André PERTUZIO
Septembre 2007
« NûTRE CHINE, notre peuple chinois, notre race chinoise, ont retrouvé toute leur vitalité et les voilà à nouveau en train de gravir les marches de la scène mondiale », cette citation, tirée d’une série documentaire chinoise par l’International Herald Tribune du 9 Décembre 2006, illustre le renouveau de la Chine dans des termes que le « politiquement correct » ne permettrait pas à un pays occidental. Mais les Chinois sont,eux, fiers de leur pays. De fait, la Chine est une grande puissance, voire même depuis le Royaume de Sanxingdui. Il aura certes fallu beaucoup de temps pour que le vénérable Empire du Milieu, artisan et héritier d’une des plus grandes civilisations de tous les temps, retrouve le rang qui était alors le sien. L’ajustement au développement scientifique et technologique de l’occident auquel le Japon a été conduit par la flotte de l’amiral Perry en 1863 a été beaucoup plus lent et si Sun-Yat-Sen fut l’initiateur de la Chine moderne, ce n’est qu’après bien des péripéties et des épreuves tragiques telles que la guerre avec le Japon, la guerre civile et le régime tyrannique de Mao-Tse-Toung que la Chine s’est enfin réveillée, comme le prédisait Alain Peyrefitte il y a quelques trente ans. Deng Xiao Ping fut le rénovateur de l’économie chinoise et de son extraordinaire développement économique de type capitaliste contrôlé par la dictature communiste toujours en place, contrairement au credo des pays occidentaux pour lesquels seul un régime démocratique permet le développement économique et qui restent perplexes devant ce remarquable oxy-moron que constitue le « socialisme de marché ».
Quoiqu’il en soit, la Chine et, demain, l’Inde, seront des acteurs de poids dans le grand jeu international. Ils ont déjà modifié le paysage géopolitique et la quête d’énergie liée au développement économique.
Nous savons depuis Aristote que l’énergie c’est la vie. C’est la découverte de nouvelles sources d’énergie qui a permis les révolutions industrielles, le charbon au XIXème siècle puis le pétrole et la fée électricité qui a transformé la planète.
De grands efforts d’investissement et des progrès technologiques devront être faits pour assurer le développement énergétique mondial. C’est ainsi que, suivant l’Agence internationale pour l’Energie, les pays industriels devront investir au moins 16 000 milliards de dollars d’ici 2030 pour développer « l’outil énergétique » dont 62 % pour l’électricité – surtout les infrastructures – et 38 % pour les hydrocarbures dont 10 % pour faire de l’électricité. Or, de ces investissements totaux, la Chine seule représente 14 % !
L’exposé de M. Michel Ruche vient de nous montrer le détail de cette énorme machine énergétique qui se développe en Chine et qui, bientôt, concurrencera celle des Etats-Unis dont elle est et sera de plus en plus, par simple effet mécanique, un adversaire sur l’échiquier international.
La conclusion à tirer de la situation énergétique de la Chine et des problèmes qu’elle entraîne consiste ainsi à analyser la complexité de ces derniers et de leur environnement géopolitique.
Cette dernière discipline déborde sensiblement aujourd’hui la stricte définition des rapports entre la géographie et la politique des Etats dont l’illustration la plus connue est la célèbre expression de Michelet : « l’Angleterre est une île. Maintenant vous en savez autant que moi sur son histoire », ce qui était d’ailleurs tout à fait exact dans son principe. A l’époque de la révolution de l’information et des communications qu’est la notre s’y ajoute nombre de considérations d’ordre économique et stratégique et l’énergie constitue pour chaque grand consommateur, un paramètre essentiel. En ce qui concerne la Chine, le problème de base est simple : la consommation d’énergie primaire a doublé en 10 ans passant d’environ 800 millions de tep (tonne d’équivalent pétrole) annuellement à 1 600 millions. La conséquence en est double : d’une part développer autant que possible les sources d’énergie et la production domestique autant que faire se peut et nous avons vu les efforts inouïs faits par la Chine à cet égard avec, notamment, l’accélération de la construction d’installations hydroélectriques dont l’emblématique barrage des Trois gorges, la prospection pétrolière et gazière, les plans de développement de l’industrie nucléaire, mais tout cela ne suffira pas au développement économique et donc, énergétique, du pays dont la consommation devrait approcher vers 2030 celle des Etats-Unis. C’est évidemment en matière d’hydrocarbures que le déficit de production se fait et se fera sentir de plus en plus ! Or, les hydrocarbures et, singulièrement, le pétrole ne sont pas seulement un approvisionnement d’énergie mais constituent un élément de poids géostratégique. Les puissances dominantes sont parfaitement conscientes que les vrais enjeux sont d’ordre géostratégique et que le pétrole est donc à la fois une matière première et un levier. Considérons, car l’exemple est évident, le cas des Etats-Unis lesquels importent 60% de leur consommation énergétique et projettent leur influence mondiale dans tous les domaines .
Si l’on regarde une carte, l’on voit que désormais les Etats-Unis disposent de bases militaires depuis l’Europe centrale et, notamment, celle très importante du Kosovo opportunément débarrassé de sa population serbe et dont ils souhaitent faire un Etat indépendant « protégé », jusqu’à l’Ouzbekistan, bordant ainsi tout le flanc sud-ouest de la Russie ainsi que le Moyen-Orient et l’Asie centrale. Ce déploiement auquel l’invasion de l’Irak n’est pas étrangère, même si le succès en est fortement mitigé, permet un certain verrouillage de la région et de l’accès aux pays producteurs de pétrole, soit 60 % des réserves mondiales et plus encore avec le Kazakhstan et autres. Il permet en outre, et ceci est plus important encore, de contrôler les voies d’acheminement des hydrocarbures vers l’Occident et l’Extrême-Orient.
Les hydrocarbures sont, on le sait, l’un des paramètres qui déterminent la politique des puissances et le paysage géopolitique mais, en ce qui concerne les grands importateurs de pétrole comme les Etats-Unis ou la Chine, il peut être prédominant comme l’exposait la revue Time en mai 2003 lorsque cette revue ironisait sur les dénégations du gouvernement américain concernant les motifs d’ordre pétrolier dans la décision d’envahir l’Irak.
Sans être dans le secret des Dieux, il est par conséquent évident que la politique chinoise en matière d’hydrocarbures doit s’orienter vers la diversification de ses sources et ne pas dépendre uniquement ou principalement des fournisseurs du Moyen-Orient, zone instable par excellence et, de plus, objet de la surveillance, voire du contrôle des Etats-Unis comme nous le rappelons plus haut.
La Chine importe donc aujourd’hui au moins 50 % de sa consommation pétrolière et prépare l’importation de gaz naturel non seulement de Russie qui renferme le tiers des réserves mondiales de gaz naturel mais aussi et peut-être surtout de GNL (gaz naturel liquéfié) car, pour transporter le gaz outre-mer, il est nécessaire de construire une usine de liquéfaction et une flotte de méthaniers ainsi qu’une usine de regazéification au point de destination.
Compte tenu de la faible capacité exportatrice de l’Indonésie qui alimente le Japon de loin son premier client, la diversification chinoise se fera donc principalement en direction de l’Afrique et de l’Asie centrale, aussi en moindre mesure de l’Amérique latine.
La Chine se tourne donc en premier lieu vers l’Afrique où elle fait un grand effort en matière d’exportations couplées avec des appuis diplomatiques, notamment en Angola, grand producteur de pétrole, et vers le Soudan notamment, et plus particulièrement vers le Darfour, région pétrolifère, ce qui complique encore les problèmes que connaît la région mais auxquels la Chine reste imperméable idéolo-giquement, un pragmatisme total dirigeant ses actions. En matière d’importations de pétrole, l’Afrique assure ainsi déjà 30% des besoins de la Chine qui intervient également par la SINOPEC dans la prospection pétrolière même dans des pays comme la Mauritanie, le Mali et le Niger où les perspectives géologiques sont à priori peu attrayantes.
L’Asie centrale, particulièrement le Kazakhstan, est depuis une dizaine d’années un grand producteur d’hydrocarbures, exploitant des réserves du niveau au moins de celui la mer du Nord. La Chine a donc noué des relations avec le Kazakhstan où la CNPC (China National Oil Company) a conclu des contrats pour l’exploration et l’exploitation pétrolières au nord-ouest du pays. Mais surtout, le 4 Juillet 2002, a été signé avec le Kazakhstan un accord pour la construction d’un oléoduc de plus de 3 000 kilomètres visant le transport du pétrole vers la Chine, initialement 210 000 barils/jour soit environ 10 millions de tonnes/an. La troisième section de cet oléoduc semble aujourd’hui être entrée en service. C’est essentiellement le champ géant de Kashagan (mer Caspienne) qui est appelé, lorsqu’il sera mis en production en 2009, à fournir le brut nécessaire ce qui n’ira pas sans complications internationales : en effet, non seulement le BTC (Bakou-Tbilissi-Ceyhan) construit par les américains pour éviter la Russie et l’Iran en traversant la Turquie compte sur Kashagan pour développer sa capacité, mais également le CPC qui évacue le brut vers la Russie ! Quoiqu’il en soit, l’effort de la Chine vers l’Asie Centrale est certain et se développera dans l’avenir. Or, cette région se trouve déjà, et continuera ainsi plus encore, au cœur de la bataille du pétrole et des rivalités géopolitiques des puissances telles que les Etats-Unis, la Russie, la Chine et l’Iran.
Avec la Russie, il y a aussi des accords et l’oléoduc Kazakhstan-Chine pourrait servir pour transporter, au prix de la construction d’une bretelle, le brut que l’entreprise russe Rosneft fournit aujourd’hui par rail à la Chine. Mais les possibilités d’exportations de la Russie, bien qu’elle soit le premier producteur du monde avec l’Arabie saoudite et qu’elle exporte 5,5 millions de barils/jour soit 275 millions de tonnes/an, seront nécessairement limitées en raison de l’augmentation de ses besoins pour son propre développement économique.
Enfin, l’Amérique latine est un nouveau champ d’action diplomatique, commercial et politique pour la Chine. Ses réserves pétrolières sont en effet importantes, notamment celles du Venezuela (6,5% des réserves mondiales) avec lequel, on le sait, des accords viennent d’être signés et qui semble devoir être une pièce essentielle de la stratégie pétrolière chinoise.
Malgré cela, la dépendance de la Chine à l’égard du Moyen Orient subsiste, les principaux fournisseurs étant les Emirats, l’Arabie saoudite, le Koweït ainsi que l’Iran, au total plus de 50 % des importations chinoises de pétrole.
En conclusion, de cette brève étude qui a résumé le problème énergétique et géopolitique de la Chine en la matière, plusieurs questions se posent qui dépendent de l’évolution de la politique internationale et de la possibilité pour la Chine de soutenir son rythme de croissance économique actuel soit environ près de 10 % annuels. On prévoit en général que les besoins d’énergie de la Chine vont augmenter dans l’avenir prochain mais il ne faut pas oublier que si elle absorbe 15 % de l’énergie mondiale contre 25 % aux Etats-Unis, la consommation par habitant reste faible compte tenu de sa population de 1 milliard 300 millions d’habitants du pays et de la très grande inégalité des niveaux de vie. Mais l’histoire enseigne que le développement des pays occidentaux industrialisés prit au moins un siècle, salors même que leurs populations étaient très loin d’atteindre celle de la Chine.
En définitive, la contrainte énergétique va dominer le problème du développement économique de la Chine alors que ce pays deviendra un acteur de plus en plus influent pour les enjeux pétroliers et géopolitiques mondiaux.
* Consultant pétrolier international avec une carrière internationale de plus de 30 ans dans l’industrie pétrolière dont 20 ans au sein d’un grand groupe pétrolier français. Il a été aussi Conseiller juridique pour l’énergie à la Banque Mondiale.