Résumé : Alors que la recherche sociale et comportementale sur le terrorisme prolifère dramatiquement, les spécialistes traitent à peine l’affaire du financement du terrorisme. Malgré les ressources vouées à combattre le terrorisme, les spécialistes souffrent de la pénurie de données établies.
Cette étude résume les trouvailles de douze années de rapports et d’ouvrages sur le secteur informel de l’économie. Elle élabore sur les formes différentes de collecte de fonds : trafic de stupéfiants et d’armes, négoce pétrolier frauduleux, esclavage de femmes et d’enfants, extorsion illégale,…
Elle indique aussi que l’islamisme radical ne suit plus la route traditionnelle d’épargner des fonds pour la communauté musulmane : zakat, jizya, saddaqah, hawala, taxe halal sont à présent exploités en partie pour soutenir Daesh et ses combattants.
Summary: Whilst social and behavioral research on terrorism has dramatically expanded, the specialists scarcely deal with the matter of funding terrorism. Despite the resources devoted to countering terrorism, essayists lack for data sources.
This paper summarizes the findings of twelve years of reports and books on informal sector of economy. It develops the different forms of fund raising: drugs and weapons traffic, oil fraudulent release, female and children slavery, extorting money from banks, wholesalers and shopkeepers…
It also points out that radical islamism has taken out of the normal way the traditional proceedings of saving money for the Muslim community: zakat, jizya, saddaqah, hawala, halal tax, are now partly used to strengthen Daesh and their fighters.
Gourévitch Jean-Paul
Consultant international sur l’Afrique, les migrations et l’islam radical
Le financement du terrorisme comporte une vitrine visible : l’intervention des monarchies du Golfe et de la Turquie, de leurs banques, de leurs fondations, de leurs satellites et de leurs soutiens. Il dissimule une arrière-boutique plus secrète, la contribution de l’économie informelle sous toutes ses formes au financement des organisations terroristes islamistes. Il poursuit ainsi un objectif marketing sur lequel il ne souhaite pas s’exprimer publiquement : l’autofinancement progressif des cellules installées dans les pays occidentaux.
Le financement (quasi) officiel
La légitimation idéologique
Le financement du terrorisme islamiste est historiquement lié au choc pétrolier de 1973-74 qui a permis aux monarchies du Golfe et notamment à l’Arabie Saoudite de consacrer une partie de leurs ressources à la « wahhabisation » de la société arabe et à l’exportation de son idéologie et de sa logistique. Celle-ci a infiltré les mouvements sunnites pour contrer la révolution chiite en Iran mais s’est aussi efforcée de développer des « cellules » dans les pays réticents ou opposés à l’intrication de la religion musulmane et de la politique. Ainsi l’Arabie Saoudite a armé et financé les moudjahidines dans la guerre sainte contre le communisme en Afghanistan, ces mêmes moudjahidines qui rentrés dans leur pays constitueront une des bases militantes d’Al-Qaïda. Elle a également soutenu l’action des groupes islamiques armés opérant en Algérie comme le FIS ou les actions des frères musulmans en Egypte qui ont profité des colères d’une classe moyenne traumatisée par les privatisations du secteur public et d’un prolétariat dont les revendications s’adressent à un Etat qui ne les protège plus. Elle vise aujourd’hui à s’implanter dans les « terres de mission » d’un Occident où les musulmans sont très minoritaires.
La justification de ce financement a été revendiquée par les plus hautes autorités de l’islam comme Moustapha Mashour, le guide de la confrérie des Frères Musulmans qui déclarait peu avant sa mort en 2002 : « Il faut porter le fer de la guerre sainte sur les terrains économiques et financiers comme l’exigent les textes fondamentaux de l’islam. Les banques islamiques doivent aider nos frères en difficulté….selon les moyens les plus appropriés, des plus anodins au plus radicaux, y compris ceux de la lutte armée. »
L’inventaire de ces financements officiels implique l’Arabie Saoudite, le Qatar, le Koweit, Oman, la Turquie, Abu Dhabi, une partie de leurs banques, l’Organisation de la Coopération Islamique, La Ligue Islamique mondiale, des associations caritatives comme le Secours Islamique qui a des antennes dans de nombreux pays et des fondations-lobbies comme le fonds Welfare. Malgré la contraction des revenus tirés de l’exploitation du pétrole, les uns et les autres profitent largement du bénéfice des trafics en tout genre qui énerve la sous-région.
La légitimation stratégique
Contre ce financement, les organismes internationaux se sont avérés impuissants. Le 17 décembre 2015, le Conseil de sécurité des Nations unies a adopté, à l’unanimité, la Résolution 2253, introduite par les États-Unis et la Russie, qui imposait le gel des avoirs, l’interdiction de voyager et l’embargo sur les armes à l’encontre de Daech, Al-Qaïda et « des individus, groupes et autres entités qui leur sont associés ». Mais il n’existe aucun contrôle de fait sur la fourniture d’armes aux combattants du Proche-Orient comme ceux de Daesh, du Front Al-Nosra, de l’Ahrar-al-Sham mais aussi à ceux engagés sur d’autres terrains comme Al-Qaïda, l’Aqpa, l’Aqmi, ou Boko Haram.
L’hypothèse d’une solution politique ou militaire à la tragédie irako-syrienne caressée par la communauté internationale ne mettra pas fin au développement de l’islamisme radical. Au contraire, le rétrécissement du territoire contrôlé par l’Etat islamique incite ce dernier à exporter son idéologie et ses méthodes à l’intérieur des pays de ses adversaires pour les déstabiliser, en infiltrant ses combattants dans les flux migratoires générés par l’état de guerre qui sévit sur le littoral sud de la Méditerranée et auxquels s’agglomèrent des cohortes de résidents de l’Afrique subsaharienne fuyant des pays gangrenés par la dictature, la misère ou la corruption. Selon les services de renseignement français et américains, l’un des soutiens logistiques et financiers de ces opérations serait l’ancien chef des renseignements généraux saoudiens, Bandar Ben Sultan qui aurait en charge la Syrie, le Liban, l’Afghanistan, le Nord du Sahel, et la Tunisie.
Pourtant des dissonances existent dans l’orchestration de cette manne qui provient de pays dont les politiques sont opposées comme le Qatar, l’Arabie Saoudite et la Turquie et qui visent des bénéficiaires différents et dont les intérêts sont parfois antagonistes comme Daesh, Al-Qaïda et l’Aqmi.
Le puzzle des financements
Pour certains spécialistes, le cœur du financement de Daesh se trouve à Doha d’où la tentation de chercher à isoler politiquement et économiquement le Qatar. Mais ce pays a noué de bonnes relations économiques et commerciales et donc politiques avec plusieurs pays occidentaux dont la France, s’est emparé d’une partie du patrimoine occidental et a poussé ses tentacules dans l’immobilier, la communication, le sport, les transports aériens, le commerce de luxe, avec des sommes qui dépassent largement le PIB officiel du pays (203,2 Mds $) donc sont largement occultes. Il peut compter sur la puissance de la chaine Al Jazeera, cette chaîne satellitaire de
télévision qatarie, qui émet en plusieurs langues dont l’anglais, s’adresse à un public en expansion continue qui atteindrait les 50 millions de téléspectateurs, est le site le plus visité dans le monde arabe et est souvent considérée en Occident comme « la voix de l’islamisme ». Sa filiale Bein Sports est très largement diffusée en France.
D’autres mettent en cause la monarchie saoudienne où la charia fait office de constitution et où les deux clans qui se partagent le pouvoir, la famille Al Saoud pour le pouvoir politique et les institutions régaliennes et la famille Al Cheikh pour le pouvoir religieux et la vie sociale coopèrent de gré ou de force dans un Etat où le wahhabisme conforte la monarchie. Aussi l’Arabie Saoudite a-t-elle contre-attaqué sur le plan médiatique développant à travers ses écrans publicitaires son influence dans le monde arabe, rachetant des journaux et des chaînes et créant la sienne Al-Arabiya pour concurrencer Al-Jazeera. Dans son combat contre les chiites et la puissance iranienne, elle a maté la révolte au Bahrein, s’est engagée militairement au Yémen dans une guerre sanglante, a armé les opposants à Bachar-al-Assad qui avait le tort de ne pas être sunnite mais alaouite et d’être soutenu par l’Iran. Le troisième protagoniste de cette partie de poker menteur est la Turquie d’Erdogan dominée par la peur de voir se constituer au Nord du Proche-Orient un état kurde qui serait dominé par le Parti des Travailleurs du Kurdistan (le PKK) considéré par elle comme terroriste. Elle a récemment demandé l’aide des occidentaux pour le combattre. Elle doit aussi compter avec l’implication au Proche-Orient de son voisin russe et avec l’intervention possible de la CIA et plus discrète des fondations Soros aux côtés des fidèles du prédicateur Fethullah Gülen qui auraient infiltré l’appareil politico-militaire de l’Etat pour déstabiliser son régime. D’où le double jeu de ce pays aux côtés de la coalition anti-Daesh alors qu’il a longtemps soutenu l’Etat Islamiste et facilité le passage des jeunes militants qui voulaient rejoindre les djihadistes.
Le jeu des occidentaux
Une des hypothèses pour contrer le financement du terrorisme par les Etats et leurs satellites était de jouer sur les rivalités entre la Turquie, le Qatar et l’Arabie Saoudite qui veulent chacun incarner le leadership du monde sunnite. Le premier pays a le nombre et la force, le second l’argent, le troisième la légitimité religieuse. Les champs d’affrontements privilégiés sont l’éducation, la formation et le financement des prédicateurs. Les trois pays y participent par le biais de fondations et d’associations caritatives. Mais parmi les fonds récoltés par ces organismes quelle part va à l’aide humanitaire des réfugiés par rapport à celle qui abonde le recrutement de djihadistes et à l’organisation de leur départ vers le front ? Les réseaux sociaux donnent une idée de la puissance de ces associations et de leurs leaders qui se targuent de compter des dizaines de milliers d’abonnés. Mais leur financement reste opaque car il n’est pas possible, étant donné l’ampleur des sommes mises en jeu, qu’elles ne vivent que des dons de leurs fidèles.
La contre-attaque des Etats
Pour faire oublier leur implication dans le conflit, et apparaître comme la vitrine respectable de l’islamisme, les Etats qui financent le terrorisme et leurs porte-parole dans les medias occidentaux ont cherché à accréditer la théorie du complot qui avait déjà servi lors du 11 septembre. Selon eux, le chef d’orchestre de la déstabilisation serait la CIA qui combattrait le terrorisme avec ses propres armes, tirant profit à la fois de fonds gouvernementaux et de sources occultes y compris de l’argent de la drogue notamment de l’opium d’Afghanistan, via des sociétés écrans dont une partie serait située dans le Delaware. Il est difficile de trouver des preuves de ces allégations. L’ingénierie politique complexe qui préside à la mise à feu des conflits ne se réduit pas à l’antagonisme classique du choc des civilisations.
Le financement (vraiment) caché
L’islamo-business
C’est ce dernier aspect méconnu, que nous avons analysé dans l’ouvrage L’islamo-business vivier du terrorisme sorti récemment chez Pierre-Guillaume de Roux qui propose également une carte de l’islamisme radical et une exploration de la stratification des 8 à 9 millions de membres de la communauté musulmane de France avec ses quatre cercles concentriques : l’oumma, les pratiquants, les islamistes radicaux, les activistes.
L’islamo-business, terme mal dégagé de sa gangue médiatique, désigne deux phénomènes différents, le financement du terrorisme et le recrutement des apprentis djihadistes, qui ont en commun le fait de relever du financement par l’économie informelle.
Le poids de l’économie informelle
On rappellera ici que l’économie informelle dont nous avons été un des premiers à décrire l’anatomie et à analyser la physiologie concerne une grande partie de la vie quotidienne et représente aujourd’hui entre 15 et 20% du PIB dans les pays occidentaux mais entre 30 et 80% en Asie, au Proche-Orient, au Maghreb et dans l’Afrique subsaharienne.
L’économie rose dite parfois « économie solidaire » est une économie de proximité fondée sur l’échange de services sans contrepartie financière (« je repeins ta cuisine pendant que tu donnes des cours d’anglais à ma fille ») mais s’applique aussi à des marchés qui échappent au contrôle de l’Etat comme les vide-greniers. Dans les pays riches où elle est tolérée, c’est souvent une soupape de sécurité pour des citoyens laissés en marge de l’économie formelle. Dans les pays dits « en développement », c’est un système de survie pour ceux qui ne peuvent vivre de leurs ressources et une opportunité pour les Etats qui ne l’intègrent pas dans les comptes de la nation de continuer à bénéficier de l’aide publique au développement de la part des bailleurs de fonds.
L’économie grise est celle qui échappe aux regards et touche la fraude fiscale et sociale, la contrefaçon, le piratage informatique, le travail au noir sous ses diverses formes, les délinquances financières transnationales avec le blanchiment d’argent de l’argent sale et le noircissement de l’argent propre. Peu visible, elle est d’autant plus difficile à traquer par les Etats que sa traçabilité est quasiment indétectable même si ceux-ci se glorifient de temps à autres du démantèlement de réseaux.
L’économie noire baptisée « économie souterraine », « économie clandestine » ou criminelle », s’accompagne en général de violences et touche les trafics sous toutes leurs formes (drogues, armes, animaux, plantes, œuvres d’arts, enfants, organes humains…) mais aussi la confiscation de biens, le travail forcé, le racket, la piraterie, l’esclavage sexuel… Protégée par les Etats ou les maffias qui l’organisent, elle suppose une omerta qui utilise l’intimidation ou la terreur pour qu’elle puisse prospérer en toute impunité.
Les financements du terrorisme par l’économie informelle concernent ici exclusivement l’économie grise et l’économie noire.
Inventaire du financement
Les principales formes de financement du terrorisme islamiste par l’économie informelle sont les suivantes :
. les taxes prélevées sur les commerçants, les particuliers et les transports au nom d’un « impôt de guerre » ou d’un « impôt révolutionnaire » considéré comme légitime pour financer les dépenses d’administration et de gestion des territoires conquis et leur sécurité face aux attaques des adversaires ; les menaces contre ceux qui ne s’en acquitteraient pas vont de la dénonciation des mauvais citoyens avec des cérémonies publiques de « repentance » jusqu’à l’emprisonnement des personnes et la confiscation de leurs biens
. les revenus tirés du business alimentaire (type viande halal) qui transitent via des mosquées et des associations culturelles ou caritatives et dont une partie abonde le trésor de guerre des organisations islamistes[1]. À titre d’exemple, le marché de la viande hallal en France représentait 5 milliards d’euros en 2014 et n’a cessé de poursuivre son expansion avec une diversification de l’offre (charcuterie, pots pour bébés, chorba…). Le produit de la certification halal (quelques centimes d’euros par kilos) prélevé dès l’abattage est réservé à certaines grandes mosquées (Paris, Evry, Lyon ) qui ont habilité des sacrificateurs pour le faire. Mais selon des sites militants comme « Vigilance halal » cette taxe serait aussi acquittée par nombre de commerçants pour financer des activités « religieuses » illicites.
. la revente frauduleuse de matières premières (pétrole, gaz naturel, phosphates… ) à des Etats de la région, ce que les intéressés nient. En fait le processus est complexe comme l’ont expliqué des experts comme Francis Perrin, président de Stratégies et Politiques Energétiques. Le pétrole extrait des territoires sous contrôle djihadiste est vendu à des prix défiant toute concurrence par des intermédiaires qui le mélangent à des hydrocarbures issus d’autres origines ce qui permet ensuite de le proposer à des acheteurs occidentaux ou du Proche-Orient.[2] Le montant des revenus générés est très variable selon les sources : entre 100 et 730 millions de dollars par an. Il inclurait, selon certains, un accord secret entre Daesh et le régime d’el-Assad sur la fourniture de gaz naturel.
. la confiscation des biens et avoirs bancaires dans les régions que les islamistes contrôlent. Ainsi lors de la prise de Mossoul, 425 milliards de dollars en billets et lingots d’or appartenant aux banques irakiennes et aux alliés du régime auraient renforcé le trésor de guerre des islamistes.
. les rançons obtenues en échange de la libération d’otages. Ces rançons sont d’un montant considérable puisque 100 millions de dollars avaient été demandés pour la libération du photoreporter américain James Foley comme l’a confirmé son employeur. La somme n’ayant pas été versée, l’otage a été assassiné. Les pays refusent en général de payer directement comme l’a déclaré le Ministre français des Affaires Etrangères de l’époque Laurent Fabius. Mais des circuits parallèles existent et des intermédiaires (l’émir du Qatar, l’Etat camerounais…) sont partie prenante en toute opacité de la libération de ces otages, ce que salue dans un grand mouvement de solidarité et de compassion le pays d’origine. Selon le New York Times, l’Aqmi aurait récolté par ce biais 91,5 millions de dollars entre 2008 et 2013.
. l’esclavage sexuel dont les chiffres donnent le tournis. Selon l’agence de presse Iraqi News, pour les 700 femmes yezidies capturées à Sinjar, les prix s’étageraient entre l’équivalent de 138 euros pour une fillette de 1 à 9 ans et 35 euros pour une femme de 40 à 50 ans. Les vierges peuvent être violées immédiatement après avoir été achetées mais l’utérus des femmes qui ont eu des relations sexuelles doit être «purifié » au préalable. Les chrétiennes et les juives échapperaient à ces sévices si elles s’acquittent de la jizya.
. les trafics de toutes catégories à commencer par ceux de la drogue et des armes mais ces trafics, source de profits juteux s’étendent à bien d’autres domaines : les animaux, les plantes rares, l’ivoire, les bois précieux, et même les organes humains. 10.000 transplantations illicites seraient faites chaque année et selon la fatwa n° 68 du 31 janvier 2015 dont l’authenticité reste sujette à caution, l’EI serait autorisé à prélever des organes sur le corps d’un « apostat » pour sauver la vie d’un musulman.
. la revente de trésors archéologiques. La destruction par les islamistes de biens archéologiques considérés comme païens ou chrétiens n’est pas perdue pour tout le monde. Plusieurs sont pillés pour être monnayés comme par exemple des pièces anciennes ou des tablettes assyriennes ou découpés et vendus en pièces détachées. Des maffias internationales du trafic des objets d’art et d’antiquités sont impliquées dans ce processus avec une revente à des collectionneurs peu soucieux d’en connaître la provenance. Selon un chercheur de l’Institut d’Archéologie de Londres, qui a fait une estimation à partir des trésors effectivement vendus, l’Etat Islamique aurait pu en 2014 à partir de ces rentrées armer, nourrir et payer 5.000 combattants.
Le détournement des procédures et des dons
Mais ils bénéficient aussi du détournement au profit de l’impôt de guerre des procédures existant dans le monde musulman :
. la zakat qui correspond à l’aumône obligatoire ; parmi les huit catégories de bénéficiaires de la zakat officiellement autorisés, on trouve en effet « la cause d’Allah » qui couvre la promotion de l’islam, le financement de mosquées, le soutien des minorités musulmanes dans les pays non musulmans, et le jihad lui-même c’est à dire l’achat d’armes, le paiement des combattants ou l’implantation de cellules actives ou « dormantes » dans les pays « mécréants » ;
. la jizya qui est l’impôt payé par les dhimmis[3]. Les estimations couramment avancées par les chrétiens qui ont fui Mossoul s’élèvent à 250 dollars par mois pour une personne et 500 pour un couple. Quand on sait que plus de 5000 chrétiens vivaient à Mossoul, ce seul impôt représente 15 millions de dollars par an ;
. la sadaqah qui est le don volontaire et qui en tant que tel dépend de la liberté du donateur ;
. l’hawala qui est l’échange de liquidités sans trace écrite via des commerçants intermédiaires disposant de codes de reconnaissance et qui permet ainsi de transférer des fonds entre le donateur et le bénéficiaire sans éveiller l’attention d’un tiers.
L’ensemble de ces deux financements représenterait au total plus de 1000 milliards de dollars par an.
Vers l’autofinancement des cellules terroristes
Choisir Daesh ou les Frères Musulmans
Compte tenu de la surveillance des transactions et de la prolifération de cellules terroristes dont Daesh ne peut contrôler si l’allégeance qu’elles proclament est une posture ou une fidélité, les dirigeants de l’Etat islamique ont récemment changé de stratégie. Il en va tout autrement pour les Frères Musulmans qui constituent un réseau international avec des filières visibles et organisées dans tous les pays, sur le modèle de l’UOIF (Union des Organisations Islamistes de France), composante elle-même de l’UOIE (Union des Organisations islamistes en Europe). Les Frères Musulmans se présentent comme des interlocuteurs acceptables par les pouvoirs publics et jouent la carte de l’intégration et de la réussite sociale sans dissimuler le fait qu’ils sont financés par la Ligue Islamique Mondiale et le Conseil Européen pour la Fatwa et la Recherche.
Au contraire les fidèles de Daesh jouent la clandestinité, et multiplient les précautions et les cloisonnements pour éviter toute infiltration.
Une délinquance religieusement adoubée
De ce fait, les financements venant de Daesh ont du mal à les approvisionner autrement que par des « porteurs de valises » qui risquent d’être interceptés. D’autre part le trésor de guerre de Daesh n’étant pas inépuisable, les groupes qui se réclament de cet islamisme radical doivent désormais le plus possible s’autofinancer c’est à dire trouver dans leur environnement immédiat les ressources qui leur permettront de monter leurs actions.
D’où l’explosion d’une délinquance qui est religieusement adoubée puisque le vol, le pillage, les rackets et les trafics ne sont pas pratiqués pour un enrichissement personnel mais pour combattre une société qu’ils rejettent.
Un terrorisme de proximité
Dans cette perspective, il ne suffit plus de préparer longuement des attentats ciblés avec grand retentissement médiatique. Ce qu’on doit aussi viser est un terrorisme de proximité comme l’avait édicté le 22 septembre 2014 le porte-parole de l’Etat islamique Abou Mohammed Al–Adnani, baptisé « le ministre des attentats » avant d’être abattu en Syrie le 30 août 2016 : « Si vous ne pouvez pas trouver d’engins explosifs ou de munitions, alors isolez l’Américain infidèle, le Français infidèle ou n’importe lequel de ses alliés. Ecrasez-lui la tête à coups de pierres, tuez-le avec un couteau, renversez-le avec votre voiture, jetez-le dans le vide, étouffez-le ou empoisonnez le.»
Ces proclamations ont un impact certain sur la jeunesse musulmane mais aussi sur des jeunes étrangers à la religion qui ont trouvé dans ce projet révolutionnaire un exutoire à leur révolte et à leur rage et imaginent qu’ils vont construire une nouvelle solidarité avec ceux qui ont été exclus de la vie civique (les résidents des banlieues), de la vie sociale (les précaires) et de la vie civile (les clandestins).
On comprend également que les institutions occidentales soient désarmées face à l’opacité des circuits, à la multiplication de ces cellules et incapables de contrôler une économie formelle nationale et internationale qui représente aujourd’hui près d’un quart des échanges et des transactions de la planète.
Jean-Paul Gourévitch est consultant international depuis 1987 sur l’Afrique, les migrations et depuis 2010 sur l’islam radical. Il travaille depuis longtemps sur l’économie informelle dont il a donné une première synthèse en 2002 : L’économie Informelle (Le Pré aux Clercs), livre passé presque inaperçu à l’époque. Il a publié récemment Les migrations pour les Nuls (First 2014), les migrations méditerranéennes en 2015 (Contribuables Associés 2016) et l’islamo-business vivier du terrorisme (Pierre-Guillaume de Roux 2016). Il est également spécialiste de la littérature de jeunesse et auteur de 70 ouvrages qu’on peut retrouver sur son site acrostiche www://leplaisir.net. Voir notamment le menu I comme Islamisme.
Eléments de bibliographie
Alkazaz A., Beaugé G. : les capitaux de l’islam CNRS Editions 1998
Brisard J.C., Martinez (D.) : Rapport sur le financement de l’Etat islamique Thomson Reuters 2014
Centre d’Analyse du Terrorisme : la fortune de Daesh 2015
Chouet A., Didier A-L, Labevière R. N. Leyla : Atlas de l’islamisme radical CNRS Ed 2007
Davis (Paul K.) : Deterrence and influence in counterterrorism Rand 2002.
Del Valle (Alexandre) : Les vrais ennemis de l’Occident L’Artilleur 2016
Fillon (François) ; Vaincre le totalitarisme islamique Albin Michel 2016
Foley (Franck) : Counterterrorism in Britain and France Cambridge University Press 2013
Gourévitch (Jean-Paul) : L’économie informelle le Pré aux Clercs 2002 ; La croisade islamiste : pour en finir avec les idées reçues Pascal Galodé 2011- L’islamisme vivier du terrorisme (Pierre-Guillaume de Roux ) 2016
Khosrokhavar (Farid) : Radicalisation Maison des Sciences de l’Homme 2014 Labévière (Richard) : Les dollars de la terreur Grasset 1999
Laurent (Samuel) : L’Etat islamique Seuil 2014
Michaïlof (Serge) : Africanistan : l’Afrique en crise va-t-elle se retrouver dans nos banlieues ? (Fayard 2015)
Napoleoni Loretta : Qui finance le terrorisme international ? (traduction Sébastien Marty) Autrement 2005
Salahdine Mohamed : The silent revolution : the informal sector in Five Asian and Near Eastern Countries, Éditions ICS Press San Francisco, California 1991.
Thomson (David) : Les Français jihadistes Les Arènes 2014
Urvoy (Marie-Thérèse) : Islamologie et monde islamique Editions du Cerf 2016
Zanaz (Hamid) : Islamisme : comment l’Occident creuse sa tombe Max Chaleil 2013
Veliocas (Joachim) : Ces maires qui courtisent l’islamisme Tatamis 2015
Zineb el Rhazaoui : Détruire le fascisme islamiste Ring 2016
[1] Aujourd’hui en France certains politiques proposent d’instaurer une taxe sur le halal pour financer la construction de mosquées à la manière de la « taxe casher » prélevée par le Beth Din. De fait la taxe casher finance également des activités religieuses.
[2] On notera que ce pétrole bon marché facilite également la mobilité des combattants djihadistes.
[3] Les dhimmis ne comprennent pas des courants de l’islam considérés impies par exemple les chiites, les alaouites ou les yézidis qui comme les agnostiques n’ont de choix que la valise ou le cercueil. Pour les juifs les pratiques varient selon les pays et les organisations djihadistes.