La Chine et l’union Européenne : réalités et limites d’un partenariat commercial

Dominique BARJOT

Professeur d’Histoire économique contemporaine Université Paris Sorbonne (Paris IV) UMR 8596 Centre Roland Mousnier

2eme trimestre 2014

L’Union Européenne, avec son processus de décision complexe, mais aussi ses politiques com­munes, doit affronter aujourd’hui des problèmes conjoncturels et structurels de grande ampleur, crise de l’euro et déclins économique et démographique. Face à l’UE, la Chine s’affirme de plus en plus comme un acteur majeur du commerce international : grande puissance internationale en émergence, elle s’appuie notamment sur une accumulation énorme de capital humain et des en­treprises géantes encore très liées à l’État, mais doit affronter les défis nouveaux de la préservation de l’environnement, des inégalités territoriales et de revenus menaçant la croissance et freinant aussi le passage d’une majorité de la population à la consommation de masse. Dans ce contexte compétitif, l’UE et la Chine sont, l’un pour l’autre, des partenaires privilégiées d’un point de vue tant macroéconomique que microéconomique.

SECONDE PUISSANCE ÉCONOMIQUE MONDIALE, la Chine s’est aussi imposée comme premier exportateur au monde, dont elle constitue le poumon industriel

Ce leadership à l’exportation lui est disputé par l’Union européenne, qui, glo­balement prise, la supplante encore, même si, aujourd’hui, sa puissance réside sur­tout dans les services. Face à la Chine cependant, l’Union Européenne n’est pas sans atouts, mais aussi sans faiblesses. Si l’existence d’un ensemble de politiques communes (politique agricole commune, politique de développement régional notamment) constitue pour elle plutôt un point fort, en revanche l’organisation très complexes des processus de décision ne l’aide pas à régler tout un ensemble de problèmes conjoncturels (crise de l’euro notamment), mais aussi structurels (un déclin économique et, plus encore, démographique). Or, face à l’UE, la Chine s’af­firme de plus en plus comme un acteur majeur du commerce international : grande puissance internationale en émergence, elle s’appuie notamment sur des entreprises géantes encore très liées à l’État, mais doit affronter des défis nouveaux. Dans ces conditions, l’UE et la Chine sont, l’un pour l’autre, des partenaires privilégiées d’un point de vue tant macroéconomique que micro, comme le montre l’exemple de l’industrie des pneumatiques.

L’Union Européenne : processus de décision, politiques communes et défis actuels

L’Union Européenne, avec son processus de décision complexe, mais aussi ses politiques communes, doit affronter aujourd’hui des problèmes conjoncturels et structurels de grande ampleur[1].

Une structure de décision complexe

Depuis 1979 et l’élection du premier Parlement européen, il existe une pluralité de pouvoirs au sein de l’Union Européenne. Même si le pouvoir de décision appartient au Conseil Européen, donc à l’ensemble des États, le nombre croissant de ceux-ci rend de plus en plus complexe la réalisation d’un consensus. Il s’ensuit un rôle très important de la Commission, laquelle prépare les décisions, disposant ainsi d’une large marge d’initiative, et en contrôle l’application, après avis de Parlement européen, lequel, par sa composition, reflète largement l’opinion des peuples. Ce processus de décision lourd et complexe, donc lent, s’est trouvé consolidé à travers un certain nombre d’étapes historiques récentes : l’Acte unique de 1986, les accords de Maastricht en 1991, la transformation de la Communauté Européenne en Union Européenne en 1993, les accords de Schengen en 1999 et l’adoption de l’Euro en 2002, même si ce dernier a été rejeté par le Royaume-Uni le Danemark, la Suède, c’est-à-dire des États soucieux de préserver leur propre monnaie.

L’un des problèmes majeurs de ce dispositif réside dans la focalisation sur la recherche du consensus. Depuis l’origine, mais plus encore depuis l’entrée du Royaume-Uni au premier janvier 1972, il existe une alternative entre deux visions de l’Europe : celle franco-allemande, basée sur l’idée de la réconciliation (Traité franco-allemand de l’Elysée en 1963), et, dans une très large mesure, adoptée par l’Europe des six (Allemagne, France, Italie, Belgique, Pays-Bas, Luxembourg), re­cherchant d’abord l’approfondissement, avec pour objectif de construire une fédé­ration ; celle, anglo-nordique, de la constitution d’une zone de libre-échange, sur le modèle de l’Association Européenne de Libre Echange ou, à plus petite échelle du Nordek, postulant une logique d’élargissement continu, selon le modèle bien analysé par les économistes classiques tels qu’Adam Smith ou Ricardo.

La conséquence en a été qu’approfondissement et élargissement ont été menés de pair, le second objectif obligeant à remettre constamment le premier sur le métier. La CEE s’est ainsi renforcée en 1972, de Royaume-Uni, du Danemark et de l’Irlande, en 1981, de la Grèce, en 1986, de l’Espagne et du Portugal, la France souhaitant no­tamment rééquilibrer l’Europe vers le Sud. L’UR quant à elle, selon une vision com­mune à l’Allemagne et au Royaume-Uni a accueilli, dès 1995, l’Autriche, la Finlande et la Suède, tandis que la Norvège préférait rester en dehors. Puis sont venus s’y ajou­ter, en 2004, la Pologne, la République Tchèque, la Slovaquie, la Hongrie, ces pays baltes et la Slovénie, en 2007, Bulgarie et Roumanie, enfin, en 2013, la Croatie. En résultent, au sein de l’UE, des inégalités considérables en termes de revenu national par tête, ainsi entre le Luxembourg, au sommet de la hiérarchie, la Roumanie et la Bulgarie, en bas de l’échelle. C’est, en autres choses, ce qui justifie les imposants transferts financiers effectués dans le cadre des politiques communes.

Un ensemble de politiques communes

Au sein de l’Union Européenne, deux politiques dominent en termes de priorité (tableau 2).

À elles seules, Politique Agricole Commune (PAC) et politique régionales ab­sorbent entre les deux tiers et les trois quarts du budget, contre 9 % seulement à l’emploi et aux affaires sociales : malgré d’ambitieuses déclarations, l’espace social européen est loin d’être réalisé, comme l’attestent les disparités en matière de taux de chômage. Le poids relativement important des dépenses d’administration (6 %) contraste avec la faiblesse de la part allouée à l’énergie et aux transports (2 %) à la recherche (3 %), voire à l’aide au développement.

Largement issue de la volonté de la France, la politique agricole commune repose sur deux piliers : le premier consiste aides et subventions diverses (80 % du total en 2010) dont une part non négligeable destinées à l’exportation (environ 7 %), le second (20 % seulement) manifeste une volonté d’aider au développement rural (environ 10 %), d’encourager les investissements ainsi que d’aide à l’amélioration du capital humain (aide aux jeunes agriculteurs, formation). L’on comprend dès lors les débats autour du poids, mais aussi des orientations de cette politique agricole, dont le volet social est loin d’être le moins important. De même, en matière de politique régionale, constate-t-on un massif apport d’aide aux économies est européennes ou méditerranéennes, les moins développées mais aussi à certaines régions moins développées des économies du nord-ouest (Irlande) et du Nord de l’Europe (Suède, Pays baltes), mais au profit des DOM-TOM français ou des territoires caraïbes sous souveraineté britannique ou néerlandaise.

L’Europe face aux défis du présent et de l’avenir

Aujourd’hui, l’Union Européenne doit affronter tout un ensemble de pro­blèmes, qui constituent autant de défis pour son avenir. Ces problèmes sont de nature à la fois conjoncturelle et structurelle. En effet, l’UE se trouve confrontée à la crise de l’euro. Elle concerne au premier chef les pays qui ont adhéré à la zone euro (tableau 3).

En sont donc exclus le Royaume-Uni, les pays scandinaves (Suède, Norvège), les pays baltes (Estonie, Lettonie, Lituanie), la Pologne et la République Tchèque et, dans les Balkans, la Bulgarie, la Croatie, la Hongrie et la Roumanie. Or ces pays de la zone euro ont connu, entre 2007 et 2010, une perte de ri­chesse de -3,1%, une fois mesurée par l’évolution du PIB par habitant en volume.

Cette réduction de richesse a épargné l’Allemagne et frappé inégalement les pays membres de la zone : le Benelux et l’Autriche, mais aussi le Portugal, déjà en voie d’assainissement financier ont peu souffert la France moyennement, les pays méditerranéens (Espagne, Grèce, Italie, Slovénie) beaucoup plus, de même que la Finlande (effet couplé avec la crise de Nokia) et, plus encore, l’Irlande. Il a fallu créer, à l’initiative conjointe de l’Allemagne et de la France un Mécanisme Européen de Solidarité (MES), auquel les différents pays de la zone Euro contribuent de façon inégale (tableau 5). Mais cette institution n’a pu empêcher la rechute observée à partir de 2012. Après une reprise rapide aux trimestres 1 et 2 de 2010, puis une sta­bilisation aux trimestres 3 et 4, 2011 a vu une nouvelle chute de l’activité, devenue négative à partir du trimestre 4 de 2012. Ce n’est que, depuis 2014 que s’opère une amorce de reprise, dont la France semble exempte, au contraire de l’Espagne, de l’Irlande et de l’Italie par exemple.

Cette crise de l’euro vient se superposer à une tendance de fond marquée par le déclin économique et démographique de l’Union Européenne[2]. Depuis 1960, les États-Unis ont décliné aussi en pourcentage du PIB mondial, passant de 25 % environ à 20% mais ce déclin a été en gros enrayé à partir du début des années 1980, grâce aux reaganomics (mesures de politiques économiques adoptées sous Ronald Reagan. De son côté, la Chine a opéré à peu près à la même époque un sensible décollage, très amplifié à partir du début des années 1990, sous l’impulsion de Deng Zhao Ping. Quant à la CEE, puis à l’UE, elle a renforcé un peu son poids relatif, mais au prix d’un élargissement considérable : de six à vingt-cinq membres. Avec chacun des élargissements se reproduit le même schéma : dans l’immédiat, un renforcement du poids relatif, puis assez vite, un processus de tassement (passage de la CEE à 12 à la CEE 15), voire de recul (de la CEE à 9 à la CEE à 12, puis de l’UE à 15 à l’UE à 25).

Le déclin apparaît plus encore démographique : entre 1960 et 202, la part de l’Union Européenne au sein de la population mondiale a diminué fortement : de 12 à 7 % environ, tandis que la Chine maintenait la sienne (21 %) et que progressant l’Inde (15 à 17 %) et l’Afrique (7,6 à 12,6 %). En outre le déclin de l’UE a dépassé en ampleur celui des États-Unis, passés de 3 à 2 % de la population mondiale. Ces tendances n’ont été inversées depuis 2002, même si l’on doit souligner les effets dynamisant de l’immigration pour les États-Unis. L’UE apparaît à cet égard aussi comme une zone attraction. Si le pourcentage d’étrangers apparaît le plus élevé dans les pays baltes (surtout Lettonie et Estonie), du fait de l’importance de la minorité russe, les zones les plus concernées par l’immigration concernent l’Allemagne, la Belgique et l’Autriche, devant la France, la Suède et la Grèce. Moins fortement concernées, le Royaume-Uni constitue, cependant, mais derrière l’Allemagne et la France, l’une des destinations majeures de l’immigration. Quant à l’Italie et l’Espagne, elles sont, comme la Grèce, en première ligne des flux dominants venu d’Afrique du nord et subsaharienne, mais aussi de Turquie et d’Asie centrale. C’est en partie le prix à payer pour faire face à la montée en puissance des pays émergents, dont la Chine constitue l’archétype[3].

La Chine : un acteur majeur du commerce international

La Chine apparaît en effet comme l’archétype et même le leader de ces pays émergents[4]. Une grande puissance internationale en émergence. Elle s’est imposée, durant la décennie 2000, comme une superpuissance, seule capable aujourd’hui de rivaliser avec les États-Unis. Elle le doit d’abord à l’im­portance de sa population[5]. Avec ses quelques 1354 millions d’habitants en 2013, elle se situe au premier rang mondial, devant l’Inde (1258 millions), mais loin devant des États-Unis (315,8 millions), l’Indonésie (216 millions), le Brésil (198), le Pakistan (176), le Bengladesh, le Nigeria, la Russie (142,7) et le Mexique. Malgré sa superficie considérable, la troisième du monde après la Russie et le Canada, elle se caractérise donc par une densité moyenne assez élevée, à savoir 134 habitants au km2. Sa démographie est cependant peu dynamique. En raison notamment de la règle de l’enfant unique, son taux net de reproduction n’atteint que 179. Or il faut 2 pour permettre la reconstitution d’une génération par la suivante. De cela, a été pris conscience récemment, d’où l’assouplissement de la politique de l’enfant unique.

La population continue certes de progresser car l’écart demeure significatif entre le taux de natalité (14 % en 2009) et celui de mortalité (7 %) à la même date. Il est vrai que le vieillissement n’est pas encore trop sensible (7,7 % de plus de soixante-cinq ans en 2009). Mais les adultes en âge de travailler dominent déjà de manière écrasante (70,3 % en 2009 pour 22,4 % de moins de quinze ans). Cette évolution démographique s’accompagne d’une urbanisation rapide (déjà 43 % de citadins en 2009). La conséquence est que, toujours en 2009, les 812,7 millions d’actifs comptabilisés à cette date, se répartissaient entre 38,5 % d’agriculteurs seulement, 27,2 % de travailleurs industriels et, déjà, 33,2 % d’actifs tertiaires.

L’un des faits majeurs, outre la faiblesse de la fécondité, réside au contraire dans une accumulation énorme de capital humain. En ce domaine, la Chine a déjà pour partie comblé son retard sur les États-Unis et l’Inde suit la même voie.

Au total, la BRIC (Brésil, Russie, Inde, Chine) font mieux que de se défendre, tandis qu’apparaissent les MIST (Mexique, Indonésie, Corée du Sud, Turquie). Or l’accumulation de capital humain constitue l’une des clés essentielles de l’innovation technique.

De fait, la Chine connaît un dynamisme économique record[6].

Par la vigueur de sa croissance, la Chine dépasse toutes les autres grandes puis­sances, même l’Inde[7].

Cette croissance économique vigoureuse se fonde notamment sur un taux d’investissement record : le taux de formation brute de capital fixe avoisine les 40 %[8]. Lui-même engendre d’énormes besoins de biens intermédiaires et de biens d’équipement, d’où l’importance cruciale pour la Chine de ses échanges avec les producteurs de matières premières et les pays industriels avancés d’Amérique du Nord, d’Asie, mais aussi d’Europe occidentale. Cela induit encore une formidable consommation d’énergie.

Fondée sur le charbon, cette consommation requiert de substituer au charbon, l’hydro-électricité, le pétrole et l’énergie nucléaire ainsi que de développer les éner­gies nouvelles. Néanmoins, c’est surtout le gaz qui semble constituer l’alternative la plus immédiatement crédible : en effet, la Chine en est devenue le troisième producteur mondial[9]. En matière d’hydrocarbures, l’un des éléments majeurs de la demande réside dans un taux de motorisation en rapide expansion : en 2012, les chinois ont acheté quelques 27 millions de véhicules nouveaux. À n’en pas douter, la Chine constitue bien aujourd’hui le moteur de l’industrie automobile mondiale. En ce domaine, comme dans celui de l’énergie, le pays s’est d’ailleurs doté d’entre­prises géantes, de taille internationale.

Des entreprises géantes encore très liées à l’État, mais plus agressives à l’étranger

Ces entreprises appartiennent encore, dans une large mesure, au secteur d’État. Bien qu’encore assez peu internationalisées, elles se sont imposées, déjà, parmi les plus importants groupes mondiaux (tableau 9).

Les entreprises chinoises se situent donc aux tous premiers rangs mondiaux dans quatre secteurs principaux. Le premier est l’industrie pétrolière et gazière avec Sinopec (4e mondial), China National Petroleum (5e) et China National Off-Shore Co (93e). La Chine domine aussi dans l’industrie de la construction avec China Construction State (50e mondial, mais première à l’entreprise de la filière au clas­sement de Fortune), China State Construction Engineering (80e mondial, mais second du secteur) et China Railway Construction (100e mondial et troisième du secteur). Elle apparaît aussi très forte dans la banque (Agricultural Bank of China et Bank of China, respectivement 64e et 65e entreprises mondiales) ainsi que dans les télécommunications, grâce à China Mobile Communications (71e mondial).

Des firmes puissantes émergent en même temps que monte en puissance l’éco­nomie chinoise. La sidérurgie en fournit un bon exemple (tableau 10).

Dans ce secteur, les numéros 3, 4, 7, 8 et 10 mondiaux sont chinois. En effet la Chine est non seulement et de loin, le premier producteur mondial, mais, aussi, par tête d’habitant, le quatrième consommateur mondial, en particulier du fait de la formidable demande d’automobile. De même, grâce à Chinalco, la Chine s’est imposée aussi dans le peloton de tête des producteurs d’aluminium, derrière Rusal (Russie), Alcoa (États-Unis) et Rio Tinto Alcan (Royaume-Uni).

Ces grandes firmes émergentes se retrouvent aussi dans les industries de pointe. Dirigée par Yang Yuanqing, le PDG, Lenovo a réalisé en 2013 un chiffre d’affaires de 38,7 milliards de dollars[10]. Il le doit à sa position de leader mondial sur le marché des PC (tableau 12).

En 2013, la part de marché du groupe Lenovo s’est élevée à 17,7%, avec un total de 90 millions d’ordinateurs et un objectif de 20% pour 2014. Le groupe mise en effet sur les nouveaux types de PC, convertibles, avec écran détachable, pour accroître ses ventes, prenant notamment l’avantage sur ses rivaux asiatiques, Samsung et Sony. En outre, en quatre ans, le groupe Lenovo s’est hissé au quatrième rang mondial des producteurs de smartphones presqu’à égalité avec Huawei, autre groupe chinois, avec 4,7% de parts de marché. En 2013, Lenovo a vendu 50 mil­lions de smartphones et 9 millions de tablettes. Il vient, en 2014, de mettre la main sur Motorola, qui, en 2013, a produit 18 millions de smartphone. Non seulement, Lenovo se hissera ainsi au troisième rang derrière Samsung et Apple, mais encore, il mettra la main sur une équipe commerciale expérimentée. Il empoche aussi, dès maintenant 2000 brevets nouveaux et le droit d’utiliser les 20000 que Google conserve en tant qu’ancien propriétaire de Motorola, sans avoir à verser de royalties.

Des défis importants à relever
Est-ce à dire que tout va pour le mieux dans le meilleur des mondes. Pas tout à fait cependant, car la Chine doit aujourd’hui relever des défis redoutables. Quatre menaces continuent de peser sur la croissance chinoise[11]. Le premier est bien connu depuis les débuts sur le barrage géant des Trois Gorges et les phénomènes de pol­lution affectant les villes chinoises : la préservation de l’environnement. La Chine apparaît aujourd’hui comme le champion mondial des émissions de gaz à effet de serre, loin devant les États-Unis, la Russie et l’Inde. Mais les inégalités territoriales et de revenus constituent aussi une menace pour la croissance. Certes, l’inégale répartition du revenu national, sans doute l’une des plus élevées du monde, derrière la Russie, favorise-t-elle l’effort national d’investissement, mais elle freine aussi le passage d’une majorité de la population à la consommation de masse. Même si, chaque année, celle-ci s’étend à de nouveaux individus à de nouvelles familles, à de nouveaux espaces de vie, elle se trouve d’une certaine manière ralentie aussi par la nécessité de prendre des mesures de défense de l’environnement et du cadre de vie.

Cela ne peut qu’aviver l’inflation, qui demeure néanmoins raisonnable (+ 3,4 % en 2013, + 5 % en 2012)[12]. La hausse rapide des prix conduit à des augmentations de salaires, notamment dans les zones spéciales : l’on connaît ainsi les difficultés de l’industrie textile du Guangdong, notamment dans la métropole industrielle de Shenzhen. Il s’ensuit la nécessité de délocaliser tantôt à l’intérieur de la Chine, à la recherche d’une main-d’œuvre nouvelle à bon marché, mais aussi, hors de Chine, vers des pays à bas salaires tel que le Viêt-Nam, le Cambodge ou le Laos. L’inflation s’accompagne aussi d’un endettement croissant, qui n’est pas sans rappeler celui connu par le Japon, les « quatre dragons » (Corée du Sud, Hong Kong, Singapour et Taiwan) ou les Tigres (Thaïlande, Philippines, Malaisie, voire Viêt-Nam) avant la crise asiatique de 1997-1998[13]. Depuis 2008, le taux global d’endettement de l’éco­nomie est passé de 131% du PNB à 218% en 2013. Essentiellement intérieur (à rapprocher de l’exemple japonais, il affecte surtout les provinces et les municipalités sur qui pèsent une grande partie des dépenses d’infrastructures et de services publics urbains (obligations Dim Sun). Cet endettement semble d’autant plus grave que s’observe une diminution rapide du rendement des investissements : entre 2008 et 2013, les crédits d’équipement en capital fixe productif sont passés de 1 yuan de crédit pour 1 yuan de PIB supplémentaire à 4 yuans de crédit pour 1 yuan de PIB de plus. Dans ces conditions, la poursuite du modèle chinois de développement chinois postule d’accroitre les exportations, mais aussi de pratiquer une politique d’importation sélective afin de favoriser les gains de compétitivité.

L’Union Européenne et la Chine : des partenaires commerciaux privilégiés

Depuis les accords de coopération douanière de 2004 et 2009, la Chine et l’Eu­rope sont devenus, de façon claire, des interlocuteurs privilégiés. À cet égard, il est important de distinguer entre les visions macroéconomique et microéconomique.

La vision macroéconomique : une croissance rapide, mais déséquilibrée, des échanges

Deux tendances dominantes se dégagent d’une analyse de l’évolution ré­cente des échanges entre les deux partenaires[14]. En premier lieu, le taux de couver­ture des échanges de l’UE avec la Chine tend à devenir de plus en plus défavorable (tableau 12).

Ce taux de couverture des importations en provenance de la Chine par les ex­portations à elle destiné est donc tombé de 44 à 34 % en l’espace de dix ans. En effet, les exportations chinoises se sont accrues, entre 2008 et 2012, de +16,4 % par an en moyenne, tandis que les importations par la Chine ne progressaient que de 4 % par an.

En second, ce déséquilibre des échanges apparaît d’autant plus crucial que l’UE est le premier partenaire commercial de la Chine.

Tableau 13 – Principaux partenaires commerciaux de la Chine en 2012 (en % du total)

En 2012, elle précédait les États-Unis, Hong Kong, le Japon et la Corée du Sud, en constituant à la fois son second débouché, après les États-Unis, et son premier fournisseur.

Si l’on raisonne par grandes zones commerciales mondiales, l’UE passe ce­pendant au second rang, derrière l’ALENA (ou NAFTA), c’est-à-dire l’ensemble Canada-États-Unis-Mexique (Tableau 14).

Si la Chine exporte plus vers l’ALENA que vers l’Union Européenne, celle-ci lui fournit plus. Puis viennent l’ASEAN, les BRIC et la CEI, c’est-à-dire les partenaires les plus stratégiques.

D’une façon générale, c’est avec la Chine, la Russie, la Norvège, le Japon et, dans une certaine mesure, la Corée du Sud que les échanges sont les moins favo­rables pour l’UE, tantôt pour des raisons tenant à ses besoins énergétiques (Russie, Norvège), tantôt pour des raisons tenant à une insuffisance de compétitivité (Chine, Japon, voire Corée du Sud).

D’un point de vue macroéconomique, il est toutefois possible d’envisager entre l’Union Européenne et la Chine un partenariat gagnant (ou Win Win)116. La Chine a connu essor commercial remarquable, mais celui-ci constitue une nécessité. En effet, elle dépend beaucoup plus que l’UE de ses exportations. En 2012, les emplois liés à celles-ci représentaient 331 millions d’actifs contre seulement 31 dans l’UE. La Chine apparaît donc de plus en plus intégrée à l’économie mondiale. L’UE a donc de plus en plus besoin de la Chine et vice-versa : en 2012 toujours les échanges Chine-UE avaient créé 5,5 millions d’emplois en Chine et 1,1 million en Europe. De plus, il existe une complémentarité des effets de spécialisation internationale : la Chine exporte surtout des biens de capital ou de main-d’œuvre peu qualifié, alors que l’UE vend surtout des biens fournis par une main-d’œuvre moyennement ou hautement qualifiée ainsi que des services. Pour le vérifier, il faut cependant prendre en compte la dimension microéconomique.

La vision microéconomique : la stratégie des entreprises

L’approche microéconomique peut s’articuler autour de deux questions ma­jeures. La première réside dans la notion de Global Value Chains (GVCs), qui tient compte des effets positifs des spécialisations internationales, bien visibles dans l’automobile[15]. Il s’ensuit d’une part le nécessité de distinguer entre firmes ordi­naires et GVCs firmes, qui, au contraire des premières, bénéficient de ces effets de spécialisation internationale, d l’autre de prendre en compte les forward linkages et les backward linkages, suivant que l’entreprise en est ou non l’initiative. La seconde question concerne les barrières à l’activité des firmes. À cet égard, d’une enquête de l’UE a été menée en 2012 sur la base d’un échantillon de 1403 entreprises basées en Chine : elle a donné lieu à 54,2% de réponses de la part de ces entreprises y compris les 14,6% de firmes GVCs[16]. Il en résulte que[17] :

1/ pour l’ensemble des entreprises, les barrières sont d’abord administratives et bureaucratiques, de surcroît plus difficiles pour les investisseurs étrangers. Elles portent sur les droits de propriété intellectuelle dans le cas de firmes intégrées. Enfin, il existe des barrières de régulation qui affectent de façon toute particu­lière, les diverses formes de forward linkages.

2/ S’agissant des firmes GVCs au contraire, les barrières majeures concernent l’accès au financement et les procédures d’enregistrement des compagnies. En revanche, pour elle, la question des droits de propriété apparaît moins déterminante.
Il est possible d’illustrer cette approche à travers une étude de cas portant sur l’industrie européenne des pneumatiques[18]. En Chine, il existe, on le sait une forte demande d’automobile : entre 2005 et 2012, les ventes de cette sont passées de 5,8 millions de véhicules à 19,3, d’om d’ailleurs l’intérêt croissant porté envers le véhicule électrique. L’industrie des pneumatiques constitue donc un enjeu ma­jeur. Or elle apparaît comme une industrie oligopolistique dominée par un certain nombre de manufacturiers majeurs tableau 16), dont les trois leaders : Bridgestone (Japon), Michelin (France) et Goodyear (États-Unis).

En dehors de ces trois firmes, il en existe d’autres dont l’activité apparaît d’importance mondiale : Continental en Allemagne, Pirelli en Italie, Sumitomo au Japon, Hankook et Kumho en Corée du Sud, Chen Shin à Taiwan et Zongce Rubber en Chine. Au total, ces entreprises fournissent 60% du marché mondial.
Quant aux Chinois eux-mêmes, ils représentent déjà, dans ce secteur, 26 des 75 premières entreprises sont chinoises :

Toutefois, ces firmes chinoises souffrent encore d’un retard sur leurs principaux concurrents mondiaux. Elles fournissent des produits de faible ou moyenne qualité, surtout des pneus pour camions, bus et véhicules utilitaires (90 % du total) ou pour bicyclettes (10 %).

Mais la Chine s’affirme aussi comme un marché en expansion qui attire les multinationales, en raison à la fois d’une forte demande d’automobile, les Chinois renouvelant leurs achats de pneus auprès des mêmes fournisseurs, et de la puissance de l’industrie chinoise du caoutchouc synthétique : 57 % de ses ventes sont assure par quatre groupes à savoir China Petrochemical Corporation, China National Petroleum Corporation, Senhua Chemical Industrial Group et Shandong Yuhnang Chemicals. Il s’ensuit quatre conséquences :

1/ l ‘implantation de nombreuses usines par les multinationales : 4 pour Shong Shin (Taiwan), dont 2 avec Toyo Tire (Japon), 3 pour Bridgestone, Michelin et Hankook, 2 pour Pirelli, Sumitomo et Yokohama, 1 pour Goodyear et Continental ;

2/ le développement de joint-ventures, telles que Michelin-Double Coin ou que Triangle Group avec le groupe allemand Lanxess ; 3/ le soutien de l’État chinois au rattrapage technologique : Triangle Group

accueillera le National Engineering Laboratory for Radial Tire Design and Manufacturing Technologies (NEL) ;

4/ l a nécessité d’une restructuration. S’il existe plus de 500 producteurs, les plus petites entreprises doivent être rachetées ou fusionner avec les plus grandes, qu’elles soient chinoises ou étrangères.

Ces multiples formes de coopération soulignent le bien fondé d’une stratégie commerciale fondée sur le principe des GVCs, dont les voisins asiatiques (Corée du Sud, Japon, Taiwan notamment) bénéficient plus que l’UE.

Conclusion
Si la Chine et l’Union Européenne ont vocation à développer leurs échanges dans l’intérêt commun c’est qu’il est nécessaire de concevoir ces échanges de façon plus large que sous l’angle seulement commercial. En effet, l’UE se caractérise par un excédent de la balance des invisibles (services, revenus des capitaux investis par rapport à la Chine). De même, l’UE apparaît comme un grand fournisseur d’inves­tissements directs (ou productifs) aux autres régions du monde, dont la Chine :

Néanmoins, dans les années récentes, la balance des capitaux entre la Chine et l’Europe s’est inversée de façon spectaculaire. Entre 2008 et 2010, les investisse­ments français en Europe ont connu une impressionnante montée en puissance, mais très inégalement répartie :

En 2011, les entreprises européennes ont investi 7 milliards d’euros, mais leurs homologues chinoises 11 milliards. Pour la première fois, les investissements chinois en Europe se sont avérés, plus élevés que ceux effectués par les Européens en Chine, prenant même la forme d’opérations spectaculaires dont l’entrée au capital de PSÀ (Automobiles Peugeot) du groupe Donfeng Motor Corporation n’est pas la moindre.

Ceci dit de nombreux différents continuent d’opposer la Chine et l’UE en matière commerciale : subvention sur les exportations (panneaux solaires, qui inondent l’Europe, acier la Chine était le principal fournisseur de l’UE, terres rares, achats d’obligations d’État en suspens, rôle joué par la Chine en matière de soutien aux économies européennes grâce à ses réserves de change, demande chinoise d’être reconnue par l’UE comme une « économie de marché » etc. On le voit, l’histoire des relations commerciales et, de façon plus large, économiques et financières entre la Chine et l’UE comporte encore de nombreux chapitres à écrire[19].

[1]Sur l’économie de l’Union Européenne, voir, entre autres : Dominique Barjot (dir.), Penser et construire l’Europe (1919-1992), Paris, Editions SEDES, 2007 ; Marie-Annick Barthe, Économie de l’Union européenne, Économica, 2011 ; Theo Hitiris, European Union Economies, Pearson Education, 2003 ; René Leboutte, Histoire économique et sociale de la construction européenne, Berne, Peter Lang, 2008 ; Charles Wyplosz, The Economics of European Integration, McGraw-Hill Education, 2012.

[2]Source : CEPIL, base de données CHELEM-PIB.

[3]Christian Janrelot (dir.), L’enjeu mondial. Les pays émergents, Presses de Sciences Po, Paris, 2008.

[4]Paulo B. Casella, BRIC : Brésil, Russie, Inde, Chine et Afrique du Sud – A l’heure d’un nouvelle ordre jurique international, éditions A. Pedone, 2011 ; Andrea Goldstein, Françoise Lemoine, L’économie des BRIC. Brésil Russie Inde Chine, Paris, La Découverte, 2013 ; ; Ahmed Kateb, Les nouvelles puissances mondiales. Pourquoi les BRIC changent le monde, éditions Ellipses, Paris, 2011 Jean Vercueil, Les pays émergents. Brésil-Russie-Inde-Chine : mutations économiques et nouveaux défis, éditions Bréal, Paris, 2012 ; .

[5]Voir notamment Le Bilan du Monde. Economie et Environnement, L’atlas de 193 pays, Le Monde,

Edition 2014.

[6]« Chine », in Le monde en 2014, The Economist – Courrier International, p. 88.

[7]« Inde », Ibidem, p. 89.

[8]« 2013-2014. Les dix ruptures qui changent le monde », L’année de l’économie, Les Échos, janvier 2014.

[9]« Le gaz et le pétrole de schiste redessinent la carte mondiale de l’énergie », Ibidem, p. 34-35.

[10]Elsa Bembaron, « Les ambitions de Lenovo dans les smartphones. Le PDG du leader mondial des PC explique la stratégie d’expansion du groupe chinois », Le Figaro, 24-25 mai 2014, p. 28.

[11] »Chine », in notamment Le Bilan du Monde. Economie et Environnement, L’atlas de 193 pays, Le Monde, Edition 2014, op. cit., p. 200-201.

[12]Simon Cox, « Dried out, but not dried up », in Le monde en 2014, The Economist – Courrier International, p. 71.

[13]Christine Peltier, « La Chine rattrapée par sa dette », Conjoncture, BNP Paribas Economic Research Department, février 2014, n° 2, p. 19-32.

[14]Source: « European Union, Trade in goods with China », European Commission, Directorate General for Trade.

[15]Michael Gasiorek & Javier Lopez-Gonzalez, « China-EU Global Value Chains: Who creates value, how and where? Growing Linkages and Opportunities », op. cit., p. 16-31.

[16]Ibidem, p. 93-113.

[17]Ibid., p. 113-122.

[18]Ibid., p. 124-137.

[19]Laurent Cesari et Denis Varaschin (dir.), Les relations franco-chinoises au vingtième siècle et leurs antécédents, Arras, Artois Université, 2003.

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