L’intervention du Dr. Ali RASTBEEN lors de la Conférence Internationale sur les Sanctions, le Commerce et les Droits Humains, co-organisée par le Conseil des Nations Unies sur les Droits de l’Homme et le Groupe des Amis défenseurs de la Charte des Nations Unies, les 21-22 novembre 2024 au Palais des Nations de Genève (Suisse), sur l’invitation de Mme. la Rapporteur Spéciale des Nations Unies sur « l’impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits de l’Homme ». Cette conférence internationale a réuni les représentants, ambassadeurs et des personnalités académiques, professionnelles et du monde humanitaire provenant de plusieurs dizaines d’États. Les interventions réalisées dans ce cadre feront bientôt l’objet d’une publication spécifique.
LE DÉFI POSÉ PAR LES SANCTIONS AU DROIT INTERNATIONAL
Résumé : Dans cette intervention intitulée « Le défi posé par les sanctions au droit international » et réalisée le 22 novembre au cours de la réunion des personnalités académiques et professionnelles de la Conférence, le Dr. Ali Rastbeen a évoqué les enjeux géopolitiques et juridiques relatifs aux sanctions de manière générale et aux mesures coercitives unilatérales en particulier, notamment au regard de leurs atteintes aux droits humains et au développement, ainsi que de leurs conséquences sur l’ordre juridique international. À ce titre, l’exemple de l’Iran visé par les sanctions américaines et occidentales, ou encore l’exemple des dégâts subis par l’Europe du fait des sanctions secondaires, sont éclairants.
Mots-clés : Sanctions, Mesures coercitives, Unilatéralisme, Nations Unies, Droit international public, États-Unis d’Amérique, Iran, Union Européenne, Rapport de force, Géopolitique, Légitimité, Jus Cogens, Droits de l’Homme, Sanctions secondaires, Droit au développement, Souveraineté des États, Principe de non-ingérence.
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Les sanctions unilatérales semblent illustrer l’établissement d’un rapport de force où le plus puissant impose en toute impunité́ sa loi au plus faible, en profitant de prérogatives et de privilèges politiques, économiques et financiers dont il dispose. Ces décisions s’apparentant à des « actes de guerre », affectent tout autant la légitimité du Droit international public, le cadre juridique et la responsabilité des acteurs étatiques et privés, que les droits de l’homme, justement garantis par le jus cogens.
Sont ainsi notamment remis en cause les principes de la souveraineté des États et de la non-ingérence, de la liberté́ des échanges commerciaux et de la non-discrimination commerciale, non seulement sur le ou les pays sanctionnés à titre principal, mais aussi des États et des acteurs tiers, victimes d’une manière « secondaire » des effets extraterritoriaux de ces actes.
Les cas récents que sont la Syrie ou l’Iran, attestent que les mesures coercitives unilatérales font payer à toute la population le prix du différend existant entre leurs gouvernements et le pays prescripteur des sanctions. Ces dernières aggravent la souffrance des populations au nom desquelles elles ont pu être décidées. Elles affectent directement le droit à la santé, le droit à l’alimentation, et le droit au développement, ce dernier étant un droit inaliénable de l’homme en vertu duquel toute personne humaine et tous les peuples ont le droit de participer et de contribuer à un développement économique, social, culturel et politique dans lequel sont respectés tous les droits de l’homme et toutes les libertés fondamentales. Cette situation s’apparente donc à la notion de punition collective, laquelle est prohibée par le droit international, notamment comme une atteinte au principe de sécurité juridique et à celui de la minimisation de l’impact humanitaire dans les politiques de conformité.
En Iran, parmi les multiples exemples tirés de la situation internationale récente, l’on a vu les principes de l’ordre juridique international être contestés, notamment ceux du respect de la souveraineté et de l’égalité des États, de la non-ingérence, et l’atteinte à la jouissance des droits humains dans ses aspects les plus fondamentaux et critiques. Il apparaît comme manifeste que les sanctions internationales unilatérales, processus extraterritorial s’apparentent à des contre-mesures tels des actes de guerre issues de décisions illicites, mettent en cause le droit international public.
Les notions de protection et de proportionnalité doivent se trouver au cœur d’une décision de sanction, laquelle ne naît et n’est appliquée que dans un contexte bien précis et dont l’objectif est d’obtenir la cessation des conditions qui ont présidé à sa mise en œuvre. Dans le cas contraire d’une privatisation et d’un détournement du sens de la sanction, celle-ci perd son statut d’exercice de la justice pour et au nom de la collectivité et entre dans la catégorie des actes unilatéraux au service des intérêts d’une entité individualisée, se déconnectant ainsi du droit dont elle tire sa raison d’être et son cadre.
Le Droit international public a développé un ordre juridique international intégrant notamment, selon la charte des Nations unies, des normes et des principes obligatoires et impératifs, les normes jus cogens, acceptées et reconnues par la communauté internationale en tant que norme à laquelle aucune dérogation n’est permise. Les États sont en principe tenus d’appliquer et de respecter ces règles, à vocation universelle : souveraineté des États, égalité souveraine entre eux, non-ingérence dans les affaires internes des pays.
Les États les plus puissants du système international, influents géopolitiquement ont depuis longtemps pris l’habitude de laisser la règle de droit imprécise pour la sauvegarde de leurs intérêts propres, et de limiter la sanction aux niveaux politique et moral, capacité renforcée par l’absence de force contraignante dans l’ordre international. Certains États parmi les plus forts d’imposer par eux-mêmes des sanctions politique et économique se sont exonéré des règles de droit concernant la prise de mesures non coercitives, en application des dispositions de l’article 41 de la Charte des Nations Unies, portant atteinte à l’équité et aux droits de l’homme sur la seule base de privilèges de puissance politique et économique et selon une conception minoritaire de l’interprétation du droit.
Cet unilatéralisme extraterritorial consacre le retour du seul rapport de force dans les relations entre nations membres de la communauté internationale. Selon l’ancien ambassadeur des États-Unis en Arabie saoudite, M. Charles Friedman, déclarait « (…) pour l’Iran auquel les États-Unis ont imposé des sanctions unilatérales, où nous pénalisons quiconque veut commercer avec ce pays, sans aucune base légale internationale pour le faire. Ainsi, le principe que nous défendions autrefois avec tant de vigueur, nous le violons systématiquement ». En effet, L’Iran est sanctionné par l’Occident depuis 1979, et les sanctions contre lui sont devenues une véritable obsession pour l’Amérique, au point d’apparaître comme leur seul instrument « diplomatique » ; l’objectif fut d’entraîner Téhéran dans une escalade de concessions sous peine de sanctions massives, afin de réduire au minimum ses ambitions nucléaires civiles, et de le contraindre à renoncer à ses perspectives militaires. L’application externe de cette géopolitisation du droit de la sanction par les États-Unis a porté ses fruits vis-à-vis des pays tiers, ses alliés européens. En effet, les pertes de l’Europe face aux sanctions secondaires américaines contre l’Iran se comptabilisent dans de multiples domaines. Ainsi, le plus fort impose sa loi au plus faible, en ayant recours à des manœuvres illégales et en exerçant un chantage sur l’ensemble des acteurs de la société́ internationale par une série de contre-mesures à effets extraterritoriaux en violation des principes du droit international public, véritables actes de guerre à caractère économique, tel que le blocus contre Téhéran, état de siège utilisant l’arme des sanctions « secondaires ». La sanction a donc pour but d’exclure les États cibles de la communauté internationale.
Les droits fondamentaux du peuple iranien, tels que le droit à la santé, le droit à l’alimentation et le droit au développement ont été touchés, ce sont en réalité des violations massives des droits fondamentaux auxquelles on assiste depuis des décennies. La réalité des sanctions ne se limite pas au gel des avoirs bancaires ni au blocage des transferts de fonds ; la question de la survie de toute une population, notamment sa frange la plus faible, la plus démunie est posée au regard tant de l’intensité que de la durée d’application des sanctions frappant le pays. Pour les Etats-Unis en effet, l’idée de faire souffrir une population civile en punition collective de l’action de ses gouvernements est compatible avec les principes juridiques qui président à la décision de sanction extraterritoriale unilatérale, « Punir l’innocent pour exprimer son indignation au coupable ». La souffrance pour les populations civiles est le moyen des sanctions afin qu’elles se rebellent contre leur gouvernement voire le renversent, ce qui est totalement opposé à l’objectivité et à la vertu prudentielle de justice inhérents aux décisions émanant du droit international public dont la sauvegarde de ses principes est le seul rempart à la dissolution progressive de l’ordre juridique international à laquelle nous craignions d’assister aujourd’hui.
Je vous remercie.
À l’issue des débats, les recommandations suivantes ont été développées et proposées par les participants à la Conférence :
- Utilisation des « Principes directeurs (Guiding principles) sur les Sanctions, le Commerce et les Droits humains » en tant qu’instrument important pour assurer le respect de l’état de droit au niveau international.
- Agir selon le principe pacta sunt servanda et l’obligation de diligence raisonnable (due diligence), prendre toutes les mesures législatives, institutionnelles, administratives, opérationnelles et juridiques pour assurer que les activités des acteurs publics et privés sous leur juridiction ou contrôle ne violent pas les droits humains, l’extraterritorialité inclue.
- Éviter de passer la responsabilité aux acteurs non-étatiques, incluant les organisations humanitaires et les commerciales (entreprises).
- S’assurer que tous les individus affectés par les sanctions unilatérales et les moyens de leur mise en œuvre aient accès à des remèdes juridiques effectifs et ne soient pas empêchés de demander réparation en raison de restrictions liées aux sanctions.
- L’exercice d’une protection diplomatique proactive au nom des entreprises et individus affectés par les sanctions unilatérales, les moyens de leur mise en œuvre et de conformité excessive.
- Sauvegarder la sécurité et les immunités traditionnelles des avocats fournissant une assistance juridique dans les environnements faisant face à des sanctions.
Tous les acteurs doivent :
- Documenter l’impact des sanctions unilatérales et de leurs moyens de mise en œuvre et de conformité excessive, sur les droits et standards humanitaires de manière générale, et via l’Outil de Surveillance des Sanctions et d’Évaluation de leur Impact (Sanctions Monitoring and Impact Assessment Tool), développé par le mandat de la Rapporteur Spéciale sur « L’Impact négatif des mesures coercitives unilatérales sur la jouissance des droits humains afin d’assurer une surveillance et une évaluation objective, cohérente et complète.
Les organes et agences de l’ONU doivent :
- Inscrire à l’agenda et répondre au problème des sanctions coercitives unilatérales et les moyens de leur mise en œuvre et de conformité excessive, en tant qu’autre facteur négatif important affectant les droits humains et les indicateurs humanitaires.
Les entreprises devraient :
Adopter une approche basée sur les Droits humains dans la conduite de leurs activités sous sanctions unilatérales, et également l’intégration de procédures visant à éviter une conformité excessive dans leurs opérations, en s’abstenant de mettre en œuvre des dispositions et des pratiques non-conformes au droit international et en veillant à ce que leurs activités ne violent pas les droits de l’homme, y compris l’extraterritorialité.