ÉVOLUTIONS RECENTES DE L’ENERGIE AUX ÉTATS-UNIS ET LEURS CONSEQUENCES GEOSTRATEGIQUES

Honoré LE LEUCH
Consultant pétrolier international, HLC Energies

Trimestre 2010

Évolutions récentes de l’énergie aux États-Unis et leurs conséquences géostratégiques

Depuis plus d’un siècle, les Etats-Unis ont été le premier pays consommateur d’énergie au monde, toutes sources confondues. L’année 2009 marque un change­ment important sur le marché de l’énergie puisque la Chine est devenue, et pour longtemps, à la place des Etats-Unis, le premier pays consommateur d’énergie dans le monde. Les évolutions du secteur énergétique américain ont été nombreuses ces dernières décennies : ainsi la progression notable des importations pétrolières et à l’opposé le renouveau inattendu de la production nationale de gaz naturel. Le programme du Président Obama qui a pris ses fonctions en janvier 2009 annonçait des changements majeurs dans la politique énergétique des Etats-Unis, notamment avec le projet d’une nouvelle loi sur l’énergie prévoyant des mesures pour accroître l’efficacité énergétique et limiter le réchauffement climatique. Or, le projet de loi voté par la Chambre des Représentants en juin 2009 a été bloqué au Sénat et son adoption sous la forme actuelle est peu probable. Une nouvelle politique éner­gétique américaine sera-t-elle enfin décidée ? Quelles en seront les conséquences géostratégiques et en matière de politique internationale ? Ces aspects sont analysés dans le présent article, après avoir présenté les évolutions récentes et les prévisions 2035 du système énergétique américain ainsi que la place du pays en termes de production et de consommation pour chaque source d’énergie.2

La place des Etats-Unis dans l’énergie et l’économie mondiale

Les Etats-Unis, avec 5 % de la population mondiale, restent la première puissance économique mondiale, souvent qualifiés de superpuissance, voire d’hyperpuissance économique et militaire. La disponibilité de ressources énergétiques importantes dans le pays a été cruciale depuis plus d’un siècle pour permettre aux Etats-Unis d’atteindre et de maintenir cette place. Le pays a été autonome en énergie jusqu’aux années 1950, avant que les importations de pétrole ne se développent et ne posent au pays des problèmes de sécurité nationale allant jusqu’à orienter sa politique étrangère dans les régions pétrolières, d’où l’impérieuse nécessité pour le pays de réduire sa dépendance énergétique.

En 2009, le pays représente 25 % du produit national brut (PNB) mondial et la Chine (9 %), à comparer à 22 % pour l’ensemble des 27 pays de l’Union Européenne. La consommation d’énergie primaire américaine a atteint 2,2 mil­liards de tonnes d’équivalent pétrole (tep) en 2009, soit 19,5 % de l’énergie mon­diale. En raison des effets de la crise financière et économique, elle a chuté de 5 % par rapport à la consommation de 2008 – laquelle avec 2,3 milliards de tep corres­pondait à un maximum historique déjà atteint en 2000.

La consommation d’énergie américaine a fortement augmenté jusqu’aux années 1980. Depuis 20 ans, elle a faiblement progressé, avec une hausse cumulée limitée à +11 %, soit un taux moyen de croissance de 0,5 % par an, passant entre 1989 et 2009 de près de 2 milliards de tep à 2,2 milliards de tep. Ce ralentissement de la croissance résulte des gains en efficacité énergétique, encouragés par le progrès tech­nique et justifiés par la forte hausse des prix de l’énergie. En fait, si l’on considère la dernière décennie, la consommation a même très légèrement diminué de -0,5 % sur la période, passant de 2,3 à 2,2 milliards de tep. Par personne, la baisse durant la dernière décennie a été plus importante, de -12 %, chutant de 7,9 tep à 6,9 tep, tout en restant la première consommation unitaire par personne au monde. Cette place confère des responsabilités aux Etats-Unis vis-à-vis des autres pays en matière de limitation du réchauffement climatique.

Pour la première fois depuis plus d’un siècle, les Etats-Unis ne sont plus depuis 2009 le premier pays consommateur d’énergie au monde. En effet, la Chine qui a connu une expansion exceptionnelle de sa demande énergétique a dépassé pour la première fois en 2009 la consommation totale américaine, avec environ 2,3 mil­liards de tep. En 20 ans, la consommation énergétique chinoise a plus que triplé, augmentant de 370% sur la période, au lieu de +11% aux Etats-Unis. Entre 2000 et 2009, la consommation a plus que doublé en Chine, progressant de 1,1 à 2,3 mil­liards de tep, au lieu de la très légère baisse observée aux Etats-Unis. Par personne, la consommation en Chine a également pratiquement doublée, progressant en Chine de 0,9 tep à 1,7 tep, une consommation énergétique par personne qui reste toute­fois quatre fois inférieure à celle d’un américain.

Au total, la Chine et les Etats-Unis représentent aujourd’hui environ 40 % de la consommation énergétique mondiale. L’intensité énergétique – c’est-à-dire la consommation énergétique par unité de PNB – est très différente entre les deux pays, puisque avec des consommations énergétiques totales voisines, les Etats-Unis génèrent 25% du PNB mondial et la Chine 9 %. Ce contraste résulte de l’existence de systèmes énergétiques de consommation et de production très différents dans les deux pays, chacun étant à des stades de développement bien distincts, la Chine ayant entre autres un immense secteur industriel en forte croissance. Les différences entre ces deux pays majeurs permettent de mieux comprendre les difficultés rencon­trées depuis deux ans pour l’adoption d’un nouveau traité mondial sur le réchauf­fement climatique destiné à succéder au Protocole de Tokyo dont l’expiration est prévue à la fin de 2012. La Conférence de Copenhague en décembre 2009 a été un échec. Qu’en sera-t-il de la prochaine Conférence de Cancun ?

Quelques faits illustrent la place majeure des Etats-Unis sur le marché mondial de l’énergie :

  • Par énergie, les Etats-Unis ont consommé en 2009 une part de 22 % du pétrole et du gaz naturel mondial, de 21% de l’électricité dont 31 % de l’électricité d’origine nucléaire3 et de 15 % du charbon.
  • Après avoir longtemps occupé la première place, Les Etats-Unis sont devenus le troisième pays producteur de pétrole, après la Russie et l’Arabie Saoudite. Ils res­tent le premier pays au monde tant pour le raffinage – avec 149 raffineries totalisant 19,5 % de la capacité mondiale – que pour la consommation et les importations de produits pétroliers, avec environ 21 % des importations mondiales.
  • Pour le gaz naturel, les Etats-Unis restent le premier consommateur mondial et sont à nouveau en 2009 le premier producteur, devant la Russie, grâce à l’apport notable du gaz non conventionnel. Ils conservent également la première place dans le monde pour la génération d’électricité, y compris pour la génération d’électricité à partir des centrales nucléaires.
  • Pour le charbon, les Etats-Unis sont d’aujourd’hui le second pays producteur et consommateur. Le premier pays qui domine cette énergie est la Chine qui pro­duit et consomme environ 45 % du charbon mondial.

La demande américaine se répartit en 2009 entre les différentes sources d’éner­gie de la manière suivante: 39 % pour le pétrole, 24 % pour le gaz naturel, 21 % pour le charbon, 8,9% pour l’énergie nucléaire, 2,7 % pour l’énergie hydro-élec­trique et 4,2% pour les énergies renouvelables, telles que le solaire et l’éolien.

Compte tenu de la nécessité pour les Etats-Unis de réduire les importations d’énergie et de limiter les émissions de gaz carbonique, le pays cherche aujourd’hui à rapidement développer les énergies renouvelables, appelées clean energies (ou green energies), malgré l’opposition et le lobbying de certaines sociétés énergétiques, Ces énergies offrent, outre un renforcement de l’indépendance énergétique du pays, des opportunités industrielles. Elles emploieraient déjà environ 800 000 personnes dans le pays. Leurs perspectives sont prometteuses même si les énergies fossiles continueront à fournir la part prépondérante de l’énergie. La Californie a été le premier état à encourager ces nouvelles énergies depuis 2006 par diverses mesures incitatives. Le Président Obama en fait aujourd’hui l’une de ses priorités pour la reprise économique du pays.

Des importations de pétrole devenues majoritaires

Jusqu’à la fin de la seconde guerre mondiale, les Etats-Unis, qui produisaient alors la moitié de la production mondiale de pétrole, étaient totalement auto-suffi­sants en pétrole. Les importations ont ensuite progressé rapidement jusqu’en 1980 pour atteindre la moitié de la demande pétrolière du pays, ceci malgré le lancement en 1973 par le Président Nixon d’un plan Independence dont les résultats ont été décevants. Les importations nettes de pétrole et de produits pétroliers ont en effet continué à augmenter entre 1980 et 2005 pour atteindre 60% de la consommation pétrolière du pays en 2005. Depuis, elles ont légèrement baissé à 57% en 2008 et 54 % en 2009, ceci en raison principalement du ralentissement de la croissance économique depuis l’été 2008.

Les importations sont devenues majoritaires dans l’approvisionnement pétrolier des USA, avec des risques pour la sécurité nationale. Depuis 60 ans, la politique internationale américaine a été définie de manière à limiter ces risques, d’où no­tamment la priorité donnée au développement et à la qualité des relations avec le Moyen-Orient et les autres régions productrices de pétrole. On peut citer, tra­ditionnellement, le Mexique et l’Amérique du sud, et depuis vingt ans l’Afrique et l’Asie centrale, deux régions où les investissements pétroliers des compagnies américaines se sont intensifiés pour avoir accès à de nouvelles sources et ainsi mieux diversifier l’origine du pétrole importé.

Les Etats-Unis reste et de loin le premier importateur de pétrole, devant la Chine et le Japon. Le fait qu’en 2009 les Etats-Unis, grâce à la diversification de ses importations, ne soient plus le premier pays à importer du pétrole de l’Arabie saoudite4, devancés dans ce pays par la Chine, est à souligner. M. Fatih, Président de la compagnie nationale Saudi Aramco, déclarait récemment5 que « nous croyons que ce changement est une évolution durable ». Ce changement est confirmé par Jon B. Alterman du Center for Strategic and International Studies (CSIS) de Washington qui souligne que « les Saoudiens sont particulièrement préoccupés par l’évolution du marché mondial, car la croissance de la demande vient de l’Est alors que la sécurité au Moyen-Orient vient de l’Ouest ». Nul doute que les Etats-Unis, malgré cette évolution et les multiples conséquences de la guerre en Irak d’où ils se retirent progressivement, continueront leur politique active au Moyen-Orient. Cette région est devenue essentielle pour assurer la stabilité du marché pétrolier mondial et ainsi limiter la croissance du prix du pétrole, et ceci quelle que soit la région où le pétrole saoudien est exporté, vers l’Asie ou vers les Etats-Unis.

Quant aux relations des Etats-Unis avec les pays de l’Amérique du nord, le marché nord américain de l’énergie est très intégré, notamment entre les Etats-Unis et le Canada. Ces trois pays ont constitué l’Association de Libre Echange Nord-Américaine (Alena, ou Nafta en anglais) afin de développer les échanges entre eux dans tous les domaines d’activité. Ainsi pour l’énergie, outre l’importation d’élec­tricité, les Etats-Unis importent environ 2,5 millions de barils par jour de pétrole – soit 2,5 fois plus que les importations actuelles d’Arabie saoudite – et 92 milliards de m3 par an de gaz naturel du Canada, pays qui reste son premier fournisseur d’énergie. Le Mexique exporte également des quantités importantes de pétrole aux Etats-Unis et depuis très récemment importe un peu de gaz américain. Toutefois, le Mexique a conservé le monopole attribué à la société nationale Pemex pour l’ex­ploration et la production des hydrocarbures dans le pays ; il a refusé d’autoriser les compagnies américaines, qui le souhaitaient fortement, à y intervenir, à la dif­férence du Canada où ces compagnies sont très actives, notamment dans les nou­veaux projets d’extraction du pétrole extra lourd.

Evolutions des principales énergies produites aux Etats-Unis

La production nationale de pétrole a été maximale en 1972 atteignant 11 mil­lions de barils par jour (Mb/j), avant de diminuer progressivement malgré la mise en exploitation de nouvelles zones comme l’Alaska ou l’offshore du Golfe du Mexique. Ainsi, au cours des 20 dernières années, la production a baissé de 2 Mb/j, passant de 9 Mb/j en 1989 à 7 Mb/j en 20096, année où elle correspond à 8,5 % de la production mondiale de pétrole. La consommation quant à elle a été en 2009 d’environ 19 Mb/j, en baisse de 2 Mb/j par rapport à l’année record de 2005 – qui représentait une augmentation de 5 Mb/j par rapport à 1985. Le solde d’environ 10 Mb/j est importé sous forme de pétrole ou de produits pétroliers. La baisse de la production domestique concomitante à l’augmentation de la demande explique pourquoi les importations ont fortement progressé pendant ces deux dernières dé­cennies.

La situation pour le gaz naturel est beaucoup plus favorable au pays. En ef­fet, depuis trois ans, la production de gaz naturel américaine, qui diminuait, a augmenté à nouveau, atteignant 593 milliards de m3 en 2009, à comparer aux 484 milliards de m3 d’il y a 20 ans. La production américaine avait atteint un pic de 615 milliards de m3/an en 1973, un peu supérieur à la production actuelle, avant de chuter à 445 milliards de m3/an en 1986, puis de progressivement remonter au niveau actuel.

La croissance récente de la production résulte surtout de la mise en valeur au cours de la dernière décennie des ressources de gaz naturel non conventionnel7, une surprise pour beaucoup. Leur part atteint déjà près de 40% de la production amé­ricaine de gaz. Dans un premier temps, les compagnies indépendantes, telles que Chesapeake Energy et XTO8, ont réussi à produire le gaz non conventionnel à un coût raisonnable grâce à l’utilisation intensive de nouvelles techniques issues des progrès technologiques et opérationnels. Aujourd’hui, de très nombreuses com­pagnies sont actives sur ce marché tant aux Etats-Unis, pionnier dans ce domaine, qu’à l’international.

Cette croissance récente de la production gazière aux Etats-Unis a eu rapide­ment des conséquences sur le marché mondial du gaz. La hausse de la production américaine de gaz naturel a entraîné un moindre appel aux importations de gaz, conduisant à une baisse significative du prix du gaz, d’abord aux Etats-Unis, puis dans d’autres régions du monde. Aujourd’hui, les importations de gaz couvrent 13% de la consommation américaine de gaz, une part bien inférieure à celle consta­tée pour le pétrole.

Alors qu’il avait été envisagé que les Etats-Unis devraient augmenter leurs im­portations de gaz, notamment sous forme de gaz naturel liquéfié (GNL), le pays a pu les limiter. Ainsi, les importations de GNL atteignent en 2009 seulement 13 milliards de m3 – soit 2% de sa demande – provenant pour l’essentiel de Trinité et Tobago et d’Egypte. Le prix du gaz américain, qui n’est plus régulé mais détermi­né par le marché, a fortement chuté à environ 4 $/MM BTU, presque trois moins que le prix spot observé aux Etats-Unis il y a cinq ans. Ce prix est bien inférieur à son équivalent énergétique par rapport au pétrole. Le gaz, moins polluant que le charbon et dont le prix a baissé, est devenu la source privilégiée pour la génération électrique.

Le charbon a traditionnellement été la seconde source d’énergie aux Etats-Unis, après le pétrole. Sa production vient d’être dépassée par celle du gaz naturel. Sa place reste toutefois majeure, car les réserves du pays sont considérables, avec près du quart de réserves mondiales, l’équivalent de 250 années de la consommation améri­caine actuelle de charbon. Elles sont seulement dépassées par celles de la Chine. Le développement du charbon américain est toutefois freiné par la nécessité de limiter les émissions de gaz carbonique, tant que de nouvelles technologies propres ne sont pas disponibles pour utiliser plus le charbon dans la génération électrique.

Les Etats-Unis produisent 19 % de leur électricité à partir de 104 centrales nu­cléaires construites dans le pays, la dernière en 1977. Le pays reste le premier acteur mondial dans ce domaine, malgré l’absence de nouvelles centrales depuis plus de 30 ans. La progression du nucléaire américain dépendra de la durée d’exploitation des centrales actuelles et de la capacité à lancer un programme de construction de nouvelles centrales. La durée des permis d’exploitation des centrales actuelles est de 40 ans, avec une extension possible de 20 ans, selon The Atomic Energy Act of1954. On prévoit d’allonger la période d’exploitation au-delà de ces 60 ans mais la déci­sion n’est pas encore prise. Des mesures sont également à l’étude pour encourager la construction de nouvelles centrales, notamment par l’octroi aux sociétés d’élec­tricité de garanties de financement. Un montant de 18,5 milliards de $ a déjà été approuvé ; il pourrait être fortement augmenté. L’objectif recherché est d’augmen­ter la part des centrales nucléaires dans la génération électrique, car l’utilisation des énergies fossiles génèrent beaucoup d’émissions de gaz carbonique, à la différence de l’énergie nucléaire, de l’hydroélectricité (9% de la génération électrique) et des énergies renouvelables.

Les émissions de gaz carbonique

Les Etats-Unis, avec 6,4 milliards de tonnes émises en 2008 et 5,9 milliards de tonnes émises en 2009 – après un pic d’émission à 6,5 milliards de tonnes en 2005 – sont devenus en 2009 le deuxième pays émetteur de gaz carbonique au lieu d’être comme avant le premier pays. Ces émissions représentent une part de 19,1 % des émissions mondiales en 2009, alors qu’elle était de 24,1% en 1990. Les émis­sions en 2009 sont un peu supérieures à celles de 1995, qui étaient de 5,8 milliards de tonnes. Cette très faible progression cache en fait les effets de la crise récente. En effet, on a observé entre 2005 et 2009 une chute de 10% des émissions qui résultait principalement de la crise économique et non d’un changement durable des com­portements ou du système énergétique. Cette baisse conjoncturelle ne peut donc être extrapolée et faire croire que la lutte contre le réchauffement est suffisante car la tendance est actuellement à une croissance des émissions si aucune mesure n’est prise pour les limiter.

Est-ce acceptable ? Non, car pour lutter contre le réchauffement climatique, l’objectif n’est pas de stabiliser les émissions mais de réussir à les réduire de manière récurrente sur le long terme, d’où la nécessité d’une nouvelle politique énergétique, notamment dans les secteurs qui contribuent le plus aux émissions. La contribu­tion actuelle de chaque secteur aux émissions est par ordre décroissant la suivante : 41% pour la génération électrique, ce qui explique les actions prioritaires à mener dans ce secteur pour réduire les émissions, 33 % pour les transports, et 26 % pour l’industrie et les habitations.

A titre de comparaison, la Chine, qui consomme beaucoup de charbon, est de­venue depuis 2008 le premier pays émetteur de gaz carbonique, avec une part voi­sine de 24 % des émissions mondiales. En 2009, les émissions y atteignent environ 7,5 milliards de tonnes, trois fois plus qu’en 1990, année où elles approchaient de 2,5 milliards de tonnes. La forte croissance actuelle en Chine de la demande éner­gétique et des émissions explique les difficultés rencontrées depuis plusieurs années dans la négociation d’un traité international cherchant à limiter les émissions et le réchauffement climatique. la Chine comme les autres pays émergents dont l’indus­trialisation est récente ne souhaitent pas être pénalisés dans leur nouveau dévelop­pement économique par rapport aux pays les plus avancés comme les Etats-Unis. Mais le monde peut-il se permettre une telle croissance des émissions des gaz à effet de serre ? Nul doute qu’un traité international dans ce domaine doive rapidement être conclu pour limiter les émissions.

Prévisions énergétiques américaines à long terme

Le dernier rapport annuel de l’Agence américaine d’Information sur l’Energie (AIE) du Département de l’Energie (DOE) publié en avril 20 1 09 a établi pour les Etats-Unis, par source d’énergie, des prévisions de production et de consommation jusqu’en 2035 selon plusieurs scénarios. Les prévisions du scénario intermédiaire dit « scénario de référence » sont examinées ci-après afin d’en analyser les consé­quences géostratégiques.

Ce scénario prévoit notamment :

  • Une faible croissance de la consommation énergétique du pays, avec des objectifs de limiter la croissance des émissions de gaz carbonique et de réduire les importations énergétiques ;
  • Une intensification des investissements et des initiatives pour augmenter la production nationale des énergies renouvelables, des énergies fossiles et de l’énergie nucléaire ;
  • Une réduction légère de la dépendance aux importations pétrolières, les­quelles continueront à représenter près de la moitié de la consommation des hydro­carbures liquides au lieu de 57 % en 2008 ;
  • Le développement de la production nationale de gaz naturel, entraînant une réduction des importations de gaz, dont la part passerait de 13% de la consomma­tion de gaz naturel en 2008 à seulement 6 % en 2035.

La croissance de la demande d’énergie primaire serait ralentie, avec un taux annuel moyen de croissance de 0,5 % par an d’ici à 2035, soit une augmentation cumulée pendant la période 2008-2035 de seulement 15%. Ce scénario suppose une croissance moyenne de la population de 0,9 % par an et du PNB de 2,4 % par an, et a pour conséquence une réduction à la fois de l’intensité énergétique (c’est-à-dire de l’énergie nécessaire à générer un dollar de PNB) d’environ -1,9 % par an et une réduction de la consommation énergétique par personne.

La part des énergies fossiles, qui englobe le pétrole, le gaz et le charbon, dimi­nuerait légèrement, passant de 84 % en 2008 à 78 % en 2035, et ceci malgré tous les efforts faits pour promouvoir les énergies renouvelables, dont la part augmente­rait de 8 % à 14 % de la consommation nationale, presque un doublement. Dans ce scénario, il est par exemple supposé que les énergies renouvelables pourraient grâce à une politique volontariste couvrir 45 % de l’augmentation de la génération électrique dans le pays pendant la période, dont la croissance est elle-même estimée à environ 1% par an.

Le scénario décrit conduirait, non à une réduction, mais à une légère croissance des émissions de gaz carbonique, à un rythme moyen de 0,3% par an, entraînant une hausse cumulée de 9% entre 2008 et 2035. En revanche, ce scénario prévoit d’ici à 2035 une réduction moyenne de 0,6 % par an du rythme des émissions par personne.

Ce scénario permettrait de réduire la dépendance aux importations pétrolières à 45 %10 de la consommation pétrolière américaine, au lieu de 57 % en 2000. La consommation d’hydrocarbures liquides augmenterait d’environ 13 % au cours de la période, passant de 19 à 22 millions de barils par jour. Les besoins croissants de produits pétroliers pour le transport, malgré l’amélioration des performances énergétiques des voitures et la vente de véhicules hybrides et électriques, expliquent principalement la progression de la demande. Ces besoins de transport représente­raient 74% de la demande pétrolière en 2035 au lieu de 71 % en 2008.

L’augmentation de la demande pétrolière d’environ 3 Mb/j serait pour une large part couverte par la production nationale, grâce aux biocarburants11, les liquides extraits du gaz naturel, les schistes bitumineux – dont les ressources sont considé­rables aux Etats-Unis mais la mise en valeur coûteuse – qui commenceraient à être mis en production (environ 0,35 Mb/j en 2035), ainsi qu’une faible contribution de la conversion du charbon en produits pétroliers liquides (0,25 Mb/j en 2035).

La production américaine d’hydrocarbures liquides, sous toutes ses formes, pas­serait d’environ 7 millions de barils/ jours en 200812 à environ 9 Mb/j en 2035. Pour le seul pétrole, en excluant les liquides extraits du gaz naturel et les autres hy­drocarbures liquides non conventionnels, la progression serait d’environ 1 Mb/j en 25 ans, passant de 5 à 6 Mb/j. Cette augmentation pour le pétrole résulterait prin­cipalement de l’utilisation plus intense des procédés de récupération améliorée13 et de la croissance de la production en mer profonde, notamment suite à l’ouverture à l’exploration de nouvelles zones au large des côtes atlantique et pacifique, dans les zones qui avaient fait précédemment l’objet d’un moratoire de l’exploration. Ainsi, 24 % de la production pétrolière américaine proviennent du Golfe du Mexique. L’éruption malheureuse en avril 2010 dans le Golfe du Mexique du puits offshore Macondo opéré par BP risque d’entraîner un retard dans la levée de ce moratoire que le Président Obama avait pourtant envisagé au début de 2010, quelques se­maines avant l’éruption. Or la découverte de nouvelles ressources pétrolières dans le pays est nécessaire, car les réserves américaines prouvées actuelles, avec 28 milliards de barils, soit 2,1 % des réserves prouvées mondiales, devront être remplacées.

En ce qui concerne le gaz naturel, l’objectif est, tout en augmentant la consom­mation, de freiner les importations de gaz grâce au développement du gaz non conventionnel dont les ressources aux Etats-Unis sont très importantes et com­mencent à être développées. La production nationale passerait ainsi de 593 à 660 milliards de m3/an entre 2009 et 2035, soit une augmentation sur la période de 13 %, similaire à celle de la demande en produits pétroliers. La part du gaz non conventionnel dans la production nationale de gaz naturel passerait ainsi de moins de 40 % à plus de 50 %.

La progression de la production gazière nationale d’ici à 2035 résulterait princi­palement de l’augmentation du gaz de schistes (shale gas), dont la part augmenterait de 6 % en 2008 à 24 % en 2035, soit un quadruplement de la production sur la période, progressant de 35 milliards de m3/an à près de 160 milliards de m3/an. S’y ajouterait la part de la production de méthane issu du charbon (coal bed methane) qui baisserait légèrement de 11% à 10% de la production nationale, alors que celle du gaz issu des réservoirs très compacts (tight gas) déclinerait de manière plus si­gnificative.

Grâce à la croissance totale de la production nationale de gaz naturel, les im­portations américaines de gaz seraient réduites de moitié d’ici à 2035, à un niveau de seulement 43 milliards de m3/an, soit une proportion de 6 % de la demande en 2035. Les importations de GNL resteraient stables à 23 milliards de m3/an. Celles provenant du Canada chuteraient de moitié à 48 milliards de m3/an. Une faible part de la production, environ 4 %, serait exportée vers le Mexique, avec 28 mil­liards de m3/an.

 

Conséquences géostratégiques des évolutions énergétiques

En termes de politique énergétique, les Etats-Unis se doivent de contribuer aux efforts de limitation des émissions de gaz carbonique, étant le deuxième pays émet­teur des gaz à effet de serre après la Chine. Si les Etats-Unis ont signé la Convention-Cadre des Nations Unies sur les Changements Climatiques, qui a été ratifiée par le Sénat en 1994, en revanche, le pays n’a jamais ratifié le Protocole de Tokyo adopté pour la mise en œuvre de la Convention, qui est entré en vigueur en 2005, et ceci à la différence de nombreux pays dont l’Europe qui l’ont signé et mis en applica­tion avec des objectifs précis de réduction des émissions. A la fois ni le Président Clinton ni le Président Bush ne l’ont soumis au Sénat pour sa ratification, en raison des obligations qui en découleraient pour le pays. Cette position américaine n’est plus tenable, d’où le poids mis récemment par les Etats-Unis à la recherche d’un compromis lors de la Conférence de Copenhague puis pour la préparation de la Conférence de Cancun et dans les étapes suivantes qui seront requises si Cancun n’est pas un succès concluant.

Les nouveaux équilibres dans les relations internationales conduisent les Etats-Unis à infléchir leur politique étrangère en matière énergétique. L’expérience très coûteuse de la guerre en Irak et la charge de la dette du pays dont le montant ne cesse de croître auront des conséquences à long terme. Le poids des Etats-Unis va diminuer. Cette thèse est défendue entre autres dans un livre publié en 2010 par le professeur Michael Mandelbraum de l’Université Johns Hopkins, dont le titre est explicite : The Frugal Superpower : America ‘s Global Leadership in a Cash-Strapped Era.

Les Etats-Unis resteront sans nul doute l’une des grandes puissances mondiales. Mais au lieu de pratiquer une politique unilatérale, ce qui était facilitée précédem­ment par le statut d’hyperpuissance et de domination économique et militaire du pays, les Etats-Unis pourraient s’orienter vers une approche de coopération globale dans l’énergie. Ainsi, le Président Obama a récemment proposé à la Chine des transferts de savoir-faire et d’expérience dans l’exploitation du gaz non convention­nel menée avec succès, comme les gaz de schistes dont les ressources potentielles sont abondantes en Chine. Une telle coopération pourrait également s’appliquer dans les domaines de l’aide au développement et de la lutte contre le réchauffement climatique.

La déclaration suivante du Président Obama en date du 15 juin 2010 confirme cette prise de conscience et la volonté de changer les comportements actuels : « Il est clair que la manière avec laquelle les Américains ont produit et consommé l’énergie n’est plus soutenable. Notre dépendance au pétrole importé et aux combustibles fossiles fait supporter des risques à notre économie, à notre sécurité nationale et à notre environne­ment ». Les prévisions 2035 décrites précédemment, avec notamment la réduction de la part des importations pétrolières et gazières et la forte progression de la part des énergies renouvelables, conduisent à une moindre dépendance et une transition énergétique.

Comment mettre en pratique ce changement ? Le changement nécessaire en matière de modèle énergétique et de lutte contre le réchauffement climatique se heurte toutefois au lobbying de certaines sociétés énergétiques qui ne veulent pas investir dans des techniques plus propres. Deux exemples illustrent l’opposition au changement. Ainsi, l’état de Californie avait promulgué en 2006 la loi intitulée The Global Warming Solutions Act of2006qui prévoit un programme d’action pour réduire les émissions de gaz à effet de serre par rapport au niveau observé en 1990. Un objectif de réduction des émissions de 15 % en 12 ans avait été fixé pour la période 2008-2020. Aujourd’hui, à l’occasion des élections de novembre 2010, les opposants à ce plan ont fait soumettre aux électeurs californiens un projet de réso­lution dont l’objet est de suspendre l’application de la loi de 2006 tant que le taux de chômage dans l’état californien n’est pas redescendu en dessous de 5,5 %, un taux si bas que la Californie l’a rarement atteint. Si une telle résolution était votée, elle conduirait à une suspension de la loi de 2006 pour très longtemps, et donc à freiner les actions pour une énergie plus propre.

Un autre exemple de difficulté rencontrée par le Président Obama pour avancer dans la transition énergétique, cette fois à l’échelle du pays, est l’actuel gel du projet de loi intitulé The American Clean Energy and Security Act, la première loi fédérale américaine comportant des objectifs de limitation des émissions, l’une des priorités du programme du Président. Ce projet, qui comporte 1400 pages, a pour objectifs de « créer des emplois dans les énergies propres, d’atteindre l’indépendance énergétique, de réduire la pollution liée au réchauffement climatique et de faire une transition vers une économie de l’énergie propre ». Parmi les mesures fixées par la loi, on peut citer la détermination d’un plafond limitant les émissions entre 2012 et 2050, l’obligation en 2020 de générer 20% de l’électricité à partir des énergies renouvelables ainsi que des mesures d’encouragement à l’investissement dans les énergies propres portant sur un montant de 90 milliards de $ d’ici à 2025. La Chambre des Représentants a approuvé la loi le 26 juin 2009, mais avec un vote serré de 219 voix pour et 212 voix contre. Le Sénat devait ensuite l’adopter, avant le sommet de Copenhague de fin 2009, pour y renforcer la position des Etats-Unis. Aujourd’hui, la loi n’est toujours pas adoptée par le Sénat et le sera sans doute avec un texte modifié et moins contraignant.

Pendant ce temps, le secteur privé américain avance vers la transition énergé­tique. Sans attendre la loi sur les énergies propres, les entreprises investissent dans le secteur, en bénéficiant des mesures du Programme lancé par la loi ARRA votée en 2009 pour stimuler l’économie américaine, lequel a alloué un budget de 80 mil­liards de $ pour encourager les investissements dans les énergies renouvelables et dans l’amélioration de l’efficacité énergétique.

 

Conclusion

Les enjeux de la politique énergétique américaine sont importants et continueront à le rester, à la fois pour le pays et le monde. Au cours de la dernière décennie, la croissance de la demande énergétique aux Etats-Unis a été ralentie dans le pays, notamment par une meilleure efficacité énergétique mais aussi par les conséquences de la crise de 2008. Les Etats-Unis se doivent maintenant de modifier leurs habitudes de consommation et de production énergétiques, même si le pays dispose pour certaines énergies, comme pour le charbon et le gaz naturel, de ressources importantes.

Pour ce faire, une nouvelle politique facilitant la transition énergétique sera à mettre en place, comme le Président Obama l’avait proposée, sans y être parvenu à ce jour. Les objectifs seront d’encourager le développement des énergies renouve­lables et la production nationale d’énergie, ainsi que de lancer des actions pour li­miter les émissions de gaz à effet de serre, voire les réduire. Ces mesures permettront d’alléger le poids des importations pétrolières dans l’approvisionnement, tout en sachant que les Etats-Unis resteront longtemps l’un des premiers pays importateurs de pétrole. Ils devront à cet effet continuer à développer une politique internatio­nale plus coopérative visant à assurer leur sécurité nationale et une large diversifica­tion géographique des importations.

 

Notes

  1. LE LEUCH est notamment co-auteur avec C. DUVAL, A. PERTUZIO et J. LANG WEAVER du livre International Petroleum Exploration and Exploitation Agreements: Legal, Economic & Policy Aspects, Second Edition, 2009, Barrows Edition, New York; gbarrows@ barrowscompany.net.
  2. Le lecteur intéressé par une évolution historique de l’énergie aux Etats-Unis pourra se repor­ter avec intérêt à l’article intitulé « La problématique énergétique des Etats-Unis » préparé par André Pertuzio pour le N° 11 de la revue Géostratégiques.
  3. La Chine représente pour sa part 11 % de la consommation mondiale de pétrole, 3 % de celle de gaz , 47 % de celle de charbon et 18,5% de la génération électrique.
  4. Les USA ont importé en 2009 1 million de barils par jour — le plus bas niveau depuis 22 ans – de l’Arabie saoudite, pays qui est devenu son troisième fournisseur après le Canada et le Mexique et qui produit environ 8,5 millions de barils par jour.
  5. New-York Times, 19 mars 2010.
  6. La production a toutefois connu en 2009 une augmentation de 0,46 Mb/j résultant princi­palement de la mise en exploitation de nouveaux champs de pétrole en offshore profond . Les chiffres de production indiqués englobent à la fois le pétrole (environ 5Mb/j) et les liquides extraits du gaz naturel.
  7. Le gaz naturel non conventionnel comprend : le gaz extrait de formations à très faible per­méabilité (tight gas), le gaz de schistes (gas shales) et le méthane extrait du charbon (CBM).
  8. Les compagnies Statoil et Total ont conclu des alliances avec la société Chesapeake. Exxon a racheté en 2009 la société XTO.

 

  1. Rapport intitulé « Annual Energy Outlook 2010 with Projections to 2035 », DOE/IEA,

Avril 2010.

  1. La part de 45 % est calculée sur l’ensemble des hydrocarbures liquides. Si on se limite stricte­ment au pétrole et aux produits pétroliers, en excluant les autres hydrocarbures liquides, elle est de 49 %.
  2. L’éthanol pourrait couvrir 17 % de la demande en essence en 2035.
  3. Dont 4,96 Mb/j de pétrole conventionnel et non conventionnel. et le solde pour les liquides extraits du gaz naturel (LGN).
  4. Ou EOR (enhanced oil recovery). La part résultant de l’EOR dans la production terrestre passerait de 12 % à 37 %.
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