Général (2S) Henri Paris
Président d’honneur de DÉMOCRATIES
Résumé
La politique de la France au Moyen-Orient est un exemple frappant d’un chaos politique. Il y a eu une politique déterminée du temps du général de Gaulle et de ses successeurs immédiats. Il faudrait qu’un tel impératif retrouve droit de cité et soit appliqué. Quel que soit le mode et le contenu de cet impératif !
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De toujours, la France s’est intéressée au Moyen-Orient. L’histoire retient l’héritage de Rome faisant de la Méditerranée, Mare Nostrum, et Charlemagne envoyant une ambassade à Haroun al Rachid. L’expédition d’Egypte de Bonaparte à la fin du XVIIIème siècle n’allait pas rester sans lendemain. L’implantation française en Algérie, quelque 125 années, ne disparaît pas sans laisser de traces persistantes. De même que l’émigration de quelque 5 millions de Maghrébins installés durablement en France métropolitaine allait infléchir de sa marque la manière de vivre du peuple français, en dehors d’une empreinte sur la cuisine française, objet imprescriptible de la fierté nationale. Est-ce la seule qui lui reste désormais d’une manière stable ?
Le terrorisme qui ravage la France dans la dernière partie du XXème siècle et le début du XXIème siècle, est un avatar de la politique française au Moyen-Orient, avatar net et précis dû à des actions directes provoquées par l’alliance avec les Etats-Unis et l’appartenance au Conseil de Sécurité (CS) de l’Organisation des Nations Unies (ONU)
Le XXème siècle finissant avait connu l’éclosion d’un mouvement révolutionnaire nouveau mêlant l’idéologie laïque et religieuse du monde musulman, le nationalisme et la croisade religieuse. L’emprise religieuse, pourtant, l’emportait impérieusement sur le nationalisme au début du XXIème siècle, menant une guerre implacable contre les Occidentaux et leurs alliés arabes et musulmans, surtout arabes. Les mouvements religieux révolutionnaires ne provenaient pas d’un phénomène nouveau, le wahhabisme en est un exemple patent ; différentes tendances dans le Maghreb et en Afrique sub-saharienne depuis l’arrivée des Occidentaux, d’abord en groupes disséminés occupant des comptoirs sur les côtes océaniques, à partir du XVIIème siècle, puis en masse plus compacte à partir du XVIIIème siècle et encore plus au XIXème siècle, en liaison avec l’esclavagisme et le colonialisme.
Le Moyen-Orient avait bien connu des révoltes contre l’occupant occidental pour de multiples raisons : nationalisme, indépendantisme, désir de s’approprier les ressources pétrolières… La majorité de ces révoltes avaient été écrasée, jusqu’à la vague d’indépendantisme qui secoua l’ensemble du Moyen-Orient au lendemain de la Seconde Guerre mondiale.
La transposition en France du conflit moyen-oriental
Au début du XXIème siècle, apparut un phénomène totalement nouveau. Les conflits qui avaient troublé le Moyen-Orient par l’invasion des Européens se transportèrent en France même. Des essais de terrorisme prirent naissance à la fin des années 1990. A bien remarquer que durant la guerre d’Algérie, l’affrontement restât circonscrit au territoire algérien. Tout export de la guerre fut banni par le Front de libération nationale (FLN). Il s’agissait d’obtenir l’indépendance à l’état pur et, dans ce but, il était exclu de dresser l’ensemble de la population française contre le FLN, en faveur des partisans de l’Algérie française, objectivement. Bien au contraire, il s’agissait d’obtenir la complicité tacite de la population métropolitaine, aux côtés de l’insurrection.
Au XXIème siècle, la politique française se heurte à un adversaire qui adopte une nouvelle forme de guerre, avec des buts différents. A une politique française qui ne déroge pas dans ses moyens utilisés ni dans les buts poursuivis, répond un autre système de combat et d’autres objectifs.
Un nouvel organisme est né, Daech, l’Etat islamique, qui prétend ressusciter le Califat avec une emprise territoriale qui est la même qu’au VIIIème siècle. Daech se veut strictement orthodoxe quant à ses modalités de vivre tant intrinsèquement que vis-à-vis de la loi appliquée sur les territoires conquis. La loi est d’une rigueur absolue et est un sujet d’épouvante par son intransigeance et son âpreté. Elle joue aussi bien dans le comportement quotidien, le plus visible, que dans la conduite de l’Etat. L’ennemi est désigné sans ambages : « les juifs, les croisés et les musulmans renégats ». Sont renégats les musulmans qui s’opposent à Daech puisque cet organisme détient la Vérité, la seule révélée par Dieu. S’opposer à Daech est lutter contre Dieu : le mot d’ordre est assez simple.
Les moyens employés pour la lutte sont aussi assez simples : la conquête territoriale et le terrorisme. Le terrorisme est un concept mûrement réfléchi et n’est pas la traduction d’une barbarie intégrale et forcenée. Il vise à déstabiliser l’Etat adverse, à le plonger dans la guerre civile. L’acte terroriste ciblé se comprend de lui-même. Le terrorisme aveugle du type de l’action menée contre le Bataclan vise à frapper les ennemis désignés qui se réunissent en un lieu où est répandue la dépravation. Donc, les victimes encourent justement la punition de Dieu et Daech est très simplement le bras temporel d’Allah. Par ailleurs, les pouvoirs étatiques cherchant la défense et étant poussés en cela par l’opinion publique, se livrent à une recherche acharnée. L’état d’urgence proclamé en 2015 sur toute l’étendue du territoire français et prolongé depuis, n’en est qu’un exemple.
Il y a cependant plus nocif au plan des libertés publiques, collectives et individuelles. L’un des moyens de lutte contre le terrorisme est le renseignement. Il doit être mené sans relâche, avec méticulosité et s’attacher à toutes les fautes de la société. En effet, le terroriste, le djihadiste, s’il concerne en majorité les islamistes, a contaminé les populations de souche européenne. Certes, en petit nombre, mais suffisant pour alimenter les effectifs terroristes conséquents. Il est possible de trouver cela étonnant, mais il est peu étonnant de constater des cas de conversion de chrétiens ou de juifs à l’Islam. A partir de là, manque un pas de plus, au plan mental, un petit pas, pour adhérer au djihadisme. La crise de la société occidentale, particulièrement en perte de valeurs idéologiques, y est pour beaucoup et explique le phénomène. André Malraux, en son temps, avait exprimé que « le prochain siècle sera religieux, spirituel ou ne sera pas ». Selon une autre version, il aurait exprimé plus précisément que « le XXIème siècle sera mystique ou ne sera pas ». En revanche, sans discussion, il n’est pas le seul à avoir signalé que « l’homme ne vit pas que de pain » et qu’une idéologie transcendantale était indispensable à l’homme. Daech vient à point nommé pour combler le vide.
Il est tout aussi étonnant de considérer l’armement et l’équipement militaire de Daech. Les djihadistes ont tenu une véritable ligne de front contre les troupes de Bachar el-Assad ou les insurgés, avec du matériel blindé, dont des chars, de l’armement anti-char et anti-aérien. Tout aussi étonnant que les djihadistes sachent s’en servir correctement tant au plan individuel que collectif. Qui est le fournisseur et l’instructeur ? Quelques recherches et réflexions amènent à penser que sont en cause les Saoudiens et les Qataris.
Daech ne faisait pas autre chose que de vouloir contrôler une partie du territoire, en l’occurrence au moment de sa plus grande expansion, une part du sud de la Syrie et du centre de l’Irak avec des visées très nettes sur Kirkouk et Mossoul. Daech prenait exemple sur tous les mouvements révolutionnaires, cherchant à se tailler un territoire à occuper, puis à agrandir, puis à y installer un gouvernement provisoire. Ce n’est pas pour rien que la traduction d’Al Qaïda est « la base ». Cela signifie le même concept.
Américains et Russes, entraînant les Français finirent par affaiblir les djihadistes et ces portions de territoire disparurent de leur emprise, tout autant que l’enclave libyenne. Daech en fut réduit à reprendre son combat de guérilla et son terrorisme.
La permanence du conflit israélo-arabe
Le Moyen-Orient ne peut connaître la paix tant que durera le conflit israélo-arabe et aucun signe prémonitoire de sa conclusion n’apparaît. Il semblerait que le monde soit condamné à vivre avec cette verrue qui prolifère selon les circonstances, mas sans espoir de guérison.
Du temps de la IVème République, rejetant une politique arabe qui plongeait ses racines dans l’expédition d’Egypte de Bonaparte et dans l’occupation de l’Afrique du Nord, la France soutenait Israël. Mais une mesure telle que la France était devenue le principal fournisseur d’armes d’Israël et alla même jusqu’à l’initier au système nucléaire militaire.
En 1958, l’arrivée au pouvoir du général de Gaulle changea la distribution des cartes. Le gouvernement français, à la suite de la rapide victoire israélienne en juin 1967, vota, le 22 novembre 1967 la résolution 242 du CS qui soulignait le droit d’exister de tous les Etats de la région, y compris Israël, mais ordonnait le retrait de tous les territoires conquis lors de l’offensive. Il ajoutait cette phrase qui fera et fait toujours scandale lors de sa conférence de presse du 27 novembre 1967, qualifiant les Israéliens d’être « un peuple d’élite, certes », mais, de plus, « sûr de lui et dominateur ». En outre, il définissait sans ambages la politique française à l’égard des Arabes, soulignant la nécessité d’un rapprochement avec le monde arabe, rapprochement qui « doit être aujourd’hui une des bases fondamentales de notre action extérieure ». Son deuxième successeur, Valéry Giscard d’Estaing fit voter la France pour l’admission à l’ONU de l’Organisation de Libération de la Palestine (OLP). L’OLP, de surcroît, dans une logique absolue, fut autorisé à ouvrir un bureau à Paris. Valéry Giscard d’Estaing poursuivit son action en faisant accepter aux Européens la Déclaration de Vienne, proclamant le droit à l’autodétermination de la Palestine.
François Mitterrand fut plus circonspect et adopta une politique attentiste avec laquelle Jacques Chirac rompit en 1995, dès son accession au pouvoir. Le président Chirac proclama vouloir donner à la politique palestinienne de la France un « élan nouveau, dans la fidélité aux orientations voulues par son initiateur, le général de Gaulle ».
Basés sur la non-ingérence des grandes puissances, l’affirmation de l’indépendance des peuples, le choix des peuples à disposer d’eux-mêmes, et le recours aux organisations institutionnelles régionales, ces principes étaient au service de deux objectifs : le processus de paix et l’instauration d’un système de partenariat euro-méditerranéen, marqué par le processus de Barcelone.
Jacques Chirac fut gêné par un antisémitisme qui survint en France, d’une manière quelque peu significative, à partir de 2000, en concomitance avec la « deuxième intifada », ce qui l’amena à se rendre aux Etats-Unis afin de rencontrer les éléments marquants des grandes organisations juives et remania le corps diplomatique en liaison avec Israël, dont l’ambassadeur Jacques Huntziger qui avait une ascendance juive et un parent qui avait signé l’armistice de 1940. L’assassinat de Rafic Hariri conduisit à la rupture des relations diplomatiques avec la Syrie.
Cependant, la réalité oblige à reconnaître, contrairement à l’option de Chirac, que la décision se trouvait à Washington et non à Paris et à Bruxelles. La France persista dans sa politique, reconnaissant Yasser Arafat en tant que représentant de la cause palestinienne, envoyant périodiquement ses diplomates s’entretenir avec lui. De plus, il fut très souvent accueilli à l’hôpital du Val de Grâce pour recevoir des soins suivis. Il est d’ailleurs mort en France, en novembre 2004, à l’hôpital miliaire de Percy.
A la lumière des réflexions tirées de ses prédécesseurs, Nicolas Sarkozy, a recherché un équilibre plus stable en faveur de la position française vis-à-vis d’Israël. Ce faisant, il a adopté une position de courtier de commerce itinérant, à défaut de passer pour un intermédiaire impartial. Le trait est à peine forcé. Quels que soient les tentatives de rapprochement tentées par le président Sarkozy, elles aboutirent à des échecs. Les élections israéliennes amenèrent au pouvoir un Premier ministre se refusant à la reconnaissance d’un Etat palestinien. François Hollande n’emprunta pas un autre chemin que celui de Nicolas Sarkozy, ce qui fait que la situation restera invariable. Le rôle de médiateur qu’aurait voulu jouer Hollande échoua.
La France, dans le conflit israélo-palestinien, ne joua pas un grand rôle et ce n’est pas son jeu diplomatico-militaire en Syrie et en Irak dans la deuxième décennie du XXIème siècle qui changera quoi que ce soit.
La politique française dans les pays de vieille présence : Liban, Syrie, Egypte, Turquie, Libye
La donne a complètement changé dans la région de ces pays. La Russie a fait une entrée fracassante dans les relations internationales de la région. Il en est de même de la Turquie, mais avec une autre caractéristique. En 2016, l’échec du coup d’Etat se réclamant de l’armée et du kémalisme, a précipité le pays dans l’instabilité. Le problème kurde en rajoute à cette instabilité qu’Erdogan pense étouffer par une répression accrue qui lui vaut l’hostilité des Etats-Unis.
Dans les années 1980, la France s’est retrouvée en proie à une vague d’attentats due à ses prises de position intrinsèque et à son alliance avec les Etats-Unis. L’ambassadeur Louis Delamare est assassiné le 4 septembre 1981 par une faction libanaise du chiisme Amal avec la complicité de Téhéran. La rue des Rosiers à Paris, un haut lieu de la présence juive, est le théâtre d’un attentat, le 9 août 1982 A Beyrouth, un attentat suicide contre l’immeuble « le Drakkar », cause la mort de 58 soldats français, tandis que le même jour, le même système amène le décès de 241 soldats américains, le 23 octobre 1983. L’épisode conduit au retrait des Occidentaux du Liban, ce qui n’est certainement pas en leur honneur, mais souligne le danger d’une intervention à terre des troupes.
Ainsi se trouvaient inaugurés la période et le système des assassinats suicides ou kamikazes qui sera repris comme mode systématique par Daech.
Le président Mitterrand dans son désir de paix décida du retrait français du Moyen-Orient. Il fallait faire face à l’hostilité de la Syrie et de la Libye, causée par sa politique tchadienne. C’est ce qui explique le rôle modéré de la France dans la conclusion des accords de Taëf en 1990, accords qui consacrèrent le protectorat syrien sur le Liban.
Les Français ne tardèrent pas à s’apercevoir de leur erreur en renversant Muammar Kadhafi qui avait obtenu le pouvoir grâce à un coup d’Etat et une lutte acharnée contre la corruption. Il gouvernait en tyran. Pourtant, les Français l’avaient trouvé d’assez bonne composition pour nouer avec lui différends accords commerciaux. S’appuyant sur différentes tribus en état de révolte larvée, dans la foulée des printemps arabes, les Français soutinrent les insurgés, les tribus coalisées. Les Français agirent par appui aérien. Cela conduisit les insurgés à l’emporter sur Kadhafi et à l’exécuter dans des circonstances assez atroces. La guerre civile ne cessa pas pour autant. L’est et l’ouest continuèrent la lutte entre eux, ce qui permit à Daech de s’emparer du centre du pays et d’engager le conflit contre les tribus de l’ouest essentiellement, après avoir mis sur pied un gouvernement tyrannique conforme à leur vision de la charia. Le 27 août 2016, les tribus finirent par s’emparer de Syrte, situé au centre du pays que les djihadistes avaient érigé en capitale de l’Etat. Les survivants, la majorité des djihadistes disparut en se fondant dans la population où sa poursuite était difficilement réalisable, avec une chance raisonnable de succès.
Avec la perte de Syrte, le dernier bastion étatique de Daech avait chuté. Daech n’avait plus qu’à se réfugier dans le terrorisme pour continuer sa guerre.
Les relations avec le Liban étaient précédemment repassées au beau fixe tandis que le président syrien Bachar el-Assad fut invité par le président Sarkozy à assister au défilé du 14 juillet 2008 avec en réponse une invitation du président Sarkozy à Damas. Ainsi, la Syrie est aidée par la France à sortir de son isolement diplomatique, mais en contre-point, Paris s’attire l’hostilité de l’Arabie Saoudite.
Les relations de la France avec l’Egypte s’arrangent, au point de devenir quasi-cordiales avec le président Hollande après le coup d’Etat militaire.
En revanche, la Syrie est la proie d’une insurrection armée qui provoque une guerre civile avec la participation active d’une partie de l’armée contre les Alaouites, dont font partie les tenants de Bachar el-Assad qui tente de juguler par la force l’insurrection en employant des méthodes d’une brutalité sans exemple.
La Russie intervient dans le conflit aux côtés de Bachar el-Assad. Elle tend, entre autres, à vouloir conserver ses bases, navales et terrestres à Tartous, aérienne dans l’intérieur du territoire, en projet à Hmeimin dans la province de Lattaquié et terrestre à Pamir. C’est à partir de sa base aérienne qu’elle bombarde les positions des insurgés et qu’elle soutient les légalistes de Bachar el-Assad.
La Russie est en passe de devenir un acteur majeur en Syrie, en août 2016. Elle lance des raids aériens à partir de l’Iran. Le président Poutine organise une réconciliation avec le président Erdogan, alors que les relations étaient passablement brouillées, depuis que les Turcs avaient abattu un avion russe à la frontière entre les deux pays. Les Russes déversent un tapis de bombes sur Alep, et raisonnent strictement dans leur intérêt. Leur politique est contre Daech, celle des Turcs également. Ils sont donc objectivement alliés. Les Russes font aussi cause commune avec les Américains ainsi qu’avec les Turcs pour contenir les Kurdes syriens, bête noire des Turcs. Tout est sacrifié au profit de la lutte contre Daech. Par ailleurs, Moscou est rentré dans le jeu des relations internationales, ce qui était un but poursuivi avec opiniâtreté.
François Hollande et le Quai d’Orsay sont horrifiés par les méthodes sanguinaires qu’utilisent les légalistes alaouites. Cependant, ils se mettront au diapason des Américains, après un accord américano-russe axé contre Daech qui a pris parti pour les insurgés, en fait contre tous les partis en lice. Les Français accusent à juste titre les Russes de focaliser leurs frappes contre les insurgés, plus que contre Daech. Il n’en demeure pas moins que les Français sont en porte-à-faux en soutenant les insurgés qui sont également contre Daech, adversaire des Français, qui déclenchent une vague d’attentats en France.
Le coup d’Etat, préparé par les kémalistes et qui encourt un échec marquant, est une surprise pour les Français. Leur service de renseignement est en défaut. Erdogan accuse les Américains d’avoir soutenu les insurgés : il a vraisemblablement raison, mais se range, quand même, du côté américain.
La politique française à l’égard du Conseil de Coopération du Golfe, de l’Iran et de l’Irak
La région précitée a une caractéristique : c’est d’avoir une unité géographique en étant riveraine du golfe arabo-persique. Mais c’est bien la seule unité.
La France fait son entrée dans les relations saoudiennes, le plus puissant des pays du Golfe et jouant un rôle dirigeant au sein du Conseil de Coopération du Golfe (CCG). L’Arabie Saoudite est le premier client de la France en matière d’équipements militaires, tout en étant son troisième fournisseur, essentiellement en matière de pétrole.
Mais c’est avec les Emirats arabes unis (EAU) que les relations qu’entretient la France sont les plus étroites. Elles sont privilégiées, car elles se situent dans le cadre d’un « partenariat stratégique global » conclu par Jacques Chirac en 1997. Le partenariat inclut un accord culturel comprenant la réalisation d’un grand musée, le « Louvre d’Abou Dhabi » et surtout « l’Université Paris-Sorbonne-Abou Dhabi », créée en 2006 et qui fonctionne très bien. Une de mes amies y enseigne. Les échanges commerciaux sont considérables et la concession d’emprises permet la construction d’une base militaire navale. Les relations sont excellentes avec Bahreïn et le Qatar avec qui les Français nourrissent le projet d’un « Saint-Cyr du Qatar ». Les rapports ne sont pas aussi bons avec le Koweït, nonobstant une série d’accord en matière scientifique et technique.
Ces liens avec les pays du CCG comportent une part d’étrangeté. En effet, les pays du CCG, y compris le Qatar et l’Arabie saoudite, entretiennent des rapports excellents avec Daech quant ils ne lui fournissent pas d’armement. Les Français n’en sont pas à une contradiction près.
Les relations avec l’Iran furent très bonnes, jusqu’au déclenchement de la révolution islamique. En cela, la France et l’Iran suivaient une longue tradition née des rapports privilégiés avec le shah. Cependant, avec la révolution islamique et malgré l’accueil qui avait été réservé à l’ayatollah Khomeiny, à Neauphle-le-Château, les relations ne tardent pas à se gâter. Cela est dû à l’afflux de réfugiés qui cherchent et obtiennent asile en France. Les Iraniens ont un objectif précis qu’ils nient en vain : l’obtention de l’arme nucléaire.
Les Occidentaux, pas plus que les Chinois ne peuvent donner leur accord. Ils ont dû accepter l’obtention de l’arme nucléaire par les Nord-Coréens, parce que ceux-ci étaient soutenus par les Chinois. Or, quelle que soit l’opinion de Pékin sur la question, il était difficile de passer outre sa garantie à l’égard de la Corée du Nord. Il n’en était pas de même de l’Iran qui ne ménageait pas ses critiques et menaces à l’égard de l’existence même d’Israël. L’usage effectif de l’arme nucléaire par Téhéran était dans le domaine des vraisemblances absolues.
Les Américains sont les plus virulents à contrer les Iraniens et à proclamer un embargo total à leur encontre. En effet, ils ont tout à craindre de devoir négocier ou de rechercher une négociation avec des adversaires qui rejettent le principe même d’une négociation, ce qu’ils ont amplement démontré dans le passé. Les Français font du suivisme.
Ils ont tout intérêt, d’ailleurs, à ce suivisme. En 1982, le président Mitterrand refuse l’application de l’accord d’Eurodif et de toute fourniture d’uranium. En réponse, le gouvernement iranien réclame, en vain, le remboursement d’une dette d’un milliard contracté du temps du Shah. Les dirigeants de l’opposition iranienne, notamment les Moudjahidines du peuple et Bani Sadr font chorus avec la direction de Téhéran. Après la deuxième guerre du Golfe, la communauté européenne cherche à rompre le suivisme pro-américain, en particulier la loi Amato-Kennedy qui organise cet embargo total.
La France, avec ses prises de position en faveur de l’Irak, durant la première guerre du Golfe, déclenche une prise d’otages français par les Iraniens. La réaction est ainsi brutale sur le sol libanais et sur le territoire français, où les Iraniens lancent une vague de terrorisme. La France, à partir de 1987 prend la contre-offensive, dont la rupture des relations diplomatiques jusqu’en 1988. Ensuite, l’Irak ne prend qu’une position secondaire dans la lutte pour le Moyen-Orient. L’attention se focalise sur l’Iran.
L’élection de Mohammad Khatami à la présidence est perçu à tort comme une avance possible, ce qui amène en vain Khatami à accepter une invitation en France. Le ministre des Affaires étrangères, Hubert Védrine, se rend inutilement à Téhéran en 1998.
Une solution apparaît en 2016 avec l’élection de Hassan Rohani, élu depuis 2013. L’Iran déclare abandonner ses recherches nucléaires. Les Etats-Unis, sous pression française, annoncent prendre acte de la décision occidentale et mettent sous le boisseau les questions de contrôle. La part de la France dans le commerce iranien est, cependant négligeable, en comparaison de la place de l’Allemagne.
Le rôle de l’UE
Pour synthétiser la question ce rôle est peu important, voire nul. La situation est paradoxale. L’Union européenne est le premier partenaire économique des pays du Moyen-Orient : plus de 50 % de l’approvisionnement en pétrole et 35 % des échanges commerciaux avec Israël, non sans de fréquents litiges concernant la qualité.
Trois causes peuvent expliquer cette absence de l’UE sans laquelle aucune solution ne peut être trouvée. Les bouleversements agitent le Vieux continent et les crises et guerres multiples qui augmentent les déboires français au Moyen-Orient le prouvent bien. L’impossibilité de régler la crise des réfugiés le démontre aussi bien dans un autre registre que les conflits armés, tous des guerres civiles ou comprenant des ferments de guerre civile.
En préalable, il est une donnée que les Français ne veulent pas assimiler. La victoire ne peut être obtenue à partir du ciel. L’arme aérienne est un contributeur appréciable et incontournable. Pourtant, à lui seul, elle est incapable de remporter la victoire qui ne peut être obtenue que par une action des troupes terrestres. Seulement, cette action est lourde à supporter en terme de vie humaine. La guérilla ne peut lutter en bataille rangée contre les Européens ; cela, elle ne l’a pas compris, pas plus Daech que Boko Haram. Les Occidentaux, les Français en premier s’y refusent.
La première cause est l’absence d’institution européenne, surtout au plan politique. Le traité de Lisbonne devrait engager une réforme valable.
Les divisions politiques et économiques entre Occidentaux sont un facteur de fractionnement considérable. Ces fractionnements ne se sont jamais autant manifestés que lors de la deuxième offensive américaine en Irak. La France, l’Allemagne et la Belgique l’ont condamnée, tandis que les démocraties nouvelles de l’Est l’approuvaient, de même que la Grande-Bretagne qui y a militairement participé, soutenant ainsi par les armes son allié américain.
La dernière cause de l’impuissance européenne est la vacuité absolue de l’instrumentalisation militaire. Non seulement Bruxelles ne dispose en propre d’aucune force armée, mais est aussi incapable de produire un quelconque traité militaire assurant la mise en œuvre de forces que les différentes nations seraient susceptibles de mettre en œuvre.
Ce sont ces insuffisances européennes qui ont joué à Madrid en 1991, qui ont amené le refus américain d’une participation. Par la suite, rien n’a changé. Les rencontres d’Oslo en septembre 1992, pourtant prometteuses, sont à porter au crédit de la diplomatie norvégienne et restent en définitive sans effet. Ces rencontres étaient porteuses d’espoir ! Leur échec est dû à l’assassinat, en 1995, de Yitzhak Rabin par un exalté juif, ce qui démontre que le terrorisme n’est pas une spécificité djihadiste. Les accords financiers qui suivent dans le cadre de la politique européenne sont un jeu de Polichinelle.
Conclusion
L’Islam est un révélateur extraordinaire de ce qu’est la société française. Le mouvement bouleversant est la découverte du pétrole de schiste qui permet désormais aux Etats-Unis de se libérer de la sujétion absolue des Etats du Golfe. La France s’en est exclue. A jamais ?
La plupart des pays européens n’ont aucune politique étrangère, en dehors du suivisme vis-à-vis des Américains. Pourquoi la France ferait-elle la différence, entre autre à l’égard du Moyen-Orient ?
Bien ou mal, les accord Sykes-Picot avaient établi un équilibre qui, lors de la deuxième décennie du XXIème siècle, est définitivement détruit. Or, ils étaient une solution. En échange, il n’y a rien.
La Turquie, décemment, ne peut espérer autre chose qu’une influence régionale restreinte, sous peine d’être acculée à une guerre perpétuelle sans espoir. La France retrouvera-t-elle son alliance séculaire avec la Turquie ?
Les Etats-Unis, sous la direction de Barak Obama, sont-ils capables de surmonter l’intransigeance d’Israël. On peut en douter eu égard des lobbies juifs conduisant à des indécisions de Secrétariat d’Etat. Il est fort à parier que le nouveau président américain élu à la fin de 2016, quel qu’il soit, ne changera rien à la donne. La France fait toujours œuvre de suivisme à l’égard des Etats-Unis. Ce facteur est le principal objet qui fasse l’élément moteur de la conduite chaotique de la politique française à l’égard du Moyen-Orient. Et là aussi, on peut parier que le nouveau président français élu en 2017, quel qu’il soit, ne changera rien.
S’il est nécessaire de maintenir des liens bilatéraux avec chaque pays arabe, il est invraisemblable d’établir une synthèse. L’alliance avec la Russie ne serait-elle pas la solution ? Plutôt que de suivre Washington dans ses dérives multiples, autorisées par sa puissance militaire.
L’exemple du bombardement de la bande de Gaza en 2014 est assez probant pour amener Paris à prendre une attitude de soutien sans ambages à l’égard de Tel-Aviv, suivant en cela les Etats-Unis, d’ailleurs.
Il est souhaitable que la France adopte une politique étrangère réellement indépendante à l’égard du Moyen-Orient. Il est nécessaire, à cet effet, de réunir une commission chargée de la concevoir, dans des délais brefs et de lui fixer un cadre de travail également aussi bref. Il apparaît absurde de se perdre dans les méandres de discussions byzantines.