L’Arctique, nouvel axis mundi ou nouvelle frontière ?

Jure Georges Vujic

Écrivain franco-coate et géopoliticien, Avocat au Barreau de Paris, il est diplômé de la Haute école de guerre des forces armées croates. Il dirige l’Institut de géopolitique et de recherches stratégiques de Zagreb (Croatie). Il est l’auteur de plusieurs livres dans les domaines de la géopolitique et de la politologie, parmi lesquels : Fragments de la pensée géopolitique (ITG, Zagreb),  La Croatie et la Méditerrannée, aspects géopolitiques (éditions de l’Académie diplomatique du Ministère des Affaires étrangères et des Affaires européennes, Zagreb, 2006), Eurasie contre Atlantisme (éditions Minerve, 2012), La modernité face à l’image – Essai sur l’obsession visuelle de l’Occident, (Ed. L’Harmattan, Paris, mai 2012). Il collabore à la revue Géostratégiques de l’Académie de géopolitique de Paris.

Résumé

La reconfiguration de la zone Arctique du fait du réchauffement climatique avec l’émergence de nouvelles routes maritimes commerciales entrainera indéniablement la mise en place et le développement acrru de la sécurisation des nouvelles routes maritimes et l’accroissement de l’importance stratégique militaire de la zone arctique. L’Arctique est devenue du fait de la non délimitation territoriale et géopolitique définitive entre les Etats riverains, le polygone d’une rivalité à la fois géopolitique, géophysique, géoéconomique et symbolique sur le plan des fameuses « guerres de représentations » géopolitiques avec la projection de fronts pionniers et d’une nouvelle frontière arctique. Mais avec la fonte des glaces et la nouvelle configuration géopolitique émergente, c’est l’avenir de la cicrcumpolarité polaire qui est en jeu, car ce sont bien les données acquises de la géographie classique qui seront remises en question par la  gestation géomorphologique de l’espace arctique et les enjeux d’une nouvelle compétition géopolitique moléculaire dans laquelle concourrent de nombreux acteurs étatiques et nonétatiques régionaux et internationaux.

Mots clefs : Arctique, frontière, réchauffement climatique, enjeux, énergie, géopolitique, routes

Summary

The reconfiguration of the Arctic region due to climate changes along with warming, and the emergence of new trade routes undoubtedly result in the establishment and development of security policies for new maritime routes and increased military strategic importance of this area. The Arctic has become – due to the non-definitive territorial and geopolitical boundaries between concerned States – a new polygon for geopolitics and geo-economic competition through the famous « war of representations » with rival geopolitical projection pioneer fronts and a new Arctic frontier. But with the melting ice and the emerging of a new geopolitical configuration, the future of polar circumpolarity is at stake, because they call in question the acquired knowledge classical geography that will be challenged by the geomorphological gestation and new issues of a new molecular geopolitical competition between numerous State and regional actors and non-State international actors.

Keywords: Arctic, border, global warming, issues, energy, geopolitics, roads and highways

Le retour de la géophysique et les effets géopolitiques du réchauffement climatique

Lorsque le 2 août 2007, une équipe de scientifiques russes plante à 4621 mètres de profondeur un drapeau russe au pôle Nord c’est un message fort qui est adressé à la communauté internationale et qui n’est pas sans rappeler la célèbre phrase de Dostoïevski « partout où les Russes posent pied, la terre devient russe », qui a tant inspiré la géopolitique pan-slaviste eurasiste et soviétique. Bien sûr, l’ensemble des autres États riverains, le Canada, le Danemark (Groenland), les États-Unis (Alaska) et la Norvège, dénonceront immédiatement cette revendication unilatérale de souveraineté russe. Car il s’agit aussi bien d’une démonstration de puissance que d’un acte véritable de revendication de souveraineté. L’Arctique est devenue du fait de la non délimitation territoriale et géopolitique définitive entre les Etats riverains, le polygone d’une rivalité à la fois geopolitique, géophysique, géoéconomique et symbolique sur le plan des fameuses « guerres de représentations » géopolitiques avec la projection de fronts pionniers et d’une nouvelle frontière arctique.

Le réchauffement climatique dans la zone Arctique génère de nouveaux enjeux économiques et stratégiques que représente l’espace circumpolaire pour les pays côtiers, ainsi que les impacts potentiels qu’ils représentent pour le milieu marin. Il ne faut pas oublier aussi les effets néfastes de la mutation climatique qui affecte inégalement les régions et leurs habitants que l’on peut regrouper dans une trentaine de peuples autochtones relativement différents, partageant une langue et une organisation similaire : l’Uralique en Scandinavie et dans l’ouest russe, l’Altaïque au centre nord de la Russie, le Chukotko-Kamchatkan, les Ketic et Yukagir à l’est, l’Aleut dans les îles pacifiques séparant l’Amérique de l’Asie, le Yupik en Alaska, le Na-Dene au Canada et l’Inuit sur le pourtour nord américain et au Groenland[1].

La fonte des glaces et de la neige qui résulte du réchauffement climatique aura un impact majeur sur la nouvelle reconfiguration maritime régionale et globale, tant sur le plan géophysique et géopolitique que sur le plan géoéconomique commercial et militaire stratégique. En effet, la disparition progressive de la glace dans certaines zones charnières ouvrira la voie à un potentiel considérable pour le transport sur les routes maritimes arctiques. Le passage du Nord-Ouest, qui relie, à travers le grand archipel canadien, le détroit de Davis dans l’océan Atlantique à celui de Béring dans le Pacifique, demeure encore impraticable sans l’assistance de brise-glaces. Avant la fin du XXIe siècle, la route sera entièrement libre pendant 120 jours par an. Le 14 septembre 2007, l’Agence spatiale européenne a rapporté que, pour la première fois depuis 1978, le passage du Nord-Ouest a pu être momentanément « pleinement navigable » durant l’été 2007. La distance entre Londres et Tokyo sera ainsi réduite d’environ 3000 milles marins (5000 km)12 via le Canal de Suez, ou de 5000 (8000 km) par celui de Panama. Ce scénario se reproduit à l’identique pour le passage du Nord-Est, qui part de l’Atlantique nord et longe la côte sibérienne jusqu’au Pacifique. Son usage diminuerait la distance qui sépare Rotterdam de Yokohama via le Canal de Suez, de 11 200 milles marins à 6500, soit un gain potentiel de 40 % de temps. Ainsi, dans le cadre de cette nouvelle reconfiguration à la fois géophysique et stratégique, les mutations climatiques par le biais de la fonte des glaces entraînera à long terme l’apparition d’une connexion directe entre le nord du Pacifique et celui de l’Atlantique[2] facilitant ainsi l’accès aux ressources des fonds océaniques. Une voie rapide est déjà à l’étude entre le port russe de Mourmansk et le port canadien de Churchill, connecté au réseau ferroviaire nord-américain.

L’ouverture d’une telle route, ajoutée aux deux passages évoqués, modifiera certainement les cartes de navigation actuelles. D’autant qu’ils sont suffisamment larges pour accueillir les cargos dits « post-Panamax ». Le détour que ces derniers opèrent actuellement par le cap de Bonne-Espérance ou le cap Horn, à cause de l’étroitesse des canaux de Suez et de Panama, ne sera plus nécessaire. En outre, les itinéraires arctiques offrent la possibilité aux appareils commerciaux et militaires d’éviter les eaux de certaines régions politiquement instables, comme au Moyen-Orient, ou celles infestées de pirates et contrebandiers, comme au sud de la Mer de Chine. La menace d’une fermeture du détroit d’Hormuz, notamment par l’Iran, aurait moins d’incidence sur le trafic (hors pétrolier) et le tarif des assurances maritimes. Les nouvelles routes arctiques qui pourraient à long terme devenir les nouvelles routes de la soie océanique du XXIe siècle disposent d’un avantage spécifique, à savoir l’essor du secteur stratégique de l’or noir. En effet, les réserves mondiales en hydrocarbures s’épuisant alors que le prix du baril varie en sens inverse, les effets du réchauffement climatique sont paradoxalement attendus, voir souhaités, en Arctique. Il est clair que du fait de l’accessibilité des routes maritimes arctiques, on escompte que ces importants gisements seront bientôt exploités, ce qui aura un impact majeur sur la réorientation stratégique des politiques économiques et de défense dans la région.

 

 

 

 

 

 

L’isotherme à 10°C du mois de juillet (ligne rouge) définit la limite de la région arctique

 

 

 

 

 

 

Image satellite de la région arctique

Vers une nouvelle reconfiguration polaire

La reconfiguration de la zone Arctique avec l’émergence de nouvelles routes maritimes commerciales entrainera indéniablement la mise en place et le développement acrru de la sécurisation des nouvelles routes maritimes et l’accroissement de l’importance stratégique militaire de la zone articque.

En effet, l’Arctique a présenté un intérêt stratégique majeur pendant la Guerre Froide, constituant la plus courte distance entre les deux superpuissances. L’Alaska américain est en effet voisin de la Sibérie et du Kamtchatka russes. Parmi les États circumpolaires, seuls la Suède et la Finlande demeuraient neutres. L’Organisation du Traité de l’Atlantique Nord, (OTAN) qui réunit le Canada, le Danemark, les États-Unis, l’Islande et la Norvège faisait face au Pacte de Varsovie de l’URSS[3]. L’avènement des missiles intercontinentaux et de la bombe nucléaire fit du pôle Nord un point inhabituellement chaud, participant à l’équilibre de la terreur. De cet emplacement géographique, toutes les grandes capitales de l’hémisphère nord sont à portée. C’est pourquoi, sous la banquise environnante naviguaient les sous-marins nucléaires lanceurs d’engin (SNLE). Les Los Angeles puis les Seawolf de l’United States Navy côtoyaient les Typhoon et Delta soviétiques. La chute de l’URSS et le démantèlement de plusieurs de ses appareils ont entraîné une baisse de tension, mais elle n’a pas disparu. Les patrouilles, même moins nombreuses, continuent. De chaque côté, les deux Grands ne cherchent plus tant à se maintenir mutuellement en respect qu’à se préserver des nouvelles menaces, qui vont s’accroître au fur et à mesure de la fonte des glaces. Leurs rives seront bientôt accessibles par des bateaux ou sous-marins ordinaires. L’apparition des eaux internationales devrait rendre la traversée possible à des bâtiments militaires de nationalité extra-circumpolaire, obligeant les États riverains à maintenir (ou (re)développer) un système de défense au nord, tout en permettant à ceux qui ne disposent pas d’appareils de classe polaire d’intégrer l’Arctique dans leur stratégie de dissuasion nucléaire, avec capacité de frappe en second. Les États-Unis pourraient être directement visés par l’Alaska ou indirectement par le Canada, rempart qui sera nettement moins performant si ses eaux sont empruntables. Washington, bien plus que Moscou, peut craindre un afflux d’immigration clandestine, non plus à la frontière mexicaine, mais à celle du Canada. Le continent nord américain sera aussi plus perméable aux incursions terroristes, d’où le renforcement de ses bases polaires par de nouveaux radars. Le réchauffement climatique met à mal l’isolement stratégique dont a souvent bénéficié la région. La sécurisation des côtes impliquera la multiplication des manoeuvres de surveillance navales et aériennes  augmentant encore les risques de pollution en Arctique.

 

 

 

 

À ce nouveau retour du facteur géophysique se superpose paralèllement une dimension prospective qui conjugue trois facteurs géopolitiques fondamentaux : présence, influence, puissance[4]. Du fait de l’importance majeur énergétique maritime et militaire de la zone arctique, les États les plus modestes (Islande…) ainsi que  les plus éloignés (Japon, Corée du Sud…) ou les moins bien dotés en moyens (Singapour…) voudront  marquer leur présence et participer aux grands enjeux de l’Arctique. Dans le cadre la multipolarisation accrue des relations internationales dans lesquelles les Etats-Unis ne sont plus la tête mondiale, les pays émergents et surtout la Chine entendront exercer leur influence dans la zone Arctique, en important corrélativement dans le bassin arctique leurs rivalités géopolitiques asiatiques. D’autre part en terme de puissance, les quatre des cinq pays riverains (Russie, États-Unis, Canada, Norvège) resteront essentiels alors que le Groenland, lui aussi riverain, redeviendrait le porte-avions américain qu’il a toujours été depuis la guerre ou, au pire, sera absorbé  par les zones d’influence étrangeres. Sur la zone Arctique enfin se greffe le vieil antagonisme Est-Ouest, ou plutôt américano-russe. Même si les Etats Unis maitrisent encore le contrôle sur les mers, leur role d’acteur central du monde (l’Alaska a un intérêt mineur pour les Etats Unis qui s’opposent au Canada quant au statut juridique de la route du Nord-Ouest), s’affaiblit progressivemnet au profit de son rival russe qui de par son histoire et sa géographie a aujourd’hui les moyens de mettre en œuvre sa volonté néoimpériale dans la région articque. En effet, en raison de son indépendance énergétique et financière, la Russie a les moyens de jouer le fauteur de troubles dans le cadre du jeu collégial en Arctique (club des Cinq pays riverains) ainsi que de perturber le jeu de la coopération internationale, afin de réaliser ses intérêts stratégiques dans la région, d’autant plus qu’elle se fait l’allié des pays asiatiques qui investissent progressivement l’Arctique, sans parler de l’absence de politique communautaire européenne dans cette région.

Vers une nouvelle hiérarchisation géopolitique polaire ?

En matière de géoéconomie et de géopolitique, l’ensemble des activités sociales, économiques ou politiques s’articulent autour de pôles, de centres ou de noeuds qui sont des points de jonction, de coordination dans le cadre de réseaux. L’ensemble des espaces « forts » polarisés, est structuré en fonction de pôles émetteurs-récepteurs. Le  « pôle » correspondant à « un point attractif », on parlera souvent donc en termes de « polarisation » pour expliquer « l’attraction d’un lieu », d’un espace donné par un pôle qui est un centre qui attire vers lui les flux économiques, humains, énergétiques ou tout simplement « l’attention »[5]. Généralement, les  éléments d’un espace géopolitique sont reliées entre eux par des relations dissymétriques, non égalitaires dans le cadre d’un système hiérarchique qui lui-même est hiérarchisé en fonction de polarisation. Une acception classique du terme de polarisation renvoit donc à la concentration de matière et d’« énergie ». La polarisation est l’attraction qu’exerce un lieu sur un espace plus ou moins étendu et hétérogène et qui se trouve dans une situation de dépendance à l’égard de ce centre. L’espace est comparé à un champ magnétique dans lequel un lieu, assimilé à un pôle (généralement une ville ou une région) exerce une aimantation proportionnelle à sa population, à ses activités ou à ses équipements. Une seconde approche de la polarisation ajoute à l’attraction l’effet d’entrainement du pôle sur le développement d’un ensemble régional.

Nouvelle dynamique centripète/centrifuge

L’espace arctique en raison de son intérêt géostratégique pour le contrôle des mers, des passages et de détroits océaniques a toujours gardé une signification « polaire » au sens  « attractif » du terme, c’est à dire qu’il a toujours suscité des rivalités territoriales et géostratégiques dissymétriques entre plusieurs acteurs, mais d’une façon centripète, en ce sens que du fait de l’éloignement et de l’hostilité naturelle et climatique de l’espace arctique, le contrôle de cet espace a toujours servi « d’anneau  de sécurité » et de cordon périphérique maritime du « Grand Nord », pour mieux maximiser et de sécuriser l’Hinterland  continental, la masse centrale et continentale du « heartland » eurasiatique[6]. Cette dynamique centripète  du pôle renforçait en quelque sorte la dynamique géopolitique centrifuge du « Heartland ». Avec le phénomène de fonte de glace et du réchauffement climatique, la polarisation de cet espace, qui avec le temps se rapprochera des blocs continentaux de la « terre ferme », favorisera une dynamique inverse cette fois centrifuge, dans le cadre de laquelle l’accroissement des intérêts et des activités géoéconomiques et énergétiques, cumulé avec le phénomène de « familliarisation » et de proximisation de cet espace, ouvriront la voie vers une convergence accru vers le pôle, en tant que nouveau centre de l’extrême-périphérie.

En raison de la prolifération de niveaux d’agglomérations urbains, de concentration des activités dans le milieu urbain (le phénomène des mégalopoles, de « métropolisation «  et des « edge cities », des ports « gateway »), il n’est pas à exclure que la nouvelle polarisation de l’espace arctique en raison de l’accroissement de son rôle énergétique et géoéconomique, engendre une nouvelle forme de hiérarchisation, voir une nouvelle forme d’interaction entre l’espace arctique et les centres, les noeuds urbains et portuaires littoraux reliés à leur aire d’influence. Ainsi l’évolution géomorphologique et la reconfiguration territoriale de l’espace arctique en raison de l’influence du réchauffement climatique, suppose de penser l’avenir de  cet espace non seulement en terme spatial et territorial, mais aussi en terme de ce que l’économiste François Perroux nomme la « forme non spatialisée », en terme de pôle de croissance[7]. Les relations entre le pôle et l’espace qui l’entoure peuvent être pensées en termes de gravité. Le modèle de William J. Reilly (1931), a été élaboré en comparaison avec la théorie de la gravitation de Newton. Selon ce modèle l’intensité de l’attraction et donc des interactions géographiques décroit en fonction de la distance, très fréquemment sous la forme d’un gradient. La nouvelle reconfiguration spatiale et géoéconomique de l’espace Arctique pose indéniablement la question de la mutation du centre gravité en matière géopolitique, généralement partagé entre les axes Nord-Sud, Est-Ouest[8]. En effet avec le rapprochement de l’espace arctique et des pôles continentaux ainsi que l’intensification des transports commerciaux maritimes inter-océaniques, on peut anticiper la croissance de l’intensité de l’attraction de cet espace en tant que nouveau facteur de hiérarchisation spatiale au fur et à mesure de l’abolition de la distance entre la région polaire et arctique avec les régions continentales. Et c’est la raison pour laquelle on peut parler de l’émergence d’une nouvelle frontière, un nouveau front pionnier en voie de gestation pouvant devenir un nouvel « axis mundi polaire ».

 

 

 

 

La nouvelle frontière et et l’avenir de la circumpolarité

L’Arctique est une région du monde particulièrement sensible au réchauffement climatique qui entraîne surtout un recul des glaciers et de la banquise. Ce phénomène ouvre de vastes espaces océaniques pris auparavant par la banquise. De nouvelles routes commerciales, promises à un bel avenir, s’ouvrent progressivement : les mythiques passages du nord-ouest (le long des côtes américaines) et du nord-est (le long du littoral russe), autrefois impraticables sauf avec les brise-glace à propulsion nucléaire soviétiques. Ils permettent de relier le Pacifique et l’Atlantique sans passer par le canal de Suez. Avec le désenclavement (la meilleure accessibilité) des régions arctiques, la zone apparaît de plus en plus comme un front pionnier à aménager et à mettre en valeur, d’autant qu’elle possède des ressources naturelles convoitées.

Le réchauffement climatique  dans la zone Arctique génére de nouveaux enjeux économiques et stratégiques que représente l’espace circumpolaire pour les pays côtiers, ainsi que les impacts potentiels qu’ils représentent pour le milieu marin. Les espaces circumpolaires de l’Arctique, définis comme étant les territoires situés au nord du cercle arctique (66ème degré de latitude), constituent encore des fronts pionniers parmi les plus riches en ressources naturelles de la planète. Depuis l’épopée de la ruée vers l’or du Klondike les convoitises pour les espaces nordiques de l’hémisphère nord se sont manifestées avec une grande ampleur à partir de la seconde partie du XXème siècle. Une poussée intensive vers les gisements d’hydrocarbures et l’énergie hydraulique a conduit à la mise en valeur de plusieurs sites en Alaska, au Canada, en Scandinavie et en Russie. Le développement des gisements de pétrole et de gaz dans la mer de Beaufort ont été rendus possibles en raison de la hausse des prix mondiaux de cette ressource et donna lieu à la construction du pipeline de l’Alaska au début des années 1970 entre Prudhoe Bay et Valdez[9]. Il en fut de même au Québec avec la mise en valeur d’une partie non négligeable du potentiel hydraulique. En outre, la réalisation de ces projets a fait prendre conscience que la mise en valeur de ces zones de richesses risquait de se faire au détriment du milieu biophysique et du mode de vie des peuples du Nord. C’est à ce moment-là que les premières études d’impact environnemental, économique et social ont pris naissance permettant ainsi de recourir à des mesures de mitigation et de surveillance appropriées.

 

 

 

 

 

 

La géopolitique du Grand Nord circumpolaire n’est pas réductible au format ni aux objectifs du forum intergouvernemental du Conseil Arctique pourtant identifié comme le forum référent, d’un point de vue politique et scientifique. Au-delà de cette structure de coopération régionale unique en son genre par l’inclusion notamment des représentants des peuples autochtones de l’Arctique, il importe d’identifier les enjeux et les défis qui se posent dans cet espace marin appelé à se libérer des glaces pendant l’été, ainsi que les acteurs étatiques, économiques et sociaux directement ou indirectement en cause. Les enjeux géopolitiques qui caractérisent la région de l’Arctique sont véritablement de nature circumpolaire et mettent en évidence les intérêts à la fois concurrents et complémentaires des huit États qui bordent l’océan Arctique : le Canada, le Danemark (Groenland), les États-Unis, la Finlande, l’Islande, la Norvège, la Russie et la Suède.

La position géographique inédite et singulière à la fois de l’espace arctique, se caractérise par sa circumpolarité : au pôle Nord, toutes les étoiles de déclinaison positive sont circumpolaires, alors qu’il n’existe aucune étoile circumpolaire à l’équateur. Région mouvante par excellence, cet espace est aujourd’hui le vecteur d’une nouvelle géographie molaire oú convergent de nombreuses unités de concentration géophysiques et energétiques, qui font l’objet d’une nouvelle compétition croisée géopolitique moléculaire dans laquelle concourent de nombreux acteurs étatiques et nonétatiques régionaux et internationnaux. La transformation géomorphologique de la région arctique rend compte de la vulnérabilité des données géographiques déterministes et statiques de la science géographique  et nous  conduit à réfléchir sur le devenir des espaces « mouvants » de cette « spatialité feuilletée »  évoquée par Gilles Deleuze et Felix Guattari[10] et de la contingence moléculaire de la géographie. À long terme, la fonte des glaces tracera de nouvelles voies et de nouveaux espaces fluides « perpendiculaires » et « transversaux » qui surgissent d’une nouvelle sédimentation territoriale remettant en cause les modèles binaires de l’axialité géopolitique classique et la suprématie de l’axe Est-Ouest.

Bibliographie et Littératures Associées

– Antonioli Manola, Géophilosophie de Deleuze et Guattari, L’Harmattan, 2003

– Beauregard-Tellier Frédéric, L’Arctique : Les hydrocarbures, PRB 08-07F, Ottawa, Bibliothèque du Parlement, 2008

– Bellayer Roille Alexandra, « Les enjeux politiques autour des frontières maritimes », CERISCOPE Frontières, 2011

– Boudeville Jacques, Aménagement du territoire et polarisation éd. Génin, 1972

– Canobbio Eric, Mondes arctiques, miroirs de la mondialisation, Paris, La Documentation française, coll. « Documentation Photographique »,‎ 2011

– Côté François et Dufresne Robert, L’Arctique : Les revendications juridiques du Canada, PRB 08-05F, Ottawa, Service d’information et de recherche parlementaires, Bibliothèque du Parlement, 24 octobre 2008

– Eiffling Vincent et Struye de Swieland Tanguy : L’Arctique : nouvel eldorado ?, Universite catholique de Louvain, Note d’analyse n°15, mars 2011

– Garcin Thierry, Géopolitique de l’Arctique, éd. Economica, mai 2013

– Pooter Hélène De, L’emprise des Etats côtiers sur l’Arctique, Paris, A. Pedone,‎ 2009

– Rekacewicz Philippe, « Géopolitique de l’Arctique : La course pour les ressources », Cartographier le présent : L’énergie du XXIe siècle : Enjeux, défis et perspectives, 19 octobre 2007

[1] La géopolitique de l’Arctique face au réchauffement climatique, Cahiers Thucydide :

http://www.afri-ct.org/IMG/pdf/Cahier_Thucydide_05.pdf

[2] voir « Warming ‘opens Northwest Passage’ », BBC news, 14 septembre 2007 :

http://news.bbc.co.uk/1/hi/world/americas/6995999.stm

[3] Scott G. Borgerson, « Arctic Meltdown, The Economic and Security Implications of Global Warming », Foreign Affairs, vol. 87, n° 2, mars/avril 2008, <http://www.foreignaffairs.org/20080301faessay87206/scott-g borgerson/arctic-meltdown.html> ; Viviane du Castel, La mer de Barents : « vers un nouveau Grand jeu ? », IFRI, octobre 2005

[4] Voir Thierry Garcin, Géopolitique de l’Arctique, éd. Economica, mai 2013.

[5] Cette seconde approche est imputable aux travaux de deux économistes F. Perroux et J.R. Boudeville. Le premier a proposé en 1955, un concept non spatialisé de pôle de croissance. Ce concept en rupture avec les théories de l’équilibre néoclassique, montre que des investissements sectoriels sélectifs sont susceptibles de créer des mécanismes multiplicateurs de croissance. L’application spatiale de ce type de théories a été développée au niveau régional à travers les échanges interindustriels par J.R. Boudeville (1972). Avec les thèses de M. Rochefort, de R. Dugrand et J. Labasse puis par les travaux sur l’armature urbaine de Hautreux et Rochefort (1963), la géographie a utilisé indistinctement les deux filiations. Elle a notamment poursuivi dans cette voie, en géographie régionale, où l’on doit à E. Juillard le concept de « région polarisée » (1962) et à P. George (1967) une présentation de l’hexagone opposant les « espaces polarisés » à « l’inorganique ».

[6] En effet, selon le geopoliticien britanique H. Mackinder le Heartland se trouve au centre de « l’Île monde », s’étendant de la Volga au Yangtze et des Himalayas à l’Arctique.

[7] Voir aussi Jacques Boudeville et son ouvrage Aménagement du territoire et polarisation éd. Génin, 1972

[8] Il existe des scenarii de simulation de la géostratégie contemporaine sur la fonte de la banquise de l’Arctique en vue de développer le commerce par l’océan Arctique.

[9] http://en.wikipedia.org/wiki/Trans-Alaska_Pipeline_System)

[10] Manola Antonioli, Géophilosophie de Deleuze et Guattari, L’Harmattan, 2003.

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