L’avenir politique et securitaire en Irak

                                       Le lundi 6 octobre 2014                                            

Assemblée Nationale ( Salle Lamartine )

Dans le cadre de ses analyses des grandes questions géopolitiques du  monde d’aujourd’hui, l’Académie de Géopolitique de Paris a organisé ce colloque international avec pour but de mettre la lumière sur la nature profonde de la crise irakienne, les caractéristiques militaires et stratégiques du conflit et de décrire précisément ses différents belligérants traditionnels et récents, étatiques et non-étatiques.  En présence des membres des corps diplomatiques de différents pays tels, les Excellences les ambassadeurs, les premiers et deuxièmes secrétaires, conseillers et chefs de section et de mission, et chargés d’affaires des ambassades  du Bahreïn, de Bolivie, de Birmanie, du Brésil, du Burkina Faso, du Canada, de Chine, de Cuba, de Finlande, d’Egypte, d’Indonésie, d’Irak, du Japon, du Kosovo, de Norvège, d’Oman, du Pakistan, du Qatar, de Roumanie, de Russie, de Singapour, de Serbie, de Suède, de la république tchèque ainsi que la Turquie,  le colloque à été inauguré par le Président de l’Académie de Géopolitique de Paris qui a tenu a remercier tous les présents au colloque. Un remerciement particulier est adressé à monsieur le député Jacques Myard pour sa précieuse collaboration.

 

Le président de l’Académie de Géopolitique de Paris Ali Rastbeen a ensuite donné la parole à monsieur le député Jacques Myardpour un discours d’ouverture dont voici le résumé :

 

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L’Irak, depuis quelques années et singulièrement ces mois, est devenu un enjeu international régional et transnational de tous les écueils, de tous les défis mais aussi, dès lors, de tous les pièges.

Il est important de souligner les risques qui sont les nôtres de manière générale. Ce sont, bien sûr, les pièges que nous tendent les terroristes. Il s’agit d’un défi permanent qui s’est, certes très récemment, aggravé avec l’Etat islamique en Irak et au Levant (EIIL). Cette entité, Daech, est en réalité, semblable à une société par actions dans laquelle de multiples forces régionales ont émis des parts. Daech n’est pas né d’une action spontanée.
Le premier piège, c’est l’amalgame qui pourrait naître de la confusion avec l’Islam. Nous savons pertinemment que l’Islam de Daech ne représente pas l’Islam dans son ensemble.
Le deuxième piège, c’est celui de l’engrenage que cette crise peut engendrer. Combattre Daech grâce à une coalition menée par les Américains comporte le risque d’être emporté par la logique militaire. Or en France, l’Histoire a démontré avec les conflits de la colonisation, qu’il existe  un droit de suite…
Le troisième piège, c’est celui de voir renforcer l’image d’une guerre de l’Occident contre l’Islam. Ce n’est pas une guerre de religion, c’est une guerre contre le fanatisme.
L’objectif est que cette guerre contre le terrorisme soit d’abord réglée par les puissances régionales elles-mêmes : c’est une affaire qui relève d’abord des Irakiens, des Syriens mais aussi des puissances qui ont régionalement et localement joué aux apprentis sorciers et qui doivent revisiter leur action. On ne peut pas taire l’ambiguïté de la politique de Qatar, ni celle de l’Arabie saoudite ou de la Turquie. Il faut avoir le courage de dire à ces Etats – qui peuvent être des partenaires dans certains domaines avec la France et les Etats européens – , qu’ils doivent changer de politique et que nous ne saurions cautionner l’ambiguïté de leur position.
Cela signifie aussi qu’il faut tirer un certain nombre de conséquence des erreurs commises dans le conflit syrien. Certes, Bachar El-Assad n’est pas un grand démocrate – il est même tout le contraire -, mais l’erreur qui a été faite consiste à croire qu’il allait tomber sous quelques jours. Il est clair aujourd’hui que si Bachar El-Assad peut causer problème à la communauté internationale, il risque d’être supplanté par un danger bien plus grand qui déstabilisera toute la zone. Il faut donc ouvrir les yeux sur l’ensemble de la politique sur la Syrie.
Il y a un autre défi, le danger de reconstruire la carte des Etats et des frontières de la zone. Si l’intégrité des frontières n’est pas un diktat intangible, il est nécessaire, cependant, d’éviter qu’une désorganisation structurelle étatique n’accroisse encore l’instabilité de la région à un moment délicat.
Il va être extrêmement difficile à certains Etats de recouvrer une unité nationale complète, dans le cas de  la Syrie et de l’Irak notamment. On voit bien que s’y exercent des forces centrifuges fortes, et je mets en garde ceux qui échafaudent des hypothèses,  en particulier sur la question du Kurdistan.
L’objectif  est d’amener les puissances de la zone à régler ce conflit et à cesser, notamment dans le conflit syrien, de jouer leurs propres intérêts au détriment des autres.
Il est clair que pour stabiliser la zone, nous n’échapperons pas au retour de l’Iran. Certes il y a un dossier iranien qu’il faut traiter , qui pose des problèmes de dissimulation de prolifération nucléaire mais en ce qui concerne la stabilité de la zone, la lutte contre le terrorisme ou la maîtrise de l’évolution de la situation internationale, l’Iran est un acteur essentiel, partie à cet enjeu. Cela  signifie que des Etats comme l’Arabie saoudite et le Qatar devront aussi l’accepter, prendre en compte la réalité des choses et cesser l’ambiguïté de leur politique.
Ces défis sont majeurs car nous sommes dans un village planétaire. La question d’Orient que les Français et les Européens voyaient de très loin parce qu’ils étaient accaparés par d’autres préoccupations revient en force. Ainsi la politique étrangère de la France doit-elle, par une action multi-bilatérale, se concentrer sur le Proche et le Moyen-Orient : c’est là où se joue la paix du monde.

 

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Le président de l’Académie de Géopolitique de Paris Ali Rastbeen a ensuite prononcé son propos de préambule pour amorcer les différentes interventions dont voici le résumé :

Au Moyen-Orient, l’Irak constitue un ensemble ethnique et religieux très varié et occupe une place sensible particulière. Ce territoire connaît une importante histoire dans la civilisation mondiale et renferme des réserves pétrolières considérables.  Du point de vue géographique, il se situe dans la prolongation de la péninsule arabique sur le littoral du Golfe Persique. Le nord et l’est de ce pays sont couverts de montagnes. Il se trouve au voisinage de l’Iran, de la Turquie et des kurdes qui bénéficient aujourd’hui d’une autonomie dans le cadre d’un Irak unique car après la chute du régime militaire baasiste, l’Irak est devenu, dans la pratique, un pays fédéral.

Sur le plan de la composition démographique, dans les régions montagneuses et  le nord de l’Irak, outre les kurdes, les deux minorités assyrienne et turcomane sont implantées depuis des temps historiques. Outre l’Islam – religion dominante – les religions anciennes comme le sabéisme et le yézidisme qui puisent leur origine dans les croyances de l’Iran antique y sont toujours présentes. Le christianisme, le judaïsme et les différentes communautés islamiques coexistent malgré leurs grandes diversités ethniques et religieuses. Cependant le chiisme y compte le plus grand nombre de fidèles. Les Iraniens composent la grande majorité des habitants non irakiens de ce pays. Or, depuis l’époque de l’empire ottoman et jusqu’à la chute du régime du parti Baas, l’administration du pays était exclusivement exercée par les sunnites. Ce facteur a joué un rôle important dans les événements de la dernière décennie et maintient son importance dans la crise que traverse ce pays.

Les villes saintes du chiisme telles que Karbala, Nadjaf, Kazimain, Samarra, sont, depuis des siècles, les lieux de pèlerinage convoités par les chiites.. Les revenus du pèlerinage constituent une des composantes de l’économie irakienne.

Ce qui est survenu en Irak après la chute du parti Baas peut être considéré comme une « Renaissance ». Une renaissance qui ne peut se réaliser à travers les guerres et les conflits ethniques, raciaux, religieux et par le biais des pouvoirs militaires. Le monopole de la puissance est toujours désastreux et la seule voie pour brider le pouvoir est que le monopole passe par la mondialisation du pouvoir. Le squelette de ce pouvoir, a été instauré, au lendemain de la seconde guerre mondiale, par la Charte des Nations Unies. Or, la volonté mondiale doit accorder à ce squelette, l’âme, la volonté et la capacité d’une présence réelle dans la mise en œuvre du nouvel ordre.

il est clair que les islamistes radicaux représentent un véritable danger. Les efforts régionaux et internationaux dans la lutte contre le terrorisme et la propagation de l’extrémisme, représentent une menace directe à la sécurité et la stabilité du Proche-Orient et du monde entier.

La communauté internationale doit consolider ses efforts dans la lutte contre le terrorisme en Syrie et en Irak, tout en respectant strictement la souveraineté de ces Etats, et  mobiliser ses efforts pour couper le financement de ce groupe radical islamiste  , améliorer le travail des  services de renseignement, renforcer les défenses, endiguer l’idéologie dénaturée de ce groupe et arrêter le flot de combattants étrangers au Proche-Orient et depuis cette région.

Il est  temps que les acteurs régionaux et internationaux procèdent à une profonde analyse d’ensemble des problèmes de l’extrémisme et du terrorisme au Proche-Orient et en Afrique du Nord, sous la médiation des Nations unies, et  examiner les conséquences des guerres et des agressions du passé, d’analyser les causes de l’échec des négociations sur des conflits très anciens, notamment du progrès insuffisant de l’initiative de paix arabe.

Nous espérons que, dans le cadre de la tenue de ce colloque, les chercheurs de renom, les universitaires, les analystes, les spécialistes et les journalistes qui se réunissent aujourd’hui, grâce à leur participation efficace et leurs échanges d’idées, mettront l’accent sur nouvelles configurations ethniques et confessionnelles de la région. De même, les échelles nationale, régionale et internationale à la lumière des jeux d’influence des puissances concernées, de l’Iran aux Etats-Unis, de l’Arabie saoudite à la Turquie, et des institutions internationales engagées, de l’ONU à l’Union européenne.

 

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Le colloque a été organisé en deux tables rondes.

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La première table ronde a été inaugurée par monsieur Alain CORVEZ, Conseiller en stratégie internationale qui a intitulé sont intervention ” La situation en Irak”.

L’évolution générale de la situation stratégique mondiale a contribué à donner aux populations un sentiment de délégitimation des médias, des pouvoirs politiques nationaux et  internationaux. La dissimulation des ambitions stratégiques des grandes puissances et des pouvoirs transnationaux sous un vernis de moralisation a pu jouer un temps grâce à la manipulation de l’émotion et des bons sentiments. Le sommet de cette stratégie étant de créer artificiellement un état de crise et d’exception permanente. On assiste cependant depuis peu à un processus de rejet des systèmes établis lesquels semblent, aux yeux des peuples, n’avoir résolu aucun des grands problèmes stratégiques contemporains. Par exemple il est établi que le carcan idéologique atlantiste entraîne la géopolitique française et européenne vers des objectifs qui ne sont pas les leurs. De même, la situation en Irak et en Syrie est à replacer dans une géopolitique internationale plus vaste, celle de l’affrontement entre les intérêts stratégiques de puissances régionales et mondiales en compétition. Ainsi, l’alliance américaine avec l’islam rigoriste du wahhabisme ne s’est jamais démentie et nous savons que le terrorisme islamiste est soutenu depuis le début par les Séoudiens, puis les Qataris et par opportunisme, également par la Turquie. Si l’offensive éclair de DAESH (Daouled al Islamiyeh fi al Irak wa bilad al Sham) était sous contrôle des services de renseignement américains c’était pour renverser Maliki ou au moins de l’amener à des concessions importantes qu’il persistait à refuser, pour établir un gouvernement de consensus. Le but n’était pas de prendre Bagdad et l’alliance paradoxale entre une organisation islamiste et un parti d’idéologie laïque n’était que de circonstance. Les ouvertures de Maliki vers la Russie et la Chine n’étaient pas non plus pour plaire aux Etats-Unis et il devenait important pour Washington de reprendre un contrôle à Bagdad qui commençait à lui échapper. Mais après les conquêtes territoriales fulgurantes de Daesh et le départ de Maliki, les Etats-Unis ont décidé de mettre un coup d’arrêt à l’offensive par des frappes aériennes et ont constitué une coalition pour combattre l’organisation terroriste avec le soutien de l’opinion publique internationale horrifiée par les décapitations d’otages largement  diffusées par des vidéos. Le rôle de l’Iran, de la Turquie et des Kurdes fut ainsi réévalué, et il existe une tentation américaine de se servir de cette opération pour renverser le pouvoir légal de Damas en contournant les objectifs affichés.

 

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Le deuxième intervenant de la première table ronde, le professeur Bassam TAHHAN, professeur de géostratégie à l’Ecole Nationale Supérieure de Techniques Avancées (ENSTA) a présenté ” La feuille de route du nouveau califat al-Baghdadi”

Les six discours authentifiés du calife Al-Baghdadi montrent qu’il reprend à son compte le programme de Ben Laden dans ses deux volets : s’attaquer à l’Occident et à ses alliés parmi les pays arabes ou musulmans. La priorité est accordée aux pays musulmans à commencer par la République Islamique d’Iran qualifiée d’hérétique et éloignée de la Sunna et du Prophète de l’Islam et son gendre Ali figure fondatrice du chiisme. La conséquence logique qui en découle est de déclarer la guerre à la Syrie d’Assad, l’Irak de Maliki et le Hezbollah. Une feuille de route peut se dégager de ses six discours. Ce qui est nouveau par rapport à Al-Qaida c’est l’universalisme de l’appel califal. Al-Baghdadi cherche à créer un label EI état islamique que peut endosser n’importe quel musulman dans le monde pour lutter contre les “ennemis de l’Islam” en commettant des attentats. Nous essaierons d’analyser en détails cette feuille de route et voir ses répercussions géopolitiques dans le monde.

Ce caractère d’universalité était la ligne rouge à ne pas dépasser, en le faisant le nouveau calife s’est attiré les foudres de ses bailleurs de fonds. Tant que les services secrets et les alliés des USA pouvaient le manipuler contre Assad ou Maliki ou l’Iran il jouissait des soutiens politiques et financiers. En fait il a voulu jouer en solo et s’éloigner de ceux qui l’ont lancé. USA Turquie et toutes les monarchies pétrolières se sont rendues compte que le jeu était en train de leur échapper complètement et menaçait leurs intérêts. La France y a vu une occasion pour se repositionner sur les marchés du golfe et surtout le marché irakien et de retenter de renverser Assad. Les grands perdants restent les musulmans sunnites car ils auront été la chair à canons de toutes ces guerres dont l’issue reste incertaine pour tous les belligérants.

 

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Le troisième intervenant était monsieur Pierre RAZOUX, Directeur de recherche à l’Institut de Recherche Stratégique de l’Ecole Militaire (IRSEM). Il à intitulé son intervention : « Une stratégie régionale concertée de lutte contre l’Etat Islamique (Daesh) est-elle envisageable ? ».

Une nouvelle donne géopolitique au Moyen-Orient est possible avec l’entente potentielle existante entre Etats occidentaux, Etats arabes, l’Iran et pourquoi pas la Russie dans la lutte contre l’Etat Islamique. Nous voulons expliquer en quoi la stratégie régionale d’endiguement éventuellement suivie d’une vaste offensive militaire présenterait à la fois de nombreux avantages mais également nombre d’ambiguïtés et de réticences. L’urgence est donc de déminer le système de représentation, guerre juste, croisade ou Djihad, et celui des intentions, une éventuelle action concertée de l’Iran, de l’Irak et de la Syrie ne devrait pas pour les monarchies du Golfe apparaître comme une revanche de la minorité chiite sur la majorité sunnite. Le caractère même de la lutte contre l’Etat islamique constitue une seconde ambiguïté de taille, car la solution de long terme ne saurait être strictement sécuritaire et militaire mais politique, au regard de la situation intérieure irakienne, dont par exemple la question des tribus sunnites irakiennes, la situation intérieure syrienne, mais aussi celle régionale, dirigeants de pays arabes contre Frères musulmans, conflit israélo-palestinien, combattants kurdes syriens, turcs et iraniens et ces Etats respectifs, mais aussi intérêts économiques liés aux zones de combats. Il faut y ajouter, bien sûr, la nécessité d’un dialogue politique de Occident avec l’Iran et la Syrie, notamment parce que Téhéran est aujourd’hui le seul interlocuteur en mesure d’influencer favorablement trois des acteurs principaux (Syrie, Irak et Kurdistan irakien autonome) de ce que pourrait être une coalition régionale destinée à faire refluer l’Etat Islamique. L’espoir d’une solution politique, travaillant sur les causes premières, réside dans le fait de voir se réduire considérablement le nombre de combattants de l’Etat islamique, à siphonner son réservoir de forces et à lui couper idéologiquement l’herbe sous les pieds. Reste que la Turquie n’a pas d’intérêt, ni géopolitique, ni stratégique ni même économique, à ce que le Califat relâche sa pression sur ses adversaires traditionnels, que le roi Abdallah II doit tenir compte des nombreux réfugiés arabes (notamment irakiens et syriens), du soutien d’une partie de la population acquise aux thèses islamistes et qui abriterait même des cellules djihadistes « dormantes » favorables à l’Etat Islamique, que l’Egypte et les pays d’Afrique du Nord se satisfont plutôt bien de ce pôle de fixation qui attire leurs propres terroristes en mal de djihad, que les dirigeants d’Arabie saoudite sont conscients qu’un certain nombre de fondations privées saoudiennes ont financé les djihadistes combattant en Irak et en Syrie et qu’ils doivent redouter l’effet boomerang que pourrait entraîner le retour massif de djihadistes dans le royaume, même si les autorités saoudiennes ont pu voir initialement quelque avantage à l’irruption de l’Etat Islamique contribuant en effet à affaiblir leur ennemi iranien, leurs adversaires irakiens et syriens et leur rival turc. Mais les fondations privées saoudiennes, qui financent les djihadistes combattant en Irak et en Syrie, restent très influentes dans le royaume et que la priorité stratégique de la famille régnante reste d’assurer la pérennité de la monarchie – inconciliable avec l’idée de Califat – et la stabilité de la péninsule arabique. De même, une grande ambigüité ressort des positionnements israélien, européen et américain. Outre ses atouts réels observés, l’Etat Islamique reste l’otage de cinq faiblesses majeures : son enclavement, l’éparpillement de ses troupes, la multiplicité des axes d’efforts majeurs, l’absence d’aviation et la conviction profonde de ses ennemis de la nécessité absolue de l’éradiquer. Pour ces derniers, il conviendrait d’agir de manière coordonnée et simultanée sur l’ensemble des fronts (syrien, kurde et irakien) avec des moyens militaires suffisants, de manière à l’encercler et l’asphyxier progressivement. Mais cela impose que l’Irak, l’Iran, la Syrie, la Turquie et le gouvernement autonome du Kurdistan irakien s’entendent préalablement pour agir ensemble, appuyés par les Occidentaux qui le souhaitent.

 

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Le quatrième intervenant de la première table ronde, monsieur Ali al-YAQOBI, Juriste et chercheur constitutionnaliste irakien qui a traité « Le fédéralisme irakien à l’épreuve des événements actuels ».

Le fédéralisme est le principe le plus marquant qui ait été adopté en 2005. L’étude des conditions dans lesquelles la forme fédérale est née en Irak ne peut pas ignorer la réalité du pays.

Depuis la fondation de l’Etat irakien moderne, dans les années vingt du siècle passé, la forme unitaire a échoué à rassembler les Irakiens.

Que ce soit sous la monarchie ou la  république jusqu’à la chute du régime de Saddam Hussein en 2003, la question kurde a représenté le défi le plus important pour les régimes successifs. Le choix de la forme fédérale et la reconnaissance de la région du Kurdistan, comme unité fédérale, se sont imposés à l’Irak. La Constitution de 2005 a ainsi établi une nouvelle forme de relation avec la région kurde et a reconnu sa diversité ethnique et linguistique avec deux langues officielles l’arabe et le kurde, tout en préservant les limites territoriales de l’Irak.

Mais, si les facteurs politiques et ethniques étaient réunis pour la naissance d’une zone fédérale pour les Kurdes, comme solution au problème de la diversité ethnique, il n’en était pas de même pour faire des régions fédérales chiites ou sunnites. De nombreux facteurs ont retardé la poursuite de la construction fédérale de l’Etat. Cependant on a gardé la porte ouverte à cette possibilité à l’avenir ce qui signifie que les constituants n’ont pas rejeté l’option fédérale pour d’autres unités dans le reste de l’Irak. Il sera toujours possible de former d’autres régions fédérales, selon une demande des départements soumise à un référendum des habitants concernés.

Malgré son inachèvement actuel, le fédéralisme vient de prouver qu’il est une forme de l’Etat suffisamment solide pour maintenir les institutions dans la tourmente qui s’est abattue sur l’Irak avec l’invasion de « Daesh » l’Etat islamique.

Nous pouvons dire que les facteurs qui joueront un rôle dans la future forme fédérale de l’Irak sont les difficultés internes et les difficultés externes liées à l’environnement géopolitique. Ces facteurs sont au cœur du sujet de cet exposé.

 

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Le cinquième et dernier intervenant de la première table ronde était le Recteur Gérard-François DUMONT, Professeur à la Sorbonne qui a abordé « L’Irak face aux questions religieuses et ethniques ».

Pourquoi l’Irak est-il un État pluri-religieux et pluriethnique ? L’idée la plus souvent avancée consiste à y voir le résultat de décisions imposées de l’extérieur fixant les frontières du pays. Ce n’est pas faux. Les événements géopolitiques du début du XXe siècle et notamment les évolutions consécutives à la Première guerre mondiale sont essentiels pour la géographie frontalière du Moyen-Orient. Toutefois, il ne faut pas se limiter aux accords Sykes-Picot, mais également prendre en compte l’évolution géopolitique aux États-Unis et les négociations franco-britanniques auxquelles ont participé Clémenceau et Lloyd George en 1920.

Mais si cette idée souvent avancée est vrai, il ne faudrait pas oublier que le caractère pluri-religieux et pluriethnique de l’Irak n’est pas lié seulement aux frontières retenues en 1920, mais aussi le fruit de l’histoire beaucoup plus ancienne des territoires qui composent ce pays, une histoire qui explique la diffusion des religions du livre, mais qui relate également de nombreuses choix théologiques divergents au sein d’abord de la religion chrétienne, puis de l’islam, choix ayant aussi engendré d’autres voies religieuses.

Au total, l’Irak est un pays pluri-religieux et pluriethnique non seulement en raison d’un partage imposé de l’extérieur, mais aussi en conséquence à sa propre histoire. C’est en considérant aussi ce second élément qu’il est possible de retrouver les voies d’une concorde sociale profitable au bien commun des Irakiens et, plus généralement, du Moyen-Orient.

 

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La deuxième table ronde a été inaugurée par monsieur Jean-Michel VERNOCHET, Ecrivain et politologue, qui à plongé dans « Les racines idéologiques de l’Etat islamique »

L’État islamique en Irak et au Levant, Daech en arabe, s’est invité sur la scène internationale avec l’annonce à Mossoul le 28 juin 2014 par Abou Bakr al-Baghdadi al-Husseini al-Koraïchi, prétendument descendant de la tribu du Prophète, de la restauration du Califat, pouvoir temporel et spirituel couvrant l’ensemble de la communauté des croyants, l’Oumma. Califat qui avait été aboli en 1924 par Mustapha Kemal dit Atatürk et non restauré ensuite par les Séoud autoproclamés “Gardiens des lieux saints”, après leur prise de la Mecque et de Médine à l’automne 1925.

L’ÉI, Daech existe au demeurant depuis 2007, et constitue à l’heure actuelle un véritable État embryonnaire disposant d’authentiques infrastructures lui permettant d’administrer au mieux de ses besoins les territoires récemment conquis du nord de l’Irak et de la Syrie. Or, à l’occasion des événements tragiques d’Irak et de Syrie, apparaît désormais au grand jour, et sous nos yeux jusqu’ici, qu’une guerre intestine fait rage au sein de l’Islam. Guerre opposant l’Islam conventionnel, populaire et classique ainsi que l’Islam chiite et les divers courants ésotériques soufis, à des formes extrêmes. Un islam fanatique et dévoyé, en grande partie extérieur à l’Islam même, et que l’on trouve habituellement désignées sous les termes de djihadisme, de takfirisme ou encore sous couvert de salafisme, Salafiya, soit l’imitation de la vie des Compagnons du Prophètes. En fait toutes ces tendances sont de nos jours autant de variantes d’une seule et même idéologie, le Wahhabisme, par ailleurs doctrine confessionnelle officielle de l’Arabie et du Qatar. Une falsification délétère de l’Islam qui tend à brouiller les cartes géopolitiques, mais surtout œuvre à devenir la nouvelle orthodoxie de l’Islam à travers le monde et à ce titre constitue une menace réelle pesant sur le monde moderne, musulman ou non. Raison pour laquelle il convient d’explorer les racines idéologiques des formations et mouvements se revendiquant du djihadisme.

Jean-Michel VERNOCHET, writer and politologue :« The  ideological Roots of the Islamic State (IS) »

 

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Maître Elie HATEM, Avocat, Professeur à la Faculté Libre de Droit, d’Économie et de Gestion de Paris (FALCO) s’est interrogé sur « La fin de Seykes-Picot? ».

L’Etat Islamique en Irak et au Levant (EIIL) a baptisé sa campagne militaire et médiatique “Destruction des Accords Seykes-Picot”. Sur le terrain, il mène des combats contre les chiites, les chrétiens, les Kurdes et déclare la disparition de la frontière entre l’Irak et la Syrie. Assistons-nous à un redécoupage du Proche et du Moyen-Orient en entités confessionnelles? Dans les années 70, au début de la guerre dans le pays du Cèdre, les médias libanais dévoilaient d’ores et déjà le projet “Kissinger”, du nom de l’ancien Secrétaire d’Etat américain de l’époque, Henry Kissinger, qui succéda à William Rogers. Ce plan prévoyait la situation qu’encourt actuellement cette région du monde. Déstabilisation du Liban, guerre irano-irakienne, invasion de l’Irak et destitution de Saddam Hussein, sanctions contre l’Iran, “Printemps arabe”, déstabilisation de la Syrie, émergence de l’EIIL et regain de la tension entre Palestiniens et Israéliens : quel lien et quel objectif?

 

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Le troisième intervenant, le professeur Jozef Antoni HABER,  Professeur Emérite à l’Université Jean MONNET en Pologne s’est intéressé à « La Globalisation de la sécurité Irakienne »

La sécurité de l’Irak entre dans le système de sécurité global. Les relations internationales du monde contemporain sont caractérisées par l’existence d’un réseau d’interdépendance complexe. L’Europe centrale et orientale a, depuis la réunification d’Allemagne et sa transformation économique et politique, en majorité adopté le point de vue stratégique atlantiste. Ce qui a eu pour conséquence l’accès à l’OTAN et la participation à la guerre contre l’Irak de Saddam Hussain.Ce processus a plusieurs conséquences d’ordre politique, militaire, économique et social. La participation à cette invasion américaine a partagé l’opinion publique. Actuellement, les mass médias sont plus occupés par le conflit entre l’Ukraine et la Russie car ce n’est pas loin de frontières de l’Europe centrale. L’Irak avec des problèmes internes est présenté comme un pays déstabilisé en conflit avec l’Etat Islamique et des forces terroristes. L’engagement en Afghanistan et la nécessité de préparer la défense contre une hypothétique agression russe empêche les Etats d’Europe centrale et orientale de s’intéresser à la sécurité de l’Irak. C’est une faute de politique étrangère non seulement de la part des Etats d’Europe centrale et orientale mais aussi de l’UE dans sa politique de voisinage européenne.

 

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Monsieur Pierre BERTHELOT, Enseignant-chercheur associé à l’Institut Français d’Analyse Stratégique et coordinateur du groupe d’études “Grande Méditerranée” à l’Institut Prospective et Sécurité en Europe, s’est penché sur la question de « L’eau, enjeu stratégique du conflit irakien ? »

Alors que la crise irakienne, que ce soit la plus récente, avec l’irruption au premier plan de l’Etat islamique, ou celle plus ancienne, qui prévaut depuis l’intervention américaine de 2003, est le plus souvent analysée à l’aune de considérations essentiellement stratégiques et politiques, elle l’est moins d’un point de vue économique et presque jamais sous l’angle hydropolitique. Or, c’est un enjeu ancien, avec des tensions récurrentes observées avec ses voisins. La récente tentative de prise de contrôle du très important barrage de Mossoul par les islamistes radicaux a rappelé que celui qui dispose de la maîtrise des eaux de ce pays en partie aride contrôle de fait le destin de l’Irak.

Il s’agira donc d’abord de rappeler l’importance de cette question, au plan régional, puisque la Turquie et la Syrie (deux pays avec lesquels les relations sont délicates) conditionnent l’acheminement des eaux du Tigre et de l’Euphrate et au plan local, avec l’assèchement d’une partie des marais du Sud du pays par Saddam, zone où la rébellion chiite s’était réfugiée. Puis, il conviendra d’évaluer les chances de voir les djihadistes s’emparer des principales sources d’approvisionnement en eau du pays, et les usages qu’ils pourraient en faire. A cet égard, il semble que la coalition internationale a pris conscience du danger puisqu’elle a soutenu le déploiement de force kurdes, hors de leur zone d’influence traditionnelle pour sécuriser le barrage que menaçait de détruire l’Etat islamique en faisant de l’eau une arme de guerre, en la rationnant ou en ne la délivrant pas dans des conditions sanitaires optimales. Enfin, les solutions que devra mettre en œuvre le nouveau gouvernement irakien pour d’une part devenir plus autonome sur le plan hydrique et d’autre part sécuriser son «  or bleu » feront l’objet d’un dernier développement. En effet, la stabilité du pays et la reconquête des territoires perdus  passe autant par la mise en place d’une nouvelle équation politique que par la promotion de conditions de vie décentes et la revalorisation de l’agriculture.

 

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Le cinquième intervenant, Général (2S) Henri PARIS, Président de Démocraties est revenu sur l’importante question de la « Géopolitique et géostratégie du Kurdistan » 

Le Kurdistan, pays des Kurdes, est une entité géographique aux contours imprécis dont l’assise territoriale s’étend sur le sud-est de la Turquie, le nord-est de l’Irak, le nord-ouest de l’Iran et le nord-est de la Syrie. Selon les interprétations, la superficie du Kurdistan irait de 503 000 km2 à 550 000 km2, la population de 23 à 30 millions. De faibles minorités kurdes existent en Transcaucasie et au Turkménistan. Les Kurdes, dans une écrasante majorité sont de confession sunnite. Une petite minorité est yezidi, une confession proche du zoroastrisme.

Le Kurdistan n’a aucune existence politique réelle, c’est un Etat virtuel : un peuple sans Etat. Il a existé une république kurde de Mahabad en 1946 et 1947, sous égide des Soviétiques.

Le traité de Sèvres du 10 août 1920 avait prévu un Kurdistan indépendant pour faire suite aux accords Sykes-Picot du 16 mai 1916. Ce traité fut corrigé par celui de Lausanne du 24 juin 1923, à la suite de la victoire de Mustafa Kemal et du renversement de la politique française. La majorité du peuplement kurde, à raison de 17 millions, se trouve en Turquie.

L’Irak, dans son système fédéral, comprend une entité territoriale kurde, divisée en deux régions, l’une centrée sur Erbil, sous égide du Parti démocratique du Kurdistan (PDK), dirigé par Massoud Barzani. La seconde, centrée sur Souleymaniyé avec l’Union patriotique du Kurdistan (UPK) dirigé par Talabani, président de la République irakienne.

L’Etat autoproclamé islamique (Daech) s’étend sur les zones kurdes en Syrie et en Irak, ce qui fait des djihadistes les ennemis objectifs des Kurdes. La stratégie des Occidentaux axée sur la destruction de l’EI, Daech, se veut basée uniquement sur des frappes aériennes.

Or, les frappes aériennes (doctrine Douet) ne sont pas valables sans action de troupes au sol, que les Occidentaux refusent de fournir. L’armée irakienne est en complète déliquescence. La seule force valable réside dans celle des Kurdes, les Peshmergas (garde nationale). L’opération est difficile à mener car les Turcs craignent qu’une autonomie kurde se renforce au point d’aboutir à une indépendance qui amputerait la Turquie de sa partie sud-est.

Le PKK, parti kurde dominant en Turquie, est hors la loi et taxé de terrorisme. Son dirigeant, Ocalan, est emprisonné depuis une dizaine d’années. Cela pose de redoutables problèmes dans la lutte contre le califat Daech autoproclamé.

 

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La sixième intervention était celle du professeur Steven EKOVICH, Professeur à l’Université américaine de Paris  qui  a intitulé son intervention « Barack Obama face à son bourbier irakien ».

Le départ des forces américaines d’Irak, en raison de l’échec de la Maison blanche à négocier un accord d’immunité, a enlevé un levier d’influence qui aurait éventuellement permis une transition plus stable en maintenant une capacité d’intervention dissuasive, ainsi qu’un moyen de pression sur le gouvernement Maliki pour mieux s’assurer un fonctionnement démocratique et inclusif.  Une des conséquences néfastes de cet échec est l’offensive spectaculaire de l’Etat islamique, qui était en mesure de rallier le désespoir de la communauté sunnite, certaines tribus, et de mobiliser les anciens officiers de l’armée de Saddam Hussein. Les atermoiements d’Obama en vue de la détérioration de la situation en Syrie ont alimenté l’élan de l’Etat islamique. Alors Obama s’est trouvé dans la situation paradoxale de soutenir en Irak un gouvernement chiite proche du gouvernement iranien. Les opérations militaires américaines en Irak se déroulent, semblent-ils, en parallèle des forces envoyées en Irak par Téhéran, sans pour autant une coordination. Le même cas de figure existe en Syrie, où la Maison blanche tente de ne pas afficher une coordination avec le régime d’Assad, tout en aidant davantage certains éléments de son opposition.  Cette situation est en train de tendre les relations avec certains alliés des Etats-Unis, comme l’Arabie Saoudite (qui était déjà inquiet de l’issue de la négociation sur le programme nucléaire iranien).  Face à une situation régionale d’une telle complexité, et dans un brouillard  stratégique d’une telle densité, Obama peine à trouver ses repères afin d’établir une stratégie régionale d’ensemble.

 

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lahcine

Le dernier intervenant, monsieur Lakdar LAHCINE, Président de l’Université de la Méditerranée en Italie a traité « Le danger sécuritaire de la Méditerranée Occidentale au Golfe Persique »

Diviser pour Régner! Le vieil adage romain fonctionne à merveille pour morceler le monde arabe: émiettement qui profite directement aux Etats-Unis d’Amérique et aux Etats Européens de l’Europe Occidentale très proche, pour empêcher que renaisse la Nation Arabe, et qu’elle devienne ensemble avec l’Iran et la Turquie la puissance émergeante de demain! C’est dans cette optique qu’il faut voir les derniers soubresauts et évènements de la guerre civile qui ruine l’Irak et la Syrie: cette dernière est reconnue pour être pilotée par les Etats ci-dessus mentionnés, qui après avoir joué aux pyromanes s’apprêtent à devenir les pompiers intéressés d’une région, qui va de la Méditerranée Occidentale au Golfe Arabo-persique, et  qu’elles ont contribué à mettre en flammes. Brasier qui risque de devenir rapidement incontrôlable sous les vents impétueux de l’islamisme politique, qui ouvre des feux sécuritaires un peu partout en Méditerranée, et jusqu’en Europe Occidentale, encore relativement épargnée!

Daesh, qu’aujourd’hui en France on juge politiquement correct de nommer ainsi est, entre  autres avatars  de la politique que mène le gouvernement des Etats-Unis d’Amérique sur l’ensemble du monde Arabe, le cancer récent  inoculé dans la Géographie du monde Arabe, en succession de la politique coloniale franco-britannique commencée  à la chute de l’Empire Ottoman en 1923, chute elle-même précédée par sa défaite militaire pendant la Première Guerre Mondiale qui donne les accords Sykes-Picot de Mai 1916, aggravés par la trahison avérée de toutes les monarchies arabes de la Péninsule Arabique créées pour  cette occasion, afin de faire oublier l’Idée de Nation Arabe.

 

dbats

Un débat général à eu lieu à la fin des interventions où la parole est donnée à nouveau à la salle afin d’échanger sur ce qui a été dit, et d’approfondir davantage certains points importants.

reveillard

Le colloque s’est achevé par la conclusion de monsieur Christophe Reveillard qui est venue reprendre les éléments clés abordés tout au long du colloque.

 

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