Bruno Drweski
maitre de conférence à l’Institut National des Langues et Civilisations Orientales (INALCO), directeur de la revue « La Pensée Libre », Rédacteur de Rubrique politique à Investig’Action, Rédacteur à Outre-Terre – Revue européenne de géopolitique
RÉSUMÉ
Historiquement, le Moyen-Orient est le lieu de formation de la civilisation agricole et urbaine, celle qui a donné naissance au monothéisme, à l’écriture alphabétique et, par extension, à la philosophie grecque et à tout le processus méditerranéen d’émulation culturelle qui remonte à la haute Antiquité et qui s’est poursuivi jusqu’à très récemment. Or, dans son rapport récent avec le Moyen-Orient, la France est arrivée au point où elle ne peut tout simplement plus poursuivre, à moins d’accepter de disparaître, dans la direction de la logique stérile et suicidaire qui a amené ses dirigeants à soutenir les politiques de destruction et de délitement dans l’arc des guerres et des terreurs qui s’étend des rivages de l’Atlantique jusqu’au cœur de l’Asie centrale.
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Dans une intervention précédente[1] nous avions développé le constat selon lequel le Moyen-Orient occupe aujourd’hui un rôle clef dans les rapports internationaux tant pour des raisons très anciennes que pour des raisons liées à l’ordre/désordre mondialisé actuel. Historiquement, le Moyen-Orient est le lieu de formation de la civilisation agricole et urbaine, celle qui a donné naissance au monothéisme, à l’écriture alphabétique et, par extension, à la philosophie grecque et à tout le processus méditerranéen d’émulation culturelle qui remonte à la haute Antiquité et qui s’est poursuivi jusqu’à très récemment. Dynamique historique bâtie sur l’héritage diversifié avec le temps mais néanmoins commun aux aires arabo-musulmanes et européennes, héritage de nos jours mondialisé par extension.
Cet espace culturel est également situé au point de jonction géographique situé entre l’Atlantique nord et l’Océan indien en direction du Pacifique. Aujourd’hui, il est donc placé entre le cercle anglo-saxon toujours dominant et les « périphéries » du tiers-monde. L’espace arabo-musulman[2] est aussi le lieu où se concentrent les principales réserves d’énergie nécessaires à l’économie des pays développés et au contrôle des principaux pays de la planète, en particulier des pays européens, ce qui intéresse tout particulièrement les Etats-Unis menacés désormais d’être détrônés de leur position d’hyperpuissance unique. Le cercle arabo-musulman constitue en plus, ce qui est fondamental, le point de rencontre entre les masses déshéritées du tiers monde, les pays développés d’Occident et la masse continentale de l’Eurasie qui s’étend des plaines de Russie aux rivages du Pacifique et à l’Asie orientale. D’où l’importance de ce qu’on a appelé récemment « la crise des migrants » qui dure en fait depuis bien plus longtemps, suite aux processus délétères d’effritement des politiques de développement et d’industrialisation. La Palestine occupant, à la fois pour des raisons géographiques, historiques, culturelles, identitaires, religieuses et géographiques le point nodal de ce Proche-Orient historique situé sur le passage obligé reliant l’Afrique et l’Asie.
C’est en prenant conscience de l’importance de ce contexte général que l’on doit replacer les récents errements des politiques françaises face à ses voisins ou partenaires traditionnels du Sud et de l’Est. Errements qui ne sont certes pas le fruit d’une évolution qui n’aurait aucune racine, mais errements qui ont achevé de stériliser la dynamique française, et qui semblent être arrivés aujourd’hui à leur propre terme, ou tout au moins, à une étape de crise tellement profonde qu’elle a accompli en Libye, en Afrique sahélienne, en Syrie, en Palestine, en Ukraine et ailleurs, tous ses effets stérilisant et régressifs envisageables. Au point où il peut sembler que la diplomatie, l’économie, la culture, la langue françaises semblent ne plus avoir de réserves et avoir épuisé toute la société française qui n’en peut plus. Ce dont témoigne en vrac tous ses récents soubresauts annonciateurs sans doute d’un « grand déballage ».
La France et ses Sud
Car, la France constitue pour des raisons historiques, géographiques et culturelles, un point clef dans les rapports à la fois Est-Ouest et Nord-Sud, entre le premier monde, occidental, le second monde, celui de l’Est, et le tiers-monde au Sud. Bercée depuis ses origines par les influences méditerranéennes, traversée par des vagues de peuplements venant des profondeurs de l’Eurasie, État partenaire des khalifes Haroun al Rachid ou Soliman le Magnifique, « fille ainée de l’Église », terre des croisés, pays phare de la Réforme et de la Révolution, État colonial, néocolonial et post-colonial, la France a accumulé les contradictions dans une dialectique dynamique comportant des éléments de diversités à un niveau particulier. Elle multiplie un peu, comme d’ailleurs les peuples dudit « grand Moyen-Orient », les contradictions, les vagues d’enthousiasmes, les blocages, les dynamiques, les mixages.
La France d’aujourd’hui, d’abord sonnée par ses essoufflements, ses reculs puis ses défaites successives tout au long du XXe siècle, semblait avoir trouvé dans la foulée du gaullisme sa voie médiane de puissance moyenne et « médiatrice », socialement équilibrée, avec une politique d’innovations économiques, de « détente » aussi, d’opposition aux blocs militaires, une « politique arabe » particulière aussi, qui permettaient de prolonger l’impression que Paris restait « la ville Lumière » indispensable à l’équilibre d’un monde déséquilibré par l’arrogance d’une puissance parvenue et convaincue d’être « indispensable », d’avoir reçu de la Providence une « destinée manifeste » et un droit à « l’unipolarité ». Mais après le « chant du signe » que constitua en fait le non français, suivi par les Allemands, à la politique d’agression visant l’Irak en 2003, la France s’est soudainement et sans raison apparente alignée sur l’hyperpuissance qui venait de s’engluer dans des guerres coûteuses, cause d’une crise économique, sociale, culturelle, financière qui ne lui permet plus que de survivre aujourd’hui en fait que par le biais de sa monnaie dite de référence s’appuyant sur une pure croyance qui ressemble beaucoup à ce que, en d’autre temps, les pharaons exigeaient de leurs sujets au nom d’une manipulation ne reposant sur plus rien de tangible. Aujourd’hui, il en va de même dans le cadre d’un néolibéralisme qui n’a plus rien à voir avec la dynamique du vieux capitalisme devenu tellement poussif avec le temps qu’il doit se raccrocher pour survivre au complexe militaro-industriel mondialisé agitant pour se justifier des balivernes digne d’une cartomancienne, ou de grands prêtres exigeant des peuples des sacrifices toujours renouvelés visant à « satisfaire les marchés »… Tout le contraire en somme de ce qu’est la tradition politique, culturelle, philosophique et économique française, au moins depuis Colbert et Descartes !
Cette dérive récente de la France était suivie sans grandes résistances jusqu’à tout récemment, lorsque le Brexit, la crise de l’intégration européenne et de cette « classe politique » française pieds et poings liés à ce processus, la crise de l’économie néolibérale produisant un chômage structurel persistant, les résultats des errements devenus évidents des politiques aventurières menées en Libye et en Syrie, les vagues d’attentats terroristes sur son sol, le délabrement d’une Ukraine soutenue à bout de bras par un Occident qui n’en peut plus, les conséquences de la chute des prix du pétrole sur la croissance mondiale, la réintégration de l’Iran dans le concert des nations, la fermeté et la solidité de la Russie conjuguée à l’affermissement de l’intégration eurasiatique malgré la crise du BRICS due à la contre-attaque nord-américaine en direction de l’Amérique du Sud, tout cela mis ensemble semble tout d’un coup avoir finalement changé fondamentalement la donne[3].
Et nous entendons soudainement l’actuel locataire de l’Élysée répéter à Varsovie, à la suite de la chancelière allemande qui elle-aussi semble avoir été touchée par la réalité, que la Russie n’est peut-être pas, tout bien pesé, un ennemi et qu’elle est utile à l’équilibre international[4], que la recherche de voies vers la paix en Syrie dans la reconnaissance des réalités oubliées un temps à Paris est nécessaire, que l’Iran doit devenir un partenaire intéressant, etc. Bref, même si les récentes et piteuses tentatives déséquilibrées faites par Paris pour jouer un rôle dans la recherche d’une solution à l’interminable conflit qui déchire la Palestine se sont vite évanouies devant le « niet » à toute forme de concession du premier ministre au pouvoir à Tel Aviv[5], la « rue française », mais aussi une partie semble-t-il des « salons » parisiens semblent en passe d’être dégrisés d’une longue décennie de démission et de soumission caractérisée pour la France par son rôle de factotum d’un empire en déshérence[6]. Décennie qui a rendu la « classe politique » française quasi-totalement délégitimée aux yeux de son propre peuple[7]. A un moment où la contestation populaire monte et que certains intellectuels semblent rompre le consensus dormant jusque dans les médias connus pour être les plus alignés sur la norme qui dominait jusqu’à ces derniers jours[8].
Rebond à Paris ?
Quand on repense à ce que les gouvernements français déclaraient sans honte il y a peu, en accusant par exemple le gouvernement syrien d’ignorer son propre peuple, on ne peut manquer de noter que aujourd’hui l’Etat, l’économie et l’armée de conscrits syriens ont tenu le choc face à une masse d’adversaires multiformes pouvant recruter quasiment sans limites des aventuriers, des jeunes abrutis et des mercenaires sur toute la planète. Quand on repense aux titres des médias français les plus « sérieux » nous annonçant avec la répétition digne d’un métronum déréglé une sempiternelle et imminente « révolution colorée » à Téhéran puis à Moscou, on doit noter que la popularité du locataire du Kremlin n’a fait que monter[9] depuis, et que, malgré l’embargo, l’Iran a eu la force de maintenir la cohésion de ses institutions et de se trouver des partenaires clefs sur la scène internationale. Alors même que les pays courtisés un temps par Paris, se retrouvent de leur côté dans un bien piteux état. L’Arabie des Saoud, malgré les impressionnantes ventes d’armes françaises mange du sable au Yémen et dans l’Asir, tandis que ses protégés mordent la poussière en Syrie. Le Qatar qui a racheté de nombreux fleurons symboliques d’une puissance française en perte de sens ne peut plus trop faire parler de lui. Et les négociateurs de Paris arrivent souvent bon dernier dans la signature de contrats commerciaux avec les pays dénoncés par « l’empire du bien », que d’autres ont appelé le « grand satan ». Chine, Iran, Russie, Inde, Viêt-Nam, etc. semblent de plus en plus souvent ne plus considérer la France comme un partenaire sérieux[10] face au pragmatisme d’un empire mercantile et terre-à-terre pour qui la politique n’est qu’un moyen d’éliminer par tous les moyens des concurrents économiques ou financiers.
C’est donc dans un contexte changeant et du coup redevenu complexe, après les vagues de simplismes médiocratiques, qu’il faut tenter d’analyser la politique française au Moyen-Orient qui ne pourra plus être celle d’hier car l’actuelle politique est arrivée en bout de course. Sans que l’on sache pour autant exactement comment elle va pouvoir être réorientée, alors que l’hégémonie culturelle des médias aujourd’hui quasi-totalement acquis aux options atlantistes et pro-israéliennes, se combine avec les effets des vagues de purges menées dans la haute administration française qui ont éliminé par fournées la plupart des hauts fonctionnaires de tradition « patriotique », « étatiste » ou gaulliste des ministères clefs, Affaires étrangères, armée, intérieur, coopération, etc. Alors aussi qu’une nouvelle génération émerge dans le pays où les « réformes » successives de l’éducation lui ont surtout appris l’amnésie, l’absence de rigueur intellectuelle, l’amateurisme, le « bougisme », le présent permanent, sans passé structurant et sans futur alternatif envisageable, tel que l’on peut l’observer dans les dirigeants actuels.
Et pourtant, au niveau de « la rue », y compris de nombreux diplômés désormais précarisés, des restes d’un héritage historique combiné avec les effets d’un « mélange des cultures » provenant du creuset post-colonial continuent à faire sentir leurs effets en produisant esprit de fronde et de critique, ce dont ont témoigné plusieurs mouvements récents plus ou moins spontanés de protestation, et cela malgré la pesante atmosphère qu’on a voulu imposer au pays en interdisant les manifestations de solidarité avec la Palestine, en profitant de la loi martiale venue à point nommé sous l’effet du contrecoups des politiques occidentales au Moyen-Orient pour réprimer les quartiers populaires puis les manifestations contre une loi du travail concoctée sur ordre de Bruxelles, toutes choses qui lient irrémédiablement la France aux affaires internationales, en particulier à celles des peuples de la rive sud de la Méditerranée.
L’histoire nous a appris que la France étonne le plus souvent quand on n’attend plus rien d’elle et de son peuple. La crise évidente de tout le processus d’intégration européenne dans la foulée du Brexit, et qui ne fait que succéder à des étapes montantes de désamour envers ce processus supranational, ne pourra manquer d’avoir des conséquences sur la réévaluation des rapports que Paris devra bien entretenir avec des pays qui avaient été souvent cachés derrière les priorités d’une très petite Europe, celle qui n’allait plus jusqu’à l’Oural, celle qui était encore moins une péninsule de l’Eurasie, celle qui avait oublié ses racines méditerranéennes, celle qui avait négligé ses liens avec les espaces francophone, lusophone, hispanophone, russophone, arabophone et autres. Celle qui avait aussi oublié de regarder du côté de sa démographie et donc des origines multiples de ceux qu’on a désigné pudiquement sous le nom de « jeunes », pour éviter de leur accoler toute qualification sociale ou culturelle « visible » qui aurait fait « tache » dans un consensus au sommet qui se voulait unitaire, centralisé, bourgeois, « blanc » et privilégiant une impossible classe moyenne en cette période de nouvelle polarisation sociale entre une minorité de plus en plus limitée de parvenus vite enrichis et une majorité grandissante de plus ou moins « exclus » souvent liés au monde méditerranéen. France « d’en haut » qui avait oublié que, jamais dans sa longue histoire profonde, la société française n’avait été bâtie sur l’ethnie ou la race, mais sur des principes universalistes, qu’ils aient été dévoyés ou non ici peu importe, gallo-romanité, christianisme, hérésie albigeoise, Réforme protestante, contre-Réforme catholique, jacobinisme, Commune de Paris, Printemps des peuples, colonialisme et anti-colonialisme, etc.
Majorité du peuple de France donc qui, dans sa diversité, semble manifester aujourd’hui de plus en plus ses propres revendications sociales et économiques mais aussi son souci pour un monde de paix et de partenariat avec l’ensemble de ses voisins, la France ayant une tradition la portant particulièrement vers le Midi, donc aussi vers le grand Sud. Ce que les excès médiatisés à volonté de la dite « extrême-droite » caricaturale ne peuvent en fait pas vraiment changer. Tradition portant donc la France vers le Sud, ce qui a pu certes favoriser la naissance du colonialisme et de son impérialisme, mais ce qui a aussi créé simultanément en son sein les réactions anti-coloniales bâties à partir des liens inextricables que la société française a développé avec les sociétés « d’Afrique du Nord », et plus largement d’Afrique et du « grand Moyen-Orient », tel qu’il a été redessiné sans consultation et sans compréhension des réalités complexes par les stratèges simplistes d’outre-Atlantique. D’où la nécessité impérieuse pour la France de reprendre le chemin de l’intelligence et donc de l’exigence.
Voilà pour la présentation du contexte général où va devoir se mouvoir désormais une diplomatie et une économie françaises qui ne peuvent de toute façon plus se limiter à envisager de diminuer encore leurs ambitions en se raccrochant à l’hyperpuissance déclinante tentée par des aventures guerrières sans fin de plus en plus coûteuses, recouvertes par une politique de sécurité et de défense européenne qui n’a pas pu voir le jour et ne semble plus devoir être à l’ordre du jour des possibles à court terme. Une France qui se voit donc quasi-obligée de redécouvrir l’appel du « grand large » que ses élites rabougries avaient cru pouvoir oublier dans la foulée de la construction de leur petite Europe amarrée à l’Atlantique-nord oublieuse du reste du monde pour tout ce qui n’avait pas à voir avec la conclusion de contrats commerciaux que ses entreprises non encore délocalisées, armement, agriculture donc, et tourisme (en provenance de l’Ouest mais désormais aussi des pays du Golfe, de Russie et d’Asie orientale), transformant l’Élysée et le quai d’Orsay en agence commerciale et VRP multicarte. Car, hormis ces trois secteurs non délocalisables même s’ils constituent d’ores et déjà une proie tentante pour les « majors » d’outre-Atlantique, que reste-t-il en cette période de profonde crise inexcusable et inéluctable des fleurons de la vieille puissance économique française ? À l’heure où l’Union européenne semble se défaire et disparaître, laissant apparaître une France qui ressemble au fameux « le roi est nu » du conte d’Andersen… œuvre européenne prémonitoire pour le coup qui résume bien l’état actuel d’une Europe et d’une France qui n’avaient alors pas besoin d’institutions supranationales bruxelloises, luxembourgeoises, strasbourgeoises ou francfortoises pour être écrite, diffusée, connue, appréciée et surtout comprise.
Reconstruire la culture méditerranéenne
Bref, tout ou presque est à reconstruire. Et l’histoire nous apprend qu’il n’y a jamais de processus de reconstruction sans État fort, sans volonté collective, sans mobilisation, sans vision, ce qui, du coup, devrait donner des ailes à de nouveaux acteurs, à de nouveaux diplomates à la recherche de partenaires, dès que les blocages actuels seront dépassés. Si l’on penche pour l’hypothèse heureuse d’une sortie de crise et la toujours possible relance d’une dynamique de développement autonome, à ne pas confondre avec l’autarcie. Et si l’on exclue donc l’effondrement du pays vers un statut de nouvelle république bananière ou de réserve vinicole et touristique. La France a donc la nécessité pour se reconstruire de s’appuyer sur ses atouts, ses richesses économiques et humaines et, pour ce faire, de participer à la reconstruction obligatoire de pays qui vont sortir tôt ou tard des cataclysmes qu’ils ont connu au cours des dernières années, Syrie, Irak, Algérie, Libye, Yémen, Palestine, Liban, Mali, Sahel, Somalie, Ukraine, Géorgie, espace yougoslave en particulier, voire Grèce ou Espagne, ce qui nécessite aussi le lancement de coopérations tout azimut avec les économies émergentes elles-mêmes particulièrement liées à ces pays, Russie et Chine, processus qui vont de pair avec le développement de l’Iran, de l’Inde, du Pakistan, ainsi que, on peut l’espérer, bientôt de l’Égypte. Tous ces pays sont très peuplés, très jeunes, dotés de ressources et ayant aujourd’hui formé une couche de population bien éduquée et sous-employée suite aux blocages et aux phénomènes régressifs provoqués qui ont été suivis de guerres. Des pays où tout est donc à faire ou à refaire. Projets qui constituent un gigantesque « appel d’air » économique et politique qui pourrait assez facilement s’intégrer dans la vision « gagnant-gagnant » de la « nouvelle route de la soie » proposée par la Chine en parallèle avec la projet d’un axe de coopération allant « de Lisbonne à Vladivostok » fait par la Russie… à la veille des événements dudit « euromaïdan » à Kiev[11], et qui ne pouvaient donc pas plus mal tomber. Est-ce un hasard ?
Autrement dit, le scénario optimiste impose à la France de participer et de mettre à profit les réseaux de communication transcontinentaux à construire dans la grande Eurasie pour s’atteler à la tache commune de faire sortir les pays du « Grand Moyen-Orient » de leur situation actuelle de périphérie, de crise et de stagnation, donc de pauvreté endémique aux portes d’une Europe elle-même en situation de blocage et de crise civilisationnelle, démographique, économique, sociale, culturelle, politique, idéologique. Qui mieux que la France, pour le versant nord de la Méditerranée, est mieux placée pour faire comprendre la complémentarité qui devrait exister entre l’intégration mutuellement avantageuse et négociée dans un respect mutuel de la grande Eurasie et la coopération trans-méditerranéenne ? Tout le contraire de la politique à la fois néocoloniale, frileuse et suiviste à l’égard des États-Unis menée après 1945, lors des guerres coloniales, puis au cours de la dernière décennie avec l’émergence d’une couche de dirigeants et d’affairistes à la petite semaine dotés d’une mentalité de comptables au jour le jour. Réduits à maintenir leur pouvoir en jouant sur les peurs et sur une politique de peurs. Sans savoir imaginer de vision d’avenir ne serait-ce qu’à moyen terme. Soumission à des États-Unis dont la société subit elle-même aujourd’hui les effets dramatiques des errements des politiques de leurs élites supranationales « hors sol », qui méprisent ce qui a constitué la base de la dynamique de l’Amérique du Nord[12].
Aujourd’hui, avec la crise mortelle de ladite construction européenne et l’affaiblissement constant de la croyance dans le dollar, la France n’a plus d’autre solution que de trouver en coopération avec d’autres peuples la voie de l’innovation, et vite. A moins d’admettre donc comme étant inéluctable la poursuite de sa chute vers le bas, la généralisation des blocages et des politiques dictées par l’image de l’ennemi et la culture de guerres sans fin et de terreur de masse qui en découle automatiquement. Scénario catastrophe quasi-hollywoodien qui reste toujours possible mais qui n’est pas forcément écrit sur du marbre, malgré la désagrégation du tissu social, du niveau éducatif et culturel général, la montée de tous les sectarismes et replis identitaires, proclamés ou camouflés, et malgré l’esprit régressif qui domine les classes moyennes effarouchées tremblant pour l’avenir de leurs enfants ou prônant un avenir sans enfants. Mais dans les quartiers où se trouve aujourd’hui la masse des jeunes émerge une génération qui prendra tôt ou tard le pouvoir, ce qui ne peut que contribuer à redistribuer à l’avenir les cartes et rapprocher à terme les deux rives de la Méditerranée.
Car, en dépit des discours moralistes, régressifs, néocoloniaux, arrogants, terrorisant tenus par les promoteurs occidentaux et moyen-orientaux du clash de civilisations, toutes les mobilisations populaires qui ont eu lieu en France depuis le début des années 2000, se sont toutes organisées dans le cadre des frontières nationales pourtant en principe oubliées par Schengen. Que ce soit les référendums sur l’Union européenne, les émeutes des banlieues, les manifestations contre la destruction du code du travail ou du droit à la santé, les différentes vagues de grèves, les mouvements de solidarité avec la Palestine ou avec d’autres peuples opprimés, contre les politiques d’interventions guerrières de l’OTAN et de Paris, contre le saccage de l’éducation nationale, contre le racisme, pour la défense des libertés, rares furent les moments où l’on aurait eu d’un côté « des jeunes » de banlieues « apatrides » et d’un autre des classes moyennes « européanisées » ou « atlantisées ». Généralement, ces clivages ont été dépassés par des forces plus dynamiques qui continuent à opérer au sein de la société française et qui semblent avoir compris qu’il existe un lien direct et incontournable entre doubles standards, contradictions sociales, blocages économiques, intérêts collectifs, mondialisation, guerres néocoloniales, isolement européiste, racismes, régressions mentales, nouveaux mercenariats, terrorismes médiatisés et terrorismes cachés, etc. Même les récents attentats terroristes et les mobilisations orchestrées par le haut à cette occasion n’ont pas réussi à créer cette ambiance de guerre civile qui semble souhaitée tant par les terroristes que par les conservateurs et les néoconservateurs influent sur les bords de la Seine.
Bref, on peut penser aujourd’hui que la France est arrivée au point où elle ne peut tout simplement plus poursuivre, à moins d’accepter de disparaître, dans la direction de la logique stérile et suicidaire qui a amené ses dirigeants à soutenir les politiques de destruction et de délitement dans l’arc des guerres et des terreurs qui s’étend des rivages de l’Atlantique jusqu’au cœur de l’Asie centrale en coupant en deux l’axe historique méditerranéen qui constitue la source de toute notre culture et de toute notre civilisation commune.
[1] Voir < http://www.strategicsinternational.com/index.php/fr/2-uncategorised/52-geostrategiques-n-44-syrie-irak-la-territorialisation-du-terrorisme >
[2] Par « arabo-musulman », nous n’entendons pas le concept réducteur que ce terme peut sous-entendre mais celui qui inclut à la fois les populations de tradition musulmane, chrétienne, juive utilisant la langue arabe pratiquée traditionnellement comme langue de « haute culture », seule ou dans le cadre d’un plurilinguisme, et les populations non arabophones liées, indépendamment de leurs choix idéologiques ou religieux, par leur histoire, à la culture musulmane ayant pour noyau d’origine la langue arabe et la prédication islamique.
[3] Voir les tribunes parues dans Le Figaro et dans Le Monde à l’occasion du sommet de l’OTAN à Varsovie : < http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/07/07/31002-20160707ARTFIG00130-sommet-de-l-otan-a-varsovie-la-france-doit-preserver-son-independance.php > et < http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/07/07/a-l-otan-ne-rejouons-pas-la-guerre-froide_4965431_3232.html >
[4] < https://fr.sputniknews.com/france/201607081026515906-hollande-russie-partenaire-france-otan/ > ; < http://www.capital.fr/a-la-une/actualites/hollande-prone-la-fermete-et-le-dialogue-avec-la-russie-1146267# > ; < https://fr.sputniknews.com/international/201607081026496250-allemagne-russie-relation-schroderisme/ > ; < http://www.lefigaro.fr/international/2016/07/07/01003-20160707ARTFIG00368-face-a-moscou-l-allemagne-parle-deux-langues.php >
[5] < http://www.la-croix.com/Monde/Paix-israelo-palestinienne-Valls-se-heurte-d-emblee-a-la-resistance-israelienne-2016-05-23-1300762138 > ; < http://www.courrierinternational.com/article/israel-palestine-valls-ne-peut-rien-pour-la-paix >
[6] < http://sortirdelotan.fr/form/form_petition2.php > ; < http://www.solidariteetprogres.org/actualites-001/pour-le-club-des-20-il-est-urgent.html >
[7] < http://www.la-croix.com/Monde/Paix-israelo-palestinienne-Valls-se-heurte-d-emblee-a-la-resistance-israelienne-2016-05-23-1300762138 >; < http://www.courrierinternational.com/article/israel-palestine-valls-ne-peut-rien-pour-la-paix >
[8] < http://www.lefigaro.fr/vox/monde/2016/07/07/31002-20160707ARTFIG00130-sommet-de-l-otan-a-varsovie-la-france-doit-preserver-son-independance.php > et < http://www.lemonde.fr/idees/article/2016/07/07/a-l-otan-ne-rejouons-pas-la-guerre-froide_4965431_3232.html >
[9] < http://fr.euronews.com/2015/10/29/russie-vladimir-poutine-surfe-sur-des-records-de-popularite-sondage/ > ; < http://www.slate.fr/story/115069/pourquoi-poutine-chiffres-favorables-sondages > ; < https://www.mediapart.fr/journal/international/100616/vladimir-poutine-taux-de-popularite-et-corruption?onglet=full >
[10] < http://fr.reuters.com/article/idFRKBN0EN24I20140612 > ; < https://www.opinion-internationale.com/2014/05/22/amende-record-pour-bnp-paribas-les-etats-unis-veulent-eliminer-la-concurrence-en-iran_25788.html > ; < http://www.kpmg.com/fr/fr/issuesandinsights/decryptages/pages/loi-antitrust-americaine-droit-europeen-de-la-concurrence-difference.aspx >
[11] < http://www.lefigaro.fr/international/2010/11/25/01003-20101125ARTFIG00707-poutine-propose-une-zone-de-libre-echange-avec-l-europe.php > ; < http://www.medias-presse.info/un-grand-espace-de-libre-echange-de-lisbonne-a-vladivostok/5775 >
[12] Howard Zin, Une Histoire populaire des Etats-Unis de 1492 a nos jours, Agone, 2003.