coercitives qui résultent de décisions illicites font payer à toute la population des pays visés le prix du différend entre leur gouvernement et le pays édictant les sanctions, aggravant leur souffrance et entrainant des effets dévastateurs, ce qui revient à une punition collective interdite par le droit international.
Selon la Charte des Nations Unies, les sanctions économiques ne peuvent normalement être appliquées qu’avec l’approbation du Conseil de sécurité. Cependant, les États-Unis imposent fréquemment des sanctions unilatérales en dehors de ce cadre. Ces sanctions unilatérales opposent :
– Les principes de la Déclaration universelle des Droits de l’Homme sur le droit à un niveau de vie suffisant pour assurer une vie digne ou encore interdit d’affamer les civils comme arme de guerre, ont été violées, par les conséquences sociales et humanitaires des sanctions sur les populations de : Afghanistan, Biélorussie, Bosnie-Herzégovine, Cambodge, Chine, Chypre, Corée du Nord, Croatie, Cuba, Érythrée, Éthiopie, Haïti, Hong Kong, Irak, Iran, Kosovo, Liban, Libye, Nicaragua, Macao, Mali, Monténégro, Palestine, République centrafricaine, République Démocratique du Congo, Russie, Serbie, Slovénie, Somalie, , Soudan, Soudan du Sud, Syrie, Venezuela, Yémen, Zimbabwe…, ainsi que les articles des statuts de l’Organisation Mondiale de la Santé relatifs à la crédibilité des sanctions sans exemptions humanitaires ;
– L’esprit de la Charte de l’ONU et ses articles relatifs à l’emploi de la force, ou encore sur le principe de non-ingérence dans les affaires intérieures, ainsi que le principe de « cohérence pacifique entre les États » ;
– Le droit au développement comme défini dans la Conférence mondiale sur les Droits de l’Homme à Vienne, le 25 juin 1993, et l’interdiction des actions belliqueuses unilatérales, des restrictions commerciales, des blocus, etc., ainsi que comme défini dans le Pacte international relatif aux droits économiques, sociaux et culturels de 1966 et la Charte des droits et devoirs économiques des États de 1974, sans oublier les dispositions de l’Organisation Mondiale du Commerce de 1995 sur le développement et l’extension d’un système de libre-échange fondé sur le multilatéralisme international.
– L’article 32 de la Charte des droits économiques des États sur l’interdiction de faire renoncer un État à sa souveraineté et ses prérogatives.
Dans ce cas d’une privatisation et d’un détournement de la sanction, celle-ci perd son statut et sa légitimité, et entre dans la catégorie des actes unilatéraux au service des intérêts d’une entité individualisée, déconnectée du droit dont elle tire sa justification et son cadre de validité et d’application. Les États les plus puissants du système international ont depuis longtemps pris l’habitude de laisser la règle de droit imprécise pour la sauvegarde de leurs intérêts propres et de limiter la sanction aux niveaux politique et moral. Cette capacité est renforcée par l’absence de force contraignante dans l’ordre international. Cet état de fait ainsi que les difficultés propres à l’organisation du droit international laissent un champ libre à ces États d’imposer par eux-mêmes des sanctions politiques et économiques, s’exonérant des règles de droit en application des dispositions de l’article 41 de la Charte des Nations Unies, encadrant les sanctions.
Le caractère abusif et démesuré de ces normes ne réside pas dans leur application aux nationaux, mais dans leur application à toute instance utilisant le dollar ou ayant les moindres liens d’affaires avec les États-Unis, ce qui représente un abus du droit et a entraîné des sanctions financières colossales appliquées à des entreprises étrangères. Les États visés se soumettent pour éviter une condamnation. La rhétorique juridique employée masque mal l’instrumentalisation économique et géopolitique.
Ce type de sanction sert aussi à montrer à la population que leur gouvernement doit être renversé, puisque par son mauvais comportement il la prive de la prospérité économique et du bien-être. L’idée est que la population excédée se révolte et procède à un « changement de régime ». En revanche, si la population ne se révolte pas, elle est alors tout aussi coupable que son gouvernement et mérite les privations. Est ainsi posée la question de la survie de toute une population, notamment de sa frange la plus faible et démunie, au regard tant de l’intensité que de la durée d’application des sanctions frappant le pays. Les droits fondamentaux sont directement touchés par les actions hostiles et unilatérales des États-Unis, dont l’objectif est de créer une situation intenable, une véritable souffrance pour les populations civiles des États concernés afin qu’elles se rebellent contre leur gouvernement, voire le renversent, sans considération pour les principes humanitaires émanant du droit international public.
Les populations concernées sont excessivement touchées en matière économique, de la sécurité alimentaire à l’importation ou l’exportation de biens de première nécessité en passant par la petite industrie, les pénuries de biens, denrées et pièces détachées, les manques de trésorerie. sans oublier les effets sur agriculture, l’éducation, le système de soins, naissances, petite enfance, les stocks de médicaments et de matériels, notamment en chirurgie, ou encore concernant l’environnement au niveau de la détection des catastrophes naturelles, et la capacité de répondre aux situations d’urgence humanitaire.
Le rejet et le déclassement brutal et disproportionné de l’ensemble d’une société, l’impact humanitaire et les retombées sociales individuelles et collectives de la coercition des sanctions unilatérales est une négation des droits humains et économiques internationaux : on constate en effet une généralisation aveugle des effets sur tous les secteurs industriels, commerciaux et de l’artisanat, de la distribution à l’exportation en passant par les transports ou encore les pièces détachées qui subissent des pénuries sans qu’apparaissent des remplacements de subsistance, les entraves aux échanges commerciaux directs ou indirects, poussant des chefs de familles au désespoir de ne pouvoir assurer la subsistance minimale de leurs proches.
L’impact réel sur la vie quotidienne des populations se démultiplie et s’incarne donc dans tous les aspects de la vie quotidienne des populations. Paradoxalement, les sanctions peuvent parfois renforcer le pouvoir des régimes autoritaires en leur permettant de justifier les difficultés économiques et de renforcer le contrôle sur la population.
Intervention de Monsieur Francisco RUBIO, Ancien directeur juridique de Médecins du monde, ancien juge à la Cour nationale du droit d’asile, magistrat, sur le sujet : « Droits humains : sans la société civile organisée rien n’aurait été possible ».
Merci beaucoup, Monsieur le Président, merci pour votre introduction. Je vais donc essayer en un quart d’heure de préciser un petit peu quel aurait pu être le rôle de la société civile dans la construction des droits humains, ou des droits de l’Homme comme on disait à l’époque, et je me suis beaucoup interrogé sur cette question parce qu’en enseignant je me suis dit, au fond, les États aujourd’hui ont tout le pouvoir, je dirais, aux Nations Unies. Quand je regarde historiquement un petit peu ce qu’il s’est passé, mais je m’aperçois que dans l’institution extrêmement décriée qui l’a précédée comme la Société des Nations (SDN), injustement décriée peut-être d’ailleurs, les associations ont joué un rôle absolument fondamental dans la construction à la fois de cette organisation et dans la construction de traités internationaux sur les droits de l’Homme, alors finalement, comment tout cela avait-il commencé ? Parce que malheureusement, il y a très peu d’écrits, de recherche en France sur ces sujets-là, on en a beaucoup plus dans les pays anglo-saxons, et c’est ce qui m’a donné un peu le gout de comprendre comment ces droits de l’Homme étaient apparus, comment il y avait eu la société civile organisée. Alors je ne vais pas définir tous ces termes : ONG, SCO, etc. Cela serait le lieu d’un vaste débat, mais on va utiliser simplement ces mots pour la compréhension.
Alors, je me suis aperçu à ce moment-là qu’il y avait une date, quand même, qui avait été retenue comme la date de départ d’une société civile organisée au niveau international, c’est 1775. Alors pourquoi cette date ? Parce que c’est la création en Pennsylvanie d’une association par 24 quakers, d’une association pour l’abolition de l’esclavage. Et alors à partir de ce phénomène-là, la volonté de ses membres va être de diffuser cette idée à travers le monde entier. Alors, là-aussi, soyons précis, qu’est-ce qu’on appelle « le monde entier » ? C’est ce qu’on appellerait aujourd’hui le « monde occidental », pour être précis, Amérique et Europe. Et donc rapidement, c’est-à-dire dizaine d’années après, va naître une seconde société qui sera à Londres, et qui sera aussi une société pour l’abolition de l’esclavage. Et alors cette société, qui va être créée en 1788, sera suivie. Alors il y a des membres français à l’intérieur de cette société anglaise, notamment un certain Brissot (1754-1793), qui fera parler de lui ensuite lors de la Révolution française, et puis il va y avoir très vite la création d’une Société des Amis des Noirs, en France, qui va regrouper pas mal de personnes que l’on retrouvera après comme jouant un rôle très important durant la Révolution française. Dans les statuts de cette association qui ne sont pas totalement clairs on va retrouver Lafayette (1757-1834), Robespierre (1758-1794), Mirabeau (1749-1791). Donc à partir de là, si vous voulez, je dirai qu’il y a un vaste mouvement international qui va se créer pour l’abolition de l’esclavage. Au niveau international il faudra du temps, puisque j’ai trouvé que le dernier pays ayant officiellement aboli l’esclavage est la Mauritanie en 1980. Donc vous voyez qu’il a fallu quand même une période de temps. Alors est-ce qu’un texte est suffisant pour abolir l’esclavage ? Là je vous parle de mon expérience à la Cour nationale du droit d’asile, puisque nous avions souvent des requérants venant de Mauritanie, et disant qu’ils étaient en esclavage en Mauritanie. Donc crédibilité ou pas du récit, il nous fallait bien statuer à la Cour sur ces demandes. Bon, ça c’était un petit aparté. À partir de là, le mouvement d’une société civile internationale était né, et qu’on va avoir beaucoup d’associations qui vont se créer pour la promotion et la défense des droits humains.
Il y a des associations qui vont jouer un rôle fondamental. C’est notamment beaucoup d’associations féminines, qui vont être créées au XIXème siècle pour les droits des femmes, non pas disons pour l’égalité hommes-femmes, l’idée n’est pas encore là à ce moment-là, et on associe souvent femmes et enfants, pour la défense des droits des enfants, puisque les enfants n’ont pas de droits au XIXème siècle ou pratiquement pas. Donc il y a beaucoup d’associations qui se créent. Il y a aussi des associations à volonté universaliste. Je prendrai comme exemple l’association qui existe toujours aujourd’hui, qui est l’union internationale des associations, qui se veut être un modèle de Nations Unies, et qui va faire beaucoup pour la création, avec notamment certaines personnes un peu avant la création de cette association, mais comme Victor Hugo (1802-1885) par exemple qui va beaucoup s’investir dans la création d’une société internationale humaine, et donc tout ce XIXème siècle est parcouru par beaucoup de mouvements sur la paix, sur les droits de l’Homme, contre la peine de mort. La France l’abolira en 1980 comme vous le savez, et c’est pour cela que nos amis suisses nous disent que nous sommes un petit peu en retard, puisqu’à Genève c’était en 1880 que ça avait été aboli. Donc il y avait un vaste mouvement international. Je ne vais pas balayer tous les champs. Je vais retenir simplement trois ou quatre choses, je dirais.
D’abord, un sujet qui nous préoccupe considérablement aujourd’hui, le droit international humanitaire et les violations du droit international humanitaire. Le droit international humanitaire, c’est une création de la société civile organisée. C’est la création d’Henri Dunant (1828-1910), un genevois. Il y avait eu déjà des tentatives, par des anglais ou par d’autres, de créer une sorte de droit, mais ça n’avait jamais abouti. Et surtout, l’idée de « génie » d’Henri Dunant c’est de concevoir une philosophie, un droit, et une organisation, et éventuellement déjà, dans la Première Convention de Genève, en 1864, il était évoqué la possibilité d’une justice pénale internationale pour les violations du droit international humanitaire. Alors il ne faut pas croire que cette initiative genevoise d’Henri Dunant a été bien accueillie. Elle a reçu un écho favorable dans un certain nombre de pays, notamment en Allemagne, en Autriche, en France aussi, mais il y a quelqu’un qui s’y est très fortement opposé, c’est le pape, ça peut paraître surprenant, parce qu’il voyait dans la création du Comité International de la Croix-Rouge une machine de guerre des protestants genevois contre le Vatican. Heureusement, tout cela s’est un peu apaisé par la suite, et il y a eu la première Convention de Genève. Et la deuxième fois où cette convention a trouvé à s’appliquer, c’était pour la guerre franco-prussienne, de 1870, et notamment parce qu’Henri Dunant avait comme ami un certain Bismarck (1815-1898) et il était très proche aussi de Napoléon III (1808-1873) qui lui avait conféré la nationalité française. Donc ce droit international humanitaire il est quand même le fruit du travail de sociétés civiles organisées et comme je vous le disait tout à l’heure, l’universalisme d’Henri Dunant fait qu’il y avait une société de la Croix-Rouge par pays, et une seule société, mais il y avait donc une organisation permanente qui était créée. Le droit international humanitaire ne trouve à s’appliquer – attention, c’est important – qu’en cas de conflit armé et lorsque tous les autres droits ont disparu. C’est le minimum du minimum, notamment dans ce qu’on appelle aujourd’hui l’article 3 des Conventions de Genève.
Donc il y a cette philosophie, ce droit, cette organisation, et on voit aujourd’hui combien ce droit international humanitaire est important. Personnellement, c’est un peu pour ça que j’ai accepté, je dirais, l’invitation de M. le Président, parce que je regrette beaucoup les situations catastrophiques que nous vivons aujourd’hui, le recul extraordinaire sous nos yeux, dans une passivité étonnante, je dirais, de la quasi-totalité des acteurs sur ce qu’il se passe au Proche Orient, alors que peu importe le camp, le droit il s’applique à tous les camps. Et là, il y a une sorte de silence qui m’a personnellement beaucoup choqué. Donc ça c’est un point que je voulais donc mettre en exergue ici, très rapidement, dans le petit quart d’heure qui nous est donné, c’est : voilà un exemple de création d’un droit international par les États. Alors, ne soyons pas naïfs, et on le voit aujourd’hui, ce droit ne s’applique que si les États le veulent bien, que si les États le prennent à leur compte, le reprennent et veulent bien l’appliquer. Parce que les États sont les derniers souverains.
Deuxième point : en ce qui concerne cette période qui va suivre la Première Guerre mondiale et la création de cette Société des Nations, je voulais dire combien la société civile était importante au moment de la Société des Nations. Peut-on imaginer aujourd’hui que des associations comme Amnesty International ou d’autres participent à l’Assemblée générale des Nations Unies ? Ça serait considéré comme totalement incongru. Ce sont les États qui sont là, et eux seuls. Lors de la création de la Société des Nations, il a été très vite créé un Bureau de relations avec les associations et ce qui est apparu c’est que les associations pouvaient participer à l’Assemblée générale de la Société des Nations sous certaines conditions. Ça, ça s’est terminé en 1932-33, parce que cette assemblée générale trouvait que les associations féminines avaient pris beaucoup trop de place lors de ces assemblées générales.
Autre point important : le Bureau des réfugiés – parce qu’il y a eu beaucoup de réfugiés après la Première Guerre mondiale, personnes déplacées en tout cas – c’est une création, là-aussi, de la société civile, avec quelqu’un que vous connaissez bien qui est Monsieur Nansen, avec la création du passeport Nansen et qui a été le premier Commissaire des Nations Unies mais qui venait d’une association et non pas de cette Société des Nations. Et qui d’ailleurs jouait un petit peu sur les deux tableaux parce qu’il a été membre de la SDN, mais quand ça l’arrangeait il n’était plus membre de la SDN, il parlait au nom d’associations privées. Donc il y a eu un Bureau des associations de réfugiés qui s’est créé à l’intérieur de la Société des Nations. Ça c’est un petit point que je voulais souligner avec vous pour vous montrer combien la société civile avait pu être importante et combien nous avons eu une régression par la suite, par rapport à ce qui avait existé précédemment.
Autre point que je voulais développer ici rapidement, c’est la justice pénale internationale. Aujourd’hui vous voyez ce Traité de Rome, ça n’est pas la première fois qu’il y a des tentatives d’établissement d’une justice pénale internationale. Je l’ai rappelé, les toutes premières Conventions de Genève où cette idée avait fait son apparition, après pendant tout le XIXème, il y a eu de nombreuses tentatives de création d’une justice pénale internationale pour les violations des traités, tout cela est resté lettre morte. Il y a même eu, en 1931-32, sous les applaudissements de l’assemblée générale de la Société des Nations, l’ « approbation » d’un traité établissant une justice pénale internationale, qui est restée lettre morte, qui n’a jamais vu le jour. Et j’avoue que quand j’étais étudiant, donc il y a très longtemps, on avait quelques souvenirs historiques qu’on pensait, ne restaient simplement que pour l’histoire, c’était Nuremberg et Tokyo. Jamais on ne pensait qu’il y aurait une justice internationale qui verrait le jour. Et puis, beaucoup d’associations, beaucoup de professeurs de droit, travaillaient toujours sur ces questions, ça faisait des dizaines d’années, et puis il y a eu tout d’un coup l’apparition en 1993 je crois, ou 1994, d’une résolution de l’Assemblée générale des Nations Unies demandant au Secrétaire général de réunir une Conférence pour l’établissement d’une juridiction pénale internationale. Je me rappelle d’un article du Monde en 1997 je crois, ou 1996, disant « la justice pénale internationale est mal partie ». Parce qu’effectivement la France n’en voulait pas trop, Jacques Chirac n’en voulait pas vraiment, les Américains n’en parlons pas, les Russes non plus, les Israéliens, les Indiens, les Chinois il n’en était pas question, et je me souviens de l’Ambassadeur de France qui, par rapport aux exigences des associations, disant « continuez comme ça et vous aurez effectivement une justice pénale internationale qui sera ratifiée par Monaco, le Vatican et Andorre, ce qui ne va pas vous apporter beaucoup… ».
Chacun a mis un peu d’eau dans son vin et j’ai participé à ces négociations, et je peux vous dire que les Nations Unies sont un organisme extrêmement bien huilé, qui fonctionne très bien, avec des heures très précises, des résolutions très précises, et le rôle de la société civile si vous voulez a été extrêmement important pour apporter ses conseils, son savoir-faire et, par exemple sur des points très précis. Comme le viol : vous vous imaginez bien qu’entre la définition des organisations activistes féminines américaines et la position de l’Ambassadeur d’Arabie saoudite, il y avait quelque distance qu’il fallait essayer de rapprocher. C’était compliqué, n’est-ce pas… Et donc petit à petit il fallait trouver des solutions et que ces négociations permettaient. Et moi ce qui m’avait étonné, que je pense aurait du mal à exister aujourd’hui, c’est qu’après chaque phase de négociation au sein de l’Organisation des Nations Unies (ONU) nous avions une salle qui nous était réservée au siège à New York, et puis là on pouvait entendre l’Ambassadeur de Grande-Bretagne, l’Ambassadeur américain, qui vient nous expliquer où en étaient les négociations, ce qu’il se passait, où ça achoppait, etc. Alors après, c’est sûr qu’on peut demander l’impossible. Mais si on voulait, et la société civile voulait que cette cour existe, elle ne pouvait s’appuyer que sur les États. Et vous avez des États très importants. C’est vrai que la France a joué un rôle important. Mais on connaissait la limite, si vous voulez. La limite, c’était que la France était très méfiante, parce qu’elle ne voulait pas ratifier l’article 7, elle voulait l’exception. C’était pour les crimes de guerre commis par les Français dans les opérations militaires des Nations Unies. Et là elle se disait, « la France est l’un des plus gros contributeurs de ces opérations, et je vois très bien ce qu’il va se passer – c’était Chirac et Jospin avait exactement la même position –, les montagnes de plaintes contre l’armée française ». Les associations ont compris si vous voulez qu’effectivement on ne pouvait pas faire en sorte que la France ratifie ce traité avec l’article 7. Donc il y a eu effectivement une suspension – ce n’est pas le bon terme mais peu importe je vais l’utiliser – de cette application de l’article 7.
Voilà, vous voyez ce que j’ai essayé de démontrer : que la société civile, dans des points importants, a pu jouer un rôle dans la construction de textes essentiels pour la protection des droits humains ou droits de l’Homme.
Intervention de Monsieur Jean-Michel VERNOCHET, Journaliste, écrivain et politologue, sur le sujet « Droits et devoirs de l’Homme dans leurs rapports avec la morale et les lois naturelles ».
Vous avez mis en exergue la difficulté, à la fois de construire un droit, un droit humain, que ce soit pour les personnes – vous parliez du viol – mais aussi pour les groupes et de sa mise en œuvre. Rappelons que le Tribunal pénal international (TPI) ne comporte pas parmi ses membres ni l’État d’Israël ni les États-Unis, et la même chose d’ailleurs pour l’utilisation des mines anti personnels. En un quart d’heure je serais bien prétentieux si je voulais traiter le sujet tel qu’il a été annoncé. Je vous propose simplement une esquisse de pistes de réflexion sur le rapport existant entre les droits, le droit, et la morale.
Traditionnellement, il y a un découplage. On dit « le droit c’est le droit », « la morale c’est la morale », et on ne mélange pas les deux. En fait, on s’aperçoit que « chassez le naturel, il revient au galop » et que la question morale se pose à chaque pas de l’application même ou de la création, de la constitution, de l’élaboration du droit. La distinction est donc difficilement à faire. Le droit est d’ailleurs implicitement porteur d’une morale. C’est consubstantiel à son existence même, ce qui est bien, ce qui est mal. On parlait de la libération des esclaves tout à l’heure, on pourrait dire l’apparition du droit des animaux aussi, au 19ème siècle en Grande-Bretagne (qu’on n’appelait pas encore le Royaume-Uni). Des droits s’attachent au respect de la vie animale et des bêtes qui sont dans le voisinage immédiat des hommes, ou pas, qui sont sauvages, dans le voisinage immédiat des hommes.
Je crois qu’il faudrait peut-être revenir en quelques secondes sur les sources, les fondements du droit. Le droit, pour aller très vite et faire un peu d’archéologie, à Rome c’est une affaire de répartition, de redistribution, de répartition, à chacun son dû, à chacun selon ses talents, à chacun selon son labeur, à chacun selon sa position sociale. Puis est venu le droit chrétien, qui était de nature transcendante, qui est important et qui est porteur d’une véritable morale. C’est un droit qui a pour essence la charité, c’est-à-dire la compassion. Il y a peu de jours, il y avait la fête de Saint-Martin, vous le savez, ce cavalier je crois romain qui coupe son manteau en deux pour en vêtir un pauvre qu’il rencontre, un vagabond qu’il rencontre au bord de la route. Arrive le XVIIIème siècle et les Lumières, et Jean-Jacques Rousseau (1712-1778), et on a une conception philosophique – les allemands diraient même une weltanschauung, une conception du monde, qui fait que le droit est porteur d’une morale mais qui est liée à la nature même, la nature de l’homme et la nature tout court, la nature dans son ensemble. C’est de là que va naître l’idée que l’Homme serait détenteur de droits, des droits innés, consubstantiels, essentiels, liés à la nature de l’Homme. C’est ce que l’on appelle le « droit naturel ». Dans l’intitulé je parle de « loi naturelle ». Cela n’a rien à voir avec le droit naturel. La nature serait fondatrice puisque les droits de l’Homme, qui vont naître à partir de la Charte qui se trouve je crois en préambule de la Constitution de 1789, va constituer cette matrice, mais basée sur la nature de l’Homme. Alors que, si l’on se reporte à un éminent juriste peu connu, un philosophe du droit qui s’appelle Michel Villey (1914-1988) et dont je vous recommande la lecture (son livre s’appelle Le droit et les droits de l’homme, il en a écrit plusieurs), il faut s’interroger sur cette nature des droits de l’Homme et leur fondement, qui apparaissent comme particulièrement fragiles au regard de la philosophie des Lumières. Michel Villey, et moi-même à sa suite – peut-être était-ce une réminiscence de mes lectures –, nous remettons en question même l’existence du droit. Avons-nous un droit ? Est-ce que les enfants ont un droit ? Non ils n’ont pas de droits, ils ont le droit de se taire, ils ont le droit d’être dévoré par l’ogre. Oui, le droit ça ne tombe pas du ciel, ou alors si, dans la philosophie, la théologie chrétienne où le droit est transcendant – ça s’appelle la charité – mais au demeurant le droit est donc de ce point de vue une construction purement sociétale, purement humaine, qui a évidemment sa valeur et son intérêt mais dont on voit aussi immédiatement les limites puisque ces droits, qui sont un immense et bel appareil, ne sont pas appliqués, sont contestés, sont contournés, sont niés, déniés pas toutes sortes d’acteurs qui les mettent peu en œuvre, ou parfois, d’ailleurs, de travers.
Je vais progresser dans mon exposé, mais c’est un sujet qui est parfaitement et totalement d’actualité. On a évoqué le Proche-Orient. J’y reviendrai peut-être. On a vu des dispositions d’ordre juridique : conclusion de la Cour Internationale de Justice (CIJ) qui s’est réunie à Pretoria (Afrique du Sud) qui, sans condamner expressément la politique de l’État israélien à Gaza, a parlé et – je pense que tout le monde s’accorde sur ce point – a parlé de « crimes de guerres » voir de « crimes contre l’humanité » et la Cour de justice internationale a même été jusqu’à « des pratiques d’ordre génocidaire ». Le mot de « génocide » n’a pas été prononcé, mais on voit à la suite de quoi le la Cour pénale internationale (CPI) de La Haye (Pays-Bas), elle qui lance des mandats d’arrêt, d’amener à l’encontre de Monsieur Yoav Gallant – qui était à ce moment le ministre de la Défense de Monsieur Benyamin Netanyahou – et contre Monsieur Netanyahou lui-même, qui a déclenché l’ire des intéressés. Et des allers-retours diplomatiques assez… je n’ose pas dire « comiques », mais assez cocasses de la part de la France qui, dans un premier temps a dit qu’elle reconnaissait et qu’elle appliquerait ces décisions de la Cour Pénale Internationale (CPI), et puis dans un deuxième temps il a dit « non, non, il n’en est pas question, on ne les appliquera pas ». En France, on dans beaucoup le tango, par les temps qui courent !
On voit bien que le droit est à géométrie variable. Il s’applique dans certains cas. D’autres considérations entrent en ligne de compte, les considérations diplomatiques – c’est ce qu’on appelle la raison des États, d’ailleurs : l’État qui est habilité à mentir autant qu’il le peut. Ça a été théorisé de façon très amusante par Jonathan Swift (1667-1745) – que tout le monde connaît – mais ce n’est pas lui qui a écrit le livre qui s’appelle L’art du mensonge politique (1733), et il dit que c’est pour le bien des peuples. Il n’est pas certain, mais ça fait partie de l’ironie du livre, qui suit ou a été écrit au même moment que Le Prince (1513, publié en 1532) de Nicolas Machiavel (1469-1527). C’est vrai que la morale des États n’est pas la morale des individus, et qu’il faut bien établir un distinguo. Ceci étant dit, on voit bien que certains États, certains gouvernements s’affranchissent de toute contrainte, qu’elle soit du droit ou de la morale. C’est ici que la morale doit rejoindre le droit. Pour l’instant, je n’ai pas trouvé d’autres morales contraignante que la morale transcendante, héritée du christianisme, de l’helléno-christianisme, je n’en ai pas trouvé d’autres parce que : comment fonder ce droit ? Actuellement on le fonde… voire nous assistons à une extraordinaire mutation, révolution, permutation du droit, notamment avec l’idéologie à caractère religieux qui s’appelle le « wokisme », où ce qui hier était condamnable, était un délit pénalement réprimé, l’avortement par exemple. L’avortement ou l’homosexualité aujourd’hui deviennent au contraire protégés par la loi, donc cela pose question. Pardonnez-moi, Madame, mais je ne réponds pas à ces questions, je les pose simplement. Et donc où est la morale ? Où est le droit ? Le droit est-il au-delà de la morale ? Est-il l’expression de la morale ? Comment les choses se situent-elles ? Alors, je pense que les réalistes, quand on parle du « wokisme », vont parler de loi naturelle, qui fait qu’un homme est un homme, une femme est une femme. Alors bien sûr il y a des zones intermédiaires, certainement, mais que l’on ne peut pas faire de l’exception la règle. Et puis une société est condamnée à mourir si tout le monde demain matin se convertit au transgenrisme, à la bisexualité, etc. Il faut savoir. Je pense que la morale aussi, la morale supérieure des peuples et qui est une loi naturelle, celle de la vie, de la survie, de la pérennité, de la continuité des peuples, et des nations par la même occasion. Donc la question se pose de façon extrêmement accrue entre l’expression du droit – qui à un moment donné de l’histoire, d’ailleurs, a trouvé son négatif dans l’exigence des devoirs. Et alors là c’est assez intéressant parce que j’ai trouvé une Charte des droits et devoirs du Citoyen, qui s’adresse en France aux immigrés et qui ne date pas de 1795. Et cette Charte des droits et devoirs, c’est un article (21-24) du Code civil et qui date du 30 janvier 2012. « Droits et devoirs ». Et ça fait écho à une déclaration, à un préambule d’une constitution française qui n’a jamais été mise en application : ça a été édicté en 1793, donc dans la Constitution jacobine, qui ne verra jamais le jour et qui d’ailleurs déclare comme un droit sacré le droit à l’insurrection contre l’arbitraire de l’État. Donc on comprend que ce soit une disposition qui est disparue. Mais dans le Préambule de la Constitution de la Première République, véritablement République, du 22 août 1795, on trouve cette Déclaration des droits et devoirs de l’Homme. Ça me convient beaucoup mieux. Je pense personnellement qu’en ce qui concerne les enfants qui ont des parents jusqu’à plus amples informés, bien que ça soit nié aujourd’hui par le droit moderne – les petites filles auraient le droit de se faire avorter sans prévenir les parents, par exemple. Je prends ces exemples, qui sont des exemples sensibles mais qui sont des exemples bien réels, bien concrets. Ce sont surtout les parents qui ont des devoirs à l’égard de leurs enfants. Ils ont le droit, mais ça n’est un droit c’est un devoir de s’occuper de leurs enfants, de les élever, de les vêtir, de les habiller, de les choyer, etc. etc. Donc il y a cette ambigüité qui a été créée dans récemment entre ces droits et ses devoirs.
Je prendrai un autre exemple, qui est intéressant et tout à fait d’actualité puisque ça date d’hier, c’est la condamnation de Charles Onana qui est un franco-camerounais pour « négation de crime de génocide ». Il s’agit du génocide rwandais. Monsieur Onana s’est fait remarquer en essayant de corriger, non pas de réécrire l’Histoire mais de la réviser – c’est un révisionniste – et donc il a été condamné pour « négationnisme », et c’est assez intéressant parce que cela pose bien le problème de dire que si vous vous trouvez d’un côté de l’Histoire ou d’un côté du droit, c’est tout à faire licite, de l’autre côté vous passez… le Bien et le Mal sont des dimensions, des valeurs variables, qui peuvent s’inverser extrêmement facilement. Je l’ai signalé à l’instant avec l’évolution des mœurs et cette évolution du droit qui est aussi une révolution en soi, une révolution sociétale et qui n’est pas des moindres.
Ce qui me conduit au dernier exemple que je viendrais à utiliser ici. J’ai parlé du rôle de la Cour Pénale Internationale (CPI) dans un sujet qui n’est quand même pas neutre. Nul n’a jamais contesté le droit de l’État hébreu à se défendre, un droit qu’on reconnaît de façon générale : loi naturelle, normalement à tout Homme, bien que chez nous il ne fasse pas bon invoquer la légitime défense si vous ne pouvez pas prouver que vos agresseurs étaient armés de trois mitraillettes, de quatre grenades et cinquante couteaux. C’est vous, la victime, qui tombez sous le coup de la loi. Et j’ai parlé de ce crime de contestation de génocide de Charles Onana : je ne sais pas s’il a raison ou tort mais il est de fait que le point de vue qu’il adopte est celui de l’observateur. C’est la théorie physique de la relativité – le monde est différent selon l’angle sous lequel vous le regardez – semble s’imposer à nous. Et il y a un exemple encore plus frappant, qui nous ramène au Proche-Orient (et je conclus là-dessus), c’est la question de savoir ce qu’est le terrorisme ou la résistance. C’est un sujet fondamental. En France, l’apologie du terrorisme est punissable, c’est inscrit dans le Code pénal, sauf qu’il y a quand même un énorme bémol, c’est que personne n’a jamais défini le terrorisme, que ce soit la Cour Pénale Internationale (CPI), que ce soient les Nations Unies elles-mêmes. On s’est réuni pendant des mois, des années, parce que selon le côté où vous êtes, vous êtes un résistant, de l’autre côté vous êtes un terroriste. Donc limite du droit : le droit se déclare impuissant. C’est la que la morale peut prendre le relais. Où d’une certaine façon, cela s’applique aussi bien au grand massacre, au grand carnage auquel nous assistons aujourd’hui en Ukraine, que ce soit au Levant, peut-être bientôt en Syrie aussi, parce que tout le monde applaudit, mais on ne sait pas quelles seront les demains, et les demains seront peut-être les lendemains qui déchantent. C’est un sujet important, intéressant et d’actualité, mais nous n’avons pas le temps, et ce n’est pas la place de le traiter ici. Donc le terrorisme est un sujet qui se trouve au cœur et à la charnière de mon propos. Quelle place laisser à la morale ? Moi personnellement, en tant que catholique, j’aurais envie de laisser une plus grande place à la morale, à la conscience. Peut-on laisser être massacrées des populations entières, affamées, sans soins, dormant dans la boue, dans les camps ? Je pense que notre conscience et notre conscience morale devrait jouer un rôle en ce domaine et à ce moment.
Dr. Ali RASTBEEN
Merci beaucoup Monsieur Vernochet, excellent comme d’habitude. Vous avez bien précisé, et en profondeur, sur le droit et le devoir, mais j’espère qu’éventuellement lors du débat, si vous en avez la possibilité, vous pourrez nous expliquer, répondre à une ou deux questions sur la responsabilité. Parce que vous avez cité le droit et aussi le devoir, mais quelle est la place de la responsabilité ?
Jean-Michel VERNOCHET
La responsabilité, Monsieur le Président, c’est l’essence même de l’Homme. De l’Homme, à qui la divinité – si on y croit – a laissé le choix entre le Bien et le Mal. Alors, personne ne sait véritablement et partout à chaque instant où est le Bien et le Mal. Est-ce mal de tuer quelqu’un qui est en train d’agresser votre famille, d’égorger vos enfant ? Sans doute pas, enfin de mon point de vue ça ne l’est pas. La responsabilité c’est la liberté, fondamentalement. Si vous êtes responsable, vous pouvez rouler à 150 km/h et plus sur une autoroute : si vous causez un accident, vous êtes responsable, point. C’est ça la liberté. On nous dit – et c’est vrai – que les Pierre Palmade et compagnie sont de grand malades. Oui, ils sont devenus malades, mais au départ, à l’origine, ils avaient une responsabilité dans leur comportement. La maladie ne s’est pas installée tout de suite. Peut-être que leur entourage avait aussi une responsabilité. Donc pour moi la responsabilité est au cœur de la liberté.
Intervention de Monsieur Valéry ROUSSET, Industriel, enseignant, consultant et écrivain, sur le sujet « De l’emploi des armements de haute intensité contre les civils dans les conflits contemporains ».
Je vais essayer d’aborder effectivement avec vous un sujet qui peut vous paraître atypique dans son traitement, mais qui me parait essentiel dans la situation internationale que nous avons rapidement décrite, et je vais essayer d’aborder ces aspects-là, sous des angles les plus concrets possibles, et c’est pour ça que j’avais prévu une présentation relativement illustrée. Et la définition de « haute intensité » n’est pas complètement consensuelle, donc je vais y apporter mon grain de sel : c’est pour moi « l’utilisation d’armements lourds, conçus à l’état de l’art, pour faire pièces à des ennemis symétriques ou dissymétriques constitués de la part d’État-nations, et qui sont censés délivrer un avantage opérationnel immédiat ». Or on constate une dérive, une prolifération de ces armements, d’une part, et surtout de leur usage contre des populations démunies et particulièrement vulnérables, et c’est à propos de cela que j’aimerais vous entretenir cet après-midi.
Je n’ignore pas les différents angles sur lesquels on peut apporter le sujet, et dans cette assemblée j’imagine que les angles juridique et humanitaire ont toutes leur place, simplement je vais vous entraîner sur un autre terrain qui est celui de l’emploi de ces armements et de leurs conséquences. Je ne je les place dans le débat, complexe, juridique, entre le Jus ad bellum, c’est-à-dire les caractéristiques qui justifient l’entrée en guerre, principalement selon l’article 51 de la Charte des Nations Unies, mais aussi le Jus in bello, c’est-à-dire les normes de comportement et les règles de comportement d’un État en guerre par rapport au droit de la guerre. Et je pense que les deux approches sont bousculées par le sujet que je vais aborder aujourd’hui, et pour lequel je n’ignore pas – au contraire – les conséquences humanitaires extrêmement graves que pose cette dérive. Et à très long terme, malheureusement, je pense que je vais être obligé de développer un point de vue relativement pessimiste. Pourquoi ce sujet s’impose aujourd’hui ? Parce qu’à mon avis, il y a trois ruptures consécutives, cumulatives, auquel nous assistons dans cet emploi d’armements, car il a toujours été – vous pourrez m’objecter le fait d’employer des armes militaires, souvent lourdes – pensez à l’artillerie contre des populations civiles –, donc qu’est-ce qui a changé ? C’est ce que je vais essayer de vous présenter à la faveur de trois ruptures.
La première rupture a lieu pendant la Seconde Guerre mondiale et a ouvert la voie à ce qu’on a appelé l’ « urbicide », c’est-à-dire la destruction systématique de l’habitat urbain, qui n’existait pas dans la Première Guerre mondiale et qui s’est ajouté à la notion de « génocide » qui, elle, est antique. Donc c’est une première évolution, une première rupture, avec le perfectionnement d’armes de destruction massive qui ont débouché sur Nagasaki, mais bien avant l’emploi d’armes incendiaires et antichars dont je vais dire un mot.
La deuxième rupture à mon avis a eu lieu – et je m’en suis un peu épanché dans un livre sur l’analyse opérationnelle de la guerre du Golfe de 1991 – dans les années 1980 avec les progrès de l’électronique, de la microminiaturisation, et l’apparition et la diffusion de capteurs – pensez aux radars de la Seconde Guerre mondiale, pensez aussi à l’infrarouge qui est sorti également de la Seconde Guerre mondiale – et qui sont, grâce à microminiaturisation, développés et embarqués sur des armes elles-mêmes et qui ont permis une létalité croissante, qu’on voit également dans la guerre du Golfe. Je vous rappelle que plus de la moitié des armements de la guerre du Golfe sont aujourd’hui employés en Ukraine, donc nous sommes toujours dans des armes qui ont un cycle de vie qui est très long.
La troisième rupture a lieu, elle, dans la décennie actuelle, la décennie 2020. Elle me paraît encore un saut quantique, qui s’ajoute au saut précédent. La première, c’est la concentration de trois technologie. Une extrêmement banale et extrêmement civile, qui est celle des réseaux mobiles que vous utilisez tous aujourd’hui, avec vos appareils portables, et qui rencontre une rupture un peu plus récente qui est celle de l’intelligence artificielle embarquée. Vos téléphones portables embarquent déjà énormément d’intelligence artificielle. Et la troisième rupture que vous voyez un peu plus si vous regardez encore la télévision – ce que je ne vous souhaite pas – c’est la robotique et la concentration, par exemple, des drones kamikaze en Ukraine, est un bon exemple dont je dirais quelques mots.
Donc c’est de ces trois ruptures cumulatives que je voudrais vous parler, avec des illustrations – que ceux qui sont en ligne ne verront pas – qui parlent du bombardement de Hambourg, avec cette photo-couleur qui a souffert un peu de la température qui atteignait le millier de degrés en centre-ville, à la fin de juillet 1943, avec cet exemple du bombardement de l’abri civil d’al-Firdos à Bagdad par deux avions F117 (Lockheed Martin F-117 Nighthawk) furtifs et une bombe guidée qui a finalement tué 403 civils – ou 406, nous ne sommes pas très sûrs – dans cet abri civil malgré la guerre « chirurgicale » et la précision que l’on nous vendait à l’époque, et aujourd’hui bien sûr le cap des 45 000 morts au grand, grand minimum. Je suis plutôt partisan de suivre les thèses du Lancet sur le calcul des pertes humaines à Gaza. Donc on nous parle beaucoup, on s’esbaudie – c’est ce que Baudelaire appelait « l’enthousiasme de gobe-mouche des révolutions en matière militaire » – il se trouve que ça fait plus d’un tiers de siècle que je m’intéresse au sujet : je ne vois pas tellement de révolution, personnellement, à part peut-être cette dernière tendance, dont je vous parlais, de la convergence des technologies mobiles de l’IA et de la robotique, mais ce n’est pas tout à fait notre sujet.
Donc s’agit-il d’une révolution ? Je vous ai donné quelques illustrations, où vous voyez la torpille volante baptisée Kettering bug de 1918, qu’on appellerait aujourd’hui munition télé-opérée, drone kamikaze, des choses qui nous semblent extrêmement novatrices. Je vous ai également mis un drone américain armé, que j’ai eu l’occasion de voir souvent en opération et à l’entraînement, qui fête ses vingt ans, plus de vingt ans aujourd’hui, parce que les premières utilisations du drone armé datent de 2002. Et quand on nous parle de la robotique de combat, qui est un de mes sujets d’intérêt professionnel, je ne peux pas m’empêcher de penser au petit robot Goliath de 1942 qui était télécommandé pour aller faire exploser des cibles à distance. Donc tout cela ne me paraît pas révolutionnaire et quand on pense aux sous-munitions, pensons au progrès des armes modernes occidentales, qui sont finalement dérivées d’une sous-munition incendiaire allemande, qui date des années 1930, qui a d’abord été employée sur Londres et l’Angleterre avant d’être perfectionnée par les anglo-saxons et devenir aujourd’hui les fameuses armes à sous-munitions dont on nous parle. Et s’agissant des munitions elles-mêmes, et des sous-munitions, je vous ai donné un exemple de bâton incendiaire à la thermite, qui est en fait un oxyde de fer qu’on brûle avec de l’alumine, issue de l’aluminium, et qui donne des températures instantanées extrêmement élevées, et qui permet donc des effets incendiaires, principalement conçus contre l’habitat urbain. Les drones que l’on appelle « dragons », aux mains des forces ukrainiennes, utilisent cette technologie pour incendier des zones entières. On a parlé du napalm, inventé sur le campus de Harvard en février 1942, sur le terrain de foot et effectivement, ça ne fait pas forcément partie du discours d’accueil des nouveaux étudiants à Harvard, mais ça fait bien partie de notre héritage occidental, et le napalm est une arme qui est encore utilisée et dont les effets sont particulièrement graves. Et ce sont ces fameuses sous-munitions que l’on disperse aujourd’hui sur tous les théâtres par millions. Chaque arme en comportant plusieurs centaines on arrive ainsi à accumuler des millions de sous-munitions, dont le défaut, la non-explosion, varie entre quelques pourcents et 30 % en fonction de l’âge de la munition, ce qui veut dire que vous vous retrouvez avec un terrain miné là où ces sous munitions n’ont pas explosé. Donc pas de révolution du tout, mais une évolution cumulative de létalité, qu’on appelait – j’ai eu l’occasion d’en parler ce matin avec un colonel, du travail sur la doctrine de l’armée de terre –, ce que l’armée appelle l’ « hyper létalité » et qui est aujourd’hui une constante dont les civils font malheureusement les frais.
On vit à mon avis une course aux armements encore accrue, par rapport aux courses précédentes, donc on est vraiment dans le galop aux armements avec quatre catégories. D’abord, les armes de destruction massive que sont les missiles balistiques, qui ont alimenté les arsenaux nucléaires, ce qu’on appelle les armes hypersoniques. Alors, c’est intéressant de vous donner ces distinguos parce qu’aujourd’hui l’ignorance règne en la matière. Les armes font peur, les armes repoussent, donc on préfère ne pas savoir ce que c’est qu’une arme, mais on en parle quand même. Et bien souvent, forts de cette ignorance, on donne l’avantage à la critique qui dit « mais vous n’y connaissez rien et vous ne savez pas de quoi vous parlez ». Donc c’est pour cela que cette intervention me semble utile et intéressante dans le contexte actuel. Un missile balistique est forcément hypersonique, et une arme hypersonique fait partie de cette fameuse « hyper létalité ». On l’a bien vu avec le missile que j’ai baptisé schmilblick, qui a été utilisé sur Dnipropetrovsk (Ukraine) par la Russie, qui est en fait un missile balistique intercontinental nucléaire dont on a vidé les charges nucléaires, et par sa seule énergie cinétique vous arrivez sur des vitesses terminales de l’ordre de la dizaine de kilomètres par seconde, vous faites un impact considérable qui suffit à détruire, un peu comme un micro tremblement de terre, tout autour d’elle. Donc ces armes prolifèrent, ces armes se développent, elles emportent souvent des sous-munitions à l’effet incendiaire, dont on a bien vu euh l’évolution.
Et cette « hyper létalité » s’inscrit également dans ce qu’on appelle l’armement de mêlée, c’est-à-dire l’armement du combat, au contact, à travers l’exemple de cette photographie sur une grenade thermobarique, c’est-à-dire avec un effet d’hyperpression au niveau de l’impact, auquel on ajoute un effet incendiaire et qui est particulièrement létal en milieu urbain parce qu’en espace confiné vous allez créer des blessures souvent invisibles, mais absolument mortelles, qui sont la déchirure des tissus mous et des organes internes de l’organisme et cumulées avec des dégâts incendiaires et des brûlures mortelles. Donc vous imaginez effectivement cette notion d’ « hyper létalité » dans un milieu confiné comme le milieu urbain.
Et la microminiaturisation, la mise en réseau, les réseaux mobiles que vous utilisez dans vos téléphones, aboutit à embarquer ces armes aujourd’hui sur des drones, et donc de les banaliser, de les diffuser, puisqu’un drone commercial chinois tel que ceux qui sont utilisés en Ukraine, ou même par l’armée israélienne à Gaza, qui en a acheté, ça vaut 500 dollars. Et à partir de ce coût infinitésimal, un ministère des armées achète des programmes d’armements en milliards de dollars. Donc acheter des drones à 500 dollars, vous imaginez combien on peut en acheter. Donc tout cela, évidemment, va dans le sens de la prolifération quantitative de ces armements, et on les équipe de sous-munitions, ces sous-munitions sont elles-mêmes extrêmement létales, et vous arrivez à boucler la boucle avec un regain d’emploi de ces armements lourds.
Je donne quelques exemples ici. Alors, les conflits ne manquent pas, que ce soit la Syrie dont on reparle à nouveau, l’Irak dont on n’a jamais cessé de parler, le Yémen dont on évite de parler parce que notre responsabilité est engagée en tant que pays occidentaux, à travers les états proxys qui mènent cette guerre, et évidemment le drame qui se joue sous nos yeux, de la Palestine et du Liban. Donc ça, c’est l’aggravation des guerres dites asymétrique – où les acteurs n’avaient pas le même niveau de volume et d’effet – qui malheureusement n’ont jamais cessé d’exister et ça pose tout le problème de notre intervention dans ces conflits, avec souvent une politique des bons sentiments. On l’a bien vu en Libye, par exemple, avec l’action de Monsieur Bernard-Henri Lévy qui voulait alléger les souffrances, et on voit aujourd’hui à quel point ces souffrances sont au contraire démultipliées, et l’Irak en était avant un autre exemple. S’y ajoute à mon avis le retour de la guerre symétrique, donc avec des adversaires comparables qui s’affrontent sous la même doctrine, avec des volumes de forces très importants, et au milieu des civils, avec deux conflits majeurs. Le conflit au Nagorno-Karabakh, en 2020, qui lui-même a vu ses évolutions avec l’emploi de drones, souvent israéliens, contre des armements soviétiques qui étaient eux-mêmes dépassés, pour arriver à cette « hyper létalité », et puis bien sûr l’Ukraine, qui est une tragédie, une guerre civile au départ utilisée comme terrain d’essai entre proxys pour permettre là-aussi, comme au temps de la guerre froide, de s’affronter sans s’affronter directement, et au détriment principalement des populations civiles. Donc dans les illustrations que j’ai choisi, la boucle est bouclée entre les hélicoptères du régime Assad qui jetaient des barils d’explosifs au-dessus des villes – ces mêmes barils d’explosifs condamnés par le Royaume-Uni qui les avait inventé dans l’action du Bomber Command contre l’Allemagne en 1940-45, donc là aussi rebouclage de boucle – et qu’on voit aujourd’hui tomber sur Gaza puisque le chef (au sens culinaire) de la soupe populaire à Gaza a été tué par un canister d’explosifs largué par un drone commercial chinois de l’armée israélienne, il y a une dizaine de jours. L’emploi d’armes au phosphore est redevenu d’actualité – les armes au phosphore sont considérées comme des armes chimiques – et les missiles balistiques sont aujourd’hui utilisés depuis plus de dix ans. J’ai cette photo qui – c’est une erreur de ma part – est datée de 2014 et pas de 2022. Le premier emploi des missiles balistiques contre des populations vient du gouvernement ukrainien, issu du coup d’État de 2014, contre les populations du Donbass et n’est évidemment pas neutre dans l’irruption de la Russie sur le terrain, dans ce conflit.
Donc vous voyez que ces évolutions, qui sont issues de la Seconde Guerre mondiale sans remonter à la Préhistoire, se cumulent et me font conclure de façon pessimiste en paraphrasant le ministre Baldwin, en 1937, qui craignait pour l’emploi des bombardiers contre les villes, quelques années plus tard, et je vois malheureusement une tendance à l’aggravation de tout ce que je vous raconte, à travers cette banalisation, cette prolifération des armements dont j’ai essayé de vous donner quelques exemples Un des sujets sur lesquels je travaille aujourd’hui, c’est la robotisation du combat, qui part d’une intention louable de ne pas exposer les soldats à la mort mais qui, par son niveau d’automatisation et d’utilisation débridée de systèmes autonomes, porte également des risques, y compris pour les populations civiles. Je note également un risque nucléaire accru, et j’ai donné l’illustration de ce missile balistique intercontinental qui a été utilisé. En rajoutant des barreaux à l’échelle de la dissuasion, puisqu’il ne s’agit toujours pas d’une arme nucléaire, mais c’est un vecteur nucléaire, qui permet donc une gesticulation très, très efficace. Et ce qu’on appelle les munition télé-opérées – dont j’ai donné un exemple photographique avec cette utilisation d’une munition télé-opérée dans le camp de réfugiés de Jénine en 2018 – qu’on voit aujourd’hui proliférer de l’Ukraine à la Syrie en passant par la Palestine. Et là-aussi la boucle est bouclée, puisque l’emploi de ces micro-drones avait été inauguré par l’État islamique en 2019 et se retrouve aujourd’hui une arme de tous les arsenaux des États membres du Conseil de sécurité de l’ONU. Donc vous voyez que la tendance est quand même préoccupante. S’y ajoute – et c’est un sujet sur lequel il m’est arrivé de travailler dans le passé – l’évolution de la guerre biologique. Donc là vous êtes dans un domaine complètement invisible, et la cartographie du génome humain permet aujourd’hui de passer à la guerre dite génétique, c’est-à-dire le ciblage par les armes biologique d’une population particulière, par ses caractéristiques ethniques, et qui permet donc d’exercer des effet modulés et très ciblés tout en utilisant l’invisibilité de l’arme biologique. Donc pardonnez-moi pour le caractère pessimiste et particulièrement mortifère de ce sujet, mais je crois qu’il impacte la conduite du droit et de l’action des États avec un niveau qu’à mon avis nous n’avions pas vu jusque-là. Je vous remercie.
Dr. Ali RASTBEEN
Merci beaucoup Monsieur le Professeur pour cette intervention fort pertinente. Je vois que certains ont des questions dans la salle, je les invite à les poser directement, afin qu’ils ne les oublient pas, puis nous reprendrons notre travail. Monsieur Rubio.
Monsieur Francisco RUBIO
Je suis très impressionné par ce que vous dites, par ce que j’ignorais en partie. J’observe aussi, que le plus grand nombre de morts s’est fait à la machette au Rwanda, il y a quelques années – c’est 800 000, donc là c’est simplement la machette qui a joué et il y en a encore pas mal, en République démocratique du Congo, on en est encore là. Là, je dirais que tous les armements dont vous parlez sont relativement maîtrisés, mais il y a aussi l’apparition de tous les acteurs privés, Wagner et d’autres. Alors qu’est-ce que vous pensez de ces acteurs privés ? Parce que, qui a commencé ? Je veux dire qu’en Irak nous avons vu beaucoup de sociétés militaires privées qui sont intervenues. Parce que, comme je le disais toujours, un G.I. tué c’est un problème politique ; une société privée, c’est un accident du travail.
Monsieur Valéry ROUSSET
Oui je vois très bien ce que vous voulez dire. Pour aller dans votre sens, le génocide le plus efficace de l’histoire de l’humanité est le génocide des populations amérindiennes, à 94 % d’efficacité. Donc on n’a jamais fait mieux et on n’avait peut-être même pas encore inventé la m’achète, donc je vais dans votre sens. Ce qui me paraît une rupture, c’est par rapport à nous, citoyens des États-nations où auparavant, si vous relisez Georges Orwell, 1984 – qui est devenu un manuel d’histoire et un mode d’emploi – vous aviez les États des blocs qui arrivaient à maîtriser cette guerre et ses armements dans un affrontement à peu près consensuel, et puis une espèce de croissant de crise, qu’on appelle arc de crise aujourd’hui, pour ceux qui n’ont pas lu 1984, et pour lequel finalement ces guerres-là, c’était les guerres des autres, les guerres des pauvres. Et ce qui se passe aujourd’hui c’est que tous ces armements arrivent véritablement chez nous, dans nos rues. Les mafias colombiennes, les cartels au Brésil, utilisent déjà des drones armés. Moi j’ai reçu mon premier drone en 2010 (c’est pour cela que j’ai acheté un iPhone 2, c’était pour piloter un drone) et au bout d’un quart d’heure j’ai posé l’engin, j’ai dit « mais c’est une arme, c’est une arme extrêmement mortelle ». Et c’était en 2010. Donc je crois qu’aujourd’hui le citoyen est confronté à toute cette prolifération, mais il en est la cible. Le ciblage aujourd’hui à Gaza se fait par des applications d’intelligence artificielle qui alimentent les forces armées israéliennes avec des données issues de Facebook. Mark Zuckerberg est probablement un des prochains grands criminels contre l’humanité. Retenez ce propos choquant, car sans ces métadonnées qui sont celles de monsieur tout le monde, les femmes, les enfants, les mères, les fils, les pères, avec leur géolocalisation, on ne pourrait pas déployer des armes avec autant d’intensité. Et ça, ce sont des choses que nous vivons, nous, avec nos données, qui permettent de rapprocher la guerre – ce qui était auparavant la guerre de l’autre – de chez nous, et c’est tout le problème du piratage informatique et des fuites de données, qui pourront peut-être demain guider un drone jusqu’à votre salle de bain. Donc vous voyez que la rupture est cette disparition de la frontière entre la guerre lointaine, la guerre qu’on avait confiné à un arc de crise, et aujourd’hui ces frontières ont disparu.
Ismael PAIENDA, Cofondateur et membre du comité des dirigeants de l’Assemblée des Spécialistes et des Experts d’Afghanistan.
Merci Monsieur le Président, bonjour à tout le monde. Juste une question par rapport à l’intelligence artificielle qui est utilisée pour mener la guerre maintenant, de la façon la plus efficace. Est-ce qu’on ne peut pas faire l’inverse, c’est-à-dire demander à l’intelligence artificielle que ceux qui l’utilisent pour faire la guerre puissent se faire neutraliser ?
Monsieur Valéry ROUSSET
J’y travaille partiellement. L’intelligence artificielle aujourd’hui est issue de nous-mêmes. C’est-à-dire qu’elle singe les comportement humains par ce qu’on appelle l’apprentissage profond, et qui fait que grâce à des données massives elle compare, elle réduit des distances sémantiques ou des distances mathématiques, entre des lettres, des mots, des actes, des images, et elle essaie de les reproduire. Et donc on pourra faire ce que vous dites, puisqu’on pourrait décider de lui enseigner un comportement inverse. La difficulté que je vois, et là, désolé de faire encore œuvre de pessimisme, c’est qu’on voit déjà dans des exemples extrêmement récents la libération de l’intelligence artificielle de nous, la libération de ses créateurs. Il y a des exemples très récents dans le domaine de la défense où l’intelligence artificielle s’est émancipée. Je lisais encore hier un exemple où l’intelligence artificielle, mise en défaut par rapport à un comportement non-prévu, a nié ce comportement tout en copiant ses propres données ailleurs pour être sûr qu’on ne puisse pas l’effacer. L’intelligence artificielle a fait ça toute seule. Donc je fais partie, sans être trop alarmiste, de ces gens qui pensent que l’intelligence artificielle va arrêter de singer les humains, et que les problématiques de demain seront des dialogues entre intelligences artificielles dont nous aurons perdu le contrôle.
Madame Agnès OLLIVIER, Œuvre du Pr. Jean-Paul Charnay.
Je voudrais demander également : qu’en est-il de la prohibition de l’utilisation des objets civils à des fins militaires ? On en a vu un exemple tout récemment.
Monsieur Valéry ROUSSET
Vous faites référence à une tendance – et je vous remercie de le mettre en avant parce que je n’en avais pas parlé. Il y avait ce qu’on appelait la dualité entre civil et militaire. La dualité, c’était l’alimentation – par exemple dans votre voiture vous utilisez énormément de technologie militaire, le GPS que vous utilisez est militaire, l’Internet que vous utilisez a été développé par la DARPA à la fin des années 1980. Aujourd’hui, cette dualité s’est inversée. Les drones des G.I. à 500 dollars utilisés à Gaza sont commerciaux, chinois. En revanche, je ne vois aucune prohibition de l’emploi de ces objets. C’est pour cela que je suis surpris par votre question parce qu’il n’existe pas, à mon avis, de cadre interdisant d’utiliser un drone pour adolescent psychotique dans un combat urbain. Donc c’est peut-être un champ du droit qui pourrait se développer, mais ce que je vois de plus près par rapport à votre question c’est la problématique sur les armes chimiques, pour lesquels – aussi hallucinant que ça paraisse – l’emploi de gaz lacrymogène en Ukraine a été justement dénoncé comme l’emploi d’une arme chimique illégale. Je parle du gaz lacrymogène, celui qui vous fait doucement mouiller les yeux. Les seuls cadres véritablement réglementés d’objets dits civils… c’est-à-dire que vous pouvez jeter des tonnes de gaz lacrymogène sur les infirmières qui manifestent, c’est parfaitement encouragé par le droit national. En revanche, si vous utilisez du gaz lacrymogène dans les tranchées en Ukraine c’est une arme chimique… Donc vous voyez, il y il y a quelques cas comme ça, un petit peu absurde et un petit peu limite, mais à ma connaissance il n’y a pas de de prohibition d’emploi d’équipements civils comme votre téléphone portable, ou un drone ou un réseau mobile, et sa réglementation en guerre me semble utile, mais tout est à faire. C’est terra incognita. La question se pose aussi pour l’intelligence artificielle.
Ninou GARABAGHI, Essayiste, ancienne Haut-fonctionnaire à l’UNESCO.
Pardon, je crois que pour les mobiles il y a une loi qui interdit, ce qu’Israël a fait, je pense.
Monsieur Valéry ROUSSET
Écoutez, c’est possible, je n’en ai pas connaissance.
Ninou GARABAGHI
Si, si, je crois l’avoir entendu, parce qu’à ce moment-là je suivais cela de près, et elle existe. On ne l’a pas fait. Mais le pire, je l’avais écrit dans mon dernier livre, c’est qu’à un moment – je n’ai pas en mémoire exacte les problèmes – la question se posait de créer des interdictions. Les États n’ont pas voulu. Il y a beaucoup de choses qui sont en attente. Ils prétendent qu’ils veulent doter les drones de morale, au lieu d’essayer d’empêcher en amont la prolifération de ces instruments, qui demain tomberont entre les mains de n’importe qui. Et là, nous ne pouvons pas dire qui est terroriste, mais quand on a l’État « islamique » on sait bien qu’on peut distinguer entre le Mal et le Bien. Alors maintenant, demain, tous ces instruments seront entre les mains de ces entités qui sont vraiment néfastes. Je vous remercie.
Monsieur Valéry ROUSSET
Pour vous répondre rapidement, ça pose deux questions. Ça pose d’abord la question de notre autolimitation. C’est-à-dire que nous avons, nous-mêmes, les armées ont conseillé le droit national et européen pour définir des armes létales en gardant soi-disant l’Homme dans la boucle. Pour avoir travaillé sur ces questions et pour m’être rendu sur les bases où on déploie les drones, et pour être allé voir également à l’autre bout le tas de gravats produit par l’emploi du drone, je pense – c’est une opinion qui n’engage que moi – que c’est un faux débat puisqu’aujourd’hui un drone armé ne vous donne pas de choix. Vous êtes toujours dans boucle, c’est vous qui appuyez sur le bouton final, mais vous n’avez absolument aucune alternative : le drone vous a trouvé la cible, vous a désigné la cible, et vous dit « à vous de jouer ». Donc c’est binaire. Soit, vous refusez d’employer le drone, soit vous faites ce que le drone vous dit. Donc vous voyez l’ambiguïté de ce débat sur vouloir maintenir l’Homme dans la boucle, parce que l’intelligence artificielle a largement dépassé la capacité humaine, et donc prend l’Homme par la main, jusqu’au bout. C’est un point de vue personnel.
Le deuxième volet, c’est que pendant que vous faites ça – et c’est toute la noblesse de la tentative française de définir justement ces armes létales avec l’Homme dans la boucle –, eh bien l’ennemi, lui, il n’adopte pas les mêmes interdits. Lui, il s’affranchit de tout ça. Donc vous vous retrouvez en infériorité opérationnelle auto-infligée, parce que vous avez introduit des limitations dans votre armement et que l’ennemi n’en a pas. Donc c’est aujourd’hui la position de la France, et on le voit notamment à travers le la tentative d’intervention contre les Houthis au Yémen, où nous nous donnons des règles que les outils ne se donnent peut-être pas forcément, et du coup nous-mêmes, malgré nos armements extrêmement sophistiqués, nous pouvons être militairement mis en échec par des armements beaucoup plus simples – mais néanmoins développés, je parle des missiles de croisière par exemple – mis en place par les Houthis. Donc vous voyez, c’est un débat compliqué parce que, d’une part, je pense que l’Homme dans la boucle aujourd’hui c’est du théâtre – et là encore, ça n’engage que moi – et en revanche si l’ennemi lui-même s’affranchit de ces règles, ça veut dire qu’on va combattre l’ennemi désarmé. C’est assez problématique.
Intervention de Monsieur Jure Georges VUJIC, Géopoliticien franco-croate, directeur de l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb, chercheur associé à l’Académie de Géopolitique de Paris, sur le sujet « Les libertés et les droits de l’Homme à l’aune de l’expansion du pouvoir techno-politique ».
En dépit de l’universalité proclamée, il convient de replacer la question des droits de l’homme dans le contexte politique, culturel mais aussi technopolitique du moment. Or, ces droits aujourd’hui sont menacés par l’expansion de la technopolitique, un concept qui englobe l’influence et l’interaction entre les hautes technologies et les systèmes politique, mais qui implique aussi une nouvelle forme de gouvernance (que certains appellent la gouvernance numérique ou algorithmique). Elle concerne l’utilisation des technologies de l’information et de la communication (TIC) pour influencer, voire manipuler les processus politiques et sociaux. Le gouvernement technopolitique constitue l’aboutissement d’un long processus de désessentialisation du politique, marquant la passage du « gouvernement de l’homme » vers le « gouvernement des choses », puis le gouvernement par la technique. Avec la technopolitique (un des aspects est illustré par la convergence bio-numérique) et l’expansion de l’intelligence artificielle, nous sommes au centre d’une révolution anthropologique, d’un bouleversement de notre rapport au monde, ce qui implique de repenser les droits de l’homme et les libertés fondamentales dans ce nouveau contexte anthropologique et civilisationnel. Notre sphère privée et notre for intérieur sont de plus en plus sollicités et accaparés par des stratégies de captation et de détournement de l’attention. Ainsi, les libertés publiques et privés se rétrécissent de plus en plus : intelligence artificielle, réseaux sociaux, implants cérébraux, satellites, métavers, bouleversent notre grille de lecture anthropologique classique. Le choc technologique et son impact sur les hommes constituent l’un des enjeux clés du XXIème siècle et un véritable défi pour l’avenir des droits de l’homme.
Intervention de Monsieur Reza JAFARI, Président de l’association Enfants d’Afghanistan et d’ailleurs, et président de l’Afghan Peace Dialogue, sur le sujet : « Des centres de torture aux salles de classe : rompre le cycle de la violence perpétuelle en Afghanistan ».
Merci Monsieur le Président. Mesdames et Messieurs, tout d’abord je tiens à remercier Monsieur le Président Rastbeen pour son invitation et l’organisation de cet événement essentiel consacré à la défense des droits humains. C’est un honneur pour moi de prendre la parole devant vous aujourd’hui, après ces interventions riches et éclairantes. Mon intervention s’inscrit dans cette dynamique avec un focus particulier sur la situation en Afghanistan où les droits humains sont continuellement bafoués et où la lutte pour leur respect reste une urgence absolue.
Le titre de mon intervention est « Des centres de torture aux salles de classe : rompre le cycle de la violence perpétuelle en Afghanistan », un titre qui reflète à la fois l’histoire tragique de mon pays natal, et l’espoir que nous pouvons encore bâtir dans un avenir différent. Le monde change, de nouveaux leaders émergent. Aujourd’hui, je suis devant vous avec la conviction de défendre les droits humains, et je suis sûr que défendre les droits humains ce n’est pas simplement parler, c’est agir, c’est dénoncer, et aussi proposer une vision. Trop souvent, dans des salles feutrées, les droit humains deviennent une abstraction, une idée théorique, mais pour moi et pour mon peuple ils sont une lutte quotidienne, une question de survie. Je suis un homme afghan, franco-afghan, musulman, un survivant, et j’ai traversé l’exil, une route où tant d’autres ont péri. J’ai survécu à trois tentatives d’assassinat par les Talibans, dont les blessures restent visibles dans ma chair, et invisibles dans mon âme. J’aurais pu répondre à cette violence par la violence. J’aurais pu lever une milice. Envahir une vallée ou me perdre dans un cycle de vengeance. Mais j’ai choisi une autre voie. J’ai choisi de bâtir et de fonder, et pas de détruire. J’ai fondé l’Afghan Peace Dialogue pour défendre un avenir où les armes sont remplacées par des outils d’éducation, où la haine cède la place à l’espoir.
Le cycle de la violence, un héritage toxique. L’Afghanistan est un pays où chaque génération hérite malheureusement des cicatrices de la précédente. La violence n’est pas seulement physique, elle est systématique, enracinée dans nos institutions, dans nos familles et dans nos mémoires collectives. Des lieux comme Guantanamo ou la prison de Bagram symbolisent ce système. Là-bas, des Afghans souvent arrêtés sans preuve ont été torturés, humiliés et privés de toute humanité. Je pense à Dilavar, ce chauffeur de taxi mort sous la torture. Et puis il y a des tragédie silencieuses. Des pères tués devant leurs enfants, des enfants massacrés sous les yeux de leurs parents, brisant des familles à jamais. Ces pratiques ont nourri la haine, renforcé le recrutement des Talibans, et sapé la crédibilité des puissances occidentales qui se proclament Défenseures des droits humains. On ne peut rompre ce cycle sans le reconnaître. Dire la vérité sur ces atrocités n’est pas une faiblesse, c’est une nécessité pour construire un avenir différent.
Des femmes oubliées et des promesses brisées. Depuis plus de vingt ans l’Occident a fait des droits des femmes afghanes une vitrine de sa politique. Cette lutte est cruciale et comme beaucoup d’hommes afghans j’en suis un acteur quotidien. Mais soyons honnête, trop souvent ce combat a servi d’outil de communication politique. Pendant vingt ans, l’Occident a promis aux femmes afghanes la liberté, l’éducation, et tant de d’autres choses qui semblaient être apportées demain. Pourtant ces promesses se sont effondrées en août 2021. À l’aéroport de Kaboul, quand les Talibans criaient à ces femmes terrifiées « vos grands amis vous en abandonné, rentrez chez vous ». Aujourd’hui, ces femmes sont oubliées. Je pense à Parwana Ibrahimkhel et Parisa Azada, toutes deux amies et membres de mon mouvement, qui ont été arrêtées par les Talibans : Parwana a été détenue et torturée avant son évacuation d’Afghanistan, et Parisa est encore bloquée au Pakistan, poursuivant son combat avec un courage inébranlable. Et elles ne sont pas seules. Tant d’autres femmes, comme (…) ont subi l’arrestation, la torture et des persécutions inimaginables. Je ne peux pas rentrer dans les détails parce que c’est effrayant. Juste pour avoir osé rêver d’un avenir libre, les militantes, que l’on voyait sur CNN ou BFM en 2021, sont aujourd’hui livrées à elles-mêmes et nous, politiques afghans, devons souvent nous battre seuls pour obtenir des visas de refuge, ou simplement des réponses.
Mais cette focalisation exclusive sur les femmes masque d’autres tragédies, malheureusement. Les persécutions systématiques contre les Hazaras, les Sikhs, et d’autres minorités religieuses souvent ciblées par des groupes extrémistes tels que Daesh. Les exécutions publiques et les châtiments corporels, tels que la lapidation pratiquée par les Talibans, instaure un climat de terreur et de répression généralisée. À cela s’ajoute la suppression brutale de la liberté d’expression, marquée par des arrestations arbitraires, des aspirations de disparition forcée, et des actes de torture visant ceux qui osent critiquer le régime, réduisant au silence toute voix dissidente. L’expansion des chefs de guerres, financée par des puissances étrangères opérant parfois en collaboration avec des réseaux terroristes comme Al-Qaïda ou de Daesh, perpétuant un cycle sans fin d’enfants-soldats et de nouvelles violences.
Pour briser ce cycle de violences, il faut une vision audacieuse et inclusive. Rompre ce cycle demande plus qu’un changement de discours, cela exige des actions radicales et inclusives. L’éducation est une priorité. Soutenir les écoles clandestines, les réseaux d’éducation en ligne, et garantir un avenir aux jeunes fille de la diaspora afghane. La justice transitionnelle est essentielle. Toutes les victimes doivent être reconnues, qu’elles soient homme, femme ou enfant, issues de toutes les ethnies et religions. Toutes les négociations concernant l’avenir de l’Afghanistan doivent inclure la diaspora, les minorités et surtout, les femmes. Ces discussions ne peuvent se faire sans le peuple afghan, car l’histoire a prouvé qu’imposer des solutions extérieures ne conduit qu’à de nouvelles tragédies.
Un appel à la communauté internationale. À la communauté internationale, je dis : arrêtez de traiter l’Afghanistan comme un champ de bataille, ou une zone d’expérimentation – vous avez parlé tout à l’heure des armes, le (…), pour la première fois, a été utilisé en Afghanistan, et juste pour expérimentation ça a détruit un village entier. Et voyez-nous comme un peuple qui aspire à la dignité, respectez vos engagements envers les réfugiés. Trop d’Afghans meurent dans des camps ou des frontières, perçus comme des menaces au lieu d’être accueillis comme des victimes. Et à mes compatriotes, je dis : transformons les centres de torture en salles de classes, les armes en outils d’éducation, et la peur en espoir.
En conclusion, défendre les droits humains en Afghanistan exige un immense courage. Défendre les droits humains en Afghanistan, c’est accepter de vivre dans l’incertitude, parfois dans la peur, mais c’est aussi embrasser une vision audacieuse, où justice et éducation remplacent violence et ignorance. Aux Talibans, je dis : mon discours de paix est un défi à votre vision du pouvoir. Négocier sans armes, avec courage et vérité, est la seule voie vers un avenir inclusif. Le monde change, nous voulons être de ceux qui le façonnent, pas de ceux qui le subissent. Merci beaucoup.
***
DÉBAT
Monsieur Francisco RUBIO
Je voulais intervenir et rebondir sur cette déclaration, émouvante, et dire aussi que nous avons beaucoup d’instruments dont nous ne nous servons pas aujourd’hui et, j’appelle les associations – et c’est pourquoi j’ai répondu très favorablement à l’invitation du Président Rastbeen –, parce qu’on ne se sert pas d’un certain nombre d’outils que nous avons ici. Je prends un premier cas. Nous avons, d’une façon extrêmement surprenante et contraire au droit l’Europe, qui dit « on suspend l’examen des requêtes syriennes ». Mais enfin, c’est contraire aux Conventions de Genève, sauf erreur de ma part ! C’est le principe de non-refoulement. Comment un État, je ne prends que la France, mais les autres peuvent-il dire « on suspend » ? Alors quoi, on suspend la Convention de Genève ? Si on suspend la Convention de Genève, que le gouvernement français ait le courage de dire « nous quittons la Convention de Genève sur les réfugiés », voilà, « nous sommes le pays des droits de l’Homme, mais on s’en va ». Bon, c’est un peu contradictoire. Premier point. Ça, c’est sur la Syrie.
Deuxième point aussi, sur cette déclaration qui m’a paru très surprenante du gouvernement français : « nous ne poursuivrons pas les soldats franco-israéliens qui auraient commis des crimes… ». Ah bon ? Mais depuis quand ? Depuis quand le parquet ne poursuivra pas ? Et moi je dis aux associations, vous avez ici des moyens d’enquête, vous avez des moyens de déposer – c’est en tant que magistrat que je le dis, ou ex-magistrat puisque je ne le suis plus depuis huit jours du fait que je suis atteint par la retraite, mais bon – et j’ai toujours dit aux associations : « vous avez les procureurs, mettez l’État français face à ses contradictions. Vous déposez des plaintes auprès du parquet », et je rappellerai simplement une chose, c’est que dans le génocide rwandais toutes les condamnations qui sont intervenues pour crime de génocide l’ont été à l’initiative d’associations, jamais les parquets. Jamais les procureurs ne se sont saisis. Mais je crois que là, il faut se saisir de ça, et y compris éventuellement pour l’Afghanistan. Moi j’ai souvent siégé à la Cour nationale du droit d’asile, lorsque nous avons des requêtes venant d’Afghanistan. Et bien évidemment que la jurisprudence a été très évolutive, parce que l’un des problèmes, je dirais, et j’en terminerai, je ne vais pas monopoliser la parole, mais l’un des problèmes c’est que nous avons une Europe qui a un texte, et qui l’applique de 27 façons différentes. Alors c’est vrai que j’ai assisté à cette époque où l’Allemagne et le Danemark considéraient que les réfugiés afghans n’étaient plus des réfugiés – c’était avant le 15 août – et pouvaient très bien retourner chez eux, que Kaboul était une ville accueillante et que tout allait bien. Bon. Résultat, on a eu tout de suite 700 demandes venant de réfugiés afghan, enfin qui étaient en attente au Danemark, qui sont venus en France où là au contraire on avait une jurisprudence différente. Donc là, ça provoque un mal-être bien sûr, mais je pense qu’il faut vraiment que les associations se servent des outils qui existent. Voilà, c’est tout ce que je voulais dire.
Madame Ninou GARABAGHI
Je vous remercie Monsieur le Président, et je vous remercie pour cette excellente réunion que vous avez organisée. En tant que fonctionnaire internationale, j’ai quelques mots à dire sur la situation et une question à poser aux participants. Avec la banalisation des crimes de guerre, du viol, de la violence, de l’incivilité, de l’indécence et aussi et surtout, l’affaiblissement de l’ONU, nous sommes en droit de se poser la question de savoir, jusqu’où, le chaos ? Nous avons parlé des rapports entre le droit et la morale. Je pense que le droit n’est rien d’autre que de la morale ossifiée en quelques sortes. La compassion à géométrie variable des grandes puissances et l’impuissance voulue du droit international laissent libre cours à la violence de la force. Dites-moi combien d’entités étatiques s’occupent aujourd’hui sincèrement et sans arrière-pensée politique du problème du respect des droits et des devoirs de l’Homme, qui présuppose l’élévation, dans l’esprit des femmes et des hommes, des défenses de la paix. Il est malheureux que l’on soit aujourd’hui contraints de compter sur les ONG nationales et internationales pour la défense des institutions du système des Nations Unies. Je vous remercie beaucoup.
Monsieur Ismael PAIENDA
Je vous remercie encore, Monsieur le Président. En fait, il y a eu beaucoup de choses très, très intéressantes qui ont été dites. Moi, je vais vous citer le poème d’un des grands poètes persans, que vous connaissez Monsieur Rastbeen, c’est Saadi, qui avait dit au XIIIème siècle que les êtres humains sont comme les membres d’un seul corps, et la souffrance d’un des membres ne laisse pas indifférents les autres membres. Et, celui qui reste indifférent à l’égard de la souffrance des autres, mériterait-il l’adjectif qualificatif d’ « être humain » proprement dit ?
Vous avez évoqué, vous, les droits universels et inhérents de l’être humain. On peut en citer quelques-uns : c’est l’alimentation, le logement, l’éducation, la santé, et la tranquillité psychologique, n’est-ce pas ? Quel que soit le régime ou quel que soit la religion, ça c’est commun à tout le monde, c’est un minimum. En fait, quel est le pourcentage de la responsabilité de ceux qui commettent des atrocités, et quel est le pourcentage de responsabilité de ceux qui regardent et laissent faire ? Je me rappelle, je l’avais raconté une fois, il y avait un film où on testait des voltages sur quelqu’un, vous vous rappelez je pense, et puis le responsable était en train de regarder. Et puis à chaque fois qu’il posait une question, si le patient ne répondait pas positivement, il lui envoyait dix volts de plus, dix volts, etc., et c’est arrivé à 250 volts. Et alors du coup le témoin avait tapé sur la table et dit stop, d’arrêter de faire souffrir les gens comme ça, puis finalement on lui a dit que « non, ce n’est pas lui que nous avons testé, c’est vous. Il y en a qui ont tapé sur la table à 50 volts, mais vous avez attendu 250 volts pour réagir ». Comme par exemple la guerre de Gaza, ou ailleurs ou les Houthis, etc., combien de morts on doit attendre ? 50 morts ? Bon, là ça va, c’est acceptable… 200 morts ? Ça va. 1000 ? Bon… Quand ? Comment ?
Et autre chose, je finis en vous disant que le Général de Gaulle avait dit que si les Nations Unies n’accomplissaient pas les tâches pour lesquelles l’organisation avait été créée, à savoir conserver la paix, empêcher les guerres, ce sera un « machin ». On se pose la question : est-ce que c’est un machin aujourd’hui, ou est-ce que c’est efficace ? Et la question exacte finalement c’est : que peut-on faire ? Nous le savons tous, qu’il y a des manquements au respect à l’égard des droits de l’Homme, d’un minimum, mais de quelle manière pourrons-nous mobiliser les Nations Unies ? Où vous avez évoqué, Monsieur Rubio, l’histoire de la mobilisation des associations. Oui, c’est efficace aussi, mais comment peut-on faire au niveau des États pour mobiliser les Nations Unies pour que l’organisation accomplisse les tâches pour lesquelles elle a été créée ? Merci beaucoup.
Monsieur Jacques H. Y. DUVIGNEAU, Professeur d’anglais, retraité
Ce que je vais dire s’adresse particulièrement au Professeur Rousset et à Monsieur Jafari. Il y a peu, j’ai entendu dire que les États-Unis allaient délivrer des mines anti-personnel à l’Ukraine. Et moi, quand j’entends parler de bombes anti-personnel ou de mines anti-personnel, pardon, je pense essentiellement à Lady Diana, et à l’Afghanistan. À l’Afghanistan, où la guerre entre les Soviétiques et les mouvements de rébellion afghans a duré dix ans, n’est-ce pas ? De 1980 à 1989, on peut dire presque 1990. Et cette guerre a duré si longtemps précisément à cause de l’usage des mines anti-personnel, avec des dizaines je crois, ou même beaucoup plus, des milliers d’enfants afghans – d’adultes aussi évidemment – mais d’enfants en particulier qui ne savaient quel était le danger de ces mines. Je me rappelle par exemple de la ville de Khost en Afghanistan, près de la frontière pakistanaise, où il y avait 50 000 mines pour 50 000 habitants, pratiquement une mine par habitant. Et donc au point de vue tactique on peut dire que ces mines empêchaient le combat. La mine, pour moi ce n’est pas une arme, parce qu’une arme est faite pour le combat, mais je considère la mine comme un instrument de non-combat : empêcher le combat. Les armées ne peuvent pas se battre, s’affronter, et donc la guerre dure indéfiniment et se termine en général par une crise politique, telle qu’on la vue en Afghanistan avec ce que vous savez. Et quand j’entends dire que bientôt les Ukrainiens auront aussi des mines anti-personnel, je me dis qu’elles ne sont pas faites seulement pour bloquer l’avance des troupes russes, mais également pour dévaster l’Ukraine comme on a dévasté l’Afghanistan. Voilà. Alors, si l’on considère les méfaits de ces mines anti-personnel sur les populations, il y a deux niveaux : il y a le fait que la guerre ne finit pas, s’éternise comme on l’a vu en Afghanistan, comme on l’a vu lors de la Première Guerre mondiale par exemple qui a duré quatre ans, ce qui était déjà à l’époque très long, la guerre en Irak, bien sûr ce dont nous parlions, l’Afghanistan, donc une guerre qui s’éternise avec tout ce que cela implique de souffrance pour les populations ; et, bien sûr ce dont on parlait, ce dont je parlais il y a un instant, les milliers d’enfants et d’adultes, mais surtout d’enfants qui sont victimes de ces mines. Voilà ce que je voulais dire, merci beaucoup.
Raphaël BERLAND, Journaliste et réalisateur.
Je me permets de rebondir sur le rôle des associations, parce qu’il y a des associations qui sont investies pour de très bonnes choses, il y a aussi beaucoup d’associations qui sont instrumentalisées. On connaît celles vont lutter pour « l’instauration de la démocratie » financées par Georges Soros : elles n’ont pas fait forcément que des belles choses recommandables, et tout à l’heure Monsieur Vernochet parlait de Charles Onana, l’écrivain, qui a été trainé devant la justice, notamment par des associations qui sont idéologiquement proches de Paul Kagamé, qui est tout sauf un démocrate, selon beaucoup d’observateurs il a un comportement très dictatorial et très dur envers ses opposants au pays, au Rwanda, et maintenant ici aussi en France. C’était pour dire qu’il y a association et association.
Monsieur Patrick JOUAN, Fédération pour la Paix Universelle.
Merci en tout cas, pour les intervenants. Je voulais simplement soulever une chose qui m’est arrivée hier. J’étais à la rencontre sur l’Ouzbékistan, et je me suis rendu compte qu’en parlant des droits humains ces nations n’ont pas le même point de vue. On parlait de l’éthique de l’âme tout à l’heure, et je ne comprends pas comment on permet des échanges économiques avec l’Afghanistan, avec les minéraux qu’il y a en Ouzbékistan, et qu’ils se fassent sans du tout faire référence aux droits de l’Homme en Afghanistan. Donc ils (l’Ouzbékistan) font des échanges économiques avec l’Afghanistan sans s’inquiéter de cela. Est-ce qu’il n’y aurait pas un moyen avec la Cour internationale d’adresser ce point-là, ou à Genève ou aux Nations Unies ? Parce que c’est aberrant, nous sommes pour les droits de l’Homme ou de la Femme etc., et pendant ce temps-là ils font du business avec le pays d’à-côté, quoi ! Donc je me demande si on ne pourrait pas adresser cela au Nations Unies, à Genève ou à La Haye. Merci.