Le renseignement américain : un colosse aux pieds d’argile ?

Coline FERRO

Trimestre 2010

Doctorant-chercheur en sciences de l’information et de la communication, Institut français de presse -université Panthéon-Assas Paris II.

Au LENDEMAIN DEs ATTENTATs Du 11 sepTEMBRE 2001 qui ont touché les États-Unis d’Amérique, une « Commission d’enquête nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis » a été nommée en toute hâte. Son rôle était no­tamment de prendre la mesure des failles et des erreurs commises par les diverses agences de renseignement et de sécurité américaines en matière de lutte contre le terrorisme. Son rapport final a été publié le 22 juillet 2004. Ses auteurs y dressaient un constat cinglant : The nationalsecurity institutions of the U.S. government are still the institutions constructed to win the Cold War. L’organisation même de XIntelligence community a ainsi été remise en cause. En effet, les États-Unis s’étaient dotés au fil des décennies d’un système de renseignement qui s’avérerait à l’aube du xxie siècle très complexe, voire opaque. Cette atomisation n’a pas été sans engendrer des pro­blèmes de coordination, de recoupement d’informations et d’efficacité.

Suivant les recommandations de la Commission, une vaste réforme a été en­treprise dans le secteur du renseignement. Aujourd’hui, près de neuf ans après le traumatisme qui a fait prendre conscience aux États-Unis de leur vulnérabilité et de la déficience de leur système de renseignement, il est raisonnable de s’interroger sur la pertinence et la suffisance des changements opérés jusqu’à présent. La question des compétences de l’actuel président Barack Obama en la matière se pose égale­ment quant à la poursuite des efforts de réforme amorcés sous le gouvernement de George Bush.

L’ Intelligence community : seize agences avant le 11 septembre 2001

Les États-Unis comptent aujourd’hui quelque 310 millions d’habitants et jouis­sent d’un territoire de plus de 9,6 millions de km2. Autrement dit, c’est le 3e pays en termes de population et le 4e en termes de superficie. Ils peuvent également se vanter d’être la première puissance économique mondiale.

De plus, les États-Unis jouent un rôle de premier plan sur la scène interna­tionale depuis le début du xixe siècle. Ils sont l’un des membres permanents du Conseil de sécurité de l’Organisation des Nations unies mais aussi membres de l’Organisation du traité de l’Atlantique Nord et de diverses organisations écono­miques et commerciales internationales. Les États-Unis entretiennent des relations diplomatiques formelles avec l’ensemble des États du monde, à quelques exceptions près, comme Cuba ou Taiwan (du moins officiellement).

Plus encore, ils sont engagés dans plusieurs conflits armés, en particulier en Irak et en Afghanistan.

Enfin, il ne faut pas oublier que les États-Unis sont partie prenante d’une « guerre contre le terrorisme », selon le concept développé par l’administration Bush au lendemain des attentats du 11 septembre 2001. Cette « guerre » qui implique non seulement le démantèlement des cellules terroristes dans le monde entier et la destruction des camps d’entraînement des organisations terroristes, mais aussi les pressions diplomatiques et financières sur les gouvernements et sur les organisations ou les personnes soupçonnées de soutenir des actions terroristes. Les agences de renseignement y ont joué et continuent d’y jouer un rôle essentiel, même si l’ex­pression de « guerre contre le terrorisme » a été abandonnée par l’administration Obama depuis son entrée en fonction en 2009.

Tous ces facteurs impliquent pour les Américains d’avoir un système de rensei­gnement particulièrement développé pour parer aux menaces qu’ils attisent, pro­téger leurs intérêts, s’assurer de la pertinence de leur rôle diplomatique et venir en aide à leurs troupes présentes sur des théâtres d’opérations extérieures. Il est donc fondamental pour les États-Unis de disposer d’un arsenal très complet en matière de renseignement tant le besoin en la matière est élevé.

En 2001, la communauté américaine du renseignement se composait ainsi de di­verses agences nationales (Federal Bureau of Investigation, National Security Agency, National Reconnaissance Office, etc) et départementales (Defense Intelligence Agency, Bureau of Intelligence and Research, Directorate of Information Analysis and Infrastructure Protection, etc), chapeautées par le directeur de la Central Intelligence Agency.

Depuis les attentats du 11 septembre qui ont coûté la vie à quelque 3 000 per­sonnes, une forte volonté politique est née pour réformer un renseignement qui avait été défaillant. Outre la législation qui a été aménagée de telle sorte qu’elle octroyait de pouvoirs d’exception aux services de renseignement, des réformes de fond ont été engagées. Avant même la mise en place de la Commission d’enquête nationale sur les attaques terroristes contre les États-Unis (le 27 novembre 2002), le Department of Homeland Security avait vu le jour le 25 novembre 2002 aux termes du Homeland Security Act of2002.

Le Department of Homeland Security : un outil de coordination de la sécurité intérieure

Il était évident que les acteurs de la sécurité intérieure avaient échoué à prévenir et déjouer les actions terroristes perpétrées en septembre 2001. La création de ce nouveau département de l’administration fédérale (équivalent d’un ministère en France) avait donc pour objectif premier d’organiser, de coordonner et d’assurer la sécurité sur le territoire des États-Unis.

La secrétaire à la Sécurité intérieure, Janet Napolitano, rappelle en préambule du rapport sur le budget prévisionnel pour 2011 : The Department of Homeland Security will lead the unified national effort to secure America. We will prevent and deter terrorist attacks and protect against and respond to threats and hazards to the nation. We will ensure safe and secure borders, welcome lawful immigrants and visitors and promote the free-flow of commerce. Ainsi, dans le dessein de composer une stratégie nationale globale pour protéger les États-Unis de toutes menaces ou tous attentats terroristes, il coordonne en fait les efforts des vingt-deux agences fédérales liées à la sécurité intérieure (douanes, transports, énergie, télécommunica­tions…). Dans cette tâche, le Department of Homeland Security (DHS) obtient le soutien des services américains de renseignement et de sécurité. Le FBI est d’ailleurs partie intégrante de ce département. Dans cette mesure, le DHS participe à la re­cherche de cohérence opérée dans le domaine du renseignement.

Il n’est pas inutile de souligner que le DHS est aujourd’hui le plus important dé­partement de l’administration américaine, après les départements de la Défense et des Veterans Affairs. En 2010, son budget s’élevait à plus de 55 milliards de dollars[1].

Mais si le Department of Homeland Security a le mérite de contribuer aux efforts de coordination entre les multiples acteurs liés à la sécurité intérieure, d’au­cuns critiquent son inefficacité et son impotence bureaucratique. Il a d’ailleurs été rappelé à l’ordre à plusieurs reprises par le Sénat pour sa gabegie financière.

Le director of National Intelligence : une fonction indispensable pour la symbiose du renseignement américain mais un rôle difficilement tenable

La position du directeur central du renseignement était l’une des absurdités de la communauté américaine. Ce dernier, également directeur de la CIA, devait coordonner l’activité de l’ensemble des agences de renseignement et avec peu de moyens. L’une des recommandations faites dans le rapport de la Commission 9/11 était la mise en place d’un directeur national du renseignement (DNI), indépen­dant de toute agence et doté de moyens suffisants pour coordonner efficacement les orientations et les actions des agences américaines. En 2004, cette nouvelle fonction a vu le jour grâce à XIntelligence Reform and Terrorism Prevention Act of2004. Selon cet acte, le DNI remplit trois fonctions. Tout d’abord, il est le principal conseiller du président, du Conseil national de sécurité et du Conseil de sécurité intérieure (Homeland Security Council) en matière de renseignement pour les questions liées à la sécurité nationale. Ensuite, il se trouve à la tête des dix-sept agences de X In­telligence community. Enfin, il est chargé de superviser et de diriger le programme national de renseignement.

Si la création de cette fonction de coordination et de supervision est sans nul doute un progrès dans le fonctionnement de l’Intelligence community, il n’en reste pas moins que le rôle de son directeur est délicat et difficile à remplir.

Tout d’abord, il doit faire face aux réticences de la CIA qui a, de fait, perdu certaines de ses prérogatives, en particulier son accès direct au président et sa « do­mination » sur les autres agences de la communauté.

Ensuite, la coordination de dix-sept agences n’est pas une mince affaire, d’au­tant plus lorsqu’il subsiste une concurrence nourrie entre plusieurs d’entre elles. Le cloisonnement des agences limite considérablement la circulation et le recoupe­ment des informations. C’est là une des défaillances majeures du système de ren­seignement américain. Autrement dit, le DNI doit non seulement créer des ponts entre les agences mais aussi bouleverser la culture de celles-ci.

Enfin, ses pouvoirs demeurent limités pour remplir une tâche de si grande ampleur. Le nombre de directeurs successifs depuis la première nomination en avril 2005 atteste de ces difficultés. En effet, depuis sa création, le poste de direc­teur national du renseignement a été occupé par cinq personnes (John Negroponte, John McConnell, Dennis Blair, David C. Gompert, James Clapper). En juin 2010, le président américain Barack Obama a nommé à la tête de la DNI James Clapper (69 ans), militaire à la retraite et sous-secrétaire d’État à la Défense en charge de l’Agence du renseignement militaire (DIA) depuis 2007. Il remplace Dennis Blair (nommé en janvier 2009), dont le départ avait une nouvelle fois mis en exergue le problème du périmètre d’autorité du poste, et ce malgré le décret 13470 du 30 juillet 2008 signé par le président George Bush. Celui-ci amendait le précédent décret 123 3 3[2] afin de renforcer en ces termes les pouvoirs du DNI : The director shall collect (overtly or through publicly available sources), analyze, produce, and disse-minate information, intelligence, and counterintelligence to support the missions of the Office of the Director of National Intelligence, including the National Counterterrorism Center, and to support other national missions.

Qui plus est, ce poste demeure éminemment politique. L’allégeance politique, la carrière et les relations personnelles et professionnelles de celui qui est proposé par le président des États-Unis constituent un enjeu politique, comme pour tant d’autres postes au sein de l’administration aux États-Unis. Les accusations d’être trop lié au Pentagone émises à l’encontre du DNI par plusieurs sénateurs en est l’illustration.

 

Le National Counterterrorism Center et le Joint Intelligence Community Council

Outre le poste de DNI, l’Intelligence Reform and Terrorism Prevention Act of 2004 prévoyait également la création du Joint Intelligence Community Council et du National Counterterrorism Center.

Sous la houlette du DNI, le Joint Intelligence Community Council (JICC) -qui réunit le secrétaire d’État, les secrétaires au Trésor, à la Défense, à l’Énergie et à la Sécurité nationale ainsi que Xattorney général – travaille en amont à la mise en œuvre d’un effort conjoint et unifié dans le domaine du renseignement, afin de conseiller le premier sur la gestion des finances, la définition d’une politique natio­nale du renseignement uniforme, le suivi de la performance de la communauté du renseignement. Le JICC assure également en aval l’exécution des programmes, des politiques et des directives établis par le DNI.

Le National Counterterrorism Center (NCTC), quant à lui, est un organisme du gouvernement américain responsable de la lutte antiterroriste. Le NCTC, dont le rôle consiste à conseiller le président des États-Unis en matière de lutte contre le terrorisme, a remplacé le Terrorist Threat Integration Center (TTIC), lui-même mis en place en 2003.

MIntelligence Reform and Terrorism Prevention Act of2004 est une preuve de la volonté politique de l’administration américaine de réformer son système de ren­seignement. Il est incontestable que la création d’un poste indépendant de coordi­nateur national du renseignement était indispensable pour améliorer le fonction­nement de XIntelligence community. Les efforts en ce sens doivent être poursuivis. Toutefois, il demeure des dysfonctionnements tant structurels que conjoncturels qui nuisent à la bonne marche de la communauté. L’atomisation du renseignement est sans nul doute un obstacle à l’efficacité du renseignement américain. La tuerie de Fort Hood au Texas en novembre 2009, la tentative d’attentat contre le vol assu­rant la liaison entre Amsterdam et Detroit, à Noël 2009, et celle de Times Square le 1er mai 2010 l’ont mis en évidence.

 

L’atomisation du renseignement demeure un problème crucial malgré la recherche de la cohésion

Les attentats du 11 septembre ont eu un double effet. D’une part, le gouver­nement et les agences ont pris conscience des failles qui existaient au sein du sys­tème de sécurité des États-Unis et de la nécessité d’une réorganisation rapide et cohérente. D’autre part, le traumatisme du 11 septembre a entraîné une croissance incontrôlée et névrosée des agences de renseignement. Le budget consacré au ren­seignement s’élevait en 2009 à quelque 75 milliards de dollars (en 2003, il était déjà de 40 milliards de dollars).

Une récente enquête menée par deux journalistes du célèbre quotidien améri­cain The Washington Post a mis en lumière la complexité de l’appareil de renseigne­ment américain. Ils n’ont pas manqué de constater : « Le monde top secret que le gouvernement a enfanté […] est devenu si vaste, difficile à manœuvrer et secret que personne ne sait combien il coûte, combien il emploie de personnes, combien de programmes existent ni combien de services différents effectuent la même tâche[3]. »

Si les États-Unis comptent à ce jour dix-sept agences principales de renseigne­ment et de sécurité, il s’ajoute à cela une kyrielle d’autres services ou branches d’administration. Les journalistes d’investigation du Washington Post estimaient que quelque 1 271 organisations gouvernementales et 1 931 sociétés privées menaient des activités « top secrètes », liées à la lutte contre le terrorisme et à la sécurité in­térieure.
L’Intelligence community regroupe dix-sept organes

Il semble manifeste qu’une telle atomisation du renseignement constitue un frein à la performance des agences de renseignement et un handicap certain quant au partage des informations.

Cette fragmentation est aussi la source de la rivalité, souvent nuisible, entre les diverses agences. À cela s’ajoute également la multiplication des contraintes bureau­cratiques. Enfin, la multiplicité des acteurs dans les domaines sensibles que sont le renseignement et la sécurité intérieure génère indubitablement des risques de fuites, de vols de données sensibles ou d’infiltrations.

La formation des agents et leur recrutement manquent de cohérence

Après les attentats de 2001, les agences ont pris conscience que leur gestion des ressources humaines était inadaptée. En effet, le nombre de traducteurs de langues rares et de langues du Moyen-Orient était très insuffisant. De même, le nombre d’analystes géopolitiques était en deçà des besoins réels. Plus encore, les capacités en Humint – à partir des agents déployés à l’étranger – étaient, elles aussi, cruellement insuffisantes.

Cette prise de conscience a été si brutale que, au lendemain du 11 septembre, les agences américaines, et en particulier la CIA, ont multiplié les offres d’emplois. Durant les trois années qui ont suivi les attentats, « huit mille, en moyenne et par mois[4] », candidats ont répondu à l’appel de Langley : « Vous pouvez rester sur le banc de touche. Découvrir ce qui se passe en lisant les journaux. Ou vous pouvez vous retrouver, avec nous, au cœur de l’action[5]. » Ce recrutement a aujourd’hui pu combler certaines carences.

Toutefois, la question de la formation de tous ces nouveaux agents reste posée. Il semblerait que celle-ci gagnerait à être approfondie et plus longue. De plus, il serait souhaitable que la culture politique des experts en relations internationales soit remise en question. En effet, si la communauté du renseignement s’est dotée d’analystes de qualité et dûment diplômés, ceux-ci restent parfois les otages du prisme culturel de la doctrine américaine.

Par ailleurs, il n’est plus à démontrer que le Techint[6] ne peut pas remplacer l’Hu-mint (human intelligence). Or, depuis 2001, les États-Unis ont choisi de consacrer la majorité de leurs investissements aux ressources technologiques, au détriment de leurs ressources humaines. Aujourd’hui, cette capacité en Humint leur fait défaut, d’autant plus que, avec leur choix d’investissements, les États-Unis ont contribué à une perte du savoir-faire en matière d’Humint.

Les délicates relations entre le pouvoir politique et le renseignement

Plusieurs scandales sont venus affecter l’image du renseignement américain et mettre en doute leur éthique et leur efficacité tant auprès de l’opinion publique que des dirigeants politiques. Parmi ceux-là, peuvent être cités les vols secrets de la CIA de par le monde, l’utilisation de la torture à l’encontre de personnes suspec­tées d’actes ou de liens avec le terrorisme, ou encore les fuites d’informations à la presse à l’été 2010. Il y a aussi les révélations faites en juillet 2009 par Leon Panetta, directeur de la CIA, sur le fait qu’auraient été « cachées au Congrès pendant huit ans des informations sur un programme antiterroriste sur ordre direct de l’ancien vice-président Dick Cheney », alors que déjà courait une polémique sur le défaut d’information du Congrès par la CIA.

Mais surtout, ces scandales ont mis en exergue la complexité des relations entre le pouvoir politique et le renseignement. Celles-ci semblent se jouer sur un air de « je t’aime, moi non plus », entre incompréhension, désamour et manipulation. L’affaire des armes de destruction massive en Irak en est un bon exemple. La cer­titude, au sommet de l’État, de l’existence de telles armes sur le territoire irakien a été le préambule à une défaillance du système de renseignement et à l’intervention militaire américaine dans le Golfe. Outre la manipulation des services de renseigne­ment par les politiques, cette affaire dévoile un problème plus profond. En effet, le cycle du renseignement a été vicié dès l’origine : la demande de renseignement a été formulée de telle manière par la direction politique que le résultat était induit. Les agences de renseignement américaines ont eu pour mission de collecter l’en­semble des renseignements qui confortaient et confirmaient l’existence d’armes de destruction massive sur le sol irakien. La demande aurait dû, en fait, être le recueil de renseignements déterminant ou non l’existence d’armes de destruction massive sur le sol irakien.

Par ailleurs, on observe un réel manque de confiance de l’administration Obama quant à l’Intelligence community, en particulier vis-à-vis de la CIA. La nomination en février 2009 de Leon Panetta à la tête de la CIA, grand commis de l’État dé­pourvu de toute expérience dans le domaine du renseignement, en est un indice. Plus encore, la création d’une unité d’élite chargée d’interroger les principaux sus­pects liés au terrorisme, directement rattachée à la Maison-Blanche, décidée en août 2009 par Barack Obama, affaiblit un peu plus la CIA. Or, il est raisonnable de croire que la régulière mise en porte-à-faux de la CIA opérée par l’administration Obama risque de freiner les effets positifs de la volonté politique de réformer le système de renseignement.

La médiatisation des dysfonctionnements de VIntelligence community fragilise encore plus le renseignement américain

Il n’est pas certain que la volonté de transparence du président Barack Obama soit salutaire pour les agences de renseignement. S’il est évident que le système de renseignement américain connaît de graves dysfonctionnements, en faire la publi­cité ne permettra pas, semble-t-il, de les résoudre rapidement. Pire, cette publicité, faite à travers les discours de l’administration tout comme les rapports d’enquête, les audits et les multiples démissions forcées, fragilise la communauté américaine du renseignement.

À la suite de la tentative d’attentat contre le vol assurant la liaison entre Amsterdam et Detroit, la Commission du renseignement du Sénat a été saisie. Dans le rapport qu’elle a publié récemment, elle estimait que des « failles systé-miques » gangrenaient la sécurité nationale. Plus précisément, le rapport fait état de l’incapacité des agences de renseignement américaines à rassembler et analyser les éléments récoltés sur la branche d’Al-Qaida dans la péninsule Arabique et sur Omar Farouk Abdulmutallab, l’auteur présumé de la tentative d’attentat du 25 décembre 2009. La Maison-Blanche a une nouvelle fois vivement critiqué sa communauté du renseignement, pointant du doigt le cloisonnement des services et le manque de recoupement des informations.

Pour conclure, il est clair la communauté américaine du renseignement éprouve des difficultés à s’adapter à des menaces qui ont pris une ampleur considé­rable depuis la chute du mur de Berlin. En effet, de nouveaux acteurs sont nés ou ont pris une dimension internationale et même transnationale. Il est non seulement question des organisations terroristes plus ou moins formelles mais aussi des mafias et des trafiquants de toutes sortes. Il ne faut pas négliger non plus les entreprises multinationales, les ONG, les États fragiles et les États en faillite. Avec ces acteurs se sont développées des menaces difficiles à endiguer : le terrorisme, la prolifération, la criminalité organisée et autres trafics, le blanchiment d’argent, les cyber-attaques, l’espionnage économique, etc.

Les États-Unis ont certes su mettre en place, depuis les attentats du 11 sep­tembre 2001, des structures dédiées à la lutte contre le terrorisme et ont considé­rablement investi dans la protection de leurs intérêts économiques, ainsi que dans le renseignement militaire pour soutenir leurs troupes en Afghanistan et en Irak. Cependant, dans un souci d’approche globale, les efforts devraient également por­ter sur les autres menaces, souvent interdépendantes.

C’est pourquoi il est aujourd’hui urgent de mener une profonde réflexion sur l’organisation de l’Intelligence community. Il est évident qu’une volonté politique de réformer un renseignement américain en difficulté existe. Il est incontestable que les réformes menées jusqu’à présent étaient plus que nécessaires. Dans l’édition 2009 de The National Intelligence Strategy, les auteurs estiment qu’un effort est né­cessaire pour améliorer l’agrégation et l’analyse des informations, et l’administra­tion Obama en est pleinement consciente. En effet, lors d’un discours à la nation, le président américain a annoncé des mesures supplémentaires pour une meilleure coordination entre les services de renseignement et a demandé aux agences de ren­seignement et de sécurité de renforcer la capacité d’analyse, de recoupement et de traitement des informations. Dans ce même discours, il s’est également engagé à investir dans de nouvelles technologies et à renforcer le partenariat international en vue d’améliorer les contrôles de sécurité dans les aéroports du monde.

Il est regrettable que la structure même de l’Intelligence community n’ait pas fait l’objet d’une remise en cause profonde. L’organisation même de chaque agence, en non pas seulement l’encadrement, doit être remise en question. La performance du renseignement américain dépend aujourd’hui non seulement d’une organisation cohérente de la communauté et des agences, et d’une rationalisation des missions de chacune d’elles, mais aussi d’une coopération en intelligence entre ces agences et avec les services de renseignement étrangers, ainsi que de la pertinence des orienta­tions générales et d’une reconsidération de la formation de leur personnel.

[1]FY 2011 Budget in Brief of Homeland Security, DHS, 2010.

[2]Executive order 12333 : « L’effort des États-Unis en matière de renseignement doit fournir au président et au Conseil de sécurité nationale les informations nécessaires sur lesquelles baser les décisions concernant la conduite et le développement des politiques étrangère, de défense et économique, et la protection des intérêts nationaux des États-Unis contre des menaces à la sécurité en provenance de l’étranger. Tous les départements et les agences doivent coopérer pleinement pour atteindre cet objectif. »

[3]Priest Dana et Arkin William, « The secrets next door », The Washington Post, 21 juillet 2010.

[4]Chiffre avancé par Franck Daninos, CIA : une histoire politique, 1947-2007, Paris, Tallandier, 2007, p. 381.

[5]Ibid., p. 381. Slogan d’une affiche placardée dans les campus américains par la CIA.

[6]Le Techint, autrement dit le renseignement d’origine technique, comprend l’interception des communications et son corollaire, le déchiffrement, l’imagerie.

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