Jacques BARRAT Professeur des universités, diplomate
Trimestre 2010
Le moins qu’on puisse dire est que le modèle japonais tant vanté et admiré entre les années 19(50 et 1970 n’est plus. En 2010, le toyotisme tout comme le fordisme ont fait faillite, et ‘orce est de constater que l’avenie de l’archipel nippon peut paraître à bien des égards fragilisé, siiron menacé par des éléments qui avaient jusqu’alors aidé s sa prospérité.
Il est évident que le Pays da soleil tevfnt, vaincu par srois bombes atomiques américaines en 1945, mais si vite remis sur pied par ces mêmes Américains dès le début des ennées 19)50, n’esi plus en ce début de xxie siècle la superpuissance de l’Extrême-Ortent dans le contexte nouveau de la mondialisation. Certains vont même jusqu’à dire que l’archipel nippon n’est plus capable de peser sur les destinées économiques et diplomatiques d’une Asie jaune qui subit le poids démographique de près d ‘un milliasd et demt de Chino is.
En effet, il semblerait que tout ce qui avais œnstitué un ensemble d’éléments positips sur lesquels le Japon te la seconde moitié du xxe siècle avait p0 bftir sa puiss^ice, stn renouveau, sa suprémaeiee le transformant en contrepoids de fait à lt (Chine communiste, esr en passe de tevenir ud train de difficultét. (Ces dernières sont malheureusement susceptibles de le mener, à dtus ou moins long terme, à des remises en cause douloureuses qui pourraient déboucter sur (Ses évolutionS négatives — St 0tnc tangereuses -, pour peu que l’essoufflement constaté du régime politique nippon s’accélère.
L’écroulement, il y a près d’une quinzaine d’années, du système bancaire japonais a été à ce niveau une sonnette d’alarme que nous n’avons pas su analyser parce que la grande puissance qu’était le Japon à cette époque mélangeait à la fois tradition et modernité, puissance de l’artisanat et compétitivité des grandes firmes, surdéveloppement et maintien en parallèle de certaines caractéristiques sociales proches du sous-développement.
Le président Rastbeen, dans un article consacré au « retour aux sources » de l’archipel nippon, pose le problème soulevé par le comportement de plus en plus accommodant des États-Unis vis-à-vis du Japon, comme le montrent les réactions du président Obama à l’égard des exigences du nouveau Premier ministre japonais, Yukio Hatoyama [1]. L’arrivée de ce dernier au pouvoir est d’autant plus intéressante qu’elle semble marquer une rupture définitive avec soixante ans de règne des conservateurs.
Le recteur Gérard-François Dumont, dans sa chronique intitulée Japon : les enjeux géopolitiques d’un « soleil démographique couchant », nous montre combien la démographie japonaise est menaçante pour l’avenir du pays.
Au cœur de ces transformations, Nicolas Baumert met en évidence l’« unité et la diversité des identités » japonaises dans la globalisation, alors que André Pertuzio entrevoit le rôle de l’énergie nucléaire nippone comme primordial pour la décennie à venir, et ce dans la mesure où « le Japon est aujourd’hui le seul pays possédant des installations qui couvrent le cycle complet du combustible ».
Le général Paris, dans sa description de la force armée nationale, rappelle que, « en un siècle, le Japon est passé d’un pôle à l’autre, d’un isolement farouchement défendu et du bateau côtier en bois à l’expansionnisme et au porte-avions ».
À travers une chronique historique relative à la décision de Truman de larguer des bombes atomiques sur Hiroshima et Nagasaki — décision à l’époque approuvée par 85 % des Américains —, Steven Ekovich nous invite à considérer qu’elles ont fait l’économie d’au moins un million de vies américaines, et sans doute d’au moins autant de vies japonaises, surtout s’il avait fallu mettre en place un débarquement et une invasion américains.
Roger Tebib analyse pour nous « le Japon, sa politique de sécurité et ses actions internationales », et démontre que « les orientations de la défense japonaise dépendent encore des évolutions de la politique étrangère des États-Unis ». Incontestablement, l’élection de Barack Obama a eu pour conséquence directe de placer les états-majors nippons dans une certaine expectative.
Mohamed Troudi revient pour sa part sur « les rapports entre le Japon et ses proches voisins : des nouveaux enjeux pour l’Asie du Nord-Est ». Alors que la compétition internationale l’exigerait sans doute, il apparaît pourtant que les tensions structurelles géostratégiques, politiques et culturelles entre Chinois, Coréens et Japonais entament le « rêve d’une unité asiatique face à l’Occident et aux États-Unis ». Quant au docteur Hong Lai Jo et à Lionel Babicz, ils nous décrivent chacun à sa manière les relations tendues qui sont plus particulièrement celles du Japon et de la péninsule Coréenne. Une chose est sûre, les quelque 700 000 immigrés coréens au Japon ne sont plus placés dans la situation de mépris et de soumission qu’ils avaient pu connaître auparavant.
Quant à Yumiko Yamada, elle s’intéresse au dossier des « Territoires du Nord », enjeu stratégique majeur né à la fin de la Seconde Guerre mondiale et qui continue de déterminer, en 2010, la nature des relations diplomatiques entre Moscou et Tokyo.
En analysant les « travaux d’Hercule » que doit assumer le Japon en « Méditerranée d’Asie », Laurent Ladouce introduit un élément intéressant. En s’engageant plus avant dans le projet d’aménagement de la rivière Tumen, qui sépare la Corée du Nord de la Chine, le Japon pourrait, assez habilement, « expier plusieurs démons du passé et relancer la coopération régionale ».
Marc Aicardi de Saint-Paul, enfin, tente de revenir sur la genèse du lien qui unit aujourd’hui durablement le Japon et le continent africain. En effet, à l’en croire, « une partie du combat pour la première place en Asie » se jouerait en Afrique…
Le Japon est donc aujourd’hui à la croisée des chemins. Il lui faut bien sûr commencer à apporter des solutions aux multiples problèmes internes auxquels il doit faire face, car il connaît désormais les affres de la société de consommation et, à l’image des pays occidentaux, doit lutter contre les effets inhérents à la transformation des mœurs et à l’abandon de toutes les formes d’autoritarisme : délinquance, criminalité, crise du système éducatif, perte des repères traditionnels. sans compter le plus important, celui du vieillissement de la population.
Le Japon va également devoir redéfinir et réaffirmer clairement sa position internationale dans le cadre d’une mondialisation plus ou moins multipolaire, mais qui ne ressemble en rien à l’équilibre des blocs d’avant 1990, lorsqu’il était l’allié obligé des États-Unis d’Amérique, et donc du camp occidental.
C’est au sein d’une Asie orientale en pleine mutation qu’il va devoir aussi choisir entre connaître une internationalisation définitive et — pourquoi pas ? — devenir un pays d’immigration alors que, parallèlement, on sent monter un néonationalisme rampant depuis le milieu des années 1980.
Dès l’entrée dans le xxie siècle, les dirigeants japonais se sont aperçus que désormais l’expansion économique devait absolument aller de pair avec l’expansion culturelle. Cela a exigé du Japon qu’il renoue, en dehors de ses exportations de biens matériels, avec une politique expansionniste des valeurs nippones, y compris au États-Unis. Or, pendant la même période, il n’a pas réussi à régler avec la Chine des contentieux assez terribles, vieux de plus d’un siècle.
Néanmoins, le Japon d’aujourd’hui, bien implanté dans pratiquement tous les domaines du marché nord-américain, a moins besoin de ses liens avec Washington pour maintenir sa position de grande puissance. C’est pourquoi d’aucuns craignent la future constitution d’un bloc sino-japonais qui pourrait s’avérer redoutable. Cette éventualité est-elle inéluctable ? Bien des éléments devraient pouvoir l’empêcher ! Faut-il cependant rappeler que cesont les enjeux chinois qui se sont trouvés pour une bonne part à l’origine de la guerre du Pacifique.
Jacques BARRAT Professeur des universités, diplomate
[1]Après une victoire historique du Parti démocrate du Japon (PDJ) aux législatives du 30 août 2009, Yukio Hatoyama a été nommé Premier ministre le 16 septembre 2009. Il dirige un gouvernement de coalition tripartite avec le Parti social-démocrate (PSD) et le Nouveau parti du peuple (NPP, centre-droit).