Bruno DREWSKI,
Maître de Conférences à l’Institut National des Langues et Civilisation Orientales (INALCO), directeur de la revue « La Pensée Libre », Rédacteur de Rubrique politique à Investig’Action, Rédacteur à Outre-Terre – Revue européenne de géopolitique.
Deuxième table ronde – Second panel
Modérateur : Professeur Zalmai HAQUANI, Ancien ambassadeur d’Afghanistan en France
Colloque; La géopolitique de l’islam
Académie de Géopolitique de Paris
Actes du colloque
Conference proceedings
Lundi 09 février 2015
Assemblée Nationale
Géographiquement, le cercle culturel arabo-musulman (ou arabo-irano-turc) se situe au point de jonction entre les puissances occidentales développées, les masses souvent déshéritées habitant le Sud de la planète et les nouvelles puissances émergentes d’Eurasie, d’Afrique australe et d’Amérique du Sud. Il constitue le point le plus sensible de la planète, là où se concentrent les principales contradictions de l’ordre-désordre du monde actuel. A quoi il faut ajouter les « excroissances » reliées à ce point nodal dans les banlieues d’Europe marquées par des migrations mal contrôlées, l’atomisation sociale et le déracinement prolongé de ses habitants. Car, au cours des dernières trente années parfois qualifiées de « trente piteuses » succédant aux « trente glorieuses », la désindustrialisation et les délocalisations ont entraîné une crise du monde du travail qui a produit une masse de jeunes précaires, qu’on aurait autrefois appelé lumpenprolétariat, et qui sont abreuvés de discours simplistes désignant des adversaires factices pour canaliser leur désespoir.
Socialement, les populations arabes et/ou musulmanes d’Afrique ou du sub-continent indien, dans leurs pays d’origine comme dans les pays où elles ont parfois immigré, sont tiraillées entre, d’un côté, les effets de la précarité produite par la mal-industrialisation puis la désindustrialisation consécutives à la vague néolibérale des dernières décennies et d’un autre côté, fascinées par les immenses richesses accumulées par des pétromonarchies à la fois archaïques, ultra- et post-modernistes. Pétromonarchies qui cherchent à canaliser le mécontentement des jeunes précaires d’Orient et d’Occident vers des conflits ethno-religieux répondant à leur mentalité néo-tribale et vidant l’islam de son souffle novateur basé avant tout sur la lutte contre l’injustice, la spéculation et l’usure. Manipulation répondant aux intérêts des cercles dominant un Occident en panne et de son allié israélien incapable de sortir de sa logique de guerre et de clash de civilisations. Il n’y a donc pas de populations qui ne soient plus traversées par des contradictions aussi profondes que celles de culture ou de religion musulmane. Ce qui peut se manifester parfois par des revendications révolutionnaires et nationales progressistes mais plus facilement par un malaise identitaire prenant une forme ethnico-religieuse ou par une imitation servile du modèle encore dominant mais producteur de frustrations récurrentes. Contradictions sur lesquelles les puissances en crise jouent pour maintenir leur prééminence acquise et menacée. Ce qu’on a pu observer avec le recrutement et l’afflux de jeunes recrues répondant à l’appel au takfir pour aller se battre en Libye, en Syrie, au Mali, au Yémen, en Irak, etc. aux côtés de ceux que les dirigeants de l’OTAN ont voulu présenter comme des « révolutionnaires » ou des « démocrates ». En fait, les élites occidentales en panne de projets novateurs pour leurs sociétés elles-mêmes traversées par des courants xénophobes, racistes, islamophobes et néo-évangélistes ont trouvé un intérêt économique et social à soutenir les guerres de leurs vassaux qui leur servent d’exutoires …jusqu’au retour du boomerang qui se déroule sous nos yeux.